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mercredi, 03 janvier 2024

Mario Urbanet

334936_2065557810575_1371113275_o.jpg300762534_3328922190717666_5431673679863156838_n.jpgMario Urbanet français d’origine italienne est poète, conteur. Il a notamment obtenu le prix Leopold Sedar Senghor pour ses poèmes sur le Sénégal particulièrement sur  l’île de Goré et sur  la présence d’un mendiant dans une rue. Il intervient souvent dans les écoles pour donner le goût de la poésie aux enfants et même à des personnes voulant se familiariser avec cet art. Agé de 88 ans, il fait partie de plusieurs associations et possède une grande énergie intellectuelle et créatrice. Il continue à écrire beaucoup. Dire des contes et des poésies en musique dans différents endroits aux alentours  de Trappes là où il réside fait aussi partie de ses activités régulières…

 

 

Lorsque vous avez quitté l’école à 14 ans écriviez-vous déjà poèmes ou contes ?

J’écrivais ce que l’on me demandait d’écrire à l’école. J’avais d’ailleurs de très bonnes notes en français et en rédaction malgré mes origines italiennes et une enfance dans un autre pays. J’en suis venu à l’écriture car j’avais un excellent instituteur qui rentrait d’ailleurs des camps et qui m’a donné le goût des mots.  Il nous lisait des textes qui me plaisaient beaucoup, des classiques et j’aimais particulièrement Marguerite Audoux. Il me rétorquait « Ton père est une tête de mule, je lui ai demandé de t’envoyer au Lycée, il ne veut pas donc le soir je te prêterai des livres. Cela m’a permis de découvrir la littérature, la poésie et autres…

 

 

A quel moment alors l’écriture a-t-elle rejoint votre âme ?

J’ai commencé par écrire de petits bouts de texte plutôt courts que j’entassais dans un coin car je n’avais pas de loisirs pour les exploiter. Cette période là a d’ailleurs duré toute mon existence, puis j’ai écrit des lettres lorsque l’on m’a envoyé contre mon gré en Algérie. De retour, j’ai écrit, écrit, mais je n’avais vraiment pas l’intention de publier mes textes. Pour moi, un auteur représentait quelqu’un d’intouchable. J’avais fréquenté de grandes personnalités et avec mon petit certificat d’étude primaire, je ne me sentais pas de taille.  La révélation est venue suite à un poème que j’avais écrit sur l’Algérie intitulé « Mur de sable ».  Un fameux souvenir sur ces murs de sable en Algérie qui vous enveloppent en quelques instants. Lors de l’expérience de la bombe du général, le mur de sable est arrivé. Nous n’y prenions pas garde mais tous les indigènes, les animaux se terraient, se camouflaient.  Nous avons alors vu comme un mur avancer et en quelques instants on en avait partout, dans les poumons, dans la gorge, dans les moteurs, les armes et plus rien ne fonctionnait.  Cela m’avait donné la prémonition qu’un jour nous retraverserions la grande bleue. Je disais ces poèmes écrits 40 ans après, lors de soirées entre amis et un soir est venu Gérard Noiret un poète contemporain important qui représentait la France dans les congrès mondiaux de poésie. Il m’a demandé si j’en avais d’autres de ce style et je lui ai répondu « Dans ma tête sûrement ». Il m’a alors conseillé de les publier pour laisser une trace. Un an et demi plus tard, je lui ai montré un ensemble de poèmes et il m’a donné trois adresses où les envoyer. Au bout d’une semaine, j’ai eu trois réponses positives.  Dans revue "Aujourd’hui poèmes"  des extraits de mes poèmes ont été publiés en 1ère page de cette revue hebdomadaire à l’époque, Dans « Ecrits du Nord" une très belle revue qui existe toujours une dizaine de pages m'ont été consacrées et mon livre a été publié  chez l'éditeur " Le temps des cerises". J’étais très surpris et très content et ce fut le début d’une aventure.

