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lundi, 15 janvier 2007

Droit au logement opposable : une tribune de Christian Julienne

Nous avons longuement interviewé Christian Julienne, expert des questions d'urbanisme et de gestion du développement des villes, au mois de décembre dernier. En ce début d'année, il revient vers nous en nous adressant cette tribune relative au récentes déclarations gouvernementales sur le "Droit au logement opposable". Nous vous la retransmettons.

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Droit au logement opposable : le gouvernement confond vitesse... et prestidigitation !

Le comportement de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin voulant préparer, rédiger puis faire voter en moins d’un mois une loi « rendant le droit au logement opposable » est si contraire au respect le plus élémentaire des citoyens – et surtout des plus pauvres – que les mots manquent pour qualifier cette attitude. Pour éviter des termes plus violents, un seul mot nous vient à l’esprit, celui de « prestidigitation ». En effet, comment régler entre le 5 et le 25 janvier 2007 un problème posé en permanence depuis douze ans sinon par la magie ?

Quelle est la question posée que les enfants de Don Quichotte ont su, grâce aux médias, faire surgir sur la scène publique ?

Tous les experts de toutes mouvances politiques sont d’accord sur trois évaluations du « mal-logement » :
- 9 % de la population habitent dans des logements surpeuplés (une personne de plus que le nombre de pièces
- 5 % de la population cumulent un ensemble de déficiences en matière de logement : surpeuplement, vétusté, absence de confort...
- 1, 6 % de la population, c’est-à-dire 1 million de personnes, n’a quasiment pas de logement. Elle vit en hôtel meublé, en sous-location surpeuplée, en camping-caravaning, en habitat de fortune et, pour environ 100 000 personnes, dans la rue.

Citer ces chiffres n’est pas faire du misérabilisme. Soulignons d’ailleurs parallèlement que les conditions d’habitat des Français ont connu une amélioration considérable en trente ans et que 85 % des ménages ont des conditions tout à fait satisfaisantes. En 1970 chaque Français disposait de 22 m2, en 2002 de 37 m2. Les logements surpeuplés ou comptant une personne par pièce représentaient 53 % du parc immobilier en 1970, ils n’en représentent plus que 33 % en 2002. Mais il a fallu 35 ans pour en arriver là.

Un tour d’illusion digne du plus grand cabaret du monde !

Revenons à la question posée : comment loger correctement à un niveau de loyer acceptable ce million de personnes en état d’extrême difficulté ?

Eh bien la réponse a été donnée en 24 heures par Dominique de Villepin. Par un formidable tour de prestidigitation, celui-ci nous assure que le problème disparaîtra, escamoté par un tour de magie législative qui, entre le Sénat le 25 janvier et l’Assemblée le 15 février, assurera en deux ans et demi – du 1/01/09 au 1/07/011 – le logement de ce million de personnes. Quel talent !!!

Un autre illusionniste, Louis Besson, avait fait voter en 1990 une grande loi baptisée « droit au logement ». Deux ans plus tard, en 1993, la construction neuve tombait à son plus bas niveau avec 234 000 logements dont 65 000 HLM locatives.

Le gouvernement actuel a certes relancé la construction avec 435 000 logements lancés en 2006, mais seulement 51 000 HLM locatives. On en lancera semble-t-il moins de 60 000 en 2007 malgré les efforts louables et reconnus de Marc-Philippe Daubresse et Jean-Louis Borloo et malgré la sanctuarisation des crédits HLM (ne confondons surtout pas les logements financés et les logements lancés). Or, pour construire et utiliser ces crédits, il faut démolir, reloger, reconstruire moins dense et donc trouver des terrains ailleurs, lancer des appels d’offres, respecter les prix plafonds etc... etc..

Alors, assurer le droit au logement à 1 million de personnes, même en prenant cinq ans au lieu de deux ans et demi, suppose que l’on dispose de quelques 450 000 appartements locatifs, soit 90 000 de plus, chaque année, pendant 10 ans, que le niveau atteint aujourd’hui. A supposer qu’au fur et à mesure d’autres demandes n’apparaissent pas ; à supposer que seuls les 1,6 % de personnes ne disposant pas d’un « logement normal » soient justiciables de ce droit, à supposer qu’une norme de 25 % à 30 % de taux d’effort soit maintenue etc... etc...

Pour solutionner le problème, il faudrait prendre d’urgence plusieurs mesures permettant :
- d’augmenter le taux de mobilité en HLM (M. Borloo s’y oppose catégoriquement).
- de construire une majorité d’HLM dits « d’insertion » alors que ceux-ci représentent moins de 10 000 par an.
- d’inciter les propriétaires à louer les logements vacants, ce qui ne se fera jamais par la réquisition mais uniquement par une garantie de percevoir les loyers impayés (référé loyer) et surtout de pouvoir récupérer leur bien.
- de permettre au secteur privé de construire avec les mêmes avantages financiers que le secteur HLM.

Enfin il faudrait que le secteur du BTP puisse livrer à des prix acceptables quelques 90 000 logements de plus chaque année alors que les entreprises ne peuvent fournir la demande actuelle que grâce à une hausse de prix permanente et rédhibitoire en face des prix plafonds.

Par ailleurs, le droit au logement opposable suppose connues les réponses précises données à quatre questions.

1 – Qui peut bénéficier de ce droit ? Un niveau de revenu ? Une situation familiale couplée à ce niveau de revenu ? Une situation de fait à un instant donné ? Un rapport revenus/loyers, c’est-à-dire un taux d’effort déterminé ? Il faudrait déjà travailler six mois d’arrache-pied avec toutes les associations du réseau « Alerte » pour adopter une définition de l’ayant-droit... et la complexité administrative restera redoutable. Et quand cesse ce droit ???

2 – Qui devra assurer ce droit ? La commune ? La communauté d’agglomération (il n’y en a pas partout et leurs compétences sont très variables) ? Le département ? La région ? Faudra-t-il aller habiter là depuis six mois, un, deux ou trois ans ? Avec quel financement ?

3 - Quel logement pourra-t-on refuser ? L’ayant-droit se verra proposer des logements qui peuvent, à la limite, l’intéresser moins qu’une structure d’hébergement provisoire d’un bon niveau. Pourra-t-il refuser une fois, deux fois, et quel type de proposition ?

4 – Qui va juger de ce droit opposable ? Les tribunaux administratifs ou les tribunaux judiciaires ? Quels délais sont admissibles lorsqu’il fait moins 10 degrés ?

Le Conseil d’Etat qui examine le texte entre le 5 et le 15 janvier aura-t-il le courage de s’opposer clairement à ce projet, lui qui proteste régulièrement contre les lois « inutiles » ? Le caractère franchement ridicule du projet actuel en cinq articles devrait y susciter un tollé général. Il est vrai que le conseil a toujours montré un esprit de discipline exemplaire, accompagné d’une faible connaissance du droit car l’ENA n’est pas l’agrégation !

Allons, soyons sérieux. Il est inadmissible de légiférer dans la précipitation, de développer des effets d’annonces qui ne trompent personne, d’afficher des intentions irréalistes et irréalisables. Cette méthode fait le lit des Le Pen et des Besancenot-Laguiller.

Ce sera l’honneur des parlementaires que de refuser la prestidigitation, la magie, le faux semblant en affirmant qu’il faut une bonne année de réflexion et dix ans de réalisation pour permettre un véritable et durable « droit au logement opposable » en France.

Christian Julienne

Plus d'info :
+ Christian Julienne est également l'auteur de Logement : solutions pour une crise fabriquée.