Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 16 août 2021

Emmanuel Stip

psychiatrie,vin,parallèle

Emmanuel Stip est professeur de psychiatrie et chef du département universitaire à l’université des Emirats Arabes Unis depuis l’étét 2019. Ses intérêts sont la neuropsychologie, la cognition, la phénoménologie, l’imagerie cérébrale, la psychopharmacologie, la santé mentale globale et l’histoire de la psychiatrie. Il est l’auteur de livres de nouvelles, photographe et son dernier livre chez l’Harmattan s’intitule «  Vin et psychiatrie ».

 

Votre dernier livre s’intitule «  Vin et psychiatrie ». Le titre paraît étonnant au premier abord !

Au départ, le sujet peut effectivement  paraître saugrenu mais le vin a quand même une histoire.   Lorsque j’ai terminé mon mandat en tant que chef de département universitaire à Montréal, j’ai eu droit à une année sabbatique avec l’aide financière d’une grande université. Je pouvais faire ce que je voulais et j’en ai profité pour faire le tour du monde en 4 mois. Je venais de créer une nouvelle dénomination pour le département psychiatrique de l’Université de Montréal et d'addictologie et j ’ai été voir ma doyenne qui m’a demandé ce que j’allais faire comme études.. Je lui ai répondu que j’allais  faire une formation en addictologie. Elle a souri mais jamais elle ne m’a dit « c’est catastrophique ». Au cours de cette formation, je me suis aperçu que j’agis de la même manière en sémiologie et en psychiatrie. Je détecte, je cherche des signes, je trouve et à la fin j’aboutis à un diagnostic. Il existe également des classifications dans les deux cultures. Côté psychiatrie, cela va déterminer un traitement, une attitude, un congé et côté sommellerie cela indiquera le prix du vin, son nom, son étiquette. Par la suite, comme j’étais chercheur en imagerie cérébrale et cognition, j’ai découvert toutes les études que l’on a faites sur l’olfaction, le goût, l’activation cérébrale chez les sommeliers que l’on comparait à des populations normales. 

 

Surprise des médecins

Au départ, les médecins étaient surpris par mon livre car ils ne voyaient pas les rapprochements entre les deux domaines. Mais maintenant quand  ils lisent mon travail ils comprennent  les addictologues ont même rédigé un chapitre. Ce n’est pas du tout un livre caché, bien au contraire.  iI est promu par mes collègues médecins comme étant une source de dialogue même avec les patients ou la population. Le préfacier Emmanuel Haffen le dit, au départ cela semble bizarre mais on avait déjà été sollicité lors de congrès de médecine à communiquer sur le vin et la psychiatrie. Au même titre qu’actuellement, on communique beaucoup sur le cannabis, le LSD et la psychiatrie. Je ne voulais pas que mon livre soit lu uniquement par des médecins mais aussi par des sommeliers même s’il abordait les aspects de la médecine. Inversement, je souhaitais que les médecins trouvent amusant de parler de la culture du vin. C’est un mixte.

 

 

Dans votre livre, l’on s’aperçoit que depuis l’Antiquité jusqu’à la renaissance le vin était utilisé comme une substance thérapeutique !

Oui, comme d’autres éléments de la pharmacopée, il a été utilisé soit sous forme de pansements, de soupes, de cocktails. Puis à un moment donné, l’on pouvait même donner du vin aux patients. On s’en est servi au sein des hôpitaux et l’on en a aussi cultivé. Cela faisait partie de ce qu’un français boit tous les jours. Avec malgré tout un certain nombre de précautions. On a vu se développer chez les moines toute la culture du vin, qui en même temps se propageait au sein des organismes religieux développant les hospices, les hôpitaux, les asiles. Cela s’est fait en parallèle sans trop de questionnements au départ.

 

 

Rabelais recommandait le vin !

Oui. Médecin, moine, pédagogue, il proposait de nouvelles techniques pédagogiques. IL était habité par une joie de vivre et les personnages qu’il a créés incarnaient un certain épicurisme. Il règne un quelconque désordre dans la manière dont il suggérait que l’on boive.

