samedi, 26 septembre 2020
Jean-Pierre Rageau
Médecin généraliste à connotation psy depuis 30 ans, Jean-Pierre Rageau est également journaliste médical avec des collaborations au " Généraliste" , au " Quotidien du Médecin" et également dans la presse santé grand public (médisite). Il a notamment beaucoup écrit sur la relation patient-médecin et a obtenu à cette occasion deux prix dont le prix du journal " Le généraliste" et la bourse de recherche sur la compétence humaine du médecin par L'Unafornec (Union nationale des formations médicales).
.
Vous vous définissez comme un médecin généraliste mais à orientation psy. C'est à dire?
La psychanalyse a imprégné ma pratique médicale, et je suis un généraliste à l'écoute. Mais je ne me présentais pas comme psy, je disais simplement que j'avais fait une formation psychanalytique. Je proposais un espace où mes patients pouvaient s'exprimer mais ne me considérais pas comme un spécialiste. Je me voyais comme un médecin qui utilise toutes les potentialités de la médecine générale qui n'est pas uniquement technique et scientifique. C'est celle des médecins de famille ou de campagne d'autrefois lorsque la science n'était pas toute puissante. Entre temps, quelque chose s'est perdu mais qui peut se retrouver à travers la compétence humaine du médecin avec la fameuse formation psychologique psychothérapique.
Vous avez longuement travaillé sur la relation patient médecin et avez même obtenu des prix sur vos recherches!
Oui, j'ai beaucoup écrit sur le sujet car cela permettait de faire le contrepoids à une compétence inhumaine que je percevais à l'hôpital. C'est une chose qui m'a toujours profondément choqué et c'est la raison pour laquelle je n'ai pas voulu travailler à l'hôpital. . En libéral, j'ai pu faire de la médecine telle que la sentais avec les aspects scientifiques et techniques mais avec en plus une dimension relationnelle et humaine. J'ai fait un travail sur la psychothérapie spécifique du praticien. J'avais écrit pour la faculté qui essayait de retracer les différents aspects de ce qui peut se passer entre un médecin et un patient. Comment il peut mettre en œuvre ces différentes techniques pour rassurer, accompagner, aider à s'exprimer. C'était quelque chose d'un peu nouveau à l'époque. On ne parlait pas beaucoup de psychologie, c'était même assez mal vu. Ensuite, j'ai développé un concept par un groupe de formation qui s'appelle la compétence humaine du médecin. C'est un domaine qui est un peu plus large que la psychothérapie qui est plutôt psychologisante. La compétence humaine intègre la psychothérapie du praticien et l'on peut parler de présence humaine du médecin. Un processus humanisant qui implique qu'un médecin pour devenir pleinement médecin dans son potentiel thérapeutique doit s'humaniser. C'est important de connaître les antécédents des patients, les réactions à certains médicaments. Chacun réagit à sa manière et à son médicament. Important également de connaître le contexte familial, professionnel dans lequel évoluent les patients. Cela a quand même un impact sur leur maladie et ça aide à mieux soigner. Le médecin le plus efficace c'est celui qui est capable de mobiliser les forces curatives et l'effet placebo augmente avec la prescription du médecin. Lorsque les visites sont régulières, c'est essentiel de créer des phénomènes de transfert et de contre-transfert. Ca permet d'augmenter la confiance, les croyances, et de ce fait il y aura beaucoup moins d'effets secondaires, moins de méfiance et de défiance vis à vis des médicaments. Ce sera un bon médicament prescrit par un bon médecin. Tout dépend aussi de la structure psychologique du patient et de ses convictions. Ceux qui croient en la science, l'allopathie va marcher sur eux. J'ai connu des gens qui ne croyaient pas en la chimie, et qui bien que l'indication soit bien posée n'ont pas guéri. L'autosuggestion a une part et cela fait partie du rôle du médecin de motiver le patient et de l'aider à prendre de la distance par rapport à ses pensées négatives.
Selon vous beaucoup de vos collègues délaissent ce côté relationnel!
Il existe un manque d'humanisme en général vis à vis du patient. Pourquoi être disqualifiant à son égard, pourquoi se moquer ou humilier. Pour moi c'est antinomique avec le fait de soigner. Il existe en plus la rétention du savoir utilisée par de nombreux médecins habités par une sorte de jouissance du pouvoir. Certains abusent en évitant de transmettre un pouvoir de compétences. J'ai toujours aimé faire de l'éducation thérapeutique et partager mon expérience avec mes patients pour qu'ils puissent bénéficier d'une connaissance leur permettant de se soigner eux mêmes. Que les malades ne soient pas infantilisés. Actuellement, la tendance s'inverse un peu avec notamment une ouverture vers une médecine davantage axée sur le spirituel qui favorise le côté humain.
