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lundi, 16 août 2021

Emmanuel Stip

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Emmanuel Stip est professeur de psychiatrie et chef du département universitaire à l’université des Emirats Arabes Unis depuis l’étét 2019. Ses intérêts sont la neuropsychologie, la cognition, la phénoménologie, l’imagerie cérébrale, la psychopharmacologie, la santé mentale globale et l’histoire de la psychiatrie. Il est l’auteur de livres de nouvelles, photographe et son dernier livre chez l’Harmattan s’intitule «  Vin et psychiatrie ».

 

Votre dernier livre s’intitule «  Vin et psychiatrie ». Le titre paraît étonnant au premier abord !

Au départ, le sujet peut effectivement  paraître saugrenu mais le vin a quand même une histoire.   Lorsque j’ai terminé mon mandat en tant que chef de département universitaire à Montréal, j’ai eu droit à une année sabbatique avec l’aide financière d’une grande université. Je pouvais faire ce que je voulais et j’en ai profité pour faire le tour du monde en 4 mois. Je venais de créer une nouvelle dénomination pour le département psychiatrique de l’Université de Montréal et d'addictologie et j ’ai été voir ma doyenne qui m’a demandé ce que j’allais faire comme études.. Je lui ai répondu que j’allais  faire une formation en addictologie. Elle a souri mais jamais elle ne m’a dit « c’est catastrophique ». Au cours de cette formation, je me suis aperçu que j’agis de la même manière en sémiologie et en psychiatrie. Je détecte, je cherche des signes, je trouve et à la fin j’aboutis à un diagnostic. Il existe également des classifications dans les deux cultures. Côté psychiatrie, cela va déterminer un traitement, une attitude, un congé et côté sommellerie cela indiquera le prix du vin, son nom, son étiquette. Par la suite, comme j’étais chercheur en imagerie cérébrale et cognition, j’ai découvert toutes les études que l’on a faites sur l’olfaction, le goût, l’activation cérébrale chez les sommeliers que l’on comparait à des populations normales. 

 

Surprise des médecins

Au départ, les médecins étaient surpris par mon livre car ils ne voyaient pas les rapprochements entre les deux domaines. Mais maintenant quand  ils lisent mon travail ils comprennent  les addictologues ont même rédigé un chapitre. Ce n’est pas du tout un livre caché, bien au contraire.  iI est promu par mes collègues médecins comme étant une source de dialogue même avec les patients ou la population. Le préfacier Emmanuel Haffen le dit, au départ cela semble bizarre mais on avait déjà été sollicité lors de congrès de médecine à communiquer sur le vin et la psychiatrie. Au même titre qu’actuellement, on communique beaucoup sur le cannabis, le LSD et la psychiatrie. Je ne voulais pas que mon livre soit lu uniquement par des médecins mais aussi par des sommeliers même s’il abordait les aspects de la médecine. Inversement, je souhaitais que les médecins trouvent amusant de parler de la culture du vin. C’est un mixte.

 

 

Dans votre livre, l’on s’aperçoit que depuis l’Antiquité jusqu’à la renaissance le vin était utilisé comme une substance thérapeutique !

Oui, comme d’autres éléments de la pharmacopée, il a été utilisé soit sous forme de pansements, de soupes, de cocktails. Puis à un moment donné, l’on pouvait même donner du vin aux patients. On s’en est servi au sein des hôpitaux et l’on en a aussi cultivé. Cela faisait partie de ce qu’un français boit tous les jours. Avec malgré tout un certain nombre de précautions. On a vu se développer chez les moines toute la culture du vin, qui en même temps se propageait au sein des organismes religieux développant les hospices, les hôpitaux, les asiles. Cela s’est fait en parallèle sans trop de questionnements au départ.

 

 

Rabelais recommandait le vin !

Oui. Médecin, moine, pédagogue, il proposait de nouvelles techniques pédagogiques. IL était habité par une joie de vivre et les personnages qu’il a créés incarnaient un certain épicurisme. Il règne un quelconque désordre dans la manière dont il suggérait que l’on boive.

 

Après il y a eu Pasteur et d’autres médecins partisans du vin aussi !

Oui, même dans des revues comme "The Lancet ", on considérait le vin comme un médicament. Puis est venu le développement de l’hygiénisme impliquant une surveillance plus importante et justifiée car on s’est aperçu des dégâts de l’alcool.  Dans certains coins de France c’était le calva, le cidre qui faisaient des ravages avec une tentative de différencier l’alcool fort du vin ce qui a donné plusieurs courants. On a commencé à avoir un discours beaucoup plus prudent par rapport à la consommation de vin. Se sont mises en place des guerres d’ailleurs encore présentes, des batailles de lobbying entre une médecine un peu prohibitionniste et les développeurs de la culture qui disaient « Ce n’est pas si nuisible que cela pour la santé si l’on boit modérément ». Du reste, je n’aurais pas pu publier ce livre n’importe où et dans n’importe quelle collection médicale.

 

Comment s’est opérée cette méfiance vis-à-vis de l’alcool ?
Une amélioration de la médecine clinique s’est fait sentir quant aux maladies générées par l’alcool. Que ce soit les démences, les maladies du foie, ,les cancers. Ceci depuis au moins 1 siècle et le discours médical a totalement changé. Avec le cannabis c’est la même chose. J’écris que la coke faisait partie du vin Mariani par exemple. Ainsi en mettait- t-on  dans le vin et des millions de bouteilles se sont vendues en Europe. Certaines substances reconnues comme des médicaments à une certaine époque deviennent ensuite des drogues illicites. Le vin n’était malgré tout pas reconnu comme complètement illicite même si la prohibition a eu lieu aux Etats-Unis. Il a fallu du temps pour que l’on prenne conscience de l’importance des dégâts chez les jeunes au niveau des maladies hépatiques, de la démence.  Actuellement il règne un certain équilibre dans le discours, et le but du livre c’était de montrer que deux cultures maintenant très antagonistes se sont côtoyées pendant longtemps. Il existait plein d’interactions.  Je me suis aperçu avec les patients que je traitais davantage sur le plan addictologie que psychiatrie que mon discours était plus proche d’eux que celui d’un addictologue qui leur disait juste « Arrêtez de boire » . On pouvait partager une culture et dialoguer sur le sujet. On se rendait compte que l’alcool pouvait être très nocif pour des personnes grandement vulnérables. Je vis maintenant à Dubaï et je réalise que plutôt que de se contenter d’interdire, il existe une manière d’en parler qui permet aux deux cultures de communiquer..

 

Vous personnellement que pensez-vous du rôle du vin ?

Je vous réponds comme un funambule, et en tant que médecin, ce qui me préoccupe c’est la santé de mes patients.  Je me suis beaucoup intéressé aux patients psychotiques et aux effets des drogues sur la psychose et suis très alerté par les dangers de l’alcool. Je pense  que la culture du vin fait aussi partie de la culture des civilisations chrétiennes. Je le dis dans le livre, dès que le vin est contenu dans une bouteille, il devient un élément naturel et en même temps culturel.  Et ce serait très dommageable pour une culture de supprimer tous ces éléments là qui créent des liens sociaux, des espaces comme les bistrots, les restaurants. Et qui catalysent  des réunions d’amis quand on a des convives chez soi. Cela n’est pas forcément synonyme d’ivresse.  On peut apprécier tout ce qui se passe dans un verre sans pour cela être complètement malade. C’est un équilibre à trouver entre le vin et la prévention et les soins que l’on doit donner aux gens qui ne sont pas capables de s’arrêter. Qui consomment trop, ou qui font un mauvais usage de l’alcool.

 

Le vin en Australie

En Australie, ce sont les médecins qui ont implanté la culture du vin. C’est fabuleux, et l’on trouve là-bas, des vignobles extraordinaires avec des vins de très grande qualité. Il y a même un médecin australien qui ajoutait du resveratrol un anti oxydant dont on dit qu’il est un bienfait pour le vin dans ce qu’on appelle «  le french paradoxe ». Donc, les médecins se sont intéressés à ce sujet sans pour autant favoriser l’alcoolisme. Par contre, je sais qu’en France c’est interdit de faire la promotion du vin en tant que médecin. Je comprends toute cette prudence et le livre n’est pas fait pour encourager les gens à «  picoler ». Je pense qu’il est fait pour que l’on découvre un monde fabuleux où règne un respect pour le vin qui procure de grandes joies et dont les étapes sont très respectables. Je ne suis pas un prohibitionniste, je dis qu’il faut faire attention.