 

Après il y a eu Pasteur et d’autres médecins partisans du vin aussi !

Oui, même dans des revues comme "The Lancet ", on considérait le vin comme un médicament. Puis est venu le développement de l’hygiénisme impliquant une surveillance plus importante et justifiée car on s’est aperçu des dégâts de l’alcool.  Dans certains coins de France c’était le calva, le cidre qui faisaient des ravages avec une tentative de différencier l’alcool fort du vin ce qui a donné plusieurs courants. On a commencé à avoir un discours beaucoup plus prudent par rapport à la consommation de vin. Se sont mises en place des guerres d’ailleurs encore présentes, des batailles de lobbying entre une médecine un peu prohibitionniste et les développeurs de la culture qui disaient « Ce n’est pas si nuisible que cela pour la santé si l’on boit modérément ». Du reste, je n’aurais pas pu publier ce livre n’importe où et dans n’importe quelle collection médicale.

 

Comment s’est opérée cette méfiance vis-à-vis de l’alcool ?
Une amélioration de la médecine clinique s’est fait sentir quant aux maladies générées par l’alcool. Que ce soit les démences, les maladies du foie, ,les cancers. Ceci depuis au moins 1 siècle et le discours médical a totalement changé. Avec le cannabis c’est la même chose. J’écris que la coke faisait partie du vin Mariani par exemple. Ainsi en mettait- t-on  dans le vin et des millions de bouteilles se sont vendues en Europe. Certaines substances reconnues comme des médicaments à une certaine époque deviennent ensuite des drogues illicites. Le vin n’était malgré tout pas reconnu comme complètement illicite même si la prohibition a eu lieu aux Etats-Unis. Il a fallu du temps pour que l’on prenne conscience de l’importance des dégâts chez les jeunes au niveau des maladies hépatiques, de la démence.  Actuellement il règne un certain équilibre dans le discours, et le but du livre c’était de montrer que deux cultures maintenant très antagonistes se sont côtoyées pendant longtemps. Il existait plein d’interactions.  Je me suis aperçu avec les patients que je traitais davantage sur le plan addictologie que psychiatrie que mon discours était plus proche d’eux que celui d’un addictologue qui leur disait juste « Arrêtez de boire » . On pouvait partager une culture et dialoguer sur le sujet. On se rendait compte que l’alcool pouvait être très nocif pour des personnes grandement vulnérables. Je vis maintenant à Dubaï et je réalise que plutôt que de se contenter d’interdire, il existe une manière d’en parler qui permet aux deux cultures de communiquer..

 

Vous personnellement que pensez-vous du rôle du vin ?

Je vous réponds comme un funambule, et en tant que médecin, ce qui me préoccupe c’est la santé de mes patients.  Je me suis beaucoup intéressé aux patients psychotiques et aux effets des drogues sur la psychose et suis très alerté par les dangers de l’alcool. Je pense  que la culture du vin fait aussi partie de la culture des civilisations chrétiennes. Je le dis dans le livre, dès que le vin est contenu dans une bouteille, il devient un élément naturel et en même temps culturel.  Et ce serait très dommageable pour une culture de supprimer tous ces éléments là qui créent des liens sociaux, des espaces comme les bistrots, les restaurants. Et qui catalysent  des réunions d’amis quand on a des convives chez soi. Cela n’est pas forcément synonyme d’ivresse.  On peut apprécier tout ce qui se passe dans un verre sans pour cela être complètement malade. C’est un équilibre à trouver entre le vin et la prévention et les soins que l’on doit donner aux gens qui ne sont pas capables de s’arrêter. Qui consomment trop, ou qui font un mauvais usage de l’alcool.

