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lundi, 02 janvier 2023

Florence Gros

photo FLORENCE GROS © Florent Benard.JPGFlorence Gros est directrice de l’OCH, fondation religieuse née en 1963 destinée aux personnes handicapées de toutes sortes (psychiques, sensoriels et moteurs.) et qui ne vit que de dons. Elle est responsable d’ »Ecoute et Conseil » un lieu destiné à entendre la souffrance de personnes porteuses de handicap et à les réconforter avec patience et profondeur. 3500 demandes par an dont 50% se rapportent aux maux psychiques. . Au cours de cet entretien, elle explique les fondements et les diverses missions de l’OCH… 25 salariés à temps plein, à peu près 150 bénévoles.  Et la parution d’un journal tous les deux mois avec un abonnement à 29 euros pour 6 numéros.  A l’heure actuelle, ce magazine comprend 7000 abonnés. En dehors de l’abonnement au journal aucune adhésion n’est exigée, n’importe qui pouvant  avoir recours à « Ecoute et conseil » ou venir sur place profiter par exemple des  groupes de paroles ou d’un café le mardi matin.

 

Pourriez-vous expliquer comment est née cette association ?
Elle a été fondée par Marie-Hélène Mathieu qui a entendu des « cris », notamment ceux d’une amie handicapée de sa classe. Après, il y a eu cette autre amie dont l’enfant était porteur d’un handicap et pour qui la vie était très dure. Puis, enfin le procès de Liège portant sur le cas d’une maman qui totalement à bout, a tué son enfant handicapé. Marie-Hélène Mathieu a été sensible à toutes ces situations et c’est comme cela que l’OCH est né. Même si les missions ont évolué, l’ADN est toujours le même : Briser la solitude des handicapés et que des liens se fassent avec de vrais soins. On ne peut pas dire « Bienvenue aux personnes handicapés si on ne prend pas en compte l’entourage. Cette idée, on la porte depuis toujours. Je m’émerveille de voir à quel point les premières rencontres qui se sont déroulées ont fait naître d’autres rencontres, des milliers aujourd’hui, dont les liens se sont tissés depuis maintenant 60 ans… « Ecoute et Conseil » qui a lieu du lundi au vendredi de 9h du matin à 18h  a toujours existé. Petit à petit, se sont mises en place ensuite des événements autour de la famille (journées frères et sœurs, des grands-parents, des mamans, les week-end papa etc… ) et «  le journal « Ombres et Lumière » est né un peu plus tard. Au départ, c’était surtout axé sur le handicap mental, et actuellement la fondation s’adresse à tout type de handicap.

 

Dès le départ, ce fut une fondation religieuse !

Oui, cela faisait parties des convictions  de Marie-Hélène Mathieu, et l’on porte cela dans nos fondements. Cela ne veut pas dire pour autant que l’on limite le profil des personnes  et l’OCH englobe des gens de tous horizons. Mais on permet aux personnes qui viennent à nous de pouvoir exprimer cette sensibilité religieuse. Ainsi dans une journée famille, y a-t-il souvent un temps soit de célébration, soit de prière avec un atelier autour de cette question : « Que fait Dieu dans ma vie ? « C’est important car les familles viennent aussi pour cette raison. Elles disent que là où leur enfant est placé, IME, ESAT, CAT, c’est une expression qui n’existe pas et elles sont contentes de pouvoir l’avoir chez nous. Je fais partie de l’équipe « Ecoute et Conseil » depuis 16 ans, et quand une personne me demandait de prier pour elle, ou me faisait part de son souhait de déposer une intention de prière, je prenais en compte son souhait. En revanche, je n’ai jamais proposé à une personne que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam de prier ensemble. Il existe ce souci de laisser la liberté d’expression, mais si l’on sait qu’une personne possède cette sensibilité religieuse, on lui proposera de prier pour elle ou on l’orientera vers une communauté qui prie pour l’OCH.

 

 

 

Ce sont les personnes elles même qui appellent ou plutôt les aidants ?

Moitié moitié entre les personnes concernées et l’entourage avec davantage  de mères que de frères et sœurs ou pères.  Ce dont ils souffrent le plus c’est la solitude et la recherche d’établissements, de lieu de vie. Ils se demandent comment créer une vie sociale, comment donner la possibilité à leur enfant de trouver un lieu. L’on voit de tout, schizophrènes, bi polaires, dépression, personnes borderline, ou fragiles  ou porteurs  de symptômes,  pas forcément diagnostiqués.  Ou encore des personnes hyper sensibles  très isolés qui ont du mal dans leur relation avec les autres. .  Mais ils ne nous disent pas forcément leurs maux, ils nous confient leurs angoisses, leur difficulté à prendre une décision.  Nous on est là pour accueillir ce qu’ils vont nous dire. Nous sommes 4 écoutantes formées à l’écoute, plus une documentaliste, et la standardiste chargée juste du premier accueil.  Mais on n’est ni médecins, ni forcément psychothérapeutes. C’est vraiment un accompagnement de la personne dans ce qu’elle demande, qu’elle soit vraiment écoutée jusqu’au bout, qu’elle sente que l’on est là pour elle et pour faire un bout de chemin ensemble. Quel que soit le handicap, comme je le disais précédemment, cela concerne beaucoup la vie sociale. Je pense par exemple à une jeune femme qui habite chez elle et qui en vieillissant est un peu moins autonome, ce qui rend sa vie de plus en plus difficile. Elle s’est dit que ce serait peut-être bien de rejoindre un établissement. Dans cette évolution, se niche un besoin de changer de vie.

