mardi, 17 novembre 2020
Fabienne Delacroix
Fabienne Delacroix est la fille du peintre naïf Michel Delacroix et a repris le flambeau en trouvant sa voie avec selon les dires un brin de féminité en plus. C'est une peintre émérite de la Belle époque, illustratrice, représentant des scènes de la vie parisienne ou campagnarde, les bords de mer, les châteaux de la Loire. Elle a peint des séries comme les 24 vues de La Tour Eiffel, et a représenté les quatre saisons de Notre Dame de Paris. Dotée d’un grand coeur, contribuer à la collecte de fonds au profit de grandes causes a beaucoup de sens pour elle». Elle a par exemple soutenu l’action contre le sida en partenariat avec l’AMFAR (American Foundation for Aide research) et la recherche contre le cancer en partenariat avec les joueurs de hockey de la NHL (National Hockey League… ). Ce qui a lui a donné l’occasion de rencontrer la famille Kennedy et Arnold Schwarzenegger. Possédant plusieurs cordes à son arc, elle a également un passé dans le domaine du théâtre et de l’adaptation de grandes oeuvres littéraires. Elle a été présidente de plusieurs compagnies de théâtre, a collaboré à de nombreux spectacles à Paris et en province et à Madagascar où elle a habité de 2005 à 2014, elle a également été très présente théâtralement avec la création de la Compagnie Arts and Events et l’organisation de nombreux spectacles pour enfants et adultes…
C’est votre père peintre reconnu qui vous a initié à la peinture?
Plus ou moins mais avec beaucoup de liberté. Je n’ai fait aucune école et suis complètement autodidacte. Je me raccroche souvent à l’école des naïfs, avec toutefois de petites nuances car l’on m’a qualifiée de « naïf raffiné « . En effet, la peinture naïve ignore la lumière, la perspective et tout un tas de règles qui constituent l’art de peindre.. J’aime bien le terme « figuratif poétique » …J’aime énormément cette idée de rêve, c’est d’ailleurs une époque un peu rêvée même si je n’ai évidemment pas de souvenirs. Je dis souvent que je rêve pour les autres…
Pourriez-vous parler de votre manière de peindre?
C’est difficile d’expliquer, c’est un grand mystère d’inspiration. Bien sûr je suis influencée par mes lectures, sur ce que je peux faire et puis l’inspiration vient naturellement Je travaille avec des pinceaux très fins pour aller dans le détail. J’ai peint à l’huile, mais pour des raisons d’odeurs très fortes; j’ai basculé vers l’acrylique. Cela sent très mauvais, et un jour j’ai été chez mon dentiste qui m’a dit « Vous avez bu du white spirit ou quoi? Je me suis rendue compte que j’inhalais cela à haute dose. Avec l’acrylique, l’on arrive maintenant à avoir un peu de matière ce qui n’était pas le cas il y a 30 ans. On ne trouvait pas toutes les nuances. Il n’y a aucune odeur et le séchage est instantané. Il m’arrive d’écouter des livres audio quand je peins notamment ayant rapport au sujet que je traite de manière picturale. Par exemple, j’ai réalisé un triptyque, trois toiles qui communiquent entre elles autour du grand magasin « Le Printemps » et j’ai réécouté « Le bonheur des dames » de Zola . J’ai fait une affiche pour Annie Vergne directrice du théâtre du Guichet Montparnasse en liaison avec son adaptation d’ » Une vie » de Maupassant, et j’ai réécouté l’histoire. J’écoute aussi de la philosophie. et suis une philosophe de la joie… Spinoza et Montaigne par exemple sont des amis même si je n’ai pas forcément toutes les capacités intellectuelles et la patience de lire « L’ »Ethique » . Quant à Montaigne c’est un personnage si humain. Il existe des versions magnifiques comme l’enregistrement des essais de Montaigne par Michel Picolli. Je suis dans la philosophie toute la journée et m’intéresse aussi à la littérature et à l’histoire.
Est-ce vital pour vous de peindre?
