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mardi, 07 novembre 2023

Docteur Alain Meunier

1670162233923491501.jpgLe docteur Alain Meunier est psychiatre et psychanalyste. Il a créée SOS Anor un centre spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire et croit dur comme fer à l’efficacité d’un travail collectif pour soigner ces maladies…

 

Avant de créer votre association SOS Anor, étiez-vous déjà spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire ?
Je suis venu aux troubles du comportement alimentaire par un intérêt pour le suicide et en particulier pour le suicide des adolescents . Or la pathologie la plus significative de l’adolescence est l’anorexie.

J’ai commencé à prendre des patients en charge et me suis vite rendu compte que c’est une pathologie très dure à soigner et que mes seuls talents de psychiatre et psychanalyste ne suffiraient pas. Comme je suis aussi psychanalyste, j’ai essayé immédiatement de fonctionner avec des outils, c’est-à-dire de définir la pathologie mentale que j’avais devant moi et d’essayer d’en faire quelque chose. Au fur et à mesure j’ai constitué une équipe de soins avec des spécialistes de cette maladie . SOS Anor comprend aujourd’hui une psychomotricienne qui s’occupe de la relation problématique entre la tête et le corps, une diététicienne, des psychologues formées aux TCA. Nous avons mis au point un portait de l’anorexique que l’on appelle « le mental Anor » ou mental de l’anorexique et l’on travaille sur ce schéma et son mode de construction. Les anorexiques s’opposent d’une manière tellement énergique, que l’on n’est pas de trop dans plusieurs spécialités.

 

 

Uniquement l’anorexie ou aussi la boulimie vomisseuse et l’hyperphagie ?

Pour nous, c’est le même problème.  D’ailleurs chronologiquement, selon mon expérience, les anorexiques sur la durée sont toujours passées par une phase d’anorexie restrictive  avant d’en arriver à la boulimie avec vomissement.  Ce sont les classifications américaines qui en font des pathologies séparées. La plupart du temps, il existe un traumatisme et l’on peut considérer l’anorexie comme une réponse à une souffrance de l’adolescence et finalement une adolescence qui s’arrête. Qu’est-ce qui fait qu’une adolescente tout d’un coup arrête de grandir et stoppe son adolescence ? On a dit que c’était un refus de la féminité parce qu’elles arrêtaient de grandir à ce moment là, mais en fait on ne sait pas la raison pour laquelle une adolescente tout d’un coup arrête de grandir, se retrouve dans la souffrance et tout d’un coup répond par une restriction. Mais  effectivement pour l’avoir vécu, le jeune est une façon de se départir de ces souffrances. Une fois que les patientes sont dans cette mécanique, se mettent en place des éléments psychologiques caractérisés par la maîtrise de tout, la nourriture bien sûr mais également dans toute leur vie avec des signes comme le doute, l’incapacité à vivre l’instant, les difficultés avec leur corps etc…

 

Le mental anorexique

 

C’est cela que nous appelons le mental anorexique et qui va déterminer la part du traitement utilisé par le psychothérapeute que ce soit un médecin ou un psychologue. . . C’est de la psychothérapie pure en face à face qui comprend un accompagnement assez complexe. Très souvent cela peut s’apparenter aux thérapies cognitives ou comportementales tout en étant quand même très spécifique. Grâce à cette synergie d’ensemble, si l’on peut empêcher ou retenir la patiente d’être dans la maîtrise avec par ailleurs un diététicien qui va dans le bon sens et une psychomotricienne lui permettant de bien s’entendre avec son corps, c’est très bien.. Cette corrélation des trois paroles doit pouvoir aider la patiente. Reste une catégorie à part, l’hyperphagie et les boulimies pulsionnelles sans vomissement et avec une alimentation incoercible. C’est un peu si j’ose dire l’anorexie à l’américaine, c’est une pathologie qui commence très tôt. Ce sont des gens qui sont passés totalement à côté de leur adolescence, qui n’en ont pas eu, et qui peuvent manger sans limite. Mais il y en a beaucoup moins en France.   Il n’existe pas de souffrance psychologique immédiate, si ce n’est celles dues aux conséquences physiques.