 

Le vin en Australie

En Australie, ce sont les médecins qui ont implanté la culture du vin. C’est fabuleux, et l’on trouve là-bas, des vignobles extraordinaires avec des vins de très grande qualité. Il y a même un médecin australien qui ajoutait du resveratrol un anti oxydant dont on dit qu’il est un bienfait pour le vin dans ce qu’on appelle «  le french paradoxe ». Donc, les médecins se sont intéressés à ce sujet sans pour autant favoriser l’alcoolisme. Par contre, je sais qu’en France c’est interdit de faire la promotion du vin en tant que médecin. Je comprends toute cette prudence et le livre n’est pas fait pour encourager les gens à «  picoler ». Je pense qu’il est fait pour que l’on découvre un monde fabuleux où règne un respect pour le vin qui procure de grandes joies et dont les étapes sont très respectables. Je ne suis pas un prohibitionniste, je dis qu’il faut faire attention.

 

La couleur que ce soit celle d’un vin ou d’un médicament fait naître un effet placebo !

Ce qui m’intéressait en tant que scientifique de la cognition et de l’imagerie cérébrale, c’était de savoir ce qui influence notre appréciation lors d’une dégustation d’un verre de vin. Cela  peut venir de la couleur, mais aussi du prix. Aussi d’ un renseignement sur l’étiquette ou sur la provenance. Lorsque l’on fait des dégustations en double aveugle, on s’aperçoit qu’il existe des influences très subjectives et inconscientes.  Si l'on vous dit qu’un verre de vin coûte 90 dollars et un autre 10 inconsciemment vous allez trouver le verre le plus cher meilleur. Pour un médicament, le prix  aura sûrement aussi une influence sur le patient. De nombreuses thèses sur le sujet ont été écrites.  Et en médecine lorsque je faisais de la recherche, pour vraiment se comporter en médecin, l’on utilisait des substances contrôle et l’on avait besoin d’être en double aveugle pour bien apprécier l’effet d’un médicament.

 

Vous parlez d’un même vin lors d’un concours apprécié de la même manière simplement par 10% des sommeliers !

Oui, il existe une différence d’appréciation, c’est la raison pour laquelle on utilise des grilles d’évaluation où l’on détaille élément par élément afin d’ avoir une certaine objectivité. Malgré cela, ça n’empêche pas que certains trouvent un vin bon et d’autres non. Après, il faut que cela corresponde au barème de qualité que l’on a à l’intérieur de nous. C’’est la même chose avec les effets secondaires. J’avais fait une étude il y a une vingtaine d’années sur le lithium un régulateur de l’humeur que l’on donne aux bi-polaires et aux maniaco-dépressifs. Beaucoup se plaignaient de troubles de la mémoire, de concentration. Or à un moment donné, j’avais proposé un projet de recherches sur des sujets sains, des volontaires ayant accepté de prendre ce produit pendant trois semaines, et je l’ai comparé au placebo. Je leur avais donné toutes les informations sur les effets comme la diarrhée, tremblements. On ne savait pas s’ils prenaient ce traitement ou pas, mais j’avais fait pendant un mois des évaluations de la mémoire, de l’attention, des fonctions exécutives. Je voyais les patients toutes les semaines. On faisait le test et en même temps je recueillais les effets secondaires. L’effet placebo a bien fonctionné car je n’en avais pas dans mon groupe lithium mais dans le groupe placebo avec des sujets normaux.

 

Un classement des vins et des maladies a été effectué.  Ont-ils coïncidé ?

Oui, les grandes classifications se sont faites à peu près au même moment. La classification des vins a été réalisée aussi dans un but mercantile avec une recherche de qualité pour bien le commercialiser. En médecine c’est un peu la même chose, on s’est mis à classifier pour obtenir de bons diagnostics, de bons traitements car les patients n’étaient pas tous semblables. Après, on a pu développer des médicaments pour des maladies plus spécifiques. C’est un peu la même démarche. On est en face d’une population, d’une collection de vins ou de médicaments et l’on commence à classifier selon des caractéristiques. Quand je fais un diagnostic en psychiatrie, il existe aussi une subjectivité. Même si je suis un bon clinicien, la relation inter personnelle, la façon dont je vois le patient, mon humeur du moment peuvent teinter mon diagnostic. Je peux trouver le patient plus triste, plus joyeux selon l’état dans lequel je suis. Ou selon la façon dont il parle et cette subjectivité est la même concernant la classification du vin. C’est aussi un parallèle intéressant qu’on ne pourrait pas trouver avec d’autres disciplines de la médecine. Je n’aurais pas pu écrire ce livre il y a 20 ans car on n’avait pas fait d’études par exemple sur les sommeliers, sur la subjectivité, la mémoire dans le vin etc… L’originalité du livre c’est d’avoir bien développé ce côté là. Une nouvelle science a vu le jour,  la neurooenologie qui étudie tout le processus du système nerveux central du cerveau pour créer un vin et le déguster.