Vous êtes un médecin généraliste porté sur les médecines douces!
Quand mes patients me disent qu'ils vont voir un homéopathe, un acupuncteur, un ostéopathe, je leur dis que la seule chose qui compte c'est que cela leur fasse du bien et je les encourage à poursuivre. Je n'ai pas d'à priori, car je sais que le mieux-être passe par des voies autres que les voies scientifiques. Parfois par le magico-religieux, les rituels, des choses qui font que les forces curatives se mettent en place et se mobilisent. Les gens que je soigne savent que je suis assez favorable aux plantes, et ça leur plaît bien. J'en prescris même en médicament. Par exemple le cardiocalm à base d'aubépine. Mes patients en redemandent pour l'anxiété mineure et les troubles du sommeil. Deux comprimés d'un coup le soir entre 19h et 22h, ce qui va permettre une petite phase de décompression avant de s'endormir et un meilleur endormissement. Je leur conseille également pendant cette période là d'écouter des musiques relaxantes, de lire tranquillement ou d'être dans un environnement paisible pour ralentir leur rythme de vie. Je cite souvent l'exemple du passage de l'autoroute à la route départementale le soir après le dîner. Il y a une bretelle d'autoroute à prendre et il faut diminuer progressivement la vitesse de 130 km/h à 90. Dans le cadre des psychothérapies informelles, j'utilise plus des images que des propos.
Vous avez découvert récemment la méditation. A quelle occasion ?
J'en avais déjà entendu parler il y a 25 ans lorsque j'étais en Californie. Pendant un an, j'ai suivi une formation à Psychologie Conseil. J'avais appris pas mal de techniques psychothérapeutiques du courant de pensée existentielle. Comme l'analyse transactionnelle, l'approche eulérienne centrée sur la personne, l'approche systémique, la gestalt thérapie. A cette occasion, j'avais appris ce qu'est le rêve éveillé, ce qui constituait déjà une forme de méditation. On se mettait dans un état modifié de conscience et le professeur nous disait un certain nombre de choses plutôt non directives ou semi-directives qui nous permettaient d'écrire notre propre histoire, notre propre scénario. Cela m'avait beaucoup plu, et après je me suis installé. Récemment j'ai lu le livre de Christophe André « Méditer jour après jour » et j'ai retrouvé ces éléments que je connaissais. J'ai pensé que comme en France ce n'est pas encore très utilisé que ce serait intéressant d'aller dans ce sens pour mes patients. Pour les aider côté anxiété et même dépression. Une formation permet d'éviter les rechutes dépressives. D'après ce que j'ai compris, il existe des phénomènes neurophysiologiques qui expliquent l'impact de la méditation sur les émotions et le comportement. En particulier avec une reprogrammation cognitive. Notre société nous programme pour être productif, efficace, ce qui nous pousse tout le temps à agir. Cela ne laisse donc pas le temps de se recentrer sur soi et de reprendre contact avec son moi intérieur. La méditation permet de déprogrammer le faire afin de faire en sorte de se retrouver plus souvent dans l'être et dans le ressenti sans pour autant renoncer à l'action.
Vous avez été au Cambodge pour approfondir vos connaissances!…
Oui, avec pour objectif après une formation à la méditation d'un an, plus 5 séminaires de 3 jours, de pratiquer la méditation dans des endroits propices à la médiation comme les pagodes et les temples bouddhistes. Chaque jour, nous méditions environ une demie heure. Des moines aidés d'une traductrice nous ont parlé et c'était très enrichissant. En outre, l'on pouvait observer une culture différente avec beaucoup de gentillesse, d'humanité au sein de la population. C'est quelque chose qui m'a frappé, ils n'avaient pas peur de nous, au contraire ils nous portaient de l'intérêt même s'il existait quand même un œil commercial chez ces cambodgiens pas très riches mais curieux de l'autre, de sa différence. Ils ont beaucoup souffert sous le régime tyrannique de Pol Pot avec des millions de gens tués, torturés. Mais la nouvelle génération a peut-être gardé l'esprit de ce peuple plutôt épris de paix et de lien fraternel.
Le fait que ce soit dédié à la pratique de la méditation cela change t-il quelque chose?
J'ai le sentiment que cela m'a aidé à méditer plus profondément. Un peu comme quand je suis dans une église, une cathédrale ou une collégiale. L'architecture d'un côté et le fait que beaucoup de gens se soient recueillis, font naître une atmosphère empreinte de plus de spiritualité. L'impression que cela m'a donnée par rapport aux méditations profanes c'est qu'en plus de la profondeur, j'avais à la fin de la méditation, une joie à l'intérieur sans objet. J'étais simplement content d'être là. La méditation profane est peut-être plus intellectuelle, plus technique. Il n'existe pas tout le cadre qui accompagne cette méditation et l'on est beaucoup moins touché que si l'on se trouve dans des sphères réservées à cette pratique. C'est surtout du ressenti, des sensations et de l'émotion. D'ailleurs, lorsque je médite chez moi, je me mets à côté d'un petit autel avec un petit bouddha, une lampe et je peux méditer de manière plus profonde qu'ailleurs en me concentrant plus fortement.