 

 

 

Cela vous arrive t-il de relire vos poèmes du début. Quel effet cela vous fait-il ?

Je les lis avec un certain plaisir et je m’aperçois que tout ce que j’écris c’est ce que j’aime lire. J’essaye d’écrire des choses qui me plaisent. J’en jette énormément, je travaille beaucoup les textes que j’écris souvent en marchant. Je réfléchis sur un thème où j’ai quelque chose en route et en marchant les idées viennent plus facilement. Le sang circule plus vite, je prends des notes et en rentrant j’écris toujours les premiers jets au stylo. Je tape et ensuite je corrige au stylo deux fois, cinq fois, dix fois, quinze fois. Je lis à haute voix jusqu’à ce que le prononcé de ce que j’écris me plaise à l’oreille. J’ai fait pas mal d’ateliers d’écriture avec des gens comme Gerad Noiret, Jeanne Benameur, Jean-Lou Guérin. Ce dernier m’a dit un jour « Tu en mets trop, ce n’est pas la peine de redire ce que tu viens d’énoncer sous une autre forme." A l’époque je me disais « Il m’emmerde, c’est mon texte, » mais finalement je lui rendais hommage en public à chaque occasion y compris en sa présence. En effet, j’ai compris qu’écrire c’est réécrire.  Un homme politique avait dit cela de manière différente : « L’alambic c’est le mou d’un fruit qui se transforme en vapeur d’alcool dont la part des anges, celle qui n’est pas récupérable «. C’est une très belle image.

 

 

Et pour les contes c’est la même chose !

En fait, j’ai commencé lorsque j’ai eu le droit de faire ce qui me plaît. Je travaillais à l’époque dans une société de contrôle d’accès sécurité. C’était les 15 pires années de ma vie car le milieu des commerciaux est absolument invivable et du point de vue du contenu des conversations c’est déplorable. Du jour au lendemain mon patron m’a annoncé ceci que je devais partir.  Comme cadeau de départ, il m’a offert un ordinateur et j’ai pu pour la première fois voir de visu ce que j’écrivais, ce que cela donnait sur une page imprimée. La vision a été assez déterminante. Comme j’avais du temps, je me suis d’abord demandé ce que j’allais faire. J’avais encore une fille à Sciences Po et il me fallait subvenir à mes besoins et je savais que ma retraite n’allait pas suffire. J’avais vraiment l’impression qu'après  une longue traversée, j'étais arrivé à l’autre rive et un peu désemparé comme Robinson.  J’avais une amie qui m’a proposé de rejoindre son groupe pratiquant le soutien scolaire au sein d’une association de trappistes protestants, où j’étais allé trois fois. Mais visiblement, je n’avais pas les armes pour aider utilement les enfants.

 

La découverte du conte

 

 

J’allais aussi régulièrement à la bibliothèque de Trappes et le directeur adjoint m’a dit « Pourquoi ne viens-tu pas avec nous dire des contes aux enfants ?" J’ai répondu "Parce que je ne sais pas." « Ce n’est pas grave, nous allons t’apprendre" et j’ai été conquis. J’ai fait là aussi plusieurs formations et le chemin dure depuis à peu près 28 ans et j’en suis toujours heureux. J’ai travaillé avec une musicienne bulgare arrivée en France à l’âge de 20 ans qui m’accompagnait. Nous allions dans les restaurants, les médiathèques. Elle jouait de plusieurs instruments, ce qui permettait de faire des intermèdes musicaux entre les contes. Un jour elle m’a proposé d’écrire des contes bulgares en Français sur les aventures de Hitar Petar « Pierre le rusé » très connu là-bas et inconnu en France. Elle m’a traduit approximativement, et au début  je trouvais ces textes misogynes au possible, anti turc, anti sémite. Elle m’a alors expliqué que son pays avait été occupé cinq siècles par les turcs. Finalement, j’y ai trouvé des ressorts intéressants, des situations d’humour, et je les ai réécrits à ma façon. Puis un jour elle m’annonce qu’Albin Michel est d’accord pour les publier dans la "Collection sagesse et malice" une édition cartonnée superbe qui existe toujours. C’était ma première parution de contes et cela me paraissait incroyable.

