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vendredi, 10 juillet 2020

Jacobo Machover

yacobo.pngJacobo Machover est né à La Havane en 1954. Universitaire, journaliste, écrivain, il est arrivé en France avec sa famille en 1963. Après avoir été partisan de la révolution, il a vite déchanté. Il alors décidé de se servir du pouvoir de l'écriture, pour critiquer violemment les frères Castro et Che Guevara. Il a traité ce dernier de " bourreau fanatique" dans un livre intitulé " La face cachée du Che". Auteur de " Cuba l'aveuglement coupable", et de " Cuba une utopie cauchemardesque", son dernier livre " Mon oncle David" est un récit personnel où l'auteur en profite pour parler de lui, de ses amours, de sa famille, de la révolution, de la Shoah.

 

Votre dernier livre s'intitule " Mon oncle David". Quel était votre but en l'écrivant?

C'était une nécessité absolue. J'avais déjà abordé la figure de mon oncle David dans de précédents ouvrages, et là j'ai eu l'opportunité de creuser un peu plus. Cet oncle que je n'ai pas connu est mort à l'âge de 22 ans après avoir été déporté à Maïdanek dans l'Est de la Pologne un des plus grands camps d'extermination. Parler de lui est aussi une façon de rendre hommage à d'autres membres de ma famille particulièrement mon grand-père maternel qui a été déporté la même année vers Auschwitz et qui n'en est pas revenu. D'autres membres de ma famille que je cite aussi un peu dans ce livre n'ont pas survécu non plus à la déportation. Ce sont toutes des personnes que je n'ai pas eu l'occasion de connaître mais qui sont présentes depuis toujours dans ma vie. Mes recherches personnelles entrecoupées de diverses aides extérieures m'ont permis d'en savoir davantage sur mon oncle David. Certaines personnes, devenues des amis faisaient déjà des enquêtes sur d'autres juifs et des résistants se trouvant dans la région où il a été pris par les gendarmes français, la Creuse, et mon oncle est devenu quelqu'un de très proche pour eux. Là-bas près de Guéret il revit, ainsi que dans mon livre…

 

Dans ce livre, vous parlez aussi beaucoup de vous!

Oui et ce livre aurait pu s'intituler " Mon oncle David et moi". Ce n'est pas seulement un travail de mémoire, c'est plus un chant à la vie qu'un hymne à la mort. Mon père, ma mère et d'autres ont aussi leur place et c'est davantage raconté comme un héritage. Je ne voulais pas uniquement laisser des traces un petit peu partout comme le font actuellement un certain nombre d'américains juifs ou pas en allant fouiller en Ukraine, Pologne, Lituanie, et même en Russie, Bulgarie, Roumanie, République Tchèque, Slovaquie. Je ne voulais pas écrire quelque chose qui puisse ressembler à une épitaphe. Ce n'était pas mon but et j'ai pensé qu'il existait une continuité entre cette vie tronquée (on ne meurt pas normalement naturellement à 22 ans) et différentes formes de pression et de répression qui s'étendaient ainsi jusqu'à moi. Ainsi n'y a t-il pas dans ce livre uniquement le nazisme et la collaboration en France, mais aussi le communisme dans sa version castriste. Tous ces régimes ont détruit des êtres humains dans leur chair ou dans leur esprit et parfois les deux. Ce sont les raisons pour lesquelles ce livre a été écrit.

 

Il englobe des informations très fouillées!

Sont présents l'histoire de mon père par le biais d'un dialogue très sincère avec lui pour ne pas dire plus, puis tout d'un coup une histoire d'amour évidemment érotique qui on ne le découvre qu'à la fin possède un lien contemporain dans ma vie avec l'histoire de l'extermination des juifs. En plus d'une histoire de mémoire, c'est une histoire de vie, une histoire d'amour, une ode à l'érotisme, à la liberté dans tous les sens, la liberté sexuelle, politique. Une liberté de vivre tout simplement…

 

Oui, la liberté ce pour quoi vous vous battez depuis toujours!

