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mercredi, 01 mars 2023

Hideiko

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Hidéhiko Kan

Hidehiko batteur japonais de jazz, pratique cet instrument depuis 40 ans. Un des endroits où il se produit le plus est le Sunset Sunside situé rue des Lombards. « Avec l’âge explique t-il, il y a des choses que l’on ne peut plus faire. On n’a plus la même tonicité, la même souplesse mais on progresse tout le temps au niveau des oreilles, de la réflexion, de ce qu’il faudrait faire. Il est important de comprendre l’instrument, comment fonctionne son corps pour apprendre de nouveaux enseignements. " Ayant pratiqué intensément l’aïkido à un moment de sa vie, il en a gardé une certaine expérience qui parfois lui sert dans son métier de musicien. Comme le travail de longue haleine; savoir se remettre en question car une séance qu’elle soit musicale ou sportive n’est jamais la même… Il est aussi enseignant et le matin, il a un petit rituel : Il met sa cafetière sur le feu et programme un disque. Un de ses moments préférés c’est le choix de cette première musique. « Cela dépend de mon humeur, du temps qu’il fait. Mais je n’écoute pas que du jazz…"

 

Quand as-tu été en contact la première fois avec une batterie ?

Ce dont je me souviens c’est d’un séjour linguistique en Angleterre lorsque j’étais hébergé chez un pasteur. Se déroulait alors une messe avec un petit groupe qui accompagnait les chants. Une batterie était là sur place et je me suis dit que cet instrument avait l’air bien. C’était à l’époque où je suis entré au collège. Ensuite, un copain dans mon immeuble qui avait le même âge que moi a commencé à prendre des cours de batterie et comme mes parents ne voyaient pas l’intérêt que je fasse la même chose, j ’ai pris l’habitude de l’accompagner le mercredi. Je l’attendais en écoutant la leçon derrière la porte et je bossais ce que son professeur lui faisait faire…

 

Tu n’as donc jamais pris de cours et tu as du sûrement prendre de mauvaises habitudes !

Si mais bien plus tard auprès d’un professeur de percussion classique à Châtenay Malabry qui travaille maintenant à l’Opéra. Mais je ne regrette rien car dans mon travail, toutes les erreurs que j’ai faites je m’en sers pour en faire part à mes élèves. En outre, j’ai aussi beaucoup appris. J’ai commencé le jazz dans le ventre de ma maman car mes parents n’écoutaient que ce style de musique.. Amstrong, Benny Goodman, Duke Ellington, et surtout Ella Fitzgerald.

 

Pourrais-tu évoquer quelques erreurs classiques que font les débutants qui se mettent à la batterie ?

Quand on veut jouer vite, on a tendance à vouloir travailler vite or c’est exactement l’inverse qu’il faut faire. En sport c’est pareil. Travailler lentement mais longtemps afin d’acquérir naturellement la vitesse. La mémoire musculaire se met en place et lorsque tu as l’habitude faire un geste, tu finis par arriver à le faire vite. Alors que si tu te précipites, cela génère des tensions et c’est maladroit. J’en parle quasiment à tous mes cours, et à tous mes élèves qui mettent plusieurs mois, voir plusieurs années à comprendre. Je leur dis de se calmer et leur explique qu’il faut travailler le même geste avec patience et persévérance. Ne pas se tenir bossu, laisser pendre les épaules et si on  a mal c’est que son corps est en train de dire stop. Si ça ne fonctionne pas, c’est qu’il y a quelque chose que l’on ne fait pas correctement, et il est important de revoir ses méthodes. Si ça ne fonctionne toujours pas, c’est qu’il existe un bug quelque part.

 

A quel moment as-tu réellement débuté en tant que professionnel ?

