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dimanche, 19 février 2023

Stephane Portet

photo_stephane_portet.jpegStephane Portet

Stephane Portet dirige le Sunset Sunside un des plus grands clubs de jazz parisien. Il nous explique longuement le fonctionnement du lieu et sa conception de la programmation.. Dernière innovation qui plaît beaucoup, les concerts à la bougie écolos sans sonorisation ni électricité. Pour l'instant, ils ont lieu une fois par mois. A la rentrée, ce sera sûrement une fois par semaine...

 

Vous êtes actuellement le directeur du " Sunset Sunside ». A l’origine, l’endroit appartenait à votre père.

Oui c’est étonnant d’avoir un papa qui avait un lien aussi emblématique avec des événements aussi forts qui s’y déroulent. Mais à l’époque, je n’étais pas très captivé par la musique que l’on entendait.  J’écoutais beaucoup de musique, j’étais disc jockey à mes heures perdues mais à l’époque le jazz n’était pas ma tasse de thé. C’était plutôt l’ambiance qui m’intéressait, et j’étais très captivé par la nuit. J’allais souvent dans les boîtes de nuit parisiennes et j’aimais cette vie nocturne. C’était dans les années 80, une époque séduisante avec des gens qui savaient faire la fête et qui même s’ils se couchaient tard travaillaient bien le lendemain.  Au départ, je ne me destinais à cette profession. J’ai fait des études commerciales et je vendais des machines à Laver. Or, un jour alors que le lieu était un peu en perdition mon père m’a demandé d’abandonner mon travail et de lui venir en aide. Je connaissais bien l’endroit puisque je le fréquentais régulièrement en tant qu’amateur et fils de patron, et le jour où j’ai mis le pied ici, je suis tombé dans la marmite et je ne l’ai plus quitté. Mais quand j’ai repris les rennes de l’établissement, je n’étais pas suffisamment cultiivé dans le domaine du jazz mais j’ai eu la chance de côtoyer des musiciens qui ont aimé ma démarche et qui m’ont formé à cette musique.

 

Qu’avez-vous changé, qu’avez-vous gardé par rapport à ce que faisait votre père ?

Mon père n’était pas non plus un grand initié de jazz, il adorait cet endroit mais ce n’était pas sa structure musicale. Il n’a jamais vraiment fréquenté le monde de la musique. Ce qui l’intéressait un peu comme moi c’était l’atmosphère. Des programmateurs se sont occupés du lieu et quand je suis arrivé j’ai eu affaire à tout un collectif de musiciens . Les frères Belmondo, Aldo Romano, Michel Graillier, Henri Texier. Ils ont aimé la générosité dont j’ai fait preuve pour ce lieu , m’ont conseillé dans la programmation et je leur faisais vraiment confiance. Tous ceux qui venaient régulièrement ont repris leur lieu sous leurs ailes et m’ont été d’une aide précieuse…Mon père a vu que je me débrouillais bien et m’a laissé entièrement carte blanche à la fois pour réorganiser le lieu et pour faire la programmation.  Au fur et à mesure, j’ai formaté le lieu dans une énergie et un modèle économique qui a permis de réaliser plein de choses autour du concert et  de nouvelles thématiques.

 

Une deuxième salle : Le Sunside

 

 

J’ai même pris la décision de transformer la salle de restaurant en deuxième salle de concert. C’est ainsi qu’est né le Sunside. J’ai été inspiré par un lieu " La knitting Factory" à New York constitué de deux salles dont la programmation était assez hybride et assez expérimentale. Et je me suis dit pourquoi ne pas tenter l’expérience… mais au départ on m’a pris pour un fou furieux et on m’a dit que ça ne marcherait jamais, que la salle du haut  allait entendre ce qui se passe en bas et vice versa. Ma décision s’est faite au grand dam des musiciens car ils aimaient beaucoup le restaurant où plein d’artistes venaient dîner ici. D’ailleurs, la salle en forme de couloir n’est pas faite pour recevoir de la musique. Ce sont de vieux immeubles qui datent du Moyen Age où le son pourrait passer mais aucun bruit ne se fait entendre. Et c’est cela que j’aime bien, l’endroit s’est structurée en fonction des circonstances et il n’existe aucun problème d’acoustique. J’ai juste eu un problème au début avec en bas Niels Landgren un tromboniste suédois et son groupe heavy mental. En haut, il y avait un solo de Steve Leslie totalement acoustique. Steve n’entendait pas la musique d’en bas mais les instruments tremblaient... Nous avons la chance d'avoir d'extrêmement bons sonorisateurs. On investit beaucoup dans le matériel et les musiciens viennent avant tout pour le plaisir. Il est donc important qu'ils puissent bénéficier de bonnes batteries, de bons micros et d'un bon piano. Le public aussi doit pouvoir entendre un bon son... 

