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vendredi, 27 janvier 2023

LIRE AUTREMENT

jacques portrait 2.jpgLa compagnie « Lire Autrement a été fondée en 2001 par la comédienne Simone Hérault. Elle se produit à Paris, en région parisienne , en province et à l’étranger.  Elle propose des événements très variés axés sur la promotion de la culture française. Jacques Pagniez le complice de Simone Hérault en explique les différents fondements :

 

J’ai découvert Simone Hérault en 1981 lorsque le TGV a été mis en service. J’étais à l’époque directeur de production au service cinéma de la SNCF et nous avions des speakerines de RTL à la SNCF pour enregistrer les annonces de gare. C’était la grande époque de FIP de 1970 à 1981 et un jour j’ai dit à mes dirigeants « Il faudrait peut-être changer les voix dans les gares. » Nous avons alors décidé de faire un casting. J’ai appelé Radio France, je voulais des journalistes de France Inter. En fait, la standardiste a fait une erreur d’aiguillage, et elle m’a passé FIP. Quelque temps après, j’ai vu arriver 8 femmes travaillant à FIP et dans les 8, il y avait Simone Hérault. Sa voix a été choisie pour plusieurs critères : d’abord la qualité esthétique de la voix, et aussi parce qu’à ce moment là, c’était de nouvelles gares en béton, et les études de sa fréquence de voix répondaient au mieux à l’architecture des gares. Elle représente maintenant depuis plus de 40 ans la voix de la SNCF. En 2001, quand j’ai été mis à la retraite, elle m’a dit «On va faire quelque chose, j’ai envie d’être en contact avec le public. Et c’est là que l’on a créé le statut de ‘ Lire Autrement ». On a commencé notre lecture dans un petit bistrot de Stalingrad qui a bien voulu nous accueillir « La bicyclette café".  Il y avait juste deux personnes au tout début, puis on a ensuite beaucoup lu dans le 14ème au "Bock de Bohême". Ils avaient un poêle et l’ambiance était chaleureuse. Mais quand on parlait lecture dans un bar, cela faisait peur aux gens.. Puis la situation a évolué et des personnes nous ont fait confiance comme Daniele Pourtaud. Elle était conseillère municipale et travaillait à la Mairie de Paris et était très à l’écoute de ce que l’on faisait.

 

Comment s’est effectuée l’évolution de « Lire autrement » ?

Je me suis occupé d’une troupe de théâtre amateur pendant 25 ans. J’ai joué un petit peu, mais j’ai surtout fait de la mise en scène. Etant autodidacte, c’est par le biais de rencontres que j’ai progressé dans le théâtre. J’ai animé des stages photo et j’ai également fait du cinéma d’entreprise pendant 25 ans. J’ai beaucoup appris sur les arts et par la suite, me suis intéressé à la musique qui a complété les lectures. Cela a constitué un atout supplémentaire et il a fallu que je m’imprègne du milieu et que je comprenne les finesses avec notamment une flûtiste qui aujourd’hui est soliste à l’Opéra de Mexico. C’était surtout du classique. Puis est arrivé le jazz et un peu de fantaisie sur des airs d’accordéon.

 

La musique un lien de convivialité entre le public et les textes

 

Ce qui m’a passionné, c’était de trouver un média intermédiaire pouvant créer un lien de convivialité entre le public et les textes. On a d’abord travaillé avec 1 puis 2 musiciens jusqu’à arriver à un orchestre symphonique de 80 musiciens salle Gaveau deux fois. On a montré que l’on pouvait tout faire avec les textes et ce fut vraiment cette complémentarité qui fut au cœur de mes préoccupations.  J’ai beaucoup appris sur le terrain aussi bien dans le domaine du théâtre, du cinéma que de la musique. Une auto formation toute ma vie. Moi qui n’étais pas un grand lecteur, j’ai appris aussi grâce à Simone à pénétrer la littérature. On a rencontré pas mal d’écrivains dont le dernier Jean Teulé mort dernièrement. Parallèlement on a essayé de promouvoir la culture française dans plusieurs pays du monde en particulier l’Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan, l’Algérie grâce à l’attaché culturel du Ministère des affaires étrangères   On a créé un programme culturel et on est allé là-bas pendant pratiquement 10 ans. On a été en Algérie chez Maïssa Bey. Ce sont des pays où résident beaucoup d’artistes et l’on faisait des tournées.  En Ouzbékistan, il y avait 4000 professeurs qui enseignaient le français dans les années 2005, 2010. A chaque fois que j’y allais, j’étais séduit par les peintres ouzbeks, particulièrement les miniaturistes, par la musique qu’elle soit folklorique ou classique. .