Oui et quand je ne peins pas, cela me manque. J’en ai besoin; c’est ma vie et je suis heureuse car je fais vraiment ce que j’aime. Je suis comblée par mon travail et mes trois enfants. Désirer ce que l’on a c’est cela le bonheur. Je suis complètement ailleurs, et il m’arrive de ne pas sortir pendant plusieurs jours. C’est mon petit chien en fait qui me force à sortir… C’est tellement calme, j’ai la lumière, les plantes. Cela fait 25 ans que j’ai cet atelier et jamais je ne m’en séparerai. Je me sens chez moi. Dans mes tableaux, ce que je cherche à faire ressortir, c’est la joie. Ma manière de peindre est tellement instantanée; rien ne transparaît à part la joie. C’est d’ailleurs le retour que l’on me fait. Mes clients me disent qu’ils ont un rapport amical avec mes tableaux, que des fenêtres s’ouvrent qui les rendent joyeux et leur procurent du bien-être. Pour moi, ma mission est accomplie et contrairement à beaucoup de peintres, je n’ai aucune ambition particulière et ne cherche aucunement à faire passer des émotions ou des messages. Ma seule crainte c’est de ne plus pouvoir peindre. Quand j’étais plus jeune, j’ai eu des périodes où je n’arrivais jamais à rien. J’avais la toile blanche. Il faut de la patience et de l’assiduité et je travaille tout le temps.
Au niveau des couleurs vous avez forcément des préférences!
Oui, et je dois un peu me forcer à mettre du bleu. C’est un peu étrange d’ailleurs car c’est une couleur magnifique. Tout le monde aime le bleu, c’est le ciel, c’est l’infini. Quand on lit « Le dictionnaire amoureux » de Michel Pastoureau, le bleu représente la couleur de l’infini. Mes bleus sont plutôt pâles, je ne vais pas dans du cobalt, mais j’aime le ciel, la mer. Sinon je travaille toutes les couleurs, même si je ne suis pas dans les couleurs pop comme le violet. Mais c’est parfois amusant de mettre un petit grain de folie. Une petite touche de couleur qui va faire toute la toile finalement dans un univers très uniforme.
La musique vous inspire t-elle?
Mon rapport à la musique est totalement déconstruit et c’est l’art qui me donne le plus d’émotions soit dans les pleurs, soit dans l’allégresse. En ce moment, vu mon état psychique personnel , la musique me fait trop d’effet et je n’arrive plus pour l’instant à en écouter. Je suis une modeste pianiste et j’ai quand même rapporté mon piano de Madagascar sur un bateau. Mais là aussi, je suis incapable de jouer en ce moment.
Comment cela se passe t-il côté exposition?
J’expose environ 1fois par an et à chaque exposition, c’est comme si je passais mon bac.. Je mets tout sur la table, et c’est ma seule source de revenus. Imaginez donc si mes tableaux ne se vendent pas… Après cette exposition annuelle qui dure un mois, je participe à une exposition collective. Lors de mes expositions j’ai carte blanche mais les galeries aiment bien que je présente quelques vues de Boston ou de New York. Maintenant que j’ai pris l’habitue de le faire; je le fais volontiers. A Boston et New York, j’ai une chance extraordinaire car là ou j’expose, ce sont des galeries magnifiques placées sur West Broadway, un emplacement de rêve.
L’art naïf ne plait pas en France?
Je ne sais pas. Je pense que les Américains achètent avec leur coeur, alors qu’en France souvent on achète beaucoup avec ses oreilles. Il faut être simple et retrouver une âme d’enfant pour aimer l’art naïf. Ce n’est pas une démarche forcément naturelle en France. J ’ai fait signe aux musées d’art naïf français notamment celui de Nice le musée Jacovsky. Mais ça ne s’est pas concrétisé pour l’instant. Nul n’est prophète en son pays; ce n’est pas très grave.
Et en Europe? Je pense qu’il existe des possibilités en Allemagne et en Suisse. Aussi beaucoup en Europe de l’Est, c’est pour cela que je suis au musée en Bulgarie le Musée d’art naïf et intuitif à Belogradchik avec quatre toiles. Je fais partie de la collection permanente du Musée.
Et au Canada?
Il y a un beau musée d’art naïf à Magog au Québec (Mian Musée international d’Art Naïf), et j’en fais aussi partie avec deux toiles. Le directeur du Musée est très gentil avec moi et il est d’ailleurs cité dans l'un de mes catalogues d'exposition.. « Paris, jours heureux » C’est lui qui m’a qualifiée de » naïf évoluée » car il se demandait si en présence de mon oeuvre on était encore dans l’ art naïf. Je suis un peu à la frontière de la peinture figurative traditionnelle et de l’art naïf. Il existe aussi une belle école d’art naïf canadienne par exemple.
Vos influences?