J’ai eu mon premier cachet vers l’âge de 15 ans et j’ai acheté une batterie. Un collègue de mon père avait besoin d’un batteur pour accompagner un petit tour de chant de standard pop et j’en ai profité. A l’époque Internet n’existait pas, c’était des partitions et des enregistrements sur cassette. Dans le même temps, un copain de lycée jouait dans un groupe de punk rock et je les ai rejoints. On a fait quelques concerts dans les bistrots et après toujours avec des copains de quartiers nous avons joué une musique qui ressemblait étrangement à du free jazz. Puis je me suis retrouvé dans la classe de jazz de Yochk’o Seffer un grand saxophoniste et un grand peintre. J’ai appris avec lui tout ce qui me manquait comme culture du jazz moderne. Dans cet atelier, j’ai fait la connaissance de musiciens et on a commencé à se produire dans les clubs. C’était au début des années 90 et ça s’est enchaîné ainsi.

 

As-tu composé en solo ?

Très rarement. J’ai eu l’occasion de le faire en improvisation totale au cours de spectacles de danse, de vernissages d’art contemporain… Mais je trouve que faire un beau solo en batterie c’est compliqué et je sais par expérience que les gens aiment bien les mélodies, les jolis accords et ce n’est pas évident à réaliser. Je le fais pour moi-même car j’aime bien, mais je ne me risquerais pas à présenter seul un spectacle de batterie. Sinon, je compose pour les projets que je monte avec un groupe « Tokyo Paris Express ». La moitié du répertoire ce sont mes compositions, et l’autre moitié vient du saxophoniste japonais Hirokazu Ishida

 

Peux-tu évoquer le mécanisme de la batterie ?

Le plus important, c’est la relaxation. Ensuite, avoir une frappe précise et développer un sens de la régularité mais sans rigidité. Ainsi, si l’on joue comme un métronome, mieux vaut prendre une boîte à rythme, c’est plus fiable. L’avantage du batteur sur le métronome, c’est qu’il a entre les oreilles un cerveau. Quelque part en lui, bat un petit cœur et davantage d’émotions peuvent davantage se répandre chez un batteur en chair et en os que dans une boîte à rythmes. C’est comme un sport où l’on fait intervenir l’assise, la posture et à partir de là on fait mouvoir l’effet de bras, de pied. Cela demande un certain travail de concentration pour parvenir à une bonne coordination. Les deux pieds travaillent. Quand on est droitier le pied droit commande la grosse caisse, et le pied gauche commande une cymbale double montée sur un pied appelé la cymbale Charlston.

 

Un des secrets c’est d’être synchro !

Oui et il n’y a pas que le métronome pour le tempo. Il faut aussi être branché sur le cycle des jours, printemps, été, automne, hiver. On peut aussi trouver des cycles avec le vent qui souffle dans les arbres. De grands et petits cycles qui peuvent être fixes ou mesurés, ou au contraire être plus amples.

 

Un bon tempo une référence pour un batteur

 

La respiration est un cycle, le cœur est un cycle. Je ne fais pas que du métronome car au bout d’un moment c’est lassant, mais il faut en faire car un batteur qui a un mauvais tempo on l’appellera rarement… Personnellement, je n’arrive pas à jouer sur une batterie électronique.   C’est un interrupteur électrique et il existe beaucoup moins d’influence du geste sur le son de cette batterie. C’est plus mécanique même si la technique a évolué et que c’est maintenant plus varié…  Je trouve que par rapport à une membrane qui vibre, ça ne vit pas de la même manière, on n’a pas la même perception des choses

 

Quelles sont les blessures du batteur ?

La blessure la plus courante c’est le syndrome du tunnel carpien. C’est une variante du tennis elbow. Quand tu fais tout le temps le même geste, que tu es tendu, le ligament finit par dire stop. Et ça devient grave si tu vas au-delà de la douleur, que tu continues et que tu ne te fais pas soigner. Je n’ai pas eu de grosses blessures, je dois faire de la batterie comme un flemmard qui fait attention à ne pas se blesser. Les plus gros soucis que j’ai eus c’est surtout au niveau du transport du matériel. Si on est pressé et que l’on se précipite, le lendemain on ressent des douleurs un peu partout. Avec l’âge, j’ai parfois des crises d’arthrose dans les chevilles, le genou, l’épaule. C’est important de fléchir sur les genoux, de garder la charge près du corps, et puis préférer faire plusieurs voyages qu’un seul avec tout le matériel… Ce qui est fréquent aussi c’est la perte d‘audition irréversible liée au volume sonore. Si on joue plus de 30 minutes par jour, il faut mettre des protections, tout en évitant les boules caisses qui ne filtrent rien et qui permettent juste de faire une sieste tranquille. Les petites protections en mousse que l’on trouve un peu partout sont très bien. Sinon, ce sont des protections professionnelles qu’il faut faire faire chez l’oto rhino.

