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mercredi, 23 décembre 2020

" Malades de sport"

cancers,bienfaits du sport,témoignagesVincent Guerrier 26 ans a été diagnostiqué en 2016 souffrant d’ un cancer du système lymphatique. Avant même que le diagnostic ne soit posé, il a beaucoup réduit l’activité physique, éprouvé par de lourds effets secondaires. Or à la suite d’une réflexion d’un radiologue qui l’a fait douter de ses capacités physiques futures, il a réagi courageusement en reprenant  la course à pied encouragé par sa compagne Léa Dall ‘ Aglio.  Il est même allé jusqu’à faire un marathon et a pu constater combien le sport lui était bénéfique pour mieux appréhender son cancer. Voulant alors témoigner de cette réalité pas encore suffisamment connue, il a avec sa compagne créé un site, un documentaire sur France III Normandie. et un livre, les trois intitulés «  Malades de sport »…

 

Lorsque l’on vous a diagnostiqué ce cancer du système lymphatique où en étiez-vous sur le plan sportif? 

Vincent :  A l’époque, je faisais beaucoup de vélo, mais j’avais un petit peu arrêté de pratiquer depuis les premiers symptômes de la maladie encore inconnue à ce moment là. Notamment de fortes démangeaisons nocturnes  et un essoufflement qui me limitaient un peu sur le plan corporel. C’était une fatigue assez chronique et c’est la réflexion d’un radiologue qui a engendré ma reprise du sport. Il m’avait dit sur un ton assez léger que les rayons pouvaient tuer des cellules au niveau des poumons et réduire mes capacités pulmonaires m’empêchant par la suite de courir un marathon.  Assez désemparé, j’en ai parlé à ma compagne qui a eu le bon réflexe de ne pas prendre cette nouvelle comme une fatalité et qui m ‘a proposé que l’on s’entraîne ensemble dans le but de courir un marathon. J’ai donc  repris la course à pied avec elle pratiquement à zéro assez vite après le début des traitements. Sur la balance avant d’attaquer les traitements, je pesais 6 à 7 kg de moins que d’habitude ayant perdu une grande partie de mes muscles… 

 

Comment s’est passée cette reprise de la course à pied ?

Léa:  L’on se savait pas du tout comment Vincent allait réagir avec la fatigue de la chimiothérapie et l’on a recommencé très progressivement.  Nous avons toujours couru ensemble afin que si un effet secondaire important se produisait, je serai là pour réagir  et appeler les secours si besoin.  Or, même si Vincent était dans un état un peu limité, aucun incident n’est survenu. On s’est même aperçu que plus vite il courait après sa chimie, plus les effets secondaires se dissipaient…Nauséés, fatigue écrasante. Et près 20 mn d’effort, il se sentait mieux immédiatement… Quand l’on s’est rendu compte de cela, on a cherché à comprendre pourquoi et l’on a découvert les études existantes sur le sujet depuis les années 1980 et montrant les bienfaits de l’activité physique sur les cancers. En fait, le sport est le seul médicament qui lutte contre la fatigue induite au traitement et à la maladie elle-même. Aucune molécule chimique n’existe pour lutter contre cet épuisement. 

 

Pourriez-vous parler des effets du sport sur votre état ?

Vincent :  Je comparais l’effet des chimiothérapies à une gueule de bois qui durait plusieurs jours. J’étais un peu apathique et le fait de faire assez régulièrement de la course à pied diminuait cette impression. Je mettais un petit peu moins de temps à m’en remettre qu’au début. Souvent deux jours après, j’étais revenu à un état pour ainsi dire normal au niveau de la fatigue. Je ne passais plus une après-midi au lit…  Six mois après la reprise, j’étais en bien meilleure condition physique qu’au début et supportais beaucoup mieux les traitements.  Le sport m’aidait aussi à me sentir mieux psychologiquement.  J’ai fait quelques séances en groupe avec d’autres personnes  ce qui me permettait ainsi de maintenir un lien avec le collectif, avec la société.  J’étais complètement en arrêt maladie, seul à la maison et je planifiais une petite séance plusieurs fois par semaine pour ne pas être totalement coupé du reste du monde… 

 

En tant qu’aidante cela s’est-il bien passé? 