 

La couleur que ce soit celle d’un vin ou d’un médicament fait naître un effet placebo !

Ce qui m’intéressait en tant que scientifique de la cognition et de l’imagerie cérébrale, c’était de savoir ce qui influence notre appréciation lors d’une dégustation d’un verre de vin. Cela  peut venir de la couleur, mais aussi du prix. Aussi d’ un renseignement sur l’étiquette ou sur la provenance. Lorsque l’on fait des dégustations en double aveugle, on s’aperçoit qu’il existe des influences très subjectives et inconscientes.  Si l'on vous dit qu’un verre de vin coûte 90 dollars et un autre 10 inconsciemment vous allez trouver le verre le plus cher meilleur. Pour un médicament, le prix  aura sûrement aussi une influence sur le patient. De nombreuses thèses sur le sujet ont été écrites.  Et en médecine lorsque je faisais de la recherche, pour vraiment se comporter en médecin, l’on utilisait des substances contrôle et l’on avait besoin d’être en double aveugle pour bien apprécier l’effet d’un médicament.

 

Vous parlez d’un même vin lors d’un concours apprécié de la même manière simplement par 10% des sommeliers !

Oui, il existe une différence d’appréciation, c’est la raison pour laquelle on utilise des grilles d’évaluation où l’on détaille élément par élément afin d’ avoir une certaine objectivité. Malgré cela, ça n’empêche pas que certains trouvent un vin bon et d’autres non. Après, il faut que cela corresponde au barème de qualité que l’on a à l’intérieur de nous. C’’est la même chose avec les effets secondaires. J’avais fait une étude il y a une vingtaine d’années sur le lithium un régulateur de l’humeur que l’on donne aux bi-polaires et aux maniaco-dépressifs. Beaucoup se plaignaient de troubles de la mémoire, de concentration. Or à un moment donné, j’avais proposé un projet de recherches sur des sujets sains, des volontaires ayant accepté de prendre ce produit pendant trois semaines, et je l’ai comparé au placebo. Je leur avais donné toutes les informations sur les effets comme la diarrhée, tremblements. On ne savait pas s’ils prenaient ce traitement ou pas, mais j’avais fait pendant un mois des évaluations de la mémoire, de l’attention, des fonctions exécutives. Je voyais les patients toutes les semaines. On faisait le test et en même temps je recueillais les effets secondaires. L’effet placebo a bien fonctionné car je n’en avais pas dans mon groupe lithium mais dans le groupe placebo avec des sujets normaux.

 

Un classement des vins et des maladies a été effectué.  Ont-ils coïncidé ?

Oui, les grandes classifications se sont faites à peu près au même moment. La classification des vins a été réalisée aussi dans un but mercantile avec une recherche de qualité pour bien le commercialiser. En médecine c’est un peu la même chose, on s’est mis à classifier pour obtenir de bons diagnostics, de bons traitements car les patients n’étaient pas tous semblables. Après, on a pu développer des médicaments pour des maladies plus spécifiques. C’est un peu la même démarche. On est en face d’une population, d’une collection de vins ou de médicaments et l’on commence à classifier selon des caractéristiques. Quand je fais un diagnostic en psychiatrie, il existe aussi une subjectivité. Même si je suis un bon clinicien, la relation inter personnelle, la façon dont je vois le patient, mon humeur du moment peuvent teinter mon diagnostic. Je peux trouver le patient plus triste, plus joyeux selon l’état dans lequel je suis. Ou selon la façon dont il parle et cette subjectivité est la même concernant la classification du vin. C’est aussi un parallèle intéressant qu’on ne pourrait pas trouver avec d’autres disciplines de la médecine. Je n’aurais pas pu écrire ce livre il y a 20 ans car on n’avait pas fait d’études par exemple sur les sommeliers, sur la subjectivité, la mémoire dans le vin etc… L’originalité du livre c’est d’avoir bien développé ce côté là. Une nouvelle science a vu le jour,  la neurooenologie qui étudie tout le processus du système nerveux central du cerveau pour créer un vin et le déguster.


On peut aussi voir maintenant ce qui se passe dans la tête du sommelier ou de celui qui déguste ou du malade psychique

J’ai d’abord fait de l’imagerie cérébrale fonctionnelle avec des patients déprimés ou psychotiques.. L'on regarde comment le cerveau s’active et fonctionne. On fait la même chose avec les sommeliers et les gens quand ils dégustent du vin. On s’aperçoit que selon le savoir et l’expérience du sommelier, l’information ne va pas être traitée de la même façon alors que c’est une dégustation. C’est juste un liquide qui entre dans la bouche que l’on avale ou que l’on crache mais cette action nous permettait aussi de voir quels étaient les réseaux neuronaux impliqués dans la dégustation, le plaisir etc.. Ce sont des études relativement récentes mais assez passionnantes car l’on apprend des choses non seulement sur les sommeliers mais aussi sur le cerveau humain, l’olfaction, le goût etc.

 

Vous déclarez que le vin est le seul qui entretient un rapport singulier avec la parole et que tantôt il la menace, tantôt il la libère… En psychiatrie c’est un peu la même chose avec la parole !

Oui c’est très important et c’est une originalité de la psychiatrie. On base notre thérapeutique sur une relation humaine mais qui se fait avec quelqu’un qui parle, qui raconte sa vie, ses souvenirs, ses peines ou ses joies, sa douleur. La psychothérapie nécessite donc une étape où le patient va pouvoir se sentir bien pour parler même si parfois les paroles sortent sans qu’il en ait trop conscience. A ce moment là, le psychiatre est là aussi pour interpréter, pour expliquer et entretenir une relation basée sur cette confession. Quant au vin dans n’importe quel groupe social dans nos sociétés occidentales, il  a aussi cette fonction. Il libère un petit peu. Quand on organise un cocktail, un vernissage, un restaurant, on va trouver le vin bon, accordé à un mets, à tel ou tel formage.  Parfois, l’alcool est un peu désinhibiteur, mais par contre l’excès aboutit à des souffrances. C’est un peu l’effet délétère du vin quand on en consomme trop ou mal.

 

Vous dites qu’aussi bien le sommelier que le psy aime les rencontres individuelles !

Il n’existe pas un sommelier qui soit seul chez lui. Un sommelier par définition a un rôle social, il va vous décrire, dialoguer, vous demander ce que vous aimez, va essayer de percevoir chez vous et chez  la personne assise à la table ce qu’est sa personnalité, pourquoi pas ses moyens financiers, son origine. S’il préfère le blanc ou le rouge.  Ceci pour trouver le vin qui lui convient. Le psy c’est pareil. Il va essayer de détecter chez son patient ses origines, sa direction, son orientation etc.. Le sommelier n’a pas n’importe quel produit pour entrer en relation. C’est un produit vivant, varié, culturel qui est en même temps un produit de la nature. C’est souvent une belle nature, un produit qui a tenu compte du soleil, de la pente d’un côteau, d’une rivière, du nombre de cailloux dans la terre, de l’art avec lequel on l’a cueilli. C’est tout cela. Il existe beaucoup de respect dans cette relation, un peu comme en psy. Un psychiatre respecte son patient, et même si celui-ci dit des bêtises, il va essayer de comprendre. On retrouve de nombreuses similitudes.

 

Le cadre aussi est important dans les deux !

Souvent en psy, on néglige de plus en plus les lieux. Or pour qu’une rencontre se fasse souvent de façon confidentielle et de qualité, et que la personne se sente à l’aise pour parler ; le bureau d’un psy a son importance. Un. sommelier c’est pareil. Quand les sommeliers passent leur diplôme et qu’ils deviennent master of wine, il faut une ambiance particulière. Pas de parfum autour d’eux, et avec un contexte qui fait que la dégustation va impliquer le maximum de qualité. Si le contexte est approprié, la dégustation n’en sera que plus bénéfique. En revanche, si l’on se trouve dans un  restaurant ou un bar bondé, la dégustation sera différente, plus festive. Il faut s’adapter.