 

Vous avez aussi promu la culture de ces pays en France !

Oui, car il faut toujours que j’aille plus loin, que je creuse. Le dernier c’était en 2005 au studio Gabriel avec la fille du président de la République d’Ouzbékistan. On a fait venir un écrivain ouzbek que j’ai contribué à traduire en français. On a joué de la musique de compositeurs ouzbeks avec notre pianiste classique. Trois peintres dont un miniaturiste étaient là également. C’était au champagne avec de gros moyens. Des choses aussi au centre culturel d‘Azerbaïdjan au pied de la Tour Eiffel. Ca s’est arrêté faute d’argent, les financeurs ne sont plus là… En Algérie, ça a changé aussi. On a été là-bas avec un écrivain devenu une amie Sylvie Germain. En Algérie, ils voulaient toujours des « Plus-values ». On a été en Ouzbékistan avec Sylvie Germain et elle a discuté avec les étudiants qui avaient lu tous ses livres. D’autres événements ont été réalisés comme Boris Vian jazz, et j’espère qu’on les a enrichis comme on s’est nous-même enrichis.

 

 

Pourriez-vous parler de votre travail avec Simone Hérault qui doit comporter une certaine complicité !

 !I y a dans le mot complicité quelque chose d'indéfinissable que l'on ressent mais ne s'explique pas toujours par les mots. 

Je n'emploierai donc que des synonymes pour expliciter mon propos : collaboration+ soutien+ concours+ aide + Foi et enthousiasme inconditionnel partagé. En ce qui concerne la complémentarité nous sommes dans quelque chose de plus pratique.

Lors de la création d'un spectacle de lecture quel qu'il soit, il obéit à des engagements, des contraintes et des règles immuables.

 Simone s'occupe de la partie littéraire de A à Z, contact avec les auteurs, lectures d'œuvres et sélection de textes, thématiques, des droits d'auteur, des intermittents du spectacle, de la présentation scénique et du ressenti du spectacle

En ce qui me concerne je suis très souvent à l'origine d'un projet, l'idée de base, le concept, la communication indispensable, la gestion comptable (Devis facture) de la vie de l'association dont je suis président : Subventions, commercialisation., Image

 Tous ces éléments sont donc complémentaires et nécessaires à la réalisation d'un spectacle littéraire.

 

Vous avez aussi travaillé avec les bibliothèques, musées, fait des créations littéraires dans le cadre de sites historiques

Par exemple en Normandie quatre jours dans un château Louis XIII le château de Beaumesnil. On a invité des écrivains régionaux, avec des spectacles littéraires et musicaux comprenant 9 musiciens. Quelque chose que j’adorais juste avant le Covid c’était des lectures dans les kiosques notamment au kiosque du jardin du Luxembourg. On disait des textes pour un public international. Quelques soirées privées chez des gens désireux de lectures à domicile. Une fois à l’école militaire.  Un monsieur qui nous a connus à une lecture voulait offrir à sa fille nommée capitaine une lecture pour son anniversaire. Aussi un monsieur parti en retraite qui a voulu qu’on lui fasse une lecture sur les récompenses et médailles. On répondait à la demande ; c’était personnalisé. Mais c’était quand même assez anecdotique, car il fallait payer les comédiens. Les collaborations avec les bibliothèques et les musées sont de plus en plus rares.. D’abord, ils n’ont pas d’argent, et de plus, ils ont des horaires de fonctionnaires pas toujours compatibles avec une soirée lecture. 