 

En quoi le fait d’avoir fait de l’aïkido t’aide t-il dans ton métier ?

Ca m’a aidé pour la posture et la respiration en premier lieu. Et puis pour tout ce qui est travail de souplesse. Mais j’ai été obligé de réduire ce sport, (j’en faisais 8h par semaine) quand j’ai passé la vitesse supérieure car je devais mal faire certaines positions qui me bloquaient les poignets. J’avais souvent des douleurs à ce niveau là qui m’empêchaient de jouer correctement. Je ne suis pas un très grand sportif, mais j’ai gardé ma petite routine d’échauffement de l’aïkido et je le fais le matin. Quelques petits exercices pour m’aider à démarrer la journée. Respiration, assouplissements, ; travail des articulations en commençant par le coup, les épaules, les coudes, les poignets, les hanches. L’aïkido m’a permis de discipliner un peu ce corps de jeune homme un peu bouillonnant, qui partait un peu dans tous les sens et qui me conduisait à faire de la batterie n’importe comment.

 

L'acquisition d'une discipline

 

J’ai acquis une discipline en terme de régularité, de respiration. Le point commun entre les deux c’est qu’il faut énormément répéter les mêmes gestes. On peut passer un cours entier d’aïkido à répéter juste la première partie d’une prise pour perfectionner le mouvement, enlever toutes les tensions pouvant parasiter le geste, et arriver à épurer au maximum. Autre point commun entre la musique et le sport la concentration.  L’aïkido est considéré comme le zen en mouvement, c’est très méditatif. Tu poses une question, tu vides la tête et tu refais, tu refais.

 

C’est important de respirer pour la batterie ?

Oui et ça fait partie des erreurs du débutant de bloquer sa respiration quand on se heurte à un passage difficile. Tous le font, c’est une sorte de réflexe naturel. Djo Jones l’inventeur de la batterie moderne le disait déjà : « Quand tu joues de la batterie, respire normalement pour avoir le geste fluide. Pas de respiration spécifique à la batterie. Ce n’est pas un marathon, pas quelque chose de spécial à développer. Simplement être naturel ».

 

En quoi peux-tu comparer l’aïkido à la musique ?

C’est la recherche d’une harmonie avec son partenaire en aïkido que tu peux transformer directement avec la recherche de l’harmonie avec tes partenaires de jeu en musique. Tu ne cherches pas à imposer un rythme, alors que ce serait très facile pour un batteur d’imposer son tempo, le caractère du morceau. J’ai l’instrument le plus sonore donc si je veux être le chef c’est facile.  Mais ce que je recherche d’abord, c’est de pouvoir harmoniser le tempo de tout le monde, d’être sur la même longueur d’onde dans la manière de ressentir les différents tempos. 

Quand on démarre un morceau, le but du jeu c’est que chacun ait vraiment une idée très précise de ce tempo là et arriver à faire en sorte que si ton bassiste joue un petit peu en arrière du tempo de ne pas forcément le suivre. En effet, si c’est mal perçu par les autres, un ralentissement va forcément se produire. Donc essayer de se mettre vraiment pile sur le tempo pour donner un feeling à la musique. L’inverse peut être vrai aussi. C’est moi qui vais me mettre un peu en arrière pour donner une sorte de nonchalance aux sentiments du tempo. Les autres vont aussi se placer différemment, ce qui va leur permettre de jouer d’une autre manière. Toutes ces nuances soit se discutent en répétition, soit se font naturellement. Pour ma part, je préfère la deuxième solution. On n’en parle pas, mais on fait en sorte que ça fonctionne…

 

Et au niveau sensations entre l’aïkido et la musique ?