 

Vous parlez des progrès fantastiques qu’a faits  la médecine mais au détriment du temps accordé aux patients.

Maintenant, les gens entrent dans le bureau d’un docteur, dans un hôpital et trouvent les médecins en face de leur ordinateur regardant davantage les examens que la personne elle-même. Ils regardent les examens complémentaires, la prise de sang, se demandent s’il faut faire une radio. Tout le dialogue avec la personne est comme négligé au profit de la technique, du laboratoire etc… En psychiatrie c’est très dommage car on a besoin d’entrer en relation avec la personne qui doit sentir qu’on l’écoute, que l’on ne se base pas uniquement sur les examens. . En sommellerie, la même chose peut se produire. Maintenant dans toutes les régions de France on prend le temps, on respecte davantage la nature, on se base sur la technique et l' on a des vins de meilleure qualité qu’il y a 60 ans. Les vignerons ont pris le temps de faire de la qualité et ce serait bien qu’en psy on prenne encore le temps pour installer une qualité relationnelle plutôt que technique.

 

Faites-vous une différence le vin bio et le vin non bio ?

Oui et pour moi la varie différence c’est qu’avec un vin non bio, je sais à quoi je m’attends. Si c’est un bordeaux ou un Val de Loire, il ne va pas varier énormément.. Tandis qu’un vin nature comprend des variations. Même à l’intérieur d’une maison vinicole, je peux trouver un vin très différent d’une bouteille à l’autre et le vin nature a parfois des goûts plus particuliers. C’est aussi une piste très intéressante de pouvoir développer le vin en rajoutant quelque chose à l’éventail de choix que peuvent avoir les personnes.. Le vin bio plus sain ? Non je ne pense pas. Si on faisait des recherches sur les produits chimiques utilisés dans les sols et les insecticides là on pourrait peut-être voir des différences à long terme sur de grands consommateurs. Je fais confiance aux vins nature car ils se débarrassent de tous ces produits toxiques. Mais même les vins non bio le font aussi maintenant avec de moins en moins de produits chimiques. Il existe une tendance vers cette simplification là. Mais ça demande beaucoup plus de travail de contrôler tout ça et d’être en harmonie avec les variations de la nature.

 

Vos vins préférés ?

Cela dépend de mon humeur et de ce que je vais manger. Avec le fois gras par exemple, j’aime bien les vins de la vallée de la Loire. J’essaye de faire découvrir les vins du Canada car souvent on les néglige. La très belle région de L'Okanagan possède des vins extraordinaires. Comme je suis chef de département au campus  à côté de Dubaï, et sans ma famille restée au Canada, je ne bois pratiquement plus d’alcool sauf quand je suis avec des amis. J’aime prendre du vin avec parcimonie et équilibre sauf si c’est vraiment une grosse fête.  On dit que même boire avec modération ce n’est pas sans risque. Les études à ce sujet sont assez contradictoires. Je n’ai pas de recommandations chiffrées à faire si ce n’est celles déjà connues. C’est un message que doivent lancer les médecins : il est très difficile d’interdire car si on interdit on passe peut-être à côté de quelque chose  mais en même temps, il faut établir la limite très clairement…

 

Agnès Figueras-Lenattier

Emmanuel Stip

Vin et psychiatrie

 

vendredi, 19 mars 2021

Christophe Bernelle

psychiatrie,expérience globale,tennisLe docteur Christophe Bernelle actuellement responsable du pôle mental au sein de la Fédération française de Tennis  pour les jeunes de 12 à 20 ans a été n°13 français et 170ème » joueur mondial. Psychiatre, pédopsychiatre, il a d’abord travaillé dans le privé, puis a été responsable de deux CMPP.  Il fait part ici de sa riche expérience… 

 

 

A quel âge as-tu disputé ton premier tournoi?

J’ai disputé mon premier tournoi la coupe Ewbank à l’âge de 10 ans et cette année là, j’ai remporté tous les tournois auxquels j’ai participé. L’année suivante a été beaucoup moins fructueuse car je me suis mis trop de pression. Je me suis dit tu es benjamin 2, tu dois gagner ce tournoi, tu n’as pas le droit de perdre, tu l’as gagné l’année dernière. Tu as un an de plus, les autres sont plus jeunes. « C’est un raisonnement logique, mathématique, mais débile car tu te mets une pression de dingue. Et pour la petite histoire, j’ai perdu au 1er tour contre celui qui deviendra un grand ami Jean-Marc Piacentile avec qui j’ai joué Roland Garros en double. Je perds 9/8 en ayant très peur. Je vois qu’il joue très bien et j’’ai pensé que j’allais perdre. Il était plus petit que moi, c’était la honte. C’est rigolo comme je me suis mis la pression à 11 ans. Amusant en tout cas comme j’ai de bons souvenirs. Je sais exactement sur quels courts j’ai joué mon premier match officiel. En deuxième année minime, j’ai de nouveau fait une bonne saison, et à 19 ans j’ai remporté le circuit satellite au Portugal ce qui m’a permis de faire un grand bond au classement. J’étais -30 et 5,600 ème mondial, et suis devenu n°13 français et 170ème mondial. Début 1983, je gagne mon match contre Boris Becker qui deux ans plus tard remporte son 1er Grand Chelem… Je me souviens aussi très bien quand je suis allé à Roland Garros pour la 1ère fois en 72; j’avais à peine 10 ans. C’est quand même un choc… J’ai vu la demi-finale Proisy Orantès et après j’y suis allé énormément. J’ai assisté à la victoire de Nastase qui est devenu une idole pour moi et je suis content d’avoir joué en double contre lui en 83. Après, l’arrivée de Borg m’a donné envie de faire comme tous ces joueurs. Mais d’un autre côté aimant également le foot que je n’ai pas continué par la suite, je rêvais également de marquer des buts au futur Parc des Princes...Niveau scolarité, j’ai fait un sport études régional au Lycée Lakanal  à Sceaux. Mes parents habitaient juste à côté et contrairement à tous mes potes je n’étais pas interne.  J’ai eu la chance qu’Yves Hugon, mon entraîneur à l’INSEP soit le même que celui de mon club… Après l’obtention de mon bac, je suis parti aux Etats-Unis à l’Université de Miiami ayant obtenu une bourse complète. Je suis un des premiers joueurs français à l’avoir fait. Je suis resté là-bas juste 20 semaines, car j’ai du aller à l’armée que j’ai faite au bataillon de Joinville réservé aux sportifs. J’ai pu jouer beaucoup au tennis, et disputer des tournois à l’étranger, ce qui m’a permis de monter au classement et de jouer Roland Garros à 20 ans...

 

Parle nous de ce match contre Becker!

C’était lors du circuit allemand satellite. Il avait 16 ans, moi 20, c’était un de ses premiers tournois ATP. Il avait bénéficié d'une wild Card en tant que jeune allemand et l’on s’est joué sur moquette au 1er tour. J’étais tête de série de ce petit tournoi et j’arrive à gagner 6/4 au 3ème. Un match très accroché. Il était déjà avec son coach de l’époque Gunther Bosch et deux ans après il gagne Winbledon. Après ma victoire, j’arrive dans les vestiaires et je vois Becker souriant, parlant avec son coach. Il était tranquille, et j’ai même parlé avec lui. Son comportement m’a surpris car normalement quand on perd un match, on est un petit peu effondré. En prenant ma douche, je me suis dit «  Ce mec là, il est trop gentil, il n’y arrivera jamais. C’était l’époque Mac Enroe Connors, il fallait haïr, tuer son adversaire. Maintenant on n’entend plus ce genre de discours, et  heureusement une évolution s’est opérée. On peut être un gentleman comme Nadal et Federer et être encore plus fort que les joueurs de cette époque.  Bien évidemment, il faut être un grand compétiteur sur le court, mais on n’est pas obligé de mal se comporter. Le respect de l’adversaire est important car lorsque tu pars dans de grosses colères, tu te manques de respect aussi à toi. Pour moi le tennis représente de plus en plus un art martial et c’est important de bien se connaître.  Gilles Simon dit dans son livre que c’est important notamment dans la transition de junior à professionnel et je suis complètement en phase avec lui.  Il faut  arriver à prendre le tennis par le bon bout, un des sports si ce n’est  le plus dur mentalement et  arriver à comprendre que cette difficulté va nous aider à mieux nous connaître. Et à faire de nous un homme et une femme épanoui… Pour en finir avec Becker;, je le croise en 1989, 6 ans après, il est devenu n°1 mondial. Je ne l’avais pas revu depuis. Il était tout seul et je l’aborde pour lui raconter ce que j’avais pensé à l’époque.  Il se souvenait et cela l’a fait rire… 

 

 

Tu as joué contre Mats Wlander un peu plus tard dans l’année le 23 mai au 2ème tour de Roland Garros alors qu’il était tenant du titre. Quelle impression cela t-a t-il fait de jouer contre lui?