 


Les bibliothèques un lieu où l'on fait tout 

 

 

Maintenant, les bibliothèques sont un peu devenues des maisons de culture. On y fait tout : informatique, cours de cuisine. Tout ce qui peut réunir des gens et leur apprendre quelque chose.  Dans leur programme proprement dit, les lecteurs ont progressivement disparu.  On trouve beaucoup de conférences, des choses qui ne coûtent pas cher. Mais on a beaucoup œuvré au sein des bibliothèques du 14 et 15ème et aussi pour la nuit de la lecture.  Une lecture possède une proximité, une intimité que l’on ne trouve plus.  Je ne juge pas, cela peut évoluer dans le bon ou mauvais sens. La DRAC qui nous a soutenus pendant longtemps veut maintenant des «coups » mais d’une part, on ne sait pas le faire, et d’autre part on ne veut pas.  « Le printemps des poètes était très bien. Il existe toujours mais plus avec le même état d’esprit. « Lire en fête » dans les jardins dits extraordinaires était très bien aussi. L’événement avait lieu au mois d’octobre et c’était une fête de la lecture. Bien aussi « Les Belles étrangères avec chaque année le Ministère de la culture qui invitait 13 écrivains étrangers.  Pendant 15 jours, ils rencontraient des français et ils se promenaient dans des bibliothèques. Par ce biais, on a notamment connu des écrivains libanais.  Il existe toujours « Partir en livre » mais on n’a pas pu suivre ce format là…

 

Comment cela se déroule t-il côté mise en scène ?

Pour les spectacles de lecture pas de mise en scène mais une mise en espace. Les comédiens sont statiques, lisent au pupitre, au pire avec un texte à la main. Le principe de la lecture à voix haute consiste à projeter vers le public, en regardant les gens. J’ai beaucoup travaillé de par mon métier au cinéma sur la lumière et je fais toujours très attention à la qualité de l’éclairage et à la manière de s’en servir avec les comédiens. Je suis obsédée par la lumière surtout depuis que je travaille sur Monet, cela fait 40 ans et récemment j’ai fait la connaissance de la créatrice lumière de tous les spectacles de Jean-Louis Barrault qui a 86 ans. Quant à la musique, Il ne faut pas que la musique  écrase l’artiste qui va lire avec une priorité au texte avec  des choix musicaux qui correspondent. En principe le décor est noir. Sauf pour des spectacles comme Monet avec même une technologie très ancienne au théâtre, le rideau de tulle.   Au Turkménistan, on a fait Monet avec pianiste et flûtiste du conservatoire en place et projection d’images des œuvres de Monet. J’avais transformé le spectacle de manière à y associer l’image au texte et à la musique car les habitants ne comprenaient pas toujours bien le français. Ayant travaillé avec de grands comédiens, et j’avais la connaissance suffisante. La dernière grande mise en scène que l’on a faite c’était en 2022 au Musée de Montmartre que j’adore sur Octave Mirbeau. On a aussi fait des lectures dans des églises, dont une à l’Eglise du 12ème siècle à Montmartre Saint-Pierre d Montmartre. Notamment au son de l’accordéon avec des textes très variés.

 

La maison de la poésie inaccessible

 

 

En revanche, nous n’avons jamais pu accéder à la maison de la poésie, ni à « Paris en toutes lettres », c’est très fermé et je n’ai pas insisté.  Le problème c’est la location des salles qui coûte cher. Pour Monet par exemple, bien qu’on nous ai fait un prix à 50%, ça nous a quand même coûté 5000 euros.  Donc difficile de rentrer dans nos frais vu ce que l’on met en œuvre du point de vue technique. On le fait quand on a une réserve d’argent. Nous avons beaucoup travaillé avec l’entrepôt et Philippe Brizon qui avait sa galerie de peintures au 1er étage spécialement consacré aux spectacles de lecture gratuits pour le public. Avec juste le chapeau et salle gratuite pour la troupe. Nous avons ainsi reconstitué le repas de noces de Madame Bovary, un projet qui me tenait à cœur. Nos comédiens se sont mis en costume, j’ai repris in extenso le menu. On a négocié avec les chefs cuistots qui ont reconstitué le repas avec je crois 8 plats et un énorme dessert en pâte de fruits. J’ai fait venir une équipe de musiciens normands avec dégustations de cidre et tout… Tout était normand et le succès était au rendez-vous. Les gens payaient le repas, c’est tout.  On avait la même chose bien avant autour d’un repas de Georges Sand qui aimait bien manger. Les costumes ? Avec des boîtes de location. Mais je ne veux pas attirer trop l’attention sur les comédiens ni les musiciens avec ces moyens là.  Le texte, rien que le texte. Le maquillage ? Un peu ou pas du tout. Pas de déguisement, ni de nez rouge. Comme on se maquille à la télé tous les jours. 