Léa : On s’occupe surtout du malade et l’aidant est souvent délaissé ou mal conseillé.  Dès que l’on a eu le diagnostic et que l’on a commencé à faire des allers-retours à l’hôpital pour faire des examens , tout mon entourage me disait de ne surtout pas pleurer devant Vincent , de ne pas craquer. On m’a mis une pression énorme, et le fait que l’on m’ait conseillée de ne rien montrer de mes sentiments  a été extrêmement difficile à vivre. Je m’interdisais de « craquer », et parfois je sortais en pleine nuit pour téléphoner à mes parents et pleurer au téléphone. Jusqu’au jour où une infirmière a demandé à  Vincent comment il allait  et s’est ensuite tournée vers moi, me demandant la même chose. C’était la première fois que l’on me posait cette question depuis le diagnostic et je n’ai pas pu me retenir; j’ai fondu en larmes. Vincent s’est alors rendu compte que je n’allais pas bien et il m’a dit «  Je veux que tu pleures devant moi . Je veux m’occuper de toi également, tu as aussi le droit de ne pas être bien. Je trouvais ce soutien à double sens essentiel dans notre relation malade aidante. 

 

Vous dites que le corps s’habitue vite à l’inactivité!

Vincent :Oui, et moins on en fait, plus l’on se dit que cela va être difficile de reprendre et douloureux pour le corps. Une fois que l’on est déconditionné, c’est très difficile de reprendre. Au contraire quand on éprouve des bénéfices , quand on se sent mieux dans ses baskets et dans sa tête, il existe une sorte de culpabilité positive de ne pas en faire . Cela devient une drogue très saine où l’on s’impose de sortir pour son propre bien-être. C’est un jeu de spirale où il faut garder un équilibre…

 

Vous avez du aussi lutter contre les a priori des parents concernant l’activité physique!

Vincent : Oui, c’est vrai. Pour les parents de Léa je ne sais pas, mais les miens étaient effectivement un petit peu sur le frein à main en disant «  Attention, n’en fais pas trop, repose-toi.  C’était un peu le poncif de dire «  Tu es malade, il faut que tu te ménages et que tu restes au lit. Ils savaient que j’étais de nature assez active et avaient peur que je fasse des bêtises et qu’éventuellement je fasse un malaise. Une crainte de parents non objective.  Le frein que l’on met aux malades, c’est souvent l’entourage proche qui le provoque . L’on incite trop la personne à faire très attention et cet excès de prudence en devient délétère. . Or l’on sait maintenant  que rester inactif et trop sédentaire provoque des maladies chroniques et ne fait qu’accentuer les effets secondaires des traitements. C’est vraiment la chose à ne pas faire, et il faut le faire rentrer dans les moeurs. Cela  prend du temps, mais les choses bougent à ce niveau là…

 

Les médecins étaient au courant de votre activité physique?

Léa : Oui, ils ont  même dit à Vincent qu’il faudrait faire une étude sur lui car ils étaient assez stupéfaits de voir que courir lui faisait autant de bien. Qu’il a pu faire un marathon malgré son cancer. C’est une petite fierté pour nous car au début c’était un médecin sceptique. Il nous a même avoué que c’était grâce à nous qu’il avait fait embaucher au centre du service d’hématologie du CHU des Caen une enseignante en activité physique venant donner des séance directement dans les chambres du patient en s’adaptant complètement à l’état de la personne…

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Vous expliquez qu’au delà d’un certain nombre d’heures de sport, il n’existe plus de dose réponse!

Vincent : Oui, on compare vraiment le sport à un médicament dans le sens où il y a un dosage à respecter, une posologie. Selon l’OMS Il faut faire au moins 30 mn d’activité physique modérée à intense ou 150 minutes 3 fois par jour.  Les études montrent que les effets bénéfiques ont une limite et qu’au bout de 300 mn, les effets s’amenuisent. Ce n’est pas exponentiel. Même si l’on en fait quatre heures par jour, on n'aura pas quatre fois plus de bénéfices que quelqu’un qui n’en fait qu’une heure. Au contraire, si l’on en fait trop l’ on peut avoir des blessures ou autre effets néfastes. C’est comme tout, il faut trouver un juste équilibre… 

 

Malgré le fait que vous ayez fait du sport, vous avez fait une rechute!