C'est effectivement le sens de mon combat sous tous ces aspects. Dans un premier temps, j'ai été formé dans la prise de risques contre les dictatures, contre tous les régimes totalitaires. Et puis contre toutes les injustices que je pouvais ressentir. Et il me semble qu'il existe une continuité. Ma motivation a été la défense de la liberté de Cuba en m'opposant à ce régime mais surtout contre ceux qui l'appuient. Ainsi j'ai maille à partir non seulement avec eux, mais en plus avec tous ces intellectuels artistes à la noix, les petits journalistes dans beaucoup de cas et surtout avec les préjugés en faveur de cette tyrannie qui n'en finit pas. Tous ces gens refusent de voir la réalité en face et d'admettre les horreurs que la révolution castriste a mise en place en pratiquant d'innombrables emprisonnements obligeant les gens à partir en exil au péril de leur vie. Sans compter les exécutions massives, les crimes extra judiciaires, l'écrasement de toute liberté d'expression, la misère aussi. On voit des millions de gens défendre l'indéfendable avec leur porte-drapeau. Ce sont plus contre les gens favorables à ce régime que contre les gens au pouvoir que je me bats, car ceux-là je ne peux les abattre à travers mes écrits… Ils tiennent par la répression, la censure, l'élimination de toute voix dissidente. Par contre, ceux qui les défendent, je peux les affronter face à face. En général, ils ne s'en sortent pas très bien car ils n'ont ni arguments, ni sentiments. Ce sont pour la plupart de parfaits ignorants qui répètent ce que leur destine la propagande du régime et qui se basent sur leurs propres convictions si l'on peut appeler cela des convictions. C'est surtout de la bêtise

 

Comment vous définissez-vous politiquement?

Pour la liberté, c'est tout. Je peux prendre des idées à gauche si elles sont plutôt libertaires et de même à droite. On peut enlever droite et gauche et dire simplement libertaire. De toute façon depuis la chute du mur de Berlin ces notions là n'ont plus de sens que pour les esprits rétrogrades. Ca n'a plus aucune valeur.

 

Comment vous situez-vous par rapport à la révolution?

Le terme déjà en soi je ne le trouve pas du tout positif. C'est quelque chose qui entraîne nécessairement ou presque nécessairement des massacres et de la tyrannie défensive. Ce que je propose à la place? Je ne suis pas un homme politique, je n'ai pas de programme mais j'aime bien le terme de démocratie. La démocratie représentative à laquelle je crois beaucoup. Mais je commence à avoir des doutes depuis quelque temps sur la solidité de la démocratie quand on voit que des millions de gens peuvent se livrer à une servitude volontaire sous le coût de la peur panique. Pour Cuba, je crois en une démocratie représentative, pas exaltante, pas comme une révolution ou quelque chose de défini comme tel mais quelque chose de simplement vivable et que l'on ait envie de défendre…

 

Et Batista qui selon les dires était un dictateur cruel!