 

Cela a du vous aider pour publier par la suite !

Oui, Après, j’ai publié chez Milan, Glenat, Père Castor mais peu chez cet éditeur car je me suis aperçu au 2ème envoi que les épreuves ne correspondaient pratiquement pas à mes textes. Le directeur m'a affirmé : « Vous comprenez, vous employez des mots que les enfants ne vont pas comprendre, des mots durs," .  Je réponds "Monsieur la vie est dure, il faut bien que ça se retrouve dans les contes." "Non ce sont des mots trop difficiles". "Et bien moi j’ai appris des mots dans les livres et si on les enlève de la littérature, je ne vois pas où les enfants vont les trouver." Et ce fut  la fin de notre collaboration. C’est dommage car mes enfants ont été élevés avec les histoires de Père Castor et c’était une belle maison. C’est une tendance en littérature jeunesse de simplifier la langue ce qui me crispe à chaque fois.

 

L'insolence et non l'irrévérence

 

 

J’ai eu la même aventure chez Milan où l’on m’a carrément changé un titre qui était « Petits contes irrévérencieux » en « Petits contes insolents ». J’ai alors rétorqué que les deux titres n’ont aucun lien entre eux et que je suis prêt à défendre l’irrévérence mais pas l’insolence. Vous vous souvenez d’Alexandre Jardin qui avait lancé une initiative intéressante, celle de mettre des caisses de livres dans les écoles maternelles et primaires, et d’envoyer des auteurs défendre leur travail. L’Académie de Versailles m’avait envoyé dans une vingtaine d’écoles des départements et ce fameux petits contes insolents était présent sur place.  A chaque fois, je demandais aux gamins s’ils savaient ce que voulait dire insolence. « Oui monsieur c’est quand on ne dit pas merci, quand on parle mal."  "Très bien. Et l’irrévérence?" Pratiquement aucun enfant ne connaissait le terme. Je vais vous expliquer : « C’est simple autrefois devant les riches, les puissants, les seigneurs on choisissait ou non de faire la révérence.. Et quand on rechignait à la faire, on était irrévérencieux". "Ah oui" s’exclamaient -ils! Alors, je vais dire à la directrice de collection que vous êtes moins sots qu’elle ne le pense.

J’ai toujours écrit sans faire de concession sur la langue française employant  des mots que les enfants ne comprennent pas. Et quand j’ai des gamins devant moi qui me demandent  ce que veut dire un mot, je leur explique.. De toute façon, quand ils ne comprennent pas un mot, ils saisissent quand même le sens général. Et puis leurs parents ou le dictionnaire peuvent les aider. C’est une constante chez moi…

 

 

Vous ne semblez pas avoir connu la chasse aux éditeurs ?

Si après, avec d’ailleurs beaucoup de rechutes. C’est parfois très compliqué. Chez Glenat, l’aventure s’est ma terminée car la directrice de collection Karine Leclerc qui aimait ce que je faisais est partie et la relève était moins sensible à mon travail. Mais j’en ai quand même fait une quinzaine chez eux, et je me souviens qu’un jour Karine m’a dit « Ecoute j’ai quelque chose à te demander, je voudrais que tu me fasses un livre sur l’histoire des anges." "Ce n’est pas exactement ma tasse de thé mais pourquoi" lui ais-je rétorqué. «   « J’ai eu dans m vie des problèmes et ma belle-sœur m’a prêté un jeu de cartes des anges. Et j’ai pu résoudre le problème. Par quel miracle je ne sais pas." Et elle m’a affirmé que ce jour là, en descendant dans le métro, elle a vu un ange blanc. Un comédien qui était là pour promouvoir une pièce de théâtre . Je lui ai dit d’accord mais tu me permettras de parler aussi des anges déchus. J’ai donc réalisé  "La vie secrète des anges » 