 

 

Au sein de votre centre vous avez de la simulation magnétique !

Aujourd’hui avec un IRM fonctionnel, l’on est capable de voir les perturbations existant dans le cerveau en fonction de certaines pathologies.  Il existe toute une étude européenne sur la géographie du cerveau et l’on peut observer le centre de la dépression, le centre des troubles du comportement alimentaire etc… Avec ces connaissances on travaille sur cette région avec un relatif succès mais on n’est pas précurseur en la matière. Ce sont les Américains et surtout les Canadiens.  On bloque les pensées alimentaires qui sont en fait l’expression psychique des vomissements. Nous avons aussi de l’hypnose et de la réflexologie, tout ce qui relie la tête et le corps est bon à prendre.. J’insiste sur le fait que c’est la synergie de toutes ces compétences qui fonctionne l’idée étant que quelle que soit la compétence de chaque intervenant c’est l’ensemble qui fait que le problème arrive à être géré. Les médicaments ? Même si on ne les exclut pas complètement, on s’en sert non pas avec l’idée qu’ils vont guérir le sens de l’histoire mais simplement comme des moyens symptomatiques.  Pourquoi pas des tranquillisants, un somnifère pour dormir…  et non un antidépresseur en se disant que ce médicament va améliorer la pathologie et les dépressions.

 

 

Existe-t-il beaucoup d’idées fausses sur cette maladie ? 

Très longtemps l’anorexie a été prise pour la conséquence d’une maladie infantile ou le début d’une pathologie adulte. C’est lié au fait que l’on connaît mal cette période de l’adolescence. Françoise Dolto est sans doute morte un peu tôt. L’idée au sein de SOS Anor, c’est que l’anorexie n’est pas un symptôme d’une autre maladie mais un syndrome à part entière avec son début, sa fin, son mode de fonctionnement et qui ne dépend d’aucune autre pathologie. C’est la raison pour laquelle, très souvent l’on rencontre aujourd’hui des traitements comprenant des psychotiques car elles délirent sur leur corps. On peut également l’assimiler puisque c’est une souffrance psychique à une dépression. Donc, on voit non seulement des patients arriver sous anti-dépresseurs mais on voit même de temps en temps des gamines entre 13 et 15 ans soignées par électro-chocs des gamines. Elles peuvent également être prises pour des hystériques, pour des états limites. C’est un véritable caméléon pour toutes les pathologies, or il n’en est rien et ce n’est pas le début d’une pathologie ou le début d’une autre. C’est une pathologie à part entière et une pathologie de l’adolescence au sens strict du terme.  C’est catastrophique, et la réalité c’est que toutes ces thérapies et médicaments ne fonctionnent pas et on le sait.

 

 

 

Comment peut-on se douter d’un trouble du comportement alimentaire ?

Les parents ne veulent pas voir quelque chose que les adolescents ne veulent pas montrer. Ce qui est mis en avant, c’est la fatigue, les examens etc mais pour peu qu’on lise la description d’une anorexique, c’est difficile de ne pas le voir.  Ce ne sont pas les parents qui le voient directement, mais plutôt des gens un peu plus éloignés de la famille qui constatent que l’adolescente n’est jamais là aux repas, qu’elle a toujours une bonne raison, qu’elle élimine certains aliments, qu’elle est d’une maigreur que les parents ne voient pas car ils vivent avec. Une fois le problème détecté la difficulté c’est de trouver un centre spécialisé. Elle peut être hospitalière ou privée peu importe mais il faut vraiment s’adresser dans un endroit où la patiente se sente entendue. C’est certain que le généraliste qui ne serait pas au courant du problème parlerait de forcer la patiente à se nourrir mais on ne force pas quelqu’un à manger, en estimant qu’elle refuse de manger. C’est une pathologie qui s’impose à la patiente mais ce n’est pas une volonté de ne pas manger ou une volonté de maigrir.