On peut aussi voir maintenant ce qui se passe dans la tête du sommelier ou de celui qui déguste ou du malade psychique

J’ai d’abord fait de l’imagerie cérébrale fonctionnelle avec des patients déprimés ou psychotiques.. L'on regarde comment le cerveau s’active et fonctionne. On fait la même chose avec les sommeliers et les gens quand ils dégustent du vin. On s’aperçoit que selon le savoir et l’expérience du sommelier, l’information ne va pas être traitée de la même façon alors que c’est une dégustation. C’est juste un liquide qui entre dans la bouche que l’on avale ou que l’on crache mais cette action nous permettait aussi de voir quels étaient les réseaux neuronaux impliqués dans la dégustation, le plaisir etc.. Ce sont des études relativement récentes mais assez passionnantes car l’on apprend des choses non seulement sur les sommeliers mais aussi sur le cerveau humain, l’olfaction, le goût etc.

 

Vous déclarez que le vin est le seul qui entretient un rapport singulier avec la parole et que tantôt il la menace, tantôt il la libère… En psychiatrie c’est un peu la même chose avec la parole !

Oui c’est très important et c’est une originalité de la psychiatrie. On base notre thérapeutique sur une relation humaine mais qui se fait avec quelqu’un qui parle, qui raconte sa vie, ses souvenirs, ses peines ou ses joies, sa douleur. La psychothérapie nécessite donc une étape où le patient va pouvoir se sentir bien pour parler même si parfois les paroles sortent sans qu’il en ait trop conscience. A ce moment là, le psychiatre est là aussi pour interpréter, pour expliquer et entretenir une relation basée sur cette confession. Quant au vin dans n’importe quel groupe social dans nos sociétés occidentales, il  a aussi cette fonction. Il libère un petit peu. Quand on organise un cocktail, un vernissage, un restaurant, on va trouver le vin bon, accordé à un mets, à tel ou tel formage.  Parfois, l’alcool est un peu désinhibiteur, mais par contre l’excès aboutit à des souffrances. C’est un peu l’effet délétère du vin quand on en consomme trop ou mal.

 

Vous dites qu’aussi bien le sommelier que le psy aime les rencontres individuelles !

Il n’existe pas un sommelier qui soit seul chez lui. Un sommelier par définition a un rôle social, il va vous décrire, dialoguer, vous demander ce que vous aimez, va essayer de percevoir chez vous et chez  la personne assise à la table ce qu’est sa personnalité, pourquoi pas ses moyens financiers, son origine. S’il préfère le blanc ou le rouge.  Ceci pour trouver le vin qui lui convient. Le psy c’est pareil. Il va essayer de détecter chez son patient ses origines, sa direction, son orientation etc.. Le sommelier n’a pas n’importe quel produit pour entrer en relation. C’est un produit vivant, varié, culturel qui est en même temps un produit de la nature. C’est souvent une belle nature, un produit qui a tenu compte du soleil, de la pente d’un côteau, d’une rivière, du nombre de cailloux dans la terre, de l’art avec lequel on l’a cueilli. C’est tout cela. Il existe beaucoup de respect dans cette relation, un peu comme en psy. Un psychiatre respecte son patient, et même si celui-ci dit des bêtises, il va essayer de comprendre. On retrouve de nombreuses similitudes.

 

Le cadre aussi est important dans les deux !