Séraphine, le douanier Rousseau auquel on ne peut être indifférent, Henri Rivière qui était assez proche des estampes japonaises que j’aime aussi beaucoup, . Puis Bruegel, et les impressionnistes évidemment puisque c’est ma période, même si ma patte n’est pas du tout impressionnistes. On peut voir dans la manière dont je traite l’eau un peu de pointillisme. Personne n’échappe aux influences, on n’est que le produit de son passé, de son histoire et des événements auxquels on a été exposés.
Vous avez sorti en 2018, un livre édité chez Hervé Chopin « Paris, jours heureux ». Cet éditeur est-il de la famille du musicien. Et vous qui portez le nom de Delacroix êtes-vous de la famille d’Eugène Delacroix?
Non, Hervé Chopin n’a rien à voir avec le musicien. En ce qui concerne notre famille, , nous ne savons pas vraiment si nous sommes de la même famille qu’Eugène Delacroix. mais c’est possible. Comme il n’a pas eu d’enfants, c’est difficile de savoir. Ce livre sur Paris est à la fois en français et en anglais. Cela me rend bien service et me permet de vendre aux Etats-Unis. J’ai aussi illustré chez le même éditeur « Les malheurs de Sophie » . C’est Sophie de Ségur arrière, arrière, arrière petite fille de la comtesse qui a signé la préface du livre. Ce qui donne donc Ségur, Chopin, Delacroix!… Quand j’étais enfant, je n’avais pas été particulièrement sensible à l’histoire des malheurs de Sophie mais plus récemment la rencontre avec la comtesse de Ségur a été comme une révélation. En tant que femme je me suis sentie finalement assez proche d’elle notamment lorsque je me suis rendue au musée de la comtesse. Elle a commencé à écrire à peu près à l’ âge que j’ai maintenant . Je vais vous confier quelque chose qui me tient à coeur. Concernant cette collection sur les malheurs de Sophie j’avais une trentaine de peintures et je ne savais pas quoi en faire. Les responsables du musée les ont gardés et je devais les exposer mais la Covid est arrivé et le musée a fermé. Ne voulant pas les vendre pièce par pièce, j’ai eu l’idée de faire une vente au profit de Madagascar où j’ai passé de longues années. L’argent récolté serait destiné à construire une petite école qui s’appellerait « L’école de la comtesse de Ségur ». Il me faudrait trouver un partenaire; j’ai deux ans pour ce projet; c’est le timing que je me suis fixée. J’ai des pistes de galeries, de ventes aux enchères. C’est un projet qui me tient à coeur; c’est tellement pauvre là-bas. Mais malgré le dénuement total, la joie est de mise . C’est tellement différent de chez nous et de notre société de consommation. C’est une belle leçon de vie et j’espère que ce projet verra le jour. Je compte retourner à Madagascar dans deux ans. Là-bas, il y a des gens que j’aime beaucoup, des gens très simples et pour mes 50 ans, je veux y retourner. C’est le cadeau que je veux me faire...
y a t-il un écrivain que vous aimeriez illustrer?
Mon rêve est d’illustrer Marcel Pagnol qui est un amour de toujours et même si ça ne s’est pas encore réalisé, mon éditeur est tout à fait partant. J’ai même été en contact avec Nicolas Pagnol son petit fils, mais la famille a sa propre maison d’édition avec différentes versions. J’espère vivement que ça se fera. . Au bout de 70 ans, cela tombe dans le domaine public et je ne quitterai pas ce monde sans avoir illustré Pagnol. Je suis née en 1972, il est mort en 73 ou 74 et j’attendrai 70 ans!…C’est un univers fait pour moi… Une différence entre la peinture et l’illustration? Pour moi c’est similaire même si parfois je me demande si je ne vais pas davantage du côté de l’illustration ou si je reste du côté de la peinture. Je n’ai pas poussé intégralement la réflexion, mais parfois je suis entre les deux. Ça me va bien.
Il y a aussi les illustrations avec le chocolat de poche, les puzzles!
Je fais ces projets surtout pour les rencontres même si l’on a tous besoin de sécurité et avec la Covid je diversifie. La peinture c’est très solitaire er rencontrer des gens est important pour moi. C’est enrichissant, et ça crée une émulation. Quand je travaille sur des projets collectifs, je travaille vraiment bien; ça me stimule.
Le chocolat de poche est une histoire d’amitié!