Vincent : Oui. Même si les études démontrent que les patients souffrant de cancers les plus fréquents ( sein, colon, endomètre, prostate) les plus actifs ont 30 à 40% de baisse de récidive, cela reste de la statistique et le sport n’est pas non plus un remède miracle. Même quelqu’un de très sportif qui ne boit pas, ne fume pas et qui se nourrit bien peut quand même faire une rechute.  A ce moment là, j’ai été soigné uniquement par rayons et j’ai eu une auto-greffe (un prélèvement avec une souche qu’il faut réintégrer après une séance en chambre stérile à l’hôpital pour rebooster les défenses immunitaires). Avec ce principe d’auto-greffe, je ne devrais plus avoir de problème. J’ai du rester un long moment alité, mais j’avais demandé que l’on m’apporte un vélo d’appartement. Trois semaines au lit c’est vraiment délétère, et j’avais très envie de rester un minimum actif. Je faisais à peu près 3/4 d’heure, une heure de vélo tous les jours même la première semaine où j’avais de grosses chimiothérapies. C’était assez dur physiquement de s’y mettre mais je ressentais réellement  un effet immédiat sur la fatigue.  Les jours où je n’en ai pas fait à cause d’une trop grosse fatigue, j’étais assez mal. Le fait de bouger me donnait l’impression de rester maître de la situation…

 

Où en êtes-vous actuellement?

Vincent : Je suis en rémission depuis 2 ans et demi maintenant et pour l’instant tout va bien. J'ai retrouvé des capacités tout à fait normales. Sans aucun signe de rechute . Léa et moi avons voulu parler au maximum de ces bénéfices du sport  à l’aide d’ un site, d’un documentaire et d’un livre.  C’est vraiment une thématique qui prend de plus en plus  de place au sein de la société. Maintenant dans chaque centre anti-cancer, il existe un enseignant en activité physique adaptée.  Dans les 10, 15 ans à venir, quelqu’un de malade passera très probablement par un programme sportif. Ce qui implique moins de dépense en terme de médicaments et moins de rechute éventuelle, ce qui permettrait à la Sécurité sociale de faire des économies.  C’est en tout cas ce pourquoi l’on milite… 

 

Vous avez d’abord lancé en septembre 2017 le site «  Malades de sport ». Puis un documentaire. Pourriez-vous en parler?

Léa : Au départ, ce que l’on voulait c’était réaliser un documentaire pour la télévision car c’était pour nous la meilleure manière de toucher le plus grand monde possible.  Dans ce but, nous avons rencontré des  chercheurs, médecins, patients et toutes les informations que nous avons recueillies n’ont pu être diffusées lors de ce documentaire. Ainsi avons-nous eu l’idée de créer un site avec des interviews de spécialistes, des reportages sur des structures développant des initiatives sur l’activité physique adaptée.  On suit aussi l’activité législative en essayant de donner une parole toujours précise et en faisant comprendre qu’il ne faut pas nécessairement être un grand sportif pour faire de l’activité physique adaptée. Que celle-ci repose d’abord sur de toutes petites choses comme par exemple jardiner ou marcher. … Concernant le documentaire, c’est un défi que l’on a lancé à des personnes souffrant de cancers  rencontrées grâce à notre réseau local comme par exemple participer à la course «  Les courants de la liberté » un week-end d’épreuve de course à pied qui a lieu chaque année à Caen en juin.  Ainsi Fred ultra-traiter  émérite,  a repris la course à pied grâce au documentaire après en avoir fait pendant plusieurs années. Pour Magali qui n’avait jamais fait de sport de sa vie l’objectif était de réussir une marche de 6km.  