 

L'anorexie n'est pas un refus alimentaire

 

Ce n’est pas un refus alimentaire, c’est quelque chose d’intérieur qui lui fait considérer l’alimentation comme pire que la mort qui l’attend et l’empêche de manger au sens littoral du terme. Elle ne voit pas qu’en ne mangeant pas, elle va se retrouver dans un hosto, elle a le sentiment qu’elle va s’empoisonner. Ce qui est très difficile c’est qu’elles ont l’art de transformer les parents soit en êtres qui les rejettent, soit au contraire en infirmiers.  Les parents sont les premières victimes et leur première maladie c’est la culpabilité. Or ils ne sont pas responsables de l’anorexie en tant que telle. Il faut déjà les mettre en face de la réalité en particulier la mère. Au départ, le père a fait semblant de ne pas voir donc il est encore plus culpabilisé.

 

 

Les effets sur le corps à part le fait de maigrir ?
Ces jeunes filles sont étonnamment solides et l’on voit à quel point le corps est plein de ressources. Ainsi, elles peuvent peser 28 kg et courir sans aucun problème. On les voit courir à 6h du matin, faire deux heures de course pour perdre les calories de la veille.. On cite toujours les problèmes physiques, mais en réalité il en existe peu.  Il peut y avoir des problèmes osseux de calcification, mais aujourd’hui on les anticipe bien.  Le vrai danger physique c’est le manque de potassium qu’elles ne prennent pas toujours et qui engendre l’arrêt cardiaque. Dans mon parcours assez long avec cette pathologie, ce sont les seuls incidents que j’ai pu constater. La vie sexuelle ? Elles n’en ont aucune. Elles peuvent avoir une expression sexuelle qui va de la négligence de leur corps qu’elles offrent à qui veut ou au contraire à l’autre extrêmité être dans la totale restriction.  Mais la sexualité en tant que plaisir, elles ne connaissent pas puisqu’elles sont dans la maîtrise de tout y compris de leur désir.

 

 

 

`A quel moment voit-on que ça va mieux ou qu’au contraire ça empire?

`Le mauvais signe en général c’est le poids, et si l’on en tient compte, on ne s’en sort jamais. L’ hospitalisation a lieu lorsqu’il existe des problèmes psychiatriques ou psychologiques avec des signes médicaux à proprement parler. Lorsque la maigreur est trop importante ou quand les vomissements mettent leur vie en danger. Elles appartiennent alors plus à la médecine qu’à la psychologie. Les anorexiques en hôpital ont l’art de reprendre 3 kilos, de boire deux kilos d’eau, pour atteindre la barrière permettant de sortir de l’hôpital.  Le poids est donc important, et il existe un moment où elles peuvent prendre conscience de leur pathologie et qu’il faut faire quelque chose. Quand elles sont dans ce registre là et qu’elles  commencent  à admettre leur maladie, elles sont sur le bon chemin. Une accroche avec un médecin se met alors en place et quelqu’un va l’entraîner vers les soins.  Des équipes constituées existent maintenant dans différents endroits mais peu encore malgré tout. A un certain moment, quand vous mettez une boulimique vomisseuse ou anorexique dans un hôpital, immédiatement elle se met en lutte contre l’hôpital. C’est pour cette raison que l’on en arrive à des traitements qui les isolent, on les attache sur le lit, et il y a une dizaine ou vingtaine d’années, ça frisait la maltraitance. Aujourd’hui, c’est plus atténué mais le lien entre une machine qui l’oblige à faire ce qu’elle ne veut pas et l’hôpital fonctionne mal. Elles sont là, il faut qu’elles mangent donc elles vont manger de toute façon. On est dans la contrainte, dans le contrat de poids. Elles n’ont pas le droit de sortir si elles ne mangent pas et si ça ne suffit pas on leur met des sondes.

 

" L'hôpital des fous"

 

Un très beau livre « L’hôpital des enfants fous »   décrit tout cela très bien. C’est carrément insupportable, on contrarie le symptôme, on les attache pour ne pas qu’elles courent. Mais logiquement, à part pour les adolescents très jeunes qui sont en danger, l’hospitalisation ne doit pas être le premier réflexe. C’est mieux si l’on arrive à trouver une équipe pour s’en occuper en ambulatoire, soit constitué autour d’elle-même. C’est ce que nous faisons  de temps en temps pour les jeunes filles qui sont en Province. Nous cherchons un diététicien qui accepte de les prendre, une psychologue. Mais c’est un peu un problème car paradoxalement, les diététiciens, les psychologues connaissent assez mal le sujet, ce qui n’engage pas pour autant leurs qualités professionnelles. C’est une pathologie mal connue et surtout mal enseignée.