On m’avait donné une wild card, et j’’avais gagné mon 1er tout en cinq sets… J’ai du jouer le lendemain car à l’époque il n’y avait pas beaucoup de courts. Or j’aurais bien aimé avoir une journée de repos. J’étais bien content de le jouer. J’y croyais dur comme fer et je voyais déjà les gros titres le lendemain dans l’Equipe «  Bernelle bat Wilander. Mais en même temps au moment de l’échauffement, j’ai été habité par une sensation que je n’avais jamais connu : un bras qui tremblait si fort que j’avais l’impression que tous les spectateurs s’en rendaient compte.  Ça m’est tombé dessus; c’était fou. Je n’étais pas du tout préparé mentalement d’autant plus qu’après mes 18 ans, mon entraîneur de club Yves Hugon qui ne connaissait pas le tennis international ne s’est plus occupé de moi. J’étais donc seul sur le circuit. Heureusement que j’ai joué sur le 2 et non sur le Central.  Tout le début du match, je n’ai pas mis une balle dans le court, et je n’ai pas pu agresser Mats Wilander. C’était une machine, il ne ratait jamais. Il ne jouait pas très vite, mais avec beaucoup de longueur de balles. Il aurait fallu que je le bouscule un petit peu, c’était ça le plan. Je n’allais pas rentrer dans des échanges interminables. J’ai pris 6/1 6/1 dans les deux premiers sets mais il y avait quand même quelques échanges. Au 3ème set, je mène 3/1, j’ai des balles de jeux sur tous les jeux et je prends 6/3. 

 

Cela t’avait  déjà fait prendre conscience de l’importance du mental!

Oui, ce fut une expérience très importante à ce niveau là. Après je pars en Angleterre pour jouer sur herbe, surface sur laquelle je n’avais jamais joué. J’étais un peu seul car mon partenaire de double Jean-Marc Piacentile qui était dans le même club que moi a préféré la terre battue. J’avais envie de faire les gros tournois sur herbe avant Wimbledon. J’ai fait les qualifs du Queens, de Bristole et j’étais censé faire les qualifs de Wimbledon. Or c’est là-bas trois semaines après Roland Garros que j’ai décidé d’arrêter ma carrière de joueur. J’étais dans les lectures depuis avril 83. Je commençais à m’ouvrir au mental et à la psychologie, et je suis tombé par hasard sur le livre d’un psychiatre américain Alexander Lowen «  la bioénergie » . L’auteur faisait un peu une critique de la société du toujours plus des Etats-Unis ce qui m’a fait réfléchir sur mon propre vécu. Puis, finalement de bouquin en bouquin, je décide d’arrêter ma carrière de joueur de tennis et d’entamer des études de médecine pour devenir psychiatre. J’avais envie d’aider les autres car justement je suis bien placé pour me rendre compte que lorsque l’on voyage tout seul semaine après semaine et que l’on perd au 1er tour ce n’est pas simple. Et donc que l’entourage est fondamental pour rebondir et apprendre de ses défaites. On ne peut pas toujours gagner. Tsonga par exemple ancien n°10 mondial,  disait que sur une quarantaine de semaines, il gagnait maximum 2,3 tournois par an. 

 

 

Comment en es-tu arrivé à arrêter ta carrière de joueur?

 A l’époque, j’étais plutôt du genre très sérieux, à tout faire très bien. Me coucher tôt, bien m’entraîner. J’étais stressé, me mettais beaucoup de pression et j’étais dans une démarche d’essayer de me détendre avant les matches. Et finalement je suis allé dans l’excès de la détente, j’ai carrément arrêté. Et puis la critique de ce psychiatre du toujours plus chez les Américains m’a incité à faire un parallèle avec le classement ATP revu chaque semaine où l’on veut toujours monter.  L’année d’avant, j’étais beaucoup moins bien classé et j’ai fait un grand bond en avant. Et finalement, je me suis rendu compte que je n’étais pas si heureux que cela, et que je voulais toujours plus… Je m’étais entraîné à l’époque avec Vilas qui n’allait pas très bien moralement ,or c’était une de mes idoles. Son mal-être m’avait fait poser des questions, comme il est normal de s’en poser à 20 ans. Ces différentes lectures m’ont donné l’illusion que j’allais changer le monde en devenant psychiatre. Que j’allais notamment soigner les chefs d’entreprise et que tout irait mieux après pour les employés et le monde entier. Il y avait aussi ce côté tout ou rien  d’un jeune de 20 ans.  Sur le circuit, on ne pense qu’à soi, rien qu’à soi, à son tennis et je me suis dit «  il faut que je pense aux autres. Je vais être plus heureux ainsi. Je rêvais également d’avoir une vie un peu comme tout le monde avec une famille et des amis.  C’est un ensemble de choses qui a fait que j’ai pris cette décision assez rapidement pour me retrouver à la faculté de médecine en octobre. Heureusement que mes parents ont insisté pour que je passe mon bac...C’est important d’avoir des parents qui disent «  mets le bac dans ta poche » .  Ce qui a changé par rapport à mon époque c’est que les meilleurs jeunes de France peuvent signer des contrats avec des managers et donc des marques à 13,14 ans. Et s’ils commencent à avoir des résultats, il peuvent à 15 ans obtenir un contrat de 4,5 ans avec pas mal d’argent au bout. Mais ce ne sont pas non plus des sommes astronomiques pouvant réellement compenser s’il arrive un problème. Une fois de plus, il est important que ces jeunes s’épanouissent… 

 

 

 

 Puis tu as ouvert un cabinet privé pour adultes et adolescents! Tu essayais le plus possible de ne pas trop donner de médicaments…

Je ne suis pas contre bien évidemment car il existe des moments où il faut vraiment y avoir recours  pour des patients  en très mauvais état psychologique.  Mais pour moi l’idéal c’est d’aider le patient à cheminer et à comprendre son fonctionnement. A pouvoir petit à petit, même si cela prend souvent du temps changer un peu sa façon de voir les choses. Quelque part au niveau neurobiologie, il existe une  neuroplasticité qui permet au cerveau de se modifier. Je crois beaucoup à cela et jusqu’à la fin de nos jours, on peut toujours changer nos circuits neuronaux même si bien sûr c’est plus facile à 20 ans qu’à 80. Il faut essayer de saisir ce constitue la part de notre responsabilité dans notre vie et bien sûr il y a les traumatismes qui sont là, qui ont eu un rôle, qui nous ont façonné. Il faut parvenir à ce qu’ils aient moins de résonance en nous et qu’ils nous atteignent moins.  On sent quand un patient a une compréhension même au niveau affectif de son corps, de son vécu. De ce qui a pu disfonctionner. Si celui-ci y parvient, il va acquérir un gain d’énergie vraiment interessant et le ressentir vraiment de l’intérieur.

 

 

 

Quelle était ta manière de t’y prendre avec les patients?