Souvent en psy, on néglige de plus en plus les lieux. Or pour qu’une rencontre se fasse souvent de façon confidentielle et de qualité, et que la personne se sente à l’aise pour parler ; le bureau d’un psy a son importance. Un. sommelier c’est pareil. Quand les sommeliers passent leur diplôme et qu’ils deviennent master of wine, il faut une ambiance particulière. Pas de parfum autour d’eux, et avec un contexte qui fait que la dégustation va impliquer le maximum de qualité. Si le contexte est approprié, la dégustation n’en sera que plus bénéfique. En revanche, si l’on se trouve dans un  restaurant ou un bar bondé, la dégustation sera différente, plus festive. Il faut s’adapter.

 

Vous parlez des progrès fantastiques qu’a faits  la médecine mais au détriment du temps accordé aux patients.

Maintenant, les gens entrent dans le bureau d’un docteur, dans un hôpital et trouvent les médecins en face de leur ordinateur regardant davantage les examens que la personne elle-même. Ils regardent les examens complémentaires, la prise de sang, se demandent s’il faut faire une radio. Tout le dialogue avec la personne est comme négligé au profit de la technique, du laboratoire etc… En psychiatrie c’est très dommage car on a besoin d’entrer en relation avec la personne qui doit sentir qu’on l’écoute, que l’on ne se base pas uniquement sur les examens. . En sommellerie, la même chose peut se produire. Maintenant dans toutes les régions de France on prend le temps, on respecte davantage la nature, on se base sur la technique et l' on a des vins de meilleure qualité qu’il y a 60 ans. Les vignerons ont pris le temps de faire de la qualité et ce serait bien qu’en psy on prenne encore le temps pour installer une qualité relationnelle plutôt que technique.

 

Faites-vous une différence le vin bio et le vin non bio ?

Oui et pour moi la varie différence c’est qu’avec un vin non bio, je sais à quoi je m’attends. Si c’est un bordeaux ou un Val de Loire, il ne va pas varier énormément.. Tandis qu’un vin nature comprend des variations. Même à l’intérieur d’une maison vinicole, je peux trouver un vin très différent d’une bouteille à l’autre et le vin nature a parfois des goûts plus particuliers. C’est aussi une piste très intéressante de pouvoir développer le vin en rajoutant quelque chose à l’éventail de choix que peuvent avoir les personnes.. Le vin bio plus sain ? Non je ne pense pas. Si on faisait des recherches sur les produits chimiques utilisés dans les sols et les insecticides là on pourrait peut-être voir des différences à long terme sur de grands consommateurs. Je fais confiance aux vins nature car ils se débarrassent de tous ces produits toxiques. Mais même les vins non bio le font aussi maintenant avec de moins en moins de produits chimiques. Il existe une tendance vers cette simplification là. Mais ça demande beaucoup plus de travail de contrôler tout ça et d’être en harmonie avec les variations de la nature.

 

Vos vins préférés ?

Cela dépend de mon humeur et de ce que je vais manger. Avec le fois gras par exemple, j’aime bien les vins de la vallée de la Loire. J’essaye de faire découvrir les vins du Canada car souvent on les néglige. La très belle région de L'Okanagan possède des vins extraordinaires. Comme je suis chef de département au campus  à côté de Dubaï, et sans ma famille restée au Canada, je ne bois pratiquement plus d’alcool sauf quand je suis avec des amis. J’aime prendre du vin avec parcimonie et équilibre sauf si c’est vraiment une grosse fête.  On dit que même boire avec modération ce n’est pas sans risque. Les études à ce sujet sont assez contradictoires. Je n’ai pas de recommandations chiffrées à faire si ce n’est celles déjà connues. C’est un message que doivent lancer les médecins : il est très difficile d’interdire car si on interdit on passe peut-être à côté de quelque chose  mais en même temps, il faut établir la limite très clairement…

 

Agnès Figueras-Lenattier

Emmanuel Stip

Vin et psychiatrie

 

dimanche, 01 août 2021

Docteur Caroline Agostini

photo journaliste.pngCaroline Agostini psychiatre au sein de l'établissement public de santé mentale, assure la présidence depuis 5 ans  de « Sport en tête «  organisme qui regroupe les associations sportives des établissements psychiatriques et des structures médicosociales.  Avec pour but de promouvoir le sport comme outil de soin en complément du traitement chimique. Caroline Agostini souhaite faire perdurer cette promotion de l’activité physique en santé mentale en faisant prendre conscience de son importance et en élaborant des projets de soin pour les patients.