 

Un comédien est-il forcément un bon lecteur et vice-versa ?

C’est la voix et le comédien n’a pas à interpréter les textes mais à les dire. Donc un comédien n’est pas forcément un bon lecteur, et un très bon lecteur n’est pas forcément un bon comédien. Un bon lecteur sait faire passer une émotion à travers des mots qu’il transmet sur une histoire qui intéresse les gens. Il est capable de captiver un auditoire pendant ¾ d’heure, 1 heure en entendant une mouche voler.  Je dis que les comédiens ne sont pas forcément de bons lecteurs car un très bon comédien pour se mettre dans la peau d’un lecteur peut avoir besoin d’une certaine retenue. Il n’a plus le côté gestuel, ni le déplacement sur scène, ni les décors. Quant à la lumière, elle est plutôt statique. Donc c’est uniquement la voix et la conviction qui comptent. l faut que les notes tombent comme les mots. 

 

La SNCF attache t-elle de l’importance à la lecture ?

Depuis plus de quarante ans, elle a toujours investi dans la lecture et le train est certainement l’un des meilleurs supports sauf qu’aujourd’hui tout se fait par le biais du téléphone portable. La SNCF était partie du principe que l’on n’est pas obligé de regarder que des bêtises sur le portable et elle avait investi dans une bibliothèque numérique d’environ 10.000 bouquins. Les gens dans le train pouvaient lire 5 minutes, une demi-heure. Cette bibliothèque est accessible chez vous sans obligatoirement prendre le train.  Ca fonctionnait très bien. Mais la SNCF a du abandonner pour des raisons financières.  Je le dis même si c’est prétentieux, il faudrait faire de la lecture une cause nationale.  J’ai deux petits enfants 11 et 13 ans qui ne lisent pas. Ils sont sur leur téléphone, les réseaux sociaux, la télé. Pourtant, il y a beaucoup de livres qui sortent, avec notamment un fabuleux salon du livre à Montreuil.  C’est inquiétant, car la lecture constitue une porte vers la culture, vers le développement de la personnalité.  Même Macron l’a dit il y a deux ans, mais ce n’est pas parce qu’on le dit qu’on le fait. Erick Orsenna avait fait une très belle enquête dans toutes les bibliothèques de France et le titre était « Faisons de la lecture une cause nationale."

 

 

Et maintenant où en est votre association ?

Elle vit au ralenti. Globalement, on a un problème ce qui ne veut pas dire pour autant que l’on est obligé de faire tout pour rien. On en a fait des spectacles gratuits notamment pendant 2 ans lors d’un travail avec le service social. Beaucoup de gens dans ce service écrivaient très bien et l’on faisait des soirées avec ces textes. On les lisait et c’était très flatteur pour nous. Après, la situation est devenue compliquée. Beaucoup de gens sous prétexte que l’on est une association ont le réflexe dire pourquoi devriez- vous être payé ? Les gens avec qui je travaille ont le statut d’intermittents du spectacle et vivent des galères. Un comédien sur deux est au RSA.   Et puis, l’évolution au niveau de la lecture est telle qu’il est très difficile maintenant de rentrer dans le cadre avec des événements très spectaculaires. Je ne veux pas passer 6 mois de mon temps à monter ce genre de « coup » et ne rien faire d’autre.  Il existe tout un public avec qui j’ai envie de me confronter. Maintenant, on ne fait plus que des spectacles que l’on nous achète ce qui ferme beaucoup de portes. Les subventions n’ont pas augmenté, voir même ont été supprimées. Et l’on ne rentre pas dans le moule de ce que l’on nous impose. Les lectures doivent rester quelque chose de simple, convivial, et communicatif. On n’est pas obligé de faire les pieds au mur pour faire un spectacle de lecture.  A mon âge, j’ai encore des idées mais sans support derrière pour vous encourager et vous soutenir financièrement on ne peut plus. J’aimerais bien refaire un joli printemps des poètes ; nous en avons fait à l’Entrepôt avec 70 places, et on distribuait une rose à chacun. Une âme transparaissait lors de ces spectacles. Nous réfléchissons à faire quelque chose sur Raymond Devos . On aime bien les jeux de mots ; ça se prête bien à la lecture…

Agnès Figueras-Lenattier

 

 

 

 

 

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