Mes expériences chez Glenat ont été très positives.  Après j’ai du effectivement me battre davantage et j’ai eu plus de refus, ce qui est normal. Ainsi, certains contes  m’ont-ils été refusés chez de grand éditeurs parce que trop engagés. J’en ai parlé à une amie poète et éditrice qui malheureusement a fermé après avoir dirigé longtemps « Le Serpolet ».  Elle m’a dit de lui envoyer  les contes non publiés et elle m’a édité deux fois.  Le déclencheur avait été lorsque je dis « C’est une étoile qui apparaît dans le rêve d’un enfant et il reconnaît sa grand-mère. Une femme qui avait quitté notre terre par la fumée d’une cheminée pour devenir l’étoile jaune que des barbares avaient accrochée à sa poitrine."  "Vous vous rendez compte dire cela aux enfants" avais-je entendu… . Et j'ai surenchéri «  Les parents  les mettent devant la télé avec des horreurs tous les jours et vous ne pouvez pas leur dire qu’il a existé des périodes comme cela qu’on souhaiterait ne jamais revivre." C’est fou…

 

 

Les titres vous les trouvez facilement ?
Non, je réfléchis beaucoup, et je n’arrive pas trop à trouver des titres courts. Par exemple au Serpolet j’avais publié « Lieux communs où l’on patiente ». Cette idée m’était venue suite à un problème rencontré par ma femme qui s’était cognée la tête sur le haillon de la voiture et qui brusquement ne voyait plus rien.  Je l’ai emmenée aux urgences à Poissy pour voir une ophtalmo et dans la salle d’attente on n’avait rien d’autre à faire qu’attendre. Or, une femme était là avec sa petite fille et le médecin lui demande ce qui se passe. "Ma fille a avalé 3 pièces de monnaie, nous  l’avons  secouée et elle n’en a rendu qu’une." Je me suis dit que ses parents étaient quand même pingres et j’ai fait un petit texte là-dessus. Et j'ai pensé intérieurement que j’allais essayer de trouver d’autres petites histoires dans des lieux où l’on a rien d’autre à faire que d’attendre. Un livre englobant des histoires courtes est né…


Quand écrivez-vous de la poésie et quand écrivez-vous  des contes ? La différence entre les deux ? 

Le conte écrit s’assimile à une boîte de conserve dans laquelle on le met. C’est de l’écriture orale, je peux par exemple vous dire 300 contes sans problème, mais je n’en connais aucun par cœur. C’est une autre technique. C’est en tout cas ce que Ralph Nataf m’a appris. Je fais un synopsis de l’histoire avec un important travail en amont d'après le très riche patrimoine mondial des contes. Mais qui ne me convient pas toujours car souvent le conte transmet une idéologie dominante que je ne partage pas toujours. Ainsi a-t-on créé des générations de petites filles qui attendent le prince charmant. Non pas qu’il n’existe pas, j’en suis la preuve vivante, mais nous sommes très peu nombreux et je transforme donc ces contes en gardant ce que je trouve intéressant.  Ce que je souhaite, c’est transmettre des valeurs auxquelles je crois et les partager. Après on est libre d’y adhérer ou pas. Que ce soit de tous petits enfants, des collégiens, des adultes, je m'adapte et emploie des mots différents à chaque fois, mais toujours avec une trame. Alors que pour les poèmes, je me hasarde davantage à les dire par cœur, parce que quand survient un trou, le mot d’après ne vient pas. Je préfère lire même si je connais mes écrits et j’ai toujours le texte sous les yeux sur un pupitre. En outre c’est un effort qui à mon âge me dépasse un peu.