 

Vous êtes présidente de « Sport en tête. ». Qu’est-ce exactement.

« Sport en tête » regroupe plus de 300 établissements à la fois médico sociaux et HP, avec aussi la Suisse, la Belgique, le Luxembourg. Certains m’ont fait venir, je suis allée à Marseille, Paris, en Bretagne. J’essaye quand les soignants m’appellent de valoriser tout cet aspect soin par le sport. On fait des assemblées générales et l’on peut rencontrer tous les soignants des hôpitaux de France. Récemment un soignant m’a dit : « Notre direction n’est pas du tout sensibilisée à cet aspect sportif, comment pouvez-vous nous aider. ? » Je suis assez ouverte et disponible pour aider et expliquer comment cela fonctionne. C’est juste un problème d’organisation… Actuellement « Sport en Tête » organise différents séjours thérapeutiques, un séjour ski, un séjour randonnée en Sologne, deux séjours multi sport dans le Sud de la France et le séjour voile en tête qui organise une régate. Généralement, à peu près 160 patients se regroupent sur l’eau pendant une semaine et vivent 24h/ 24 sur un habitable avec deux soignants et un skipper professionnel. La 1ère édition s’est déroulée en 1992 et après ont eu lieu des interventions dans des congrès et autres. 

 

A Caen avec la naissance du sport sur ordonnance plusieurs pathologies (troubles articulaires, diabète, obésité infantile) ont été mises en place dont la psychiatrie !

Depuis une dizaine d’années, j’ai commencé à développer l’activité physique en santé mentale au niveau de l’hôpital en lien avec la ville et nous sommes les pionniers en matière de psychiatrie. Un soignant et un éducateur sportif participaient aux activités mises en place.  Lorsque la nouvelle municipalité a décidé d’instaurer le sport sur ordonnance, ils ont fait appel à nous étant donné que l’on travaillait déjà ensemble et que cette collaboration fonctionnait bien. Ce sont à la fois des médecins généralistes et des psychiatres qui prescrivent. Une fois que le patient est stabilisé et qu’il sort de l’hôpital, il peut accéder au sport sur ordonnance. L’idée c’est qu’une fois sorti, le sport fasse partie de son quotidien. Qu’il intègre un club de la ville tout en étant accompagné ou bien directement en lien avec nous. Mais si l’on sent que le patient a encore besoin d’être soutenu, on passe par le tremplin du sport sur ordonnance. Et inversement si en ville, ils ont des patients qu’ils estiment un peu trop fragiles, ils nous les renvoient.

 

                                Un matériel sportif  très adapté

On a la chance d’avoir un gymnase à l’intérieur de l’hôpital et à notre disposition plusieurs structures de la ville de Caen. Une salle de gym avec un éducateur, un vélodrome avec un formateur, une piscine. Nous avons entre 18 à 20 activités par semaine à proposer et les clubs privés de la ville viennent vers nous. On a eu un cycle zumba qui a très bien fonctionné et les patients nous demandent de le refaire.   Egalement au programme un cycle marche nordique animé par un éducateur du Caen Athlétique Club.  Il existe un véritable échange entre la ville de Caen et l’établissement public de santé mentale l’EPSM.  

 ,

Comment avez-vous eu l’idée de concilier sport et psychiatrie ?