 

Vincent : Réussir ce pari a permis à Magali d’avoir une meilleure qualité de vie et de mieux vivre son cancer. Dans le documentaire, on le voit, elle a maintenant une vie entre ses rendez-vous de chimiothérapie  pratiquement normale et elle arrive à rester active. Des réactions diverses? On reçoit régulièrement des témoignages de personnes qui parlent de situations similaires. D’autres nous demandent comment ils peuvent pratiquer près de chez eux, et ont besoin d’être un peu orientés. Et puis avec le livre, on a eu un assez bon retour des médias qui n’avaient pas trop l’habitude de l’activité physique adaptée. Le métier d’enseignant d’activité physique est nouveau, et c’est pratiquement une découverte au sein de la société.  Cet accueil des médias a permis de mettre en lumière cette thématique là… Un médecin au CHU de Caen que l’on voit dans le film montre beaucoup notre reportage à ses patients et étudiants.  Et les patients disent se retrouver complètement  au niveau sensations et bénéfices sur les effets secondaires.  Ce film est devenu un support pédagogique  dans l’enseignement pour l’instant à petite échelle mais nous espérons une diffusion plus importante dans l’avenir…   

 

Le livre est un sorte d’enquête montrant les diverses études scientifiques sur le sujet et montre que de nombreuses initiatives naissent de plus en plus mais qu’il reste encore beaucoup de choses à faire!

Léa : Oui, on évoque les nombreux freins comme la loi du sport sur ordonnance qui n’est pas financée et le fait que de nombreux médecins ne savent pas bien comment orienter leurs patients. C’est un plaidoyer et ce que l’on veut c’est que le plus grand nombre soit au courant des bienfaits du sport dans le traitement des cancers, et qu’à terme l’activité physique soit systématiquement proposée dès le diagnostic de cancer. On pourrait même dire au moment des recherches d’avant précédant le diagnostic. C’est ce que l’on appelle la préhabilitation : préparer le patient à d’éventuels futurs traitements comme on prépare un athlète de haut niveau à une compétition. Le préparer mentalement, au niveau de son alimentation et au niveau physique afin qu’il soit prêt à recevoir de lourds traitements.  Après si les malades  ne font pas d’activité physique c’est leur choix et cela n’appartient qu’à eux. 

 

Vincent : Un des freins principaux ce sont vraiment les médecins traitants au niveau législatif qui sont les seuls à pouvoir prescrire le sport sur ordonnance... C’est possible maintenant depuis 2016 pour les maladies chroniques et cela concerne 20 millions de français.  Ce qui ressort aussi dans le livre c’est qu’il n’y a aucun bloc d’enseignement pour les futurs médecins. C’est abordé au fil de l’eau en fonction des spécialités d’une manière très succincte . Mais à priori, cela devrait bouger. C’est un peu un paradoxe d’avoir tant d’études qui démontrent les bienfaits du sport et de voir que les médecins même s’il y en a de moins en moins ne sont pas toujours au fait de cette thématique là. La preuve c’est que nous n’étions pas au courant avant de l’avoir testé par nous-même.  On se rend compte que c’est vraiment la société civile, les associations, les enseignants et les professionnels du monde du sport et de la santé qui portent vraiment cette thématique sur le terrain et assez peu les institutionnels ( médecins, comités olympiques… )…  Ce sont surtout les initiatives individuelles qui permettent que le sport sur ordonnance existe. 

 

Vous citez la Suède comme un pays exemplaire!

Vincent : Oui, les pays scandinaves sont assez développés dans la prévention primaire des maladies et dans l’activité physique grand public. Ils savent bien s’y prendre pour que la population quelle que soit son âge bouge, particulièrement chez les scolaires. L'on trouve notamment beaucoup de pistes cyclables. Concernant la recherche, les Canadiens sont bien avance sur nous. En revanche, point où la France est devenue une référence selon les chercheurs que l’on a interrogés c’est la mise en pratique pour les malades à l’hôpital. On est devenu très fort  en France ces dernières années pour installer des programmes dans les centres anti-cancer. Mais ce sont fréquemment  des programmes difficiles à pérenniser car ils sont la plupart du temps financés par des associations disposant de petits budgets. Mais de plus en plus de gens s’en occupent actuellement…

 

Agnès Figueras-Lenattier