C'était effectivement un dictateur, mais un enfant de chœur à côté des frères Castro. Il n'est resté au pouvoir de manière inconstitutionnelle que pendant 6 ou7 ans , de 1952 à 1958-son premier mandat, entre 1940 et 1944, était parfaitement démocratique, alors que les frères Castro, je le répète sont de véritables killers au pouvoir depuis 61 ans. Je n'ai pas de sympathie pour le personnage, mais au niveau de la répression, il n'existe aucune commune mesure entre sa présidence et celle des frères Castro. Batista a fait du mal sur le plan démocratique, économique. Mais sous sa présidence, La Havane est devenue une des plus belles villes du monde; c'était une splendeur. Il régnait une répression contre les révolutionnaires qui parfois s'étendait ailleurs mais qui consistait surtout en une lutte entre les révolutionnaires et le régime sans grande force de Batista. Il y avait même des conspirations militaires contre lui. J'ai eu l'occasion de rencontrer l'un de ses fils qui s'appelle Roberto ("Boby"). C'est quelqu'un que j'apprécie beaucoup qui est métis comme l'était son père et qui est en train de rédiger ses mémoires.. C'est un démocrate, citoyen américain qui habite moitié aux Etats-Unis, moitié en Espagne qui a été éduqué en partie en Suisse dans la grande tradition littéraire française et qui adore Racine. De temps en temps d'ailleurs, on se récite des vers de Racine et d'autres auteurs. Je l'ai rencontré en 2017 à Madrid, il est rentré à New York et l'on a commencé à s'écrire. C'était formidable car il cherchait comme moi à terminer la vérité sur son père. Et j'ai sorti un ouvrage en France, " Cuba de Batista à Castro", puis en Espagne. J'ai trouvé un nombre de documents absolument extraordinaires et je m'efforçais de récupérer la vérité historique le plus loin possible du personnage et son fils m'a beaucoup aidé. Mais je le répète, il était inoffensif comparé aux frères Castro. Quelqu'un qui a contribué à le présenter comme un monstre c'est Jean-Paul Sartre qui le traitait de singe. C'était une diatribe absolument raciste et il parlait de ce homme comme quelqu'un d'illettré, alors qu'il possédait une des plus belles bibliothèques du monde et qu'il lisait énormément. Il a même écrit plusieurs livres, ce qui n'est pas le cas de Fidel Castro. Il apprenait des langues et essayait de se cultiver dans les musées. Rien à voir avec l'image que l'on a voulu donner de lui. Ce n'est pas un vulgaire Pinochet, ni un vulgaire militaire, un soudard latino-américain. Pourquoi a t-on voulu lui donner une fausse image? Tout simplement pour pouvoir justifier les crimes des Castro…

 

Vous avez fait un séjour chez les trotskistes. Qu'en avez-vous retenu?

C'était dans ma jeunesse. J'aimais bien le côté anti stalinien et puis le combat contre tout ce qui pouvait ressembler à l'extrême droite, ce qui personnifie le nazisme ou le fascisme. Mais ce n'est pas la peine de penser que l'extrême droite est l'héritière du nazisme, ce sont des simplifications qui avec le temps n'ont plus lieu d'être. Mais dans ma jeunesse, c'était l'idée que je m'en faisais comme beaucoup de gens. Mais petit à petit, je me suis rendue compte que bien qu'ils critiquaient les staliniens, c'était des communistes comme les autres. Ils défendaient le régime castriste ce que je ne pouvais supporter. Les plus grands défenseurs du régime castriste aujourd'hui ce sont des trotskistes comme Janette Habel ou Olivier Besancenot, ou d'anciens trotskistes comme Jean-Luc Mélenchon. Ce sont des gens à critiquer férocement sur le plan des idées et de leur pratique politique souvent influencée par ces régimes. D'ailleurs pas seulement le régime castriste mais aussi le Venezuela d'Hugo Chavez et Nicolas Maduro, ou le Nicaragua sandiniste. Ce sont des défenseurs de dictatures que je combats, et des gens parfaitement intégrés aux instances les plus représentatives d'une société qu'ils prétendent combattre… On les retrouve au plus haut niveau de toutes les instances gouvernementales, médiatiques, universitaires, institutionnelles…

 

Vous avez fait de la prison pendant deux mois. C'est vraiment là qu'est née votre vocation d'écrivain!

J'étais déserteur de l'armée française car d'une part, je ne voulais pas porter l'uniforme et d'autre part, je vivais une histoire d'amour. Je ne suis pas resté dans cette entreprise d'abêtissement généralisé où il fallait passer 1 an avec les cheveux à ras que l'on m'avait coupés car je les avais très longs. C'était une tentative d'humiliation donc j'ai quitté la France immédiatement, je me suis barré de l'armée. Au bout de 5 ans, je me suis fait prendre à une frontière entre l'Espagne et la France et j'ai passé environ 2 mois en prison du côté de Bordeaux à Gradignan. C'était plus agréable que ce que l'on a appelé le confinement car ce n'était pas volontaire. J'écrivais déjà quelques petites choses avant, mais là j'avais le temps et j'ai découvert ma vocation. D'abord en écrivant des lettres destinées aux petites amies de prisonniers, ou à leur ex qui étaient en train de les abandonner. Ou bien aux avocats, aux juges, à tout le monde. En général ça marchait, et de nombreux prisonniers récupéraient leur copine grâce à ce que j'avais écrit. C'est le pouvoir de la parole écrite que je peux avoir sur des choses très concrètes et c'était passionnant. Cela m'a permis de réfléchir au passé, et j'ai beaucoup lu. Il y avait une bibliothèque dans la prison qui était assez fournie, avec à la fois des classiques et des livres d'un tout autre genre. Des ouvrages que l'on choisissait dans une liste et que l'on nous mettait dans les cellules. Un des plus beaux textes que j'ai lu là-bas, c'était un petit récit d'Henry Miller en édition bilingue " Le sourire au pied de l'échelle"…