Le Sunset a pour vocation de défendre la musique amplifiée et les musiques cousines du jazz , le blues, le funk, le groove, la fusion. Quant au Sunside, c’est le temple du jazz acoustique, et de tout le jazz contemporain nexttream moderne.

 

 

Avez-vous un instrument préféré ?

Je n’ai pas eu l’éducation musicale qu’il aurait fallu et je n’ai jamais joué d’un instrument. Je reçois actuellement les meilleurs musiciens du monde et j’ai l’habitude de dire que je joue des oreilles. Chacun son utilité et je n’ai pas vraiment de regrets par rapport à cette réalité. Mais par contre, je ne suis pas l’exemple de mes parents , et je donne à mes enfants une importante éducation musicale et leur apprends à jouer d’un instrument. J’aime tous les instruments mais peut-être suis-je quand même un peu plus inspiré par le piano. . Mais cela ne joue en rien dans ma programmation.

 

Qu’est-ce qui guide votre choix ?

Plusieurs critères rentrent en jeu. Le premier objectif, c’est la découverte de talents. On est là pour s’occuper des talents émergeants et pour les amener à un certain niveau afin qu’ils deviennent des musiciens confirmés et reconnus. Cette recherche constitue à peu près 50% de notre programmation mais malheureusement tous ceux que l’on invite ne performent pas tous par la suite. Ce qui n’enlève rien à leurs capacités car il existe de très bons musiciens qui passent à côté de leur carrière.  Le deuxième critère c’est de continuer à faire de la programmation avec les musiciens que l’on a développés. Dans le jazz, il règne une certaine fidélité avec des musiciens respectueux du travail fourni pendant des années. Ils reviennent jouer même s’ils ont acquis une notoriété très importante. Pour moi, le plus emblématique et celui qui venait le plus régulièrement c’est Didier Lockwood qui a démarré chez nous et qui passait des semaines et des semaines ici. Il avait compris que c’était important de venir dans des clubs de jazz.  Nous représentons la première pierre de l’édifice et si nous n’existions pas, le reste ne suivrait pas. Didier Lockwwod avait aussi saisi l’importance de la proximité et du fait que de nombreuses personnes viennent car ils peuvent toucher les musiciens et échanger de près avec eux.  Je ne parle pas que du Sunset mais de tous les clubs de jazz en France et dans le monde. Cette possibilité n’est pas forcément présente au sein des festivals ce qui ne veut pas dire que les concerts sont moins bien. Mais le public aime être à 30 cm de l’artiste et l’entendre respirer…

 

Comment faites-vous pour sélectionner les jeunes talents ?

Je demande simplement un lien pour écoute et généralement on nous envoie un lien you tube avec un petit dossier de présentation. Ainsi pouvons-nous voir ce qu’ils ont fait précédemment, où ils en sont et nous pouvons ensuite décider de la suite à donner.

Votre devise c'est " Le club de tous les jazz à toutes les époques"!

Oui, le jazz est comme une jolie et vieille maîtresse qui a couché avec beaucoup d'autres musiques. C'est cette caractéristique qui contribue à l'avenir de cette musique, et les musiciens présents chez nous ne viennent pas forcément de l'univers du jazz. Certains viennent du classique, d'autres incorporent le folklore dans leur façon de traiter le jazz, ou viennent de la pop, de l'électro... Le jazz maintrip, be-bop c'est terminé. Cela existe encore mais ça va évoluer car les artistes ont compris que l'on pouvait intégrer au jazz d'autres types de musique. C'est pour cette raison que je dis " le club de tous les jazz"... 