 

Apprendre par coeur m'est insupportable

 

 

 

D’ailleurs, j’ai toujours eu horreur d’apprendre par cœur à l’école. J’avais de mauvaises notes parce que je n’apprenais pas mes leçons. Mais mon nom me permettait de patienter car le U vient tout à la fin. Cela me donnait l’opportunité d’écouter les autres élèves qui eux avaient appris leur leçon et au bout du compte je le savais. Sauf quand le prof me jouait le mauvais tour de commencer par la fin. Là j’étais un peu bloqué. J’avais l’habitude de dire ce que comptait le résumé à ma façon et j’ai toujours pensé que l’important c’est de comprendre ce qui est écrit et de le redire de façon compréhensible pour soi. Alors que le par cœur me sort par tous les pores de ma peau. Je ne supporte pas.  Le conte représente pour moi la liberté. Mais en poésie, cette liberté je la puise dans l’écriture et une fois que le poème est fini je le considère utile à dire tel quel. Et comme disaient autrefois les enseignants, je lis  en y mettant le ton. Ca m’amuse beaucoup..

 

 

La marche vous inspire. D’autres sports également ?

J’ai joué au foot comme tout le monde parce que mes cousins en faisaient. Je jouais arrière-gauche mais c’était assez brutal et je n’aimais pas trop. Après, j’ai fait énormément de vélo, j’avais un cousin entraîneur de club mais je n’ai jamais fait de compétition car mon père italien oblige, avait une peur bleue que je me blesse. Je participais aux  entraînements, aux  sorties et ensuite j’ai fait beaucoup de cyclotourisme avec deux, trois copains. Je suis allé en Bretagne, au Nord, sur les bords de Loire. Sur le moment, ce n’était pas vraiment une source d’inspiration car je n’écrivais pas encore beaucoup à cette époque là. Mais j’ai toujours eu un pied dans mon intérieur, et j’ai constamment imaginé des histoires. Par exemple mon premier métier c’était peintre en bâtiment et évidemment lorsque l’on peint un plafond, quand on ponce un mur, on a du temps pour rêver…  Et quand je ponçais, les taches qui s’effaçaient, représentaient des pays, des paysages. Toutes ces expériences m’ont nourri et quand j’ai commencé à écrire, le tout est ressorti et a alimenté mon écriture.

 

 

Pour Einstein, c’est l’imagination qui prime. Vous en avez une bonne quantité !

Oui, j’ai l’impression que j’ai un puits d’où je peux tirer des seaux et des seaux.  L’inspiration vient spontanément, mais souvent ce sont des commandes. Ainsi chez Glénat, j’ai fait beaucoup de petits contes, « Petits conte pour voyager, pour rêver... ». Côté poésie c’est souvent sur un fait d’actualité, une image, ou de l’écriture concernant des œuvres artistiques, peintures, sculptures. On m’avait d’ailleurs publié « Impressions ». Cela découlait évidemment de Monet et ce sont des mots que je cueillais dans les expos parisiennes sur tous les grands peintres. Un jour j’étais au Musée Maillol avec une exposition sur Séraphine de Senlis une femme de ménage et peintre. Le film m’avait intéressé mais ce que l’on montrait des œuvres ne m’avait pas trop attiré. En revanche, lorsque j’ai vu l’exposition j’ai eu un choc énorme devant les toiles "en vrai". Les artifices dont elle s’était servie pour fabriquer les couleurs m’ont enthousiasmé.