Lorsque l’on se dépense physiquement, on se sent mieux et je m’étais dit que mes patients pouvaient tout à fait se situer dans cette logique là. En les voyant assis sur une chaise à regarder le temps qui passe, à prendre du poids avec les neuroleptiques, être atteints de syndromes métaboliques, je souhaitais vivement trouver les moyens de mettre en place des exercices physiques. Etant donné leur sédentarité, leurs facteurs de risque cardio-vasculaire, nos patients ont une durée de vie de 15 à 20 ans de moins que la population générale. Il fallait trouver un palliatif à cette mortalité prématurée. 

 

Certains patients doivent sûrement rechigner à faire du sport ?

Oui, mais notre intérêt à nous c’est d’arriver à les persuader, avec un entretien et une recherche commune de notion de plaisir sportif éprouvé dans leur enfance. Même un patient non sportif, il est possible de le faire bouger. On va le faire marcher, lui fixer des objectifs très simples au début, lui redonner confiance en lui, et lui faire prendre conscience petit à petit qu’il fait déjà de l’activité physique quand par exemple, il ouvre ses volets. Lui enlever les idées erronées et oublier la recherche de performance. On peut aussi le motiver en disant « Vous venez à la consultation, vous vous arrêtez à l’arrêt de bus précédent et vous finissez à pied. On commence tout doucement et puis petit à petit on augmente l’intensité pour arriver à ce qu’il fasse du vélo, du tennis. Certains patients à la recherche de compétition viennent uniquement lorsque l’on organise des tournois ou des séjours.  On essaye d’organiser des séances 2 fois par semaine minimum. Après, si le patient est demandeur, on augmente.

           

             Des possibilités de réduire les traitements

 

On essaye de mettre en place les 150 mn recommandées de façon hebdomadaire. Si le patient n’est pas stabilisé, on s’en occupe pareillement. Mais on ne va pas le faire sortir tout de suite à l’extérieur. Ill vient dans le service et l’on met en place dès le premier jour des activités très courtes au départ de manière individuelle. On a des médecins somaticiens  qui nous font un certificat de non contre-indication et les patients démarrent tout de suite. On fait des évaluations individuelles avant de les intégrer à un groupe et des plaquettes leur expliquent bien les choses. Je suis en train de travailler avec la haute autorité de santé pour faire des fiches patients, afin de se rendre compte des bienfaits à long terme de l’activité physique. Des initiatives peuvent être prises au niveau des anxiolytiques avec réduction mais pas de manière systématique. C’est au cas par cas. En tout cas après des séjours comme la voile, on a vu des patients ne plus prendre de médicaments pour dormir…

 

Existe-t-il une complémentarité au niveau du cerveau entre sport et médicaments ?

L’activité physique qui donne cette sensation de bien-être et qui englobe une sécrétion d’endorphines et de sérotonine implique une diminution des syndromes dépressifs, du stress avec moins de sécrétion de cortisol, et une amélioration de la qualité du sommeil. Les antidépresseurs par exemple augmentent également la sécrétion de sérotonine. Mais avec l’activité physique, cela se déroule de façon physiologique. En fait, d’après les études en cours, des effets immunologiques entraîneraient ces résultats. Depuis 5,6 ans beaucoup d’informations circulent sur les recherches concernant l’activité physique, les recommandations, les effets immédiats, à long terme et sur ce qui se passe au niveau biologique, neurologique. On s’aperçoit qu’il existe une diminution de la neuro-inflammation avec une amélioration de la plasticité cérébrale jouant sur la mémoire et un effet protecteur sur les maladies neuro dégénératives. Au long cours, cela prévient également les risques de rechute d’un syndrome dépressif. Important aussi pour éliminer les médicaments avec une augmentation de la fréquence cardiaque respiratoire.

 

Y a-t-il des pathologies où le sport joue plus que pour d’autres ?