 

Vous parlez de votre mère comme d'une femme très humaine!

Ma mère était quelqu'un qui agissait spontanément. Elle était certainement résistante, mais elle était très discrète sur le sujet. Je le sais par les autres membres de la famille qui lui portaient une véritable vénération. A un moment donné, elle se trouvait à Lyon où agissaient les principaux mouvements de résistance. Ayant appris qu'il allait y avoir une rafle en zone libre, elle était partie très vite prévenir son petit frère qu'elle adorait. Mais elle n'a rien pu faire. Elle a aussi sauvé mes cousines, ses nièces et a accompli tout un tas d'actions mais probablement pas au sein de réseaux organisés. Elle avait un sens inné de la révolte, qu'elle m'a transmis. Lorsque j'étais dans le pétrin, elle m'aidait systématiquement mais sans accorder trop d'importance à mes problèmes. Elle en avait vu d'autres. Ce fut un bel exemple avec des hauts et des bas évidemment. Je veux bien en faire une héroïne mais pas une déesse…

 

Votre père a écrit un manuscrit. Que pouvez-vous en dire?

Ma mère m'a emmené à la cave où elle avait conservé ce manuscrit. Il se trouvait dans une pochette bleue, je l'ai toujours en ma possession. Je lis de temps en temps quelques passages, et je découvre des choses différentes. Ce n'est pas toujours reluisant, mais certains passages sont touchants. J'ai eu un dialogue parfois très dur avec mon père décédé mais je dis à la fin que la critique peut aussi signifier une déclaration d'amour. Il est mort lorsque j'avais 14 ans et je n'ai pas pu vraiment parler avec lui. Il me racontait quelques petites histoires mais il n'était pas toujours très présent.

 

Lorsque vous repensez à tout cela que vous dites-vous avec le recul?

J'ai fait ce que j'avais à faire avec un certain nombre de contradictions, des allers-retours, beaucoup de voyages partout, beaucoup de voyages intérieurs. Je me sens assez content de ce que j'ai pu faire. Dernièrement, j'ai rétabli la mémoire de ma famille, mais j'ai aussi œuvré pour la mémoire des victimes de la tyrannie castriste et pour déboulonner non des statues mais des mythes comme Fidel ou le Che. Je pense que cela sert à éclairer à la fois l'histoire et l'image que l'on peut avoir de ces personnages. Grâce au travail que j'ai pu effectuer, ils ne sont plus considérés comme des héros mais comme de vulgaires tueurs. Aujourd'hui, l'on ne parle plus du Che comme on en parlait avant. C'est impossible. Parfois, les écrits du Che ne pouvaient être publiés tel quels. Il fallait absolument qu'une voix discordante intervienne et cette voix discordante c'était la mienne. Et puis dans n'importe quelle émission de télévision, ou de radio en France et à l'étranger lorsque l'on parle de ce régime on ne fait plus appel aux défenseurs ou très peu et l'on écoute la voix des dissidents. Et je suis très fier de porter un peu partout dans le monde la voix d'un certain nombre de dissidents de l'exil et de l'intérieur morts ou vivants. Je suis une voix de plus, mais qui porte…

Agnès Figueras-Lenattier

 

 

 

      

12:34 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0)

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