Oui c’est un peu mon défaut , et je travaille toujours ainsi. J ’ai eu un coup de coeur pour le produit. Je trouvais ce chocolat délicieux, et aimait la poésie qui en émanait. J’aime beaucoup aller chercher des extraits pour illustrer des peintures; ça m’a emballée. Le créateur explique que tout le monde lui piquait ses tablettes, du coup il a eu l’idée de les cacher dans sa bibliothèque et s’est alors lancé dans la conception de tablettes dont l’emballage imite la couverture de livres. Ce sont des tablettes de chocolat qui se dévorent comme un livre, avec un pur beurre de cacao, sans OGM ni graisses hydrogénées. Il existe aussi une transmission de savoir en matière de gastronomie, d’art et de littérature. Le fondateur est un grand passionné d’art, de littérature, de peinture qui a fait une reconversion. Il vient du milieu de la banque; il a pris les chemins de traverse et l’on s’entend très bien . On collabore régulièrement sur de nouvelles tablettes et puis on se stimule intellectuellement. Et c’est formidable.
Les puzzles
C’est une autre société située dans le 14ème arrondissement. « Les puzzles Michèle Wilson ». On a commencé avec deux sujets, c’est tout récent : le château d’Azay-Le- Rideau et le Moulin Rouge. J e m’interroge parfois sur la valeur de mon travail : Est-ce que l’image est bien respectée, pas trop banalisée? A partir du moment où le produit est un travail d’art en lui-même, c’est juste une chance de faire cela…
Vous avez aussi une carrière interessante dans le théâtre. Comment avez-vous débuté dans ce domaine?
Le théâtre a toujours été ma grande passion et monter des pièces que j'inventais, lorsque j'étais enfant constituait mon jeu préféré. Je tendais un rideau à un fil, quelques éléments de décor que je peignais et tout pouvait commencer. N'ayant pas du tout le don du jeu. je laissais mes camarades jouer et préférais diriger… Puis à l'âge adulte le destin a provoqué de belles rencontres au sein de ce milieu. Je me suis formée sur le terrain comme c'est souvent le cas en étant assistante.
Votre séjour à Madagascar a favorisé cet amour du théâtre!
Oui, c’est là que j'ai commencé "à voler de mes propres ailes" passant de l'écriture à la mise en scène. Rapidement les choses ont pris de l'ampleur grâce à un partenariat avec l'Institut Français. Je me suis tournée vers l’adaptation, car écrire pour le théâtre est un long travail qui suppose une maturité que je n'avais pas et n’ai toujours pas. Mais c'est une très belle aventure que de rentrer dans une œuvre de cette manière. Un mariage entre esprits avec l'auteur peut presque se mettre en place. Celui-ci devient un grand ami, le compagnon de projet, on peut même dire de vie, au moins le temps de l'écriture. Et lorsque l’on est en expatriation, dans une culture toute autre, cela fait énormément de bien. Ce qui me tient le plus à cœur dans l'adaptation c'est la fidélité au texte.
Voyez-vous une ressemblance entre le théâtre et la peinture?
Le théâtre est une peinture vivante. Un tableau qui se met en mouvement. Ce sont les mêmes ressorts créatifs qui sont à l'œuvre, la magie s'opère de la même manière. Dans un cas on passe du blanc de la toile à la couleur, dans l'autre du noir à lumière, mais c'est la même émotion de la création.
Que devient votre rapport au théâtre depuis que vous êtes revenue à Paris?
J’étais très abattue moralement suite à un drame personnel lorsque je suis revenue à Paris. Il fallait en plus que je me réhabitue à la vie en France après presque 10 ans à l'étranger et que je relève bien des défis. Mes contacts avaient poursuivi leur chemin, tout est en somme à recommencer. J’en ai alors surtout profité pour aller au théâtre selon mes envies, cela m'avait tellement fait défaut. Des rencontres ont eu lieu à nouveau comme cette belle amitié qui est née avec Annie Vergne directrice du Guichet Montparnasse. Les projets sont comme les désirs, ils existent toujours, notamment autour de Balzac et de Maupassant. Le contexte sanitaire va forcément les ralentir. Mais j’espère vivement remettre un pied dans le milieu du théâtre et peut-être faire encore plus se correspondre les deux univers en instaurant les toiles sur scène, à moins que ce ne soit la scène dans les toiles.
Agnès Figueras-Lenattier
13:39 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : peintre, art naïf, interview
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