 

Ecrire n'est pas forcément être journaliste

 

 

Alors que je prenais des notes, une dame habillée d’un manteau de fourrure s’est approchée et m’a demandé si j’étais journaliste.  J’aime écrire sur les œuvres pour en faire des poèmes lui ais-je répondu. Elle était vidéaste, vivait entre New York et Paris et elle réalisait des vidéos sur les grandes expos se déroulant dans le monde entier.  Pour elle si j’écrivais c’’était forcément que j’étais journaliste…  Les œuvres picturales et autres m’inspirent beaucoup.  Je fais partie d’une association qui a fêté ses 50 ans dernièrement « Regard, parole » avec des peintres, sculpteurs, photographes et j’interviens pour la parole. Et à chaque expo, je prends la plume. J’ai publié plusieurs ouvrages avec notamment des photographies de Patrice Le Terrier qui avait bravé les interdits de la grande tempête de fin de siècle afin de photographier les dégâts dans les forêts, dans la région de Rambouillet. Je le connaissais de réputation et j’ai vu son exposition 17 fois. Je lui ai montré ce que j’avais écrit et il m’a proposé de faire un livre aux éditions de  l'Amandier.  Le  fondateur nous a dit  "J'aime beaucoup le titre« la douleur des arbres ». J’ai moi-même perdu un arbre qui m’était cher. Ce fut une rencontre intéressante mais malheureusement il avait déjà 95 ans. C’est le moment où il a cédé l’affaire à son fils qui malheureusement n’avait pas les mêmes qualités que son papa et qui a un peu bâclé le livre. D’ailleurs en 2 ans, il a liquidé la boutique. 

 

De belles expériences

 

 

 

J’ai publié chez Jean Foucaud à Amiens. C’était un être extraordinaire qui avait une idée à chaque minute et il m’a fait faire des choses assez incroyables. Sur la Somme dans un petit canoë qui tanguait dans tous les sens au mois de novembre avec 5 m de fond, ce que j’ignorais, j’ai dit des poèmes alternativement avec lui. Les spectateurs étaient sur la berge.. A Amiens, 4 poètes dont moi étaient invités au cirque Jules Verne, un très bel édifice à Amiens. Chacun avait une invitation pour un spectacle, il fallait écrire dessus et il a publié les textes. C’était une très belle expérience. 

Ce sont des choses que j’aimais bien faire, des commandes mais en même temps avec libre cours.  Je me souviens d’un peintre qui avait exposé, à l'endroit où j ai fait des concerts car j’ai longtemps chanté avec les cœurs de la Pléiade. Un jour, je visite l’expo du jour, les toiles étaient éclairées et j’ai eu un choc. J’ai donc écrit. C’était des paysages mais sans aucun personnage ni animaux. Juste des traces visibles de toutes sortes construites et démolies. Et quand j’ai vu ce peintre il m’a dit « Comment avez-vous fait pour rentrer dans ma tête ?" J’étais content. Ce sont de petites réflexions comme ça, de petites aventures d’opportunisme qui sont un bonheur pour moi car il existe une concrétisation. ? Après, il faut évidemment  publier...

 

 

Comment se passent vos interventions ?
Je fais partie d’une association toujours existante composée  d’un groupe de retraités et de quelques personnes plus jeunes. Nous allons régulièrement sur demande dans les écoles de Trappes et de la ville nouvelle. Malheureusement le Festival du conte qui durait trois semaines a disparu et nos actions se cantonnent à Trappes. Nous disons des contes dans l’auditorium de l’école de musique, et produisons des spectacles. Nous allons aussi dans les classes de maternelle, de primaire, du collège. Les enseignants sont demandeurs et nous donnent un thème. Le thème de 2023 c’étaient les chimères, un sujet qui ne m’inspire pas plus que cela.  J’ai fait beaucoup d’ateliers poésie dans les écoles maternelles, primaires, lycées. Pendant plusieurs années, j’ai été partie prenante de l’initiative intéressante de l’Académie de Rouen.  Chaque année ils organisaient des voyages en ville. J'avais six jours d'atelier durant l'année scolaire. Unartiste et une tierce personne intervenaient également  dans une classe en cours d’année.  Un photographe et une chorégraphe, un peintre ou une danseuse se sont joints à moi. 