Avec un adulte, la démarche de psychothérapie psychanalytique consiste surtout à partir des dires du patient, de ses envies. Si par exemple, un patient a été empêché par ses parents de faire de la danse ou de la peinture et qu’à un moment donné il ose faire une de ces activités, cette initiative va forcément lui faire du bien car il est en lien avec son enfance, avec ses contrariétés. A partir du moment où l’on est psychanalyste, c’est obligatoire de faire un travail personnel.  J’avais 27 ans quand j’ai commencé. J’étais étudiant en médecine et je faisais  3 séances par semaine. Pendant deux ans , je n’ai pas du tout parlé tennis alors que c’était une part très importante de ma vie. Je l’avais vraiment mis de côté, et deux ans après, avec encore  3 séances par semaine, je me suis remis à parler tennis, de mon arrêt de 6 années.  Cela a déclenché en moi l’envie de rejouer  et j’ai retrouvé un plaisir de gamin  sur un court… C’était en 89, et j’ai vraiment repris comme si j’étais un nouveau joueur sans me dire «  Avant je savais faire ceci, cela, je battais un tel ». C’était juste pour le plaisir de jouer,  de progresser, de faire aussi de la compétition, de retrouver cette adrénaline d’avant match et d’arriver à le surmonter.  J’avais même des rêves un peu fous de repartir sur le circuit.  Actuellement, cela fait plus de 30 ans que je suis dans le tennis et j’aime de plus en plus ce sport. J’ai vraiment retrouvé ce lien avec l’enfance et c’est très important de garder ce plaisir. Je fais tout pour symboliser la maxime du tennis français «  Le tennis, le sport de toute une vie ». Je ne me suis jamais autant amusé sur un court. C’est lié à mon approche du tennis qui pour moi est devenu comme un art martial. Donc, quand j’arrive sur le court, je fais tout pour devenir un maître du tennis  dans le genre un maître d’art martial.  On peut tout le temps essayer de progresser dans tous les domaines. Je n’aurai jamais plus  mon physique de 20 ans mais quelque part j’essaye de faire en sorte qu’il diminue le moins possible. Et j’ai cette chance d’avoir l’impression que j’ai encore 15 ans sur le court. J’arrive encore à bien bouger, à faire un peu ce que je veux et c’est super sympa. Et puis mentalement, je suis au sommet…

 

                                        Être heureux avant tout sur le court

 

On sent bien que si Federer a envie de rejouer après ses blessures, c’est qu’il est vraiment heureux de taper dans une balle. Et Nadal le dit aussi, là où il est le plus heureux c’est sur un court.  J'ai lu une interview  en avril 2019 où il raconte qu'il était à l'entraînement et qu'il a arrêté au bout de 5 minutes. Il déclare à Moya un de ses coaches qu'il ne peut continuer car il ne prend pas de plaisir sur le court. Avec son staff, ils ont été passer une semaine à la montagne, avec de la marche. A ce moment là, Nadal classé 1Oème mondial expliquait qu'il pensait peut-être mettre un arrêt sur sa saison histoire de souffler un peu. Finalement, après cette semaine, il a repris. Et en fin d'année, il gagne Roland Garros,  L'US open et il finit n°1 mondial... C'est beau je trouve autant d'enthousiasme après tant d'années passées sur le court. C'est incroyable. Mais on peut très vite perdre cet enthousiasme. D'ailleurs, plein d’adolescents arrêtent,. C’est vrai que le tennis de compétition c'est compliqué et c’est dommage car on n’a pas  aidé ces jeunes  à le faire dans un bon état d’esprit. 

 

 

Qu’est-ce qu’un bon psychanalyste?

C’est comme tout, il y a des patients plus ou moins capables de se laisser aller, de faire confiance et d’être capable de faire des liens entre les choses. Il faut s'adapter et ce n’est pas forcément facile à comprendre quand on n’est pas dans le métier. Un bon psychanalyste, c’est quelqu’un qui a une formation avec de préférence un diplôme d’état.  Qui a fait une analyse personnelle et qui a réglé ses propres problèmes. Avec une éthique importante et qui sera content si le patient devient autonome et arrête les séances.  Qu’il soit heureux de lui dire oui même si souvent il faut un petit laps de temps pour que tout s’arrête complètement. Et non pas qu'il fasse en sorte que les séances s’éternisent  par appât du gain. Si un patient a envie d’arrêter, il ne doit pas avoir peur de le dire…

 

 

Au sein de la Fédération française de tennis,  tu préconises la méditation, le yoga. Tu t’en servais déjà au cabinet?

Non pas du tout car j’ai arrêté mon cabinet en 2000 et j’ai commencé la méditation vers 2010. J’ai vraiment approfondi le sujet, même si j’avais déjà une appétence pour la philosophie grecque et asiatique. J’ai constaté le bien-être que cela me procure. Je fais ça tous les matins 1H30 avec méditation, gym, yoga comme le conseille Mathieu Ricard dans son petit livre «  L’art de la méditation ».   Je me suis occupé de moi, je me sens en pleine forme après une bonne douche et un bon petit déjeuner avec le sentiment que mon corps et mon esprit sont en symbiose. Je fais de la  gym aussi pour me maintenir en forme et jouer mieux au tennis qui est un sport très exigeant physiquement.  Il faut notamment avoir une bonne ceinture abdominale. J’essaye de faire comprendre aux jeunes que s’ils pouvaient faire 5mn  par jour  et que ça devienne pour eux une routine agréable, ce serait vraiment positif. La seule difficulté c’est de s’y mettre  et de le faire régulièrement. On peut toujours avoir de bonnes raisons pour ne pas le faire mais à partir du moment où l’on a pris l’habitude, si on ne le fait pas il manque un petit quelque chose… On sent que l’on ne s’est pas assez bien occupé de soi. Idéalement cela ne devrait pas être que pour faire des résultats. Il faudrait que les jeunes comprennent que si déjà ça leur fait du bien en tant que personne, bien évidemment ça les aidera aussi pour gagner des matches.  

 

 

 

Qu’est-ce que cela t’apporte véritablement?

Ça m'a notamment appris  à respirer. On ne s’en rend pas compte car respirer c’est naturel mais quand on est stressé on fait de toutes petites respirations, on prend très peu d’oxygène et pourtant c’est l’élément le plus important pour notre corps avec l’eau.. Si l’on sait faire de bonnes respirations avec une bonne amplitude, on se fait du bien. Et l’on voit bien le lien avec le tennis avec tous ces temps morts entre chaque point. Le fait  de bien respirer, de se détendre et encore plus aux changements de côté permet de mieux exploiter ces moments là. La méditation c’est être complètement dans ce que l’on fait et c’est forcément une démarche philosophique qui amène à la connaissance de soi. On est un peu en gratitude avec la vie au sens large du terme, moins dans son égo et donc davantage  en connexion avec les autres, la nature, les animaux. Je ne suis pas bouddhiste, mais j’aime bien le dalaï lama quand il dit «  « Soyez sympa avec les autres; ça vous fera du bien. Il a raison. Ne serait-ce qu’un sourire; ça fait du bien.  On sent bien quand on s’est mis en colère même si l’on a raison sur le fond que quelque part ça nous fait du mal.  Il y a peut-être un moyen de dire les choses plus calmement; c’est un exemple. Tous les grands sages de toutes les religions se rejoignent sur cette quête de sagesse, celle de faire du bien autour de soi. Selon moi, il n’y a pas d’autre chemin  pour être heureux, Si chacun apporte son petit caillou, ça peut petit à petit aboutir à changer le monde… Voici ce que disait Djokovic après sa victoire à l’Open d’Australie en 2021 :  "Pour affronter les moments chauds d’un match, je me concentre d’abord sur ma respiration. C’est probablement la chose la plus simple à faire, mais aussi la plus efficace. Il a fallu apprendre à accepter mes peurs, mes pensées négatives, et mon égo pour les utiliser de façon positive. Pour arriver à ce résultat, j’ai beaucoup travaillé sur la pleine conscience, ai fait de la méditation. Sur le court, mes émotions et certains traumatismes ont tendance à resurgir. . Maintenant, je parviens à les contrôler beaucoup plus rapidement »

 

 

 

 

Pour en revenir à l’époque avant ton poste au sein du pôle mental, comment se passait ton travail aux CMPP avec les enfants et les ados?