Quand les gestes sont bien comme il faut, quand tout est centré et juste, il en ressort une espèce de plénitude très proche de la pratique des arts martiaux. On se sent bien dans les deux cas.  En revanche, quand quelque chose cloche, ça peut aller du petit stress aboutissant à un raidissement avec une recherche de la solution, jusqu’à un sentiment de nausée. Quand les gens ne s’entendent pas, ne s’écoutent pas, il ne faut pas hésiter à arrêter, à reprendre les explications pour reprendre dans de meilleures conditions.

 

Avant de faire de la batterie tu t’échauffes ?

Oui, j’ai un petit rituel de mise en condition. J’assouplis mes poignets, je les échauffe tranquillement en faisant des frisées. J’ai un grand grenier où j’ai installé une batterie et dans mon salon tout en bas, il y a une deuxième batterie. Entre les deux j’ai mon petit poste d’échauffement avec une double pédale pour les pieds et une petite caisse claire assourdie pour le travail des baguettes. En général, je commence là mon échauffement. Après, je vais soit en bas, soit en haut selon ce que j’ai à faire. En haut, c’est une batterie plutôt rock et en bas j’ai ma petite batterie de jazz.

 

C’est toi qui règle tes instruments ?
Oui. Autant accordeur de piano c’est un métier, autant un batteur est obligé de savoir régler sa batterie. Mais c’est beaucoup plus facile que d’accorder un piano ; ça s’apprend. On adapte les différents sons aux différentes musiques que l’on accompagne…  Par exemple en jazz on aime bien avoir des sons très ouverts, très tendus avec des sons des plus aigus sur les futs et à l’inverse pour le rock on aime avoir des cymbales un peu sombres. C’est complètement l’inverse…

 

En batterie il faut frapper différemment selon que c’est une musique douce ou plus rythmée !

Exactement, mais avec des contraintes différentes. Selon moi, et je le dis à mes débutants, il faut mieux taper trop fort que pas assez car si on retient son geste on n’a pas assez d’amplitude dans la frappe. Mais une fois que l’on sait réaliser des rythmes avec un bon geste, on peut commencer à vouloir contrôler son geste car on le possède. Si l’on travaille son instrument en retenant ses coups, on n’obtient pas de son, si on travaille en tapant ultra fort on ne peut pas descendre en dessous d’un certain seuil. Il faut trouver une espèce d’entre deux qui vous convienne, qui ne fatigue pas, et qui permette d’avoir un joli son sur l’ensemble de l’instrument. Important également de travailler l’endurance pour pouvoir jouer plus fort plus longtemps ou pour ne pas jouer fort du tout plus longtemps. A partir de là si on veut faire du métal taper plus fort. A ce sujet, je dirais que dans le métal moderne, les jeunes batteurs réalisent des choses tellement techniques qu’ils jouent beaucoup moins fort que les anciens batteurs de hard rock obligés de jouer sans amplification dans les grandes salles…

 

André Cecarelli est considéré comme l’un des plus grands batteurs français. Pourquoi selon toi ?

C’est quelqu’un que j’admire beaucoup car en dehors de toute considération technique, c’est avant tout quelqu’un qui a un tempo infaillible, qui groove et qui swingue. . C’est une des premières qualités que l’on exige d’un batteur et j’ai été obligé de travailler ce côté-là car je ne l’avais pas spontanément. Beaucoup de choses se mettaient en travers de mon chemin, je me perdais très facilement… André Cecarelli a une expérience de jeu incroyable. Il peut jouer énormément de styles de musique différentes et peut balancer un rythme brésilien, faire quatre mesures de jazz et finir par un tempo de rock. Il est très polyvalent et sourit tout le temps…

 

Agnès Figueras-Lenattier

 

 

 

 

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