 

 

 

J’aime faire des ateliers poésie dans de nombreuses écoles de la région de Rouen. Une année où j’étais en maternelle, le premier prix a été obtenu grâce à la collaboration d’ institutrices et de mamans qui aidaient les camarades à écrire leurs idées. Je dis toujours à mes élèves que la poésie fait partie de la vie de tous les jours. Par exemple je leur écris un A au tableau, un A majuscule en caractère d’imprimerie  et je leur dis "Que voyez-vous là ?"  "Une échelle, un toit." Ensuite je mets le A sur le côté. "Et là ?"  "Une pointe de crayon, un bec d’oiseau." Puis je renverse complètement le A "Et là ? "Un cornet de frites." Le poète c’est celui qui considère les choses autrement et cet œil particulier éveille déjà chez eux une façon de raisonner. " Si l’on n’a pas de mots qu’est-ce que l’on fait pour se faire comprendre ?" . "On fait des gestes." Je me frotte alors  le ventre et je fais le geste de manger, et leur demande ce  que je veux dire? "C’est bon, j’ai faim." "Très bien, vous comprenez donc que j’ai faim et vous me faites des pâtes à l’eau sans sel, sans sauce etc… Je vais les manger mais est-ce que je serai content ? " Généralement ils ne disent  "Non pas trop."  "Si par contre, j’ai les mots et que je vous demande de me faire des pâtes al dente avec une bonne sauce et que vous me le faites est-ce que là je serai content ?"  "Oui." " Pourquoi? Parce que j’utilise des mots pour vous le demander. Je vais vous dire deux secrets : "Dans la langue française 200.000 mots sont répertoriés. Certains ont disparu, d’autres apparaissent . 

 

Racine et ses 6000 mots

 

Racine a écrit tout son théâtre avec 6000 mots, mais généralement les gens se contentent de 1500 mots souvent moins. Et je vais vous dire un autre secret, les mots sont gratuits, pas besoin de les acheter, il suffit de les prendre là où ils sont. Dans les livres, dans la tête de vos enseignants, de vos parents, de vos amis.."

Je me souviens d’un lycée ou l’on m’avait fait venir  pour des volontaires qui voulaient se familiariser avec la poésie. Dans ce groupe  était présente une jeune fille venue avec sa copine mais qui visiblement n’était pas enthousiaste. Alors que je disais des textes, je lui ai demandé son opinion. "De toute façon, je n’aime pas la poésie » « Pourquoi « ?  "Parce qu’elle a recours à des mots compliqués alors qu’il existe des mots simples." " Oui, je peux comprendre. Mais par exemple, je peux te regarder et te dire juste que tu es une fille. Mais si en te regardant je te dis tu as une jolie coiffure, un beau bijou autour du cou, de beaux yeux,  c’est quand même mieux que de te dire simplement que tu es une fille."  "Ah oui peut-être."  "Tu vois, voilà des mots.  C’est cela le but de la poésie. Comprendre et surtout se faire comprendre." J’ai le souvenir d’un môme qui après avoir entendu mes contes, vient me voir et me demande par quelle école il devait passer pour être conteur. J’ai trouvé la question magnifique!. Un autre plus jeune au premier rang lors d’une séance tout public, avait des yeux qui étincelaient. Il ne m’a pas quitté du regard et alors que je me dirigeais vers ma voiture, j’ai pu constater que j’étais garé à côté de la dame qui l’avait accompagné. Je lui fait alors part de l’intérêt de ce garçon. . Oui, il adore les histoires m’affirme t-elle. Je le regarde alors et il me dit : « "Tu sais quand je serai grand, je serai historiste comme toi… »

 

 

 

Vous avez aussi dirigé des ateliers poésie avec des prisonniers ?
Oui et c’est à la fois passionnant et très dur. La première fois c’était dans une prison de femmes et c’était terrible. On m’a fait entrer dans une pièce contenant des barreaux aux fenêtres. Les détenues entraient une à une, certaines avaient des regards totalement vagues et étaient accompagnées de leurs enfants. . J’ai commencé à leur dire des histoires et de temps en temps la porte s’ouvrait. Quelqu’un en appelait une non pas par son prénom mais par son patronyme pour subir la fouille. Elle sortait, revenait.  A la fin, je leur dis de venir me voir et elles ont manifesté le regret que je n’aie pas été présent avant.. En tout cas, j’ai été choqué par la manière dont on les traitait et je suis allé voir les surveillants pour leur faire part de ma stupéfaction et leur demander s’ils ne pouvaient pas les interpeller avant ou après la séance…