Les parents dans au moins 50% des cas, ne viennent pas de leur propre gré mais souvent à la demande des enseignants ou de l’école. Ça va des enfants inhibés en difficulté scolaire à des problèmes de comportement. Certains tapent les autres etc; il y a de tout. L’on a vraiment de la chance en France, d’avoir ces réseaux de CMPP et de CMP pour enfants et ado. Le CMP est public alors que le CMPP est associatif. C’est une petite différence administrative mais le travail est pratiquement le même. Il suffit que les parents appellent et ils ont un rendez-vous avec un spécialiste, soit un pédopsychiatre ou psychologue spécialiste pour enfants et tout est gratuit..

 

Présence de nombreux spécialistes

 

Ce qui est bien dans ce genre de centre, c’est la multiplicité des soignants. Des pédopsychiatres, des psychologues, des orthophonistes, des psychométriciens pour des thérapies plus corporelles, des éducateurs spécialisés, assistantes sociales. Ce sont des thérapies individuelles ou de groupes. Lorsque l’on accueille l’enfant avec ses parents, on essaye de faire le diagnostic et l’on propose un traitement. J’aimais bien ce travail d’équipe qui est fréquent en médecine mais qui est particulièrement développé en psychiatrie et en pédopsychiatre ou l’on échange beaucoup autour d’un enfant . On réfléchit ensemble pour voir ce que l’on pourrait améliorer dans la thérapie.  On est là aussi pour aider les parents à comprendre les choses et à mieux soutenir leurs enfants. Après comme dans toute institution, peuvent  survenir des conflits institutionnels entre thérapeutes, entre personnes. J’essayais toujours de les résoudre afin que chacun soit vraiment content de venir au travail. Je pense que pour n’importe qui c’est vraiment une priorité et quand on est en poste de responsabilité comme je l’étais, mon rôle consistait à ce que l’équipe se sente bien et ait envie de travailler ensemble.

 

 

 

Existe une grande différence dans les symptômes chez les enfants  ou dans la manière d’être avec les parents selon qu’ils viennent de leur propre gré ou pas!

Ah oui. Les parents pouvaient arriver et avoir la franchise de dire «  Cest l’école qui nous amène mais on ne comprend pas pourquoi. A partir de cela, j’ai un petit peu tout vu. Parfois ces propos peuvent être vrais et l’on peut très bien dire «  C’est l’école qui s’affole un peu trop et réconforter les enseignants en disant « Je vais revoir cet enfant, mais personnellement je n’ai pas l’impression qu’il y ait trop de problèmes. »   A d’autres moments, les parents prétendaient qu’il n’y avait pas de problème, alors qu’il pouvait y en avoir de gros. Ils étaient dans une sorte de déni de la pathologie de leur enfant. Là il  fallait essayer de faire en sorte  que les parents soient un peu moins dans le déni et que l’on puisse les aider et aider leur enfant. Si la psychose de l’enfant est vraiment importante, il aura forcément une vie compliquée. C’est parfois problématique quand les parents ont l’impression que leur enfant va pouvoir faire des études alors que c’est pratiquement compromis. Tout comme le relationnel et les contacts avec les autres enfants. Cela  va prendre du temps. On essaye de mettre en place un suivi qui parfois ne s’avère pas forcément suffisant. Il faut alors faire appel à un hôpital de jour, or les parents ne sont pas forcément toujours d’accord…

 

 

 

Quels genres d'outils utilisais-tu?

Dans mon cabinet de consultation quand je recevais l’enfant et les parents, ou l’enfant seul il pouvait dessiner. Il y avait aussi des jouets. On voit un petit peu comment l’enfant évolue. Est-ce qu’il va spontanément voir les jouets , est-ce qu’il a envie de nous inclure dans le jeu? Plein de choses très intéressantes à noter. En tant que médecin, j’accueillais les enfants, et après au fur et à mesure des consultations on peut mettre en place un suivi avec une psychologue, un orthophoniste, un psychométricien soit en individuel, soit en groupe.  On pouvait proposer jusqu’à trois séances par semaine pour l’enfant et bien évidemment à l’intérieur de chaque séance quelle qu’elle soit, thérapie psychologique, orthophoniste ou en groupe, là encore on utilisait  différents outils. Ça pouvait être des groupes jeux vidéo,  pas des jeux vidéos débiles mais justement ceux qui pouvaient aider l’enfant lors de jeux de rôle. Les ados pouvaient parler autour du jeu vidéo qu’ils étaient en train de créer. C'est interessant car cela demande une certaine construction, une sorte d’élaboration d’une histoire. Il y avait aussi  des groupes conte. Chaque thérapeute a ses outils. 

 

 

Y a t-il des différences dans la manière de soigner entre les enfants et les ados?

A la fois oui et non; ce sont davantage les outils qui diffèrent et l’on peut faire des groupes d’ados. Ceux-ci sont atteints de pathologies très différentes. Quand on a un adolescent qui a une psychose de l’enfance assez déficitaire, on va l’aider. Peut-être en orthophonie pour essayer de lui faire comprendre un petit peu le mécanisme des mathématiques. Il a beau avoir 16 ans, il a une compréhension mathématique de 8 ans. On s’adapte et on se met au niveau du jeune. Il y avait aussi  un peu de sport comme le ping-pong, le baby foot. 

 

 

 

Toi qui connais très bien le sport à quel niveau dans tes soins cela se retrouvait-il?

Un point était très important c’est lorsque les parents me disaient «  il n’a pas eu de bonnes notes, ou il s’est mal comporté, je lui ai fait arrêter le foot. J’étais contre et je leur répondais : «  Si vous voulez le punir, privez- le de consoles, de ce que vous voulez mais pas de sport. Ce n’est pas le truc que l’on enlève au contraire. Le sport va l’aider à se détendre, à comprendre aussi les règles notamment dictés par l’entraîneur.  On ne  fait pas n’importe quoi avec les partenaires, avec les adversaires ». Je crois énormément au sport au niveau éducatif, apprentissage au niveau corporel et psychologique et  connaissance de soi.  C’était mon leitmotiv. Je voyais les enfants quand ils arrivaient puis en moyenne une fois tous les trimestres pour faire le point. Je faisais des consultations pouvant être un peu thérapeutiques, mais le suivi chaque semaine c’était plutôt un psychologue qui s’en occupait. Ou une orthophoniste.

 

Une grosse responsabilité

 

Avec les deux centres, je suivais à peu près 600 enfants par an. Ça fait beaucoup et évidemment sur les 600, il y en avait qui allaient plutôt bien, et d’autres qui me tracassaient beaucoup. Fallit-il hospitaliser un enfant ou un ado ou pas? Est-ce qu’il va se suicider ou pas?  Est-ce qu’un enfant subit des attouchements de la part de ses parents?  Certains  cas me préoccupaient beaucoup. Les cas difficiles on essayait de les voir un peu plus fréquemment et l’on avait tendance à oublier les autres.  En équipe, on parlait très rarement des enfants qui vont bien.  En revanche, pour les enfants en difficulté, on réunissait nos cerveaux ensemble pour essayer que ça aille mieux.  Mais si un patient ou un enfant va mal ce n’est pas forcément parce que l’on a fait des erreurs, même si cela bien évidemment peut arriver. Par exemple, si l’on n’a pas hospitalisé suffisamment tôt un adolescent et qu’il fait une tentative de suicide. On a le droit de se remettre en question et de se dire" J’aurais du le faire hospitaliser avant qu’il ne passe à l’acte." Mais même s’il n’y a pas manquement de notre part, c’est vrai qu’en tant que médecin, j’étais  particulièrement responsable…

 

 

 

Des erreurs que tu ne referais pas?