 

 

 

Les anorexiques sont-elles sensibles aux circonstances de la vie ?

Non. Mais en l’occurrence pour elles le travail est un médicament, c’est-à-dire que quand elles travaillent c’est la raison pour laquelle on les jugeintelligentes, elles ont de fortes capacités de concentration sur tout ce qui concerne leurs études ou les occupations qu’elles ont autour. Cette concentration est liée au fait que se concentrer sur ses études est une manière d’échapper aux pensées alimentaires. Elles réussissent dans tout et en plus, elles oublient leur pathologie. Il faut trouver ce qui va les sortir de leur maîtrise, oui cela  peut être l’art. Toute expression personnelle est une bonne chose mais cela ne va pas forcément très loin. Malheureusement le sport n’est pour elle qu’un moyen de perdre les calories de la veille. Il est primordial pour elles parce qu’elles vivent un équilibre où toute prise alimentaire doit être sanctionnée. Elles sont tellement dans leur monde que même le harcèlement qu’elles peuvent subir leur passe un peu au-dessus de la tête. Elles sont totalement isolées dans leur monde. Elles sont sensibles à la présence, elles reçoivent l’affection mais elles ont beaucoup de mal à la manifester.



 

Vous dites vous intéresser au suicide. Est-ce une maladie qui en engendre beaucoup ?

En général non et très peu d’anorexiques meurent de faim mais c’est malgré tout une maladie très suicidogène parce qu’elle fabrique de fausses vies. Elles peuvent avoir des enfants, avoir une situation normale, mais ce sont très souvent des personnes qui vont assez mal. Elles fabriquent de très beaux châteaux mais des châteaux vides. Lorsqu’elles passent de la restriction à la boulimie, elles mangent et ne supportent pas de grossir et c’est là que les idées suicidaires interviennent. Le laps de temps pour guérir ? Cela dépend beaucoup du moteur et de certaines circonstances de la vie. Une jeune fille qui vient de se marier qui avait toujours caché son trouble et qui n’avait pas ses règles est venue nous voir récemment. Des patientes qui ont ce genre de moteur peuvent guérir en quelques mois. Et puis il y a celles qui n’ont pas de but précis, avec une guérison que peut prendre des années...

Chez les garçons est-ce le même principe ?

Ce n’est pas différent au niveau de la pathologie elle-même et au niveau de mental et des conséquences, c’est à peu près la même chose.  En revanche, niveau social c’est très différent. Les hommes anorexiques vous les voyez en train de se prendre en charge dans les salles de sport en séchant leur corps et en faisant de la musculation. L’expression est donc très différente et puis ils sont bien moins nombreux. Est-ce parce que leur attitude implique qu’on les repère moins je ne sais pas mais dans notre centre ils peuvent nous contacter sans révéler leur pathologie au sens littéral du terme, mais on les repère assez facilement repérables. Au départ, la minceur est plutôt valorisante pour la femme alors que l’homme anorexique est très vite jugé comme un homosexuel. L’absence de sécurité chez les femmes et chez les hommes n’est pas perçue de la même manière…

 

 

 

Pour finir quelle est la chose qui vous satisfait le plus dans votre métier ?

Les anorexiques n’ont pas encore totalement leur corps de femme et lorsqu’une métamorphose s’accomplit ; c’est un vrai plaisir. On le voit, on le ressent… J’ai un exemple pas très vieux. Lors d’une émission de télé sur le sujet à laquelle j’ai participé, une jeune fille s’est approchée de moi et m’a embrassé d’une façon particulièrement affectueuse. J’ai fini par me rendre compte que c’était une de mes patientes, je ne l’avais pas reconnue. On guérit de l’anorexie, et il faut surtout oublier les commentaires sur Internet qui ne donnent pas une belle vision de la maladie…

Agnès Figueras-Lenattier


 

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07:25 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0)

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