 

Quels sont les rendez-vous réguliers ?

Le rendez-vous dont je suis le plus fier c'est le goûter du dimanche après-midi pour les enfants. Cela fait 16 ans que ça existe, et l'on est en train de créer une nouvelle clientèle pour demain.  Ce sont des gamins de 3,4 ans et c'est sans doute pour la plupart leur première expérience musicale. C'est vraiment un honneur de pouvoir initier les jeunes enfants au sein d'une atmosphère de jazz, et il me semble que ça n'existe pas ailleurs ou très peu. En tout cas, ce concept cartonne et c'est 100% de remplissage. C'est une thématique différente chaque dimanche avec soit Walt Disney, soit Davie Bowie, Henri Salvador, Gainsbourg, Charlie Parker, Elsa Fitzgerald... J'ai plusieurs équipes  et lors de cet événement, elles essayent de créer une interaction avec ces enfants. En effet, ce n'est pas toujours facile de parvenir à ce que les enfants se concentrent pendant 3/4 d'heure. On y arrive soit par le chant, soit par les applaudissements, soit en utilisant les mains des enfants qui se servent de l'instrument. Chaque concert est un peu différent mais voir les enfants hypnotisés devant le pianiste Pierre-Yves Plat qui fait une thématique sur les comptines et sur Noël c'est merveilleux... Ces gamins qui sont présents vont peut-être devenir de futurs musiciens. D'ailleurs, j'ai des clients qui sont venus il y a 15 ans et qui m'ont affirmé que c'est grâce à ces concerts qu'ils se sont lancés dans la musique. Et pour moi la boucle est bouclée, on a fait ce qu'il fallait faire...C'est ma plus grande fierté et il faut faire naître des signaux positifs pour demain. En tant qu'entreprise privée, on a des devoirs et des responsabilités... 

Le dimanche soir, ont lieu les conférences thématiques de Lionel Eskenazi  plutôt destinés aux anciens qui viennent pour la première fois ou qui ne connaissent pas forcément l'histoire du jazz. . Ce n'est pas un hommage purement musical, il existe aussi une explication de texte. Avec Lionel, l'on prépare d'ailleurs une nouvelle thématique avec Madeleine et Salomon, un duo piano voix sur des légendes du jazz mais plus actuelles et plus décalées. A partir de juin 2023 une fois tous les trimestres le samedi à 19H. 

 

 

Une cession entrée libre 

 

 

On a aussi régulièrement le dimanche et le lundi la jazz cession qui représente des temps forts dans notre programmation et qui sont généralement pleins à craquer car en accès libre. Un hommage rendu à une légende et ça permet de faire venir une clientèle qui n'a pas forcément les moyens de se payer un concert à 20, 30 euros. C'est important car le jazz a plutôt une image de cherté et faire venir des étudiants ou autres joue un grand rôle. Notre but est de faire venir tout type de clientèle et de captiver le public de demain en donnant un destin à cette musique. Celle-ci est basée sur l'improvisation et n'existe pas dans les autres univers musicaux. 

 

 

En 2022, c'était les 40 ans du club. Comment les avez-vous fêtés?

On a fait venir des gens qui depuis 40 ans ont contribué à la notoriété du lieu avec une date en point d'orgue au Châtelet le 28 janvier 2022. Un événement qui restera gravé dans ma mémoire personnelle liée aux concerts.  D'abord parce que j'ai fait l'animation toute la soirée. Etre sur la scène du Châtelet n'a rien à voir avec le Sunside. Ce n'est ni la même énergie, ni la même présentation. C'est toujours très plaisant de pouvoir fêter des anniversaires ou autres et de montrer au public que l'on est maintenant un lieu qui possède sa marque de fabrique depuis un bon moment. J'ai envie de dire vivement les 50 ans... J'espère que j'y arriverai et ensuite je passerai la main.