Déjà sur ma carrière de près de 30 ans de psychiatrie, je n’ai eu qu’un patient qui s’est suicidé et qui est mort. En plus, j’ai des circonstances atténuantes car j’étais jeune médecin assistant. Je venais juste d’être diplômé, j’arrive en tant qu’assistant à l’hôpital psychiatrique et en tant qu’assistant on récupère les patients de l’ancien assistant. Je récupère cette patiente qui était compliquée, que je ne connaissais pas bien. Un peu toxicomane, un peu psychotique. Au bout de quelques mois on la retrouve morte chez elle et l’on ne sait pas trop si c’est un suicide, un peu trop d’alcool ou les médicaments. Elle avait aussi forcément des fréquentations un peu louches.  Mon chef de service a été super. Il a reçu les parents avec moi et a géré la situation. Il  connaissait le problème en tant que chef de service depuis plus longtemps que moi. . Ça a été une expérience malheureuse qui m’a marqué. Mais sinon, pendant 13 ans de cabinet privé, je n’ai eu aucun suicide.  A la fois j’ai eu de la chance, il en faut,  et ça veut dire aussi que je n’ai pas trop mal bossé… Le danger pour un psychiatre c’est vraiment au début . Quand un patient vient dans votre cabinet que vous ne connaissez pas bien. Lui n’a pas une grande confiance en vous et s’il va vraiment très mal, s’il est très déprimé, il existe un risque important que les choses se déroulent mal. Alors que si on le connaît depuis 6 mois, une relation plus profonde s’est installée et le patient sait qu’il peut éventuellement vous appeler s’il ne va pas bien, rajouter une séance et les risques diminuent beaucoup.

 

 

Tu es maintenant responsable du pôle mental à la fédération française de tennis et à Poitiers. Ce poste  tu le convoitais depuis longtemps?

J’ai eu un petit temps en tant que psychiatre à la Féderation  de 1995 à 1998, un tout petit CDD de 6h par semaine au centre national de l’époque. Le DTN de l’époque est parti, il n’y a pas eu renouvellement. C’est vrai que j’étais un petit peu déçu car j’aime ce milieu et j’avais envie d’aider. J’aurais aimé continuer pas forcément à plein temps et j’ai subi une petite frustration.  Là j’ai eu l’opportunité d’être responsable à plein temps du pôle mental pour les jeunes de 12 à 20 ans ceci depuis le 1er janvier 2020.  C'est la première fois dans l'histoire du tennis.  Il y a du boulot et j’avais envie d’être libre pour pouvoir aussi partir en tournoi avec les joueurs, joueuses, entraîneurs car ce sont des moments qui me paraissent importants.  Mais les pros peuvent aussi  venir me voir. J’ai un rôle à la fois de médecin si des problèmes psychologiques surviennent et aussi un rôle de préparateur mental… Le tennis est vraiment le sport individuel qui se joue dans le monde entier et de plus en plus. A mon époque dans les pays de l’Est le tennis était peu développé et en Asie il n’y avait rien. Et ce qui est super c’est que ce sport s’est mondialisé. J’ai entendu qu’en Afrique il y a avait un projet de faire une Académie à Dakar. En ce sens, le tennis a une place à part dans le monde avec énormément de joueurs partout qui rêvent de devenir des champions.  C’est aussi une façon de s’élever notamment dans ces pays un peu plus défavorisés.  D’où l’importance encore plus de travailler le mental  et d’acquérir ce bon état d’esprit car la concurrence  est rude. 

 

 

 

Existe t-il de grosses différence de comportements entre filles et garçons?

Le tennis et la difficulté sont les mêmes et pour moi ce n’est pas une différence de sexe. C’est plus une manière de fonctionner et une jeune fille peut se comporter de la même manière qu’un garçon.  Certains vont se mettre une pression de dingues, être très anxieux et se dire «  Il faut absolument que je fasse des résultats » .D’autres au contraire sont plus tranquilles, vont avoir du mal à être sérieux et ne comprennent pas qu’il faut un minimum de travail et de sérieux à l’entraînement.  C’est plus du cas par cas, un caractère, et il faut faire en sorte que chaque jeune se connaisse mieux et ait envie de progresser. 

 

 

Et la différence avec les jeunes de tous les jours du CMPP?

La différence c’est que les jeunes qui ont choisi de faire du tennis ont un but. Et en tant que jeune ado, si on a une vraie motivation, c’est super.  La question c’est est-ce que c’est vraiment son projet à lui?  Ça ne sera jamais du 100%, il peut y avoir l’influence de la famille, des parents mais c’est important que ce soit principalement le projet de l’enfant. Je suis là pour voir cela, et à un moment donné, l’on voit bien que l’on se dirige vers un échec. C’est important que je sois là avant l’éventuelle intégration notamment en internat à Paris ou Poitiers pour voir l’enfant, ses parents et après évaluer de qui vient le projet justement. Ça fait partie du processus. Même si au final ce n’est pas moi qui décide, je donne mon avis. 

 

 

Comment agir avec ceux qui semettent trop de pression? 

C’est important qu’ils comprennent qu’ils ne jouent pas leur vie, et les aider à prendre un petit peu de recul sur le prochain tournoi. Si l'on commence à dire » Je n’ai pas le droit de perdre au 1er tour contre elle etc… ça va être compliqué d’être bien sur le court et de jouer son meilleur tennis. C’est  de permettre à ces jeunes de mieux se connaître, de les ouvrir un petit peu au monde et à la philosophie.  Tout ça va avec la connaissance de soi-même. Il y en a qui sont plus ou moins réceptifs, comme certains entraîneurs, et ça va être plus simple si l’entraineur l’est pour que le joueur le soit aussi. Certains jeunes peuvent ressentir la pression dès l’âge de 9 ans, ce qui peut engendrer de sacrés dégâts. Ce sont des messages qu’il faut faire passer auprès des parents, des joueurs et des entraîneurs… 

 

 

Tu dis «  Le travail mental ça se travaille tous les jours comme le physique et le tennis!

C’est là où l’on a un petit peu de retard je pense en France. Ça vient mais ce n’est pas encore évident pour tout le monde. La préparation  mentale c’est aussi  et surtout l’entourage. Idéalement, c’est devenir un peu philosophe pour tendre à être le plus heureux possible; ce qui est quand même notre but sur terre. On y arrive plus ou moins bien.  Je n’ai jamais entendu Nadal dire qu’il a vu un spécialiste du mental. J’ai lu mais c’est à vérifier que Federer a vu un psychologue 2,3 ans.  Son entraîneur est mort d’une mort subite jeune, il avait des problèmes et jetait sa raquette. Djokovic on sait qu’il est intéressé par la méditation, le yoga aussi, grâce à sa femme, d’où l’importance de l’entourage. Au départ, il était un peu réticent, comme moi avant. Je pensais «  c’est peut-être pour les gens fragiles ».  Il est allé voir par curiosité, car c’est bien d’être curieux et de faire sa propre expérience. Et il s’est finalement rendu compte que ça lui faisait du bien en tant que personne. J’ai l’impression même s’il n’est pas parfait qu’il fait un travail sur lui pour devenir une meilleure personne même s’il peut en agacer certains avec ses propos.

 

"Humilité, passion, travail", le secret de Nadal

 

Nadal à priori n’est pas là-dedans mais il a son entourage. Cela commence par ses parents, le petit frère de son père son entraîneur. Son meilleur ami Tintin est son physio et kiné.  J’ai lu son bouquin «  Rafa », super interessant. Il a écrit ça il y a 10 ans, c’est incroyable comment il se livre alors qu’il est en pleine carrière , même ses failles, les peurs qu’il peut avoir.. Tout ça pour dire qu’il existe une philosophie. Tintin c’est un physio qui prône une thérapie holistique donc liaison du corps et de l’esprit. C’est très philosophique et Tony Nadal dit : «  Dans le clan Nadal, le leitmotiv c’est humilité, passion, travail ». S’il en manque un; ça ne va pas. Quand on est passionné par ce que l’on fait, quelle que soit l’activité, que l’on est humble et que l’on travaille c’est une certaine philosophie. Quand on arrive à avoir cela, finalement on est heureux.  Ces joueurs  ont beau être milliardaires;  c’est mieux s'ils sont passionnés par ce qu'ils font car généralement ils ont davantage envie de travailler, de progresser et de devenir meilleur. Nadal est né là-dedans dans cette philosophie d’humilité comme Obélix. Un jour, il va arrêter sa carrière, et le monde va continuer de tourner. C’est un super joueur de tennis, mais sur terre il se passe des choses plus importantes que le tennis.  Il a à la fois un recul énorme et à en même temps quand il est sur le terrain, il est dans son tennis. Il est dans son élément, et comme il le dit «  Ma seule passion c’est de bien jouer et non pas ma seule pression c’est de gagner. C’est aussi simple que ça, mais pas si simple que ça. 