Comment cela se ressent-il dans votre vie privée ou professionnelle?
Sur le plan professionnel, je suis bien plus dans le moment présent et dans l'attention qu'auparavant. Ca change quelque chose d'à la fois minime et en même temps de considérable dans la personnalité professionnelle. J'ai le sentiment que je suis davantage conscient de ce que je peux faire , et je comprends mieux ce qui se joue entre le patient et moi Ma présence est plus importante grâce à une pleine conscience face aux patients qui le sentent tout de suite. Je leur transmets une sorte de sourire intérieur et le fait d'aider me procure du contentement. Se met en place un transfert d'énergie du médecin au patient. Cette présence est fondamentale et peu de médecins l'ont compris. Regarder son patient, se pencher vers lui, un peu comme la vierge avec son enfant sont des actes que j'ai essayé de développer au travers de la méditation qui englobe une dimension thérapeutique en elle-même. Les médicaments ne font pas tout, mais j'ignore dans quelles proportions le transfert d'énergie d'un côté et la mise en œuvre d'un savoir scientifique interagit pour soigner une maladie. Les deux participent à la guérison en sollicitant les forces curatives du patient lui-même.. .Côté privé, cela m'a apporté un apaisement avec plus de distanciation par rapport à la réalité. J'ai davantage de détachement par rapport à ce que je fais sans pour autant que ce soit de l'indifférence.
Comment faites-vous pour en faire profiter vos patients ?
Ce que je propose c'est de la méditation laïque, c'est à dire non pas quelque chose qui se réfère forcément à Dieu mais plutôt basée sur le spirituel. Oui, je m'en sers avec les patients que je connais bien et pour la plupart ça a marché. Notamment parce qu'il règne une relation de confiance. J'ai un patient que je suis depuis près de 25 ans qui a du mal à verbaliser son mal être. C'est quelqu'un qui souffre d'un trouble psychique compulsif mental et qui est toujours dans l'indécision. Il est atteint d'une grande souffrance de type anxio dépression et possède un mental plutôt conflictuel. Il prend des psychotropes pour calmer ses angoisses. Je lui ai fait une séance de méditation et il m'a dit que cela lui a fait beaucoup de bien, qu'il avait moins de pensées négatives. Comme c'est assez simple, il peut le faire. Je pense que je vais continuer avec lui car comme c'est compliqué au niveau de la verbalisation, ce devrait être plus facile ainsi. Je l'ai expérimenté aussi avec une patiente très imaginative. Elle a tout de suite imaginé plein de choses et on a pu parler de ses productions. Pour d'autres c'était simplement un effet de relaxation qu'ils connaissaient déjà. Ce n'est pas miraculeux non plus, mais cela peut aider pour une approche complémentaire de la phytothérapie, voir des psychotropes quand il règne une forte anxiété.
Il y a un an et demi on vous a diagnostiqué un cancer de l'intestin et vous avez vécu suite à une opération une expérience de mort imminente.
Oui, à l'occasion d'une opération j'ai eu un problème de choc sceptique (des microbes passent dans le sang, ce qui engendre un choc cardio vasculaire et la tension chute…) et à ce moment là, les anesthésistes m'ont mis en coma artificiel et j'ai alors vécu cette expérience de mort approchée. Comme si cette formation à la méditation et mon séjour au Cambodge m'avaient préparé à cette NDE. Pendant ce moment là, sans doute étais-je au confins de mon inconscient, de mon âme. Mon âme était très paisible avec beaucoup de visages qui flottaient, des visages de bienveillance. Une musique se faisait aussi entendre qui ressemblait un peu à celle que je compose et je me suis dit "C'est quelque chose qui appartient à ma vie." Je me suis senti très bien dans cet endroit, un peu comme chez moi.. J'ai vu une lumière blanche ressemblant à un aquarium avec des méduses qui flottaient. Des sortes de visages bienveillants dont émanait un sourire intérieur; quelque chose de très doux. Sans doute que quand je me suis réveillé, j'ai gardé cette expérience là en moi et ce souvenir a encore renforcé tout ce que j'ai pu vivre et ce à quoi je me suis formé auparavant. Maintenant, peu de choses peuvent me détruire ou m'inquiéter. Je suis dans une sorte de sérénité et même avec un cancer je suis presque plus heureux que je ne l'étais avant, car j'ai vraiment l'impression d'avoir avancé dans l'accomplissement de mon être. Et quand on sent que l'on est sur le bon chemin, cela donne une joie profonde. Etait-ce écrit que j'aurais un cancer? En tout cas, j'ai la sensation que je devais passer par là pour continuer ce chemin que j'avais commencé à emprunter. Peut-être étais-je programmé pour une sorte d'accomplissement qui est en cours mais comment je ne sais pas n'étant pas croyant.