 

 

Les qualités essentielles pour réconforter une personne handicapée ?

J’ai envie de dire prendre du temps, ne pas être pressé.  Je me souviens d’une femme qui m’avait appelée en me disant que quel soit le lieu où elle allait, tout le monde était constamment  pressé, même sa fille et elle avait doc peur de me déranger.  Je l’ai rassurée à ce sujet.  Ce qui est important c’est d’écouter jusqu’au bout de manière désintéressée et de ne pas interpréter. Il faut abolir toute volonté de vouloir absolument quelque chose pour la personne. Ces personnes ont aussi des ressources même si elles sont un peu étouffées, et c’est important de les faire émerger, et de leur faire dire ce qu’elle aiment, ce qu’elle souhaitent… Etre bien là au moment présent, et pas à un autre endroit.

 

 

 

Certains aidants se plaignent de ne pas être assez considérés !

Ca dépend des aidants. Ils font des recherches pour leur proche, avec parfois aussi des questions de droit. Je pense à cette épouse mariée à un homme souffrant d’un AVC. Elle avait besoin d’être encouragée dans son rôle d’aidant. Autre exemple : une maman confrontée à des difficultés de dialogues avec son institution qui voulait savoir quoi dire aux éducateurs afin de ne pas être coupée de toute relation avec son fils. Pendant des années on a mis entre parenthèse  le fait que les aidants jouaient tous les rôles. Educateurs, infirmiers, médecins, mères, épouses. Maintenant, on en parle plus et dans beaucoup d’associations, sont mis en place les cafés des aidants, quelques lieux de répit. Même si beaucoup d’actions sont encore à étudier, on sent une meilleure  dynamique. Nombreuses sont les mères qui arrêtent de travailler pour s’occuper de leur enfant et la prise en charge des ces années non rémunérées est loin d’être parfaite. En fait, les aidants fournissent  un travail considérable et font faire des économies à la France..

 

Avez-vous déjà travaillé avec des psychologues ou des personnes du milieu médical ?
On a eu des personnes dotées d’une formation de psychologues mais qui ne sont pas forcément restées très longtemps. Par exemple des personnes qui remettent le pied à l’étrier. Mais ceux ou celles  qui font appel à nous sont souvent contents de ne pas avoir affaire des professionnels qui auraient tendance à les cataloguer. Notre présence bienveillante leur convient bien. Certains appellent puis s’en vont. D’autres ont besoin de nous pendant longtemps. Le cas  d’un homme  crevant  de solitude notamment à Noël et qui trouvait cela très dur me revient en mémoire. . Il y a quelques années, il m’a appelée un jour pour me dire qu’il n’avait plus besoin de mon soutien. « Je vois Noël arriver et je n’ai plus la même douleur... "

 

Le rejet du handicap est-il toujours aussi présent ?

Alors là, c’est une conversion de chaque jour. En France, on est très ambivalent. D’un côté, on fait effectivement pas mal de progrès sur la recherche d’inclusion et la volonté de faire avec, et de l’autre on préfèrerait que les handicapés ne naissent pas ou quand ils nous dérangent trop qu’ils n’existent plus.  C’est compliqué et l’on surfe sur des aspects compliqués  et violents.  J’ai un ami qui m’a dit « Je suis handicapé mais comme je suis bien entouré ma vie est belle.  Pourquoi aurait-on voulu que je ne naisse pas et pourquoi voudrait-on que je meurs ?  En France, on n’a pas toujours envie d’entendre ce genre d’arguments…

Et au niveau aménagement ou structures ? De bonnes initiatives existent avec le souci que les personnes handicapées soient de plus en plus actrices de leur projet de vie. Mais on est toujours en manque de place et l’on voit bien que c’est très difficile de faire du cas par cas. Les actions envers la maladie psychique, l’autisme sont encore très perfectibles et c’est assez variable selon les régions…

 

 

Cela diminue t-il côté agressions et violences?

Je ne peux pas dire si cela diminue ou pas mais on y fait davantage allusion. Il existe maintenant un certain nombre d’initiatives au sein de différents établissements pour que ce soit un sujet abordé, que des groupes de paroles se forment sur leur vie relationnelle, sexuelle. Les éducateurs sont davantage formés, donc on peut penser que le phénomène a tendance à s’amenuiser.

 

 

Vous semblez posséder une documentation importante sur le handicap !