 

 

Comment s’est passé travail pendant le confinement?

J’ai pu faire des séances par téléphone et l’on a justement travaillé un peu  sur ces notions de méditation, de visualisation. L’imagerie mentale c’est important pour automatiser les choses techniques, tactiques. C’est vrai qu’il était temps que ça s’arrête. Comme tout le monde, on a vécu une période un peu irréelle. On était tous un peu figés. Avec le couvre-feu, ils peuvent se réentraîner, moi je peux aller travailler. La seule chose qui manque à tous, entraîneurs, joueurs et moi-même ce sont les tournois.  C’est sans spectateur, juste l’entraîneur mais globalement, il y en a qui peuvent jouer. Certains sont en Amérique du Sud. 

 

 

Souvent les joueurs ou joueuses quand ils font une grosse perf perdent le tour d’après!

Je vais en revenir à l’humilité et à l’importance de prendre du recul à la fois dans l’échec et à la fois dans la victoire. Et là encore, il y a deux choses qui me viennent en tête. Gilles Simon parle de l’humilité de Nadal. il dit  que là où il est incroyable dans son humilité c’est qu’il arrive à oublier ce qu’il fait. Et il arrive à n’être que dans le présent. Il est arrivé à Roland Garros en septembre 2020, et il n’était pas en train de dire «  J’en ai gagné 12, je vais arriver tranquillement en quart parce que sur terre je suis injouable et puis on verra près, mais sûrement je vais gagner le tournoi. «  Pas du tout. Il se donne même le droit de perdre au 1er tour, s’il ne joue pas à son meilleur niveau. Il se focalise sur ses sensations, son jeu et uniquement là-dessus. Il a cette capacité d’oublier ce qu’il a fait, ça va avec l’humilité comme le dit Gilles Simon.  Finalement quand on gagne un grand tournoi,  on est heureux et on se dit" Comme j’ai fait cette grande performance là,  je n’ai pas le droit de perdre au 1er tour «  car il est beaucoup moins fort que moi. » Il faut être vigilant, ce que fait très bien Nadal qui ne commet pas ces erreurs là. Il est très conscient que c’est super de gagner un tournoi mais  immédiatement après, il faut repartir et  chercher de nouveau à progresser. C’est ainsi que l’on prend le plus de plaisir. Nadal le dit «  Si on ne cherche pas ça on est mort, et l'on n’a rien compris au tennis.  C’est cela qui donne envie d’aller sur le court et l’on a bien vu comment il a fait évoluer son jeu depuis le début de sa carrière. C’est impressionnant  comme il est beaucoup plus agressif qu’auparavant. Il a tout amélioré.  Personnellement, je suis vraiment content d’être là. Jai envie d’aider, de transmettre mes compétences pour que ces jeunes s’épanouissent dans ce sport compliqué. Il faut vraiment le prendre par le bon côté sinon il peut être bien prise de tête… 

 

Qu’as-tu envie de faire passer comme message au prochain français qui se retrouvera en finale d’un Grand Chelem? 

Je vais parler d’un joueur car les filles sont meilleures que nous ces derniers temps en terme de résultats. Si un français arrive en finale de Roland Garros,  j’espère que je serai encore là pour aider.  Il faudra qu’il imagine le scénario, avec les réactions de la presse; de son entourage. Tout le monde va lui dire  c’est incroyable ce qui t’arrive, une finale de grand chelem. C’est le match de ta vie, une finale  ça ne se perd pas. Si le joueur n’est pas prêt et n’a pas travaillé en amont, ça va être très compliqué. Il faut qu’il ait travaillé les questions suivantes : Qu’est-ce qui se passe si je perds ce match? Est-ce que c’est grave? Si tu réfléchis deux secondes non. Déjà tu auras vécu une finale de Grand Chelem,; l’autre a le droit d’être meilleur que toi. Tu vas réfléchir à ce match, tu vas l’analyser. Qu’est-ce qui t’a marqué? Ou dois-tu progresser pour le prochain Grand Chelem? «  Avec le recul, cette partie va l’aider à devenir un meilleur joueur. S’il fait cet exercice régulièrement et qu’il arrive à se dire qu’il est heureux sur le court,  qu’il a la chance d’être en finale, s’il arrive à se dire qu’il a le droit de perdre, qu’il prépare tactiquement son match, qu’il essaye de jouer chaque point à fond, la perspective ne sera plus la même.  Ce n’est pas certain qu’il gagnera mais au moins il sera à fond dans son match. Et c’est ça l’important. Après, il perd, il gagne…, on passe à autre chose.. C'est ainsi qu'a raisonné Guy Drut lorsqu'il a remporté la finale du 110 m haies lors des Jeux Olympiques à Montréal en 1976... Il faut que la tête devienne plus forte. Ce n’est pas un muscle mais ça doit se travailler de la même manière. Les exercices spirituels d’ado c’est un travail. Les stoïciens travaillaient tous les jours sur leurs pensées pour arriver à prendre du recul par rapport à ce qu’ils vivaient et c’est commun à toutes les philosophies. Travailler sur ses émotions pour arriver à relativiser… 

 

Il ya aussi la gestion de l'après victoire!

Oui et ce serait bien aussi si un français gagne Garros qu’il ne pète pas un câble derrière comme l’a fait Noah après sa victoire à Roland Garros. Il a expliqué  comment en octobre novembre il avait envie de se balancer sous un pont. C’est pour ça qu’il est parti à New York. Il était devenu une telle star. Philipe hatrier et le monde international après sa victoire l’ont interdit de jouer pendant 2,3 mois car il s’était barré lors de la Workink Cup ne disputant pas le match de la 6ème place. Il devient une star et il ne peut pas jouer. Ce n’est pas facile à vivre. Et puis, il n’était pas prêt à gagner. Même son entourage n’a pas réussi faire en sorte qu’il ne «  craque «  pas. Becker a dit que lorsque l’on gagne un grand chelem, isouvent il y a la dépression post Grand Chelem. Je fais un lien avec la fameuse dépression post coïdale. Tu rêves de quelque chose, tu l’atteins et après … Nadal en revanche gagne un grand chelem, ce n’est pas une fin en soi. Il faut toujours chercher à être meilleur au sens large, physique, tennistique, mental. Si tu ne vas pas dans cette voie là, tu n’atteins pas ton meilleur niveau. C’est pour ça que Noah ne l’a pas atteint. Il a déclaré que s’il s’ était  douté d’une telle situation, il aurait été un autre joueur… Cela me fait penser à ce que m’a raconté Emmanuel Planque l’entraîneur de Lucas Pouille jusqu’à ce qu’il devienne n°10 mondial. Il me disait qu’il était dans les vestiaires quand Nadal a gagné sa 1ère final à Roland Garros.  Il est avec un ami dans les vestiaires et Tony Nadal en face d’eux attend que le vainqueur ait fini de faire des photos. Et lorsqu’il s’adresse à Nadal, il lui dit immédiatement : «  C’est super tu as gagné, mais tu as quand même beaucoup de choses qui n’ont pas fonctionné. Il lui a parlé de tout ce qu’il fallait qu’il travaille pour devenir un joueur meilleur. Sinon cela risquait d’être compliqué é pour lui de gagner un autre Grand Chelem. Même Emmanuel Planque m’a déclaré «  Si mon joueur avait gagné Roland Garros, juste après je ne lui aurais jamais dit ça » … C’est presque excessif comme l’est d’ailleurs Tony Nadal…

 

Que penses-tu de cette croyance en Dieu à laquelle se raccrochent certains joueurs?

Elle a aidé notamment Chang et aide actuellement Djokovic. En fait, il faut trouver quelque chose pour relativiser le match tout en étant complètement concentré dessus. C’est ça le secret. Facile à dire, pas facile à faire… 

 

Agnès Figueras-Lenattier