Je me souviens également d’un autre établissement, ou je suis entré dans la chapelle entourée de grilles partout. Le gardien est reparti et a refermé à clé. »S ’il se passe quoi que ce soit, vous faites le 4 et je viendrai » m’expliqua t-il. Je me mettais toujours dans un angle, c’était l’été, je vois arriver des gaillards qui me regardent étonnés ; et je pense « Pourquoi ais-je accepté ? » Mais il fallait me lancer et j’ai débuté par une histoire sur un gardien tourné en ridicule. C’est alors qu’un type avec d’énormes bras et des tatouages partout a commencé a rétorquer avec sa grosse voix que ce n’était peut-être pas le lieu pour évoquer ce sujet . Je continue et à la fin je le regarde et il me dit « Vous n’en auriez pas une autre des fois » et  je suis resté. Une autre fois je suis intervenu auprès des prisonniers en longues peines.  Je lis les poèmes dont certains tirés de « "Mur de sable » et à la fin un homme vient vers moi et m’explique qu’il était présent là-bas aussi. « Cela fait 15 ans que je suis enfermé là et pour la première fois, j’ai eu l’impression de m’évader un peu. « Ce sont des remarques qui  font plaisir et l’on a le sentiment bien agréable de servir à quelque chose…

 

 

 Avec le recul, regrettez-vous d’avoir quitté l’école à 14 ans, ou est-ce qu’au contraire cette absence vous a donné un aperçu de la vie plus original, et qui sort un peu des sentiers battus !

Avec le recul, je me dis que j’ai suivi une autre école. Mais sur le moment, j’ai vraiment regretté. Je n’étais pas mauvais élève, à l’époque je vivais dans un petit village et rares étaient les enfants qui allaient au lycée. Hormis les enfants de riches, de médecins, la plupart partaient en apprentissage. Menuisiers, cultivateurs, etc.  Mais à ce moment là, j’avais envie d’apprendre, et j’ai trouvé des tas d’astuces pour me cultiver, notamment comme je l’ai dit mon instituteur qui m’a cédé sa bibliothèque. Et puis j’ai entrepris des cours  par correspondance ; j’avais même une tante très croyante présente  à la messe midi et soir qui m’avait trouvé un monastère où il m’était possible de faire des études. Elle m’avait donné toute la documentation, et même si j’étais élevée dans la religion , je me suis dit que cet état d’esprit  ne me correspondait pas vraiment. Mais j’ai fait toutes mes communions, privées, solennelles, confirmation etc… Quand je suis parti en Algérie, il existait le pèlerinage de Lourdes pour les militaires et ma tante Lisette m’a conseillé de le faire, et m’a affirmé que ce pèlerinage allait me protéger. Elle m’a donné un peu d’argent pour le voyage et j’y suis allé. Devant la cathédrale, se trouvait un immense espace avec des parachutes bleu, blanc, rouge tout autour. Nous étions des centaines de militaires et l’Evèque nous a appelé pour aller combattre l'infidèle au-dela de la Méditerranée, ce que je ne souhaitais pas. Et quand je suis arrivé en Algérie, je suis tombé sur un aumônier ancien trappiste qui racontait qu’il n’avait pas le droit de parler à la Trappe et qu’il n’en pouvait plus. Tout en expliquant que c’est la raison pour laquelle il se trouvait ici ; il arborait ses galons de capitaine… Ce fut la fin de ma période italienne bien pensante…

 

Agnès Figueras-Lenattier



 

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