Non c’est pour tout le monde pareil. L’idée c’est que ça reste dans les habitudes de vie et que ce soit un plaisir. C’est vraiment important car si le patient vit l’activité physique comme une contrainte, l’impact sur la santé mentale sera réduit avec risque d’abandon. Or pour que ce soit efficace, il faut une régularité. C’est surtout le degré d’intensité qui compte. Et bien évidemment, on ne va pas faire faire un sport de combat à une personne agressive qui décompense. Un patient suicidaire ne va pas faire de l’escalade ou du parachutisme. On adapte également l’intensité à l’antériorité de la pratique des patients.  J’en ai vu qui arrivent complètement pragmatiques, la raquette qui traîne en disant « Qu’est-ce que je fais là ? Or, une fois qu’ils sont sur le terrain, qu’il se mettent à jouer au badminton ; ce ne sont plus du tout les mêmes personnes. Je me disais « Ils ne vont pas revenir », et bien si. Mais un accompagnement est nécessaire. C’est ce sur quoi l'on insiste lorsque d’autres hôpitaux nous appellent pour savoir un peu comment se structurer et mettre en place des activités physiques.  Avec un duo soignant et éducateur sportif diplômés. C’est très valorisant qu’une personne qui ne soit pas dans le milieu soignant s’intéresse à la situation et l’intervention d’un soignant est très sécurisante pour l’éducateur sportif et pour le patient... Souvent l’argument qui revient pour éviter de bouger c’est « Vous avez vu le traitement que j’ai « et je leur dis « On va essayer, vous allez voir que cela n’aura pas d’impact ». Une fois qu’ils sont accompagnés, mobilisés, je peux vous dire que je n’entends plus cette excuse. Si des patients arrêtent et rechutent, ce n’est pas grave, je ne lâche pas l’affaire. On a un gros travail de phoning avec les soignants de façon hebdomadaire, on fait un point et quand on a appelé deux fois un malade et qu’il ne vient pas un mail est adressé aux confrères en disant « attention, il décroche, il faut nous le renvoyer, que l’on fasse le point avec lui »…

 

Pour moins fumer et ne pas trop grossir,  "bouger" a aussi son efficacité !

Oui, cela joue justement sur les risques de facteurs cardio-vasculaires. Comme nos patients fument beaucoup, effectivement c’est aussi un argument de dire «  Faites de l’activité physique » et l'on essaye par la même occasion de diminuer un peu le tabac. Je ne leur dis pas « arrêtez tout de suite « avec le côté rabat-joie, je ne suis pas là pour ça, mais par contre j’arrive à leur faire accepter d’oublier la cigarette pendant la séance. C’est une de moins, et comme une petite victoire. Tout est bon pour encourager le patient. Je ne leur dis pas « Vous allez perdre du poids car on s’est aperçu qu’ils viennent  faire du sport pour perdre des kilos ».  Je leur explique qu’ils ne vont pas maigrir dans la semaine, que cella ne fonctionne pas ainsi mais qu’ils vont se raffermir. Et dans un 2ème temps on fait une enquête nutritionnelle. Souvent mes patients viennent avec deux bouteilles de coca dans leur sac et on je leur explique qu’avant de faire du sport pour perdre du poids, il faudrait déjà revoir leur alimentation et tout ce qui gravite autour.… On fait un état des lieux, on parle des repas qu’ils doivent faire, ne pas faire. En fait, les neuroleptiques provoquent une appétence pour le sucre et on leur explique. On essaye d’être acteur aussi des soins…

 

Comment gérez-vous le Covid ?

Durant les confinements, je me suis battue pour laisser le service ouvert. On a adapté nos pratiques pour que les patients essentiellement hospitalisés puissent en bénéficier puisqu’en ville tout était fermé. Cela avait lieu tous les jours et  ce fut très bénéfique au sein des services…

 

Que souhaitez-vous comme améliorations ?

Dans les hôpitaux, la priorité n’est pas l’activité physique et il faudrait que cette notion de soin rentre dans les moeurs. Mais au niveau de la faculté les jeunes médecins en entendent parler. Et puis la Haute Autorité de santé est en train de travailler dessus. C’est maintenant reconnu et lors de l’interrogatoire on va de plus en plus demander au patient s’il fait du sport au même titre que s’il boit ou fume…

 

Agnès Figueras-Lenattier

13:08 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0)