C’est la documentaliste du service « Ecoute et Conseil" qui essaye de rassembler des données pour pouvoir répondre aux familles. C’est à la fois matériel avec quelques prospectus et cela repose surtout actuellement sur une base de données destinée à répondre aux besoins. Cette documentaliste examine tout ce que l’on peut créer dans la vie sociale pour que le quotidien ne situe pas exclusivement soi dans la solitude soit totalement  dans une structure. Comment créer des liens avec un organisme qui viendrait de temps en temps pour voir comment ça se passe. Connaître un peu tout ce qui peut exister pour améliorer la vie de tous les jours…

 

 

 

Vous avez aussi une équipe à Lourdes !

Oui, l’idée c’est de pouvoir accueillir tous les pèlerins pour qu’ils puissent avoir un accueil en tant qu’handicapés. C’est aussi un groupe de sensibilisation qui explique comment l’on peut devenir proche d’un handicapé. La vie à Lourdes est fatigante quand on y va pour un pèlerinage, et si quelqu’un est perdu il a la possibilité d’être guidé dans ses démarches. Que ce soit un non voyant ou un handicapé moteur, on est là pour que la personne se sente bien, et puisse se reposer. Une deuxième mission consiste en un accueil de groupe. Comme par exemple des lycéens venus faire un stage et ayant besoin de mieux  connaître ce qu’est le handicap. Le but est  qu’ils ne repartent pas sans ce bagage. L’équipe d’Ecoute et Conseil répond à des appels de toute la France. Le journal « Ombres et Lumlère »  est lu par des abonnés de toute la France. Quant aux événements, c’est un peu selon les disponibilités de l’équipe. Par exemple sont mis en place 17 journées dans 17 villes . Nous avons le souci d’être présent un petit peu partout en France et nous aimerions avoir des actions plus territoriales. Mais on est un peu dépendant des ressources humaines.

 

 

Des exemples de changements positifs grâce à vos actions !

J’ai envie de vous parler d’une jeune femme venue ici avec sa sœur souffrant d’un handicap assez léger mais se sentant  seule et ayant  du mal à se faire des amis. « Elle affirmait ne pas trouver sa place ni dans le monde des valides ni chez les grands handicapés. Elle a rejoint une petite association que nous avons créée pour ces personnes entre deux qui s’appelle « Jeunesse, Amitié » . Grâce à ce petit groupe elle s’est fait des amis de toujours et a rencontré un garçon devenu son fiancé. Elle vient régulièrement à l’OCH pour partager un « café rencontre » tous les mardis du mois et rencontrer d’autres personnes. De temps à autre, elle nous aide pour préparer, une conférence, un lieu. Elle profite à la fois des activités et en même apporte sa contribution… L’OCH c’est tout cet ensemble…

 

A l’étranger la situation est-elle plus constructive ?

Dans les petits pays comme ceux du Nord, on inclut plus facilement.  Et puis, c’est peut-être moins compliqué à gérer car la population est moins nombreuse. En Italie, il existe cette volonté d’intégrer le bambin qu’il soit handicapé ou pas avec peut-être plus de visibilité sur le sujet. Aux Etats-Unis c’est moins facile. . C’est un peu difficile de faire des généralités ; cela dépend probablement des handicaps. En tout cas, toutes les initiatives qui permettent que l’on arrête de mettre de fausses étiquettes sur ces personnes sont à prendre en considération. Cette idée de juste leur permettre d’évoquer leurs difficultés est importante. Il ne faut pas les cacher et l’on s’enrichit à vivre ensemble.

 

 

 

 

Les prochaines initiatives ?

Pour nos 60 ans, on va vivre plus que jamais la "lumière d’une rencontre" qui constitue notre signature, notre slogan et qui incarne  vraiment toutes nos missions. On va mettre l’accent sur cette partie là et permettre à des personnes avec un handicap de faire part d’ un de leur rêve qui soit bien sûr accessible.  Des étudiants, de jeunes professionnels vont se réunir  pour permettre la réalisation du rêve. Si par exemple une personne a envie d’aller sur un bateau, ces jeunes ramèneront des compagnons qui diront «  J’ai un bateau à disposition, si vous voulez je me mets à votre service pour que votre rêve prenne vie."  Notre souhait c’est de créer du lien, de faire tomber les barrières, de créer des ponts. On est persuadé que l’on est fait pour se rencontrer, et l'on veut plus que jamais mettre l’accent sur les rencontres. Le lancement se fera le 18 janvier. Parmi les rêves ? Aller à un concert, envie de passer une journée dans un café joyeux, assister à un lever de soleil, faire un podcast… Notre parrain Samuel Abitbol lui-même trisomique et acteur de cinéma  a réalisé son rêve de faire du cinéma. Il a tourné grâce à Stephanie Pillonca, comédienne, réalisatrice dans le film  « Jusqu’au bout de mes rêves ». Fin 2023, on souhaiterait rassembler un peu toutes ces rencontres. Faire un film et mettre en place quelques fêtes au sein de différentes villes...

 

Agnès Figueras-Lenattier