Vous êtes pianiste et vous composez. Cette expérience vous a t-elle inspiré?
Je n'ai pas composé après, mais j'ai revu les musiques que j'avais déjà faites et les ai un peu améliorées. Du coup, elles avaient plus de sens et je ne pouvais m'arrêter de les parfaire tant que je n'avais pas le sentiment qu'elles étaient complètes. Dans ces cas là, le temps ne compte pas, et je peux alors composer toute une journée. Quand les notes me viennent, j'ai le sentiment qu'elles me viennent du ciel. Comme si une voix me guidait pour suivre cette mélodie, ces harmonies jusqu'à ce que ce soit vraiment achevé. Une inspiration vient de quelque part, et il faut que j'en rende compte et que je la traduise à travers une musique en cours de développement. Il m'arrive de m'en servir pour mes patients dans le cadre d'une méditation dans un état modifié de conscience, je leur explique ce que j'ai fait. Un jour je suis allée chez une patiente qui a un piano et je lui ai joué une de mes compositions. On en a ensuite discuté et elle m'a avoué qu'elle avait le sentiment de s'être trouvée dans des vagues ou une vallée. Or, c'est une musique qui m'est venue sur les coteaux du Bordelais où il y avait beaucoup de collines. Cette patiente avait ressenti à travers cette musique ce que j'ai pu ressentir et composer à partir de là. Intéressant d'analyser comment l'on peut communiquer à travers la musique…
Pour votre cancer avez-vous recours à des médecines alternatives?
On m'a proposé de faire de la sophrologie et cela m'aide mais dans quelles proportions je l'ignore. J'ai visualisé mon cancer, et celui-ci m'est apparu un petit peu comme des lumières. Quelque chose de plutôt rassurant. Cela m'a permis de mieux accepter la maladie même si je n'y étais pas vraiment hostile. J'ai eu une autre vision bien plus positive du cancer qui m'est apparu un peu comme un ciel étoilé avec des cellules qui retrouvent leur liberté. J'ai aussi deux patientes qui m'ont proposé de faire du reiki et ça m'a également fait du bien. Au début j'y croyais sans y croire mais ce sont des approches complémentaires qui ont à voir avec cette dimension spirituelle au sein de laquelle je commence à m'épanouir. La personne faisait des mantras et ce qui m'a frappé ce sont ses mains au dessus de mon ventre. Elle a trouvé qu'il était un peu froid. Je ne lui avais rien dit et elle a senti quelque chose. C'est un transfert d'énergie, de perception pour les gens hyper sensibles. J'ai aussi expérimenté l'acupuncture au moment où j'avais des troubles digestifs et des nausées du à la chimiothérapie. Et ce fut très efficace; d'un seul coup les nausées et les vomissements se sont dissipés . Tout cela me fait dire que la science et la chimie peuvent aider pour lutter contre un cancer mais que peut-être l'esprit a aussi un pouvoir. La seule question que je me pose c'est le pourcentage d'efficacité de l'un et l'autre. Ni l'esprit, ni les médicaments sont tout puissants mais le mélange peut aider à contenir la maladie. Par rapport au cancer, j'ai plutôt des pensées positives, et je ne me suis jamais dit "Quelle sale maladie! Même si j'aurais quand même préféré en faire l'économie, je ne suis pas terrorisé comme beaucoup. Le cancer est considéré comme le spectre de la mort, mais je ne le considère pas ainsi. Il faut faire confiance à la médecine et il existe des chimiothérapies qui peuvent sauver. L'image du cancer a beaucoup changé et il ne faut pas hésiter à se servir des approches alternatives. C'est quelque chose de très complémentaire qui peut aider en donnant plus de puissance à l'esprit et à la pensée. Important de vivre le cancer non pas en se projetant dans un futur cataclysmique ou chaotique, mais de le vivre dans le moment présent. Essayer de trouver des solutions avec du lâcher-prise et de l'acceptation. Si l'on accepte sans lutter contre quelque chose de toute façon inéluctable, c'est la philosophie de la méditation. Celle-ci m'a aidé à faire aller ma pensée vers des dimensions bien plus spirituelles.
Agnès Figueras-Lenattier
13:40 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : médecine, méditation, reflexions
Les commentaires sont fermés.