 

Vous avez aussi créé une nuit soul le samedi soir !

J'ai calculé et l'on fait à peu près 800 concerts par an et je pense que l'on est l'endroit le plus prolifique en France côté nombre de concerts. Les clubs de jazz en France ont toujours une activité de nuit, et beaucoup d'endroits dans le monde deviennent des endroits " Dance Floor". A un moment donné, on enlève les chaises et les gens dansent. Ici, ce n'est pas du tout la vocation parce que l'on veut rester strictement musical. Mais on s'est dit que c'était dommage de ne pas avoir une nouvelle aventure musicale et l'on a lancé la nuit soul avec le slogan suivant : " Les concerts qui font danser vos oreilles". On met en place des standards de musique funk, soul, grosse, jusqu'à 4h du matin. Ce sont là aussi des concerts en accès libre pour un public encore jeune de noctambules ou d'insomniaques.

 

Vous avez aussi les concerts hors les murs"

Ce sont des concerts qui ont eu lieu avant le COVID et que l'on renouveler dans le futur. Pour l'instant, on a mis un peu la pédale douce car c'était un peu compliqué à organiser. Le but est de continuer à suivre des gens qui ne pouvaient plus jouer chez nous car ils avaient des propositions un peu plus importantes. Les carrières évoluent et à un moment donné il faut savoir passer à une autre étape. Et c'est ainsi qu'on a accompagné de nombreux musiciens dans des lieux comme le Trianon, le New Morning, la Cigale, le Café de la danse, Roland Garros. Pour nous, c'était bien. On prenait un petit brain d'air, avec une oxygène différente et une manière de voir les choses autrement. On attend juste que l'activité se stabilise nouveau pour pouvoir recommencer l'aventure..

Et les trophées du Sunside?

Oui, ça fait aussi partie de l'ADN du lieu . C'est le trophée que l'on organise chaque année au mois de septembre. Ca nous a permis de détecter de nombreux musiciens et il faut savoir que le premier qui l'a remporté c'était Yaron Herman. Donc, on est dans le vrai. Django Reinhardt l'a aussi gagné. Nous n'avons pas l'ambition d'être un tremplin reconnu mondialement mais ça sert aux musiciens qui y participent. Cela déclenche souvent des débuts de carrière. 

 

Reste enfin " Pianissimo"!

C'est le festival le plus important que l'on fait depuis maintenant des décennies au mois de juillet et août lorsque les gens sont décontractés. On a ici un très bon piano et c'est pour moi l'instrument le plus important dans un lieu comme le nôtre. Il est bien accordé et cela permet aux musiciens d'avoir la banane lorsqu'ils jouent dessus. On fait aussi chaque année un festival vocal intitulé " Sunset vocal cession". Au mois de juin, on met la voix en avant...

 

Comment vous situez-vous par rapport aux deux autres clubs de cette rue des Lombards «  Le duc des Lombards » et «  le baiser salé » ?

Cette rue est tellement exceptionnelle que c’est compliqué de se différencier les uns des autres et l’on a à peu près tous la même programmation. Mais le "Duc des Lombards" a un budget supérieur à nous et reçoit des musiciens encore plus prestigieux. Ils ont également une radio derrière, et c’est un acquis supplémentaire à proposer aux musiciens. Ensuite, c’est une question de réactivité mais les musiciens sont attachés aux trois endroits. Ce à quoi je tiens personnellement c’est à l’affectif. Je ne dis pas que les musiciens deviennent des potes, mais on essaye de donner beaucoup d’humanité et beaucoup y sont sensibles . Nous n’avons pas envie d’être un lieu lambda, stéréotypé pour touristes mais j’imagine que tout le monde fait la même chose.  Pour moi la rue des Lombards est une rue tellement essentielle pour le jazz en France et dans le monde que si l’un des trois clubs disparaissait, je pense que cela nuirait aux deux autres. C’est une rue unique au monde et même les Américains nous envie d’avoir une telle rue. Il faut la garder intacte…

Agnès Figueras-Lenattier

 

 

 

 

01:25 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0)

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