dimanche, 25 octobre 2020
Rendez-vous théâtre avec l'oeil éclairé d'Agnès
Flagrant Déni
1884 : Nous sommes dans un tribunal. Une chaise fait office de barre des témoins et de siège pour le juge Saval d'abord juge de paix puis juge d'assises.
Vont se succéder des personnages tous plus fantasques les uns que les autres avec des portraits vivants et bien ciselés. Le style imagé et humoristique de Maupassant permet aux spectateurs de se représenter aisément toutes ces personnes un peu paumées venant défendre leurs intérêts…
L'un paysan normand, songe à vendre sa femme au mètre cube, tandis qu'un autre, sacristain veut récupérer la somme promise pour avoir engrossé une bourgeoise. Et ce n'est qu'une partie de cette galerie d'individus qui défilent sous nos yeux. La première tranche est la plus amusante et la troisième où l'on voit le juge Saval revenir sur son passé la plus émouvante. Lui qui n'avait jamais aimé est finalement saisi par l'amour sur le tard.
Pour concevoir ce spectacle, Alain Payet qui a joué au cinéma, au théâtre et à la télévision a relu toutes les nouvelles de Maupassant et a sélectionné des extraits de 6 textes assez courts lui paraissant les plus propices à être adaptés au théâtre. " Le déclic explique t-il s'est opéré avec " Le trou" qui raconte l'histoire d'un pêcheur à la ligne accusé d'homicide devant prouver son innocence auprès d'un président de cour d'assises.
L'adaptation est séduisante, mettant bien en valeur le côté acerbe et piquant du style de l'auteur. Quant à l'interprétation elle est également convaincante, avec une voix agréable laissant planer une bonne variété de tons, une bonne diction et une belle présence. Alain Payet passe par tous les états avec dextérité et nous entraîne dans l'univers du juge Saval quelque peu moqueur et désabusé dans sa jeunesse et seul et malheureux à la fin de sa vie. Bravo à Alain Payet qui prouve ici qu'il est un bon comédien…
Agnès Figueras-Lenattier
Plus d'infos
Théâtre de la Huchette rue de la Huchette
Métro : Saint-Michel
16:30 Publié dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maupassant, nouvelles, adaptation
lundi, 19 octobre 2020
Annie Vergne
Annie Vergne
Annie Vergne comédienne, metteur en scène est directrice du théâtre " Le Guichet Montparnasse" depuis 1986. Au sein de ce lieu qu'elle appelle " sa boîte à bijoux", les spectacles ne durent pas plus d'une heure 15 et restent à l'affiche environ 2,3 mois. Il existe les créations de la propre compagnie du Théâtre avec 4 personnes régulières et les spectacles extérieurs provenant de troupes fidèles qui reviennent chaque année. Ecoutons Annie Vergne femme souriante et passionnée nous parler de cet endroit où règne une belle atmosphère…
Vous êtes directrice du théâtre "Le Guichet Montparnasse depuis 1986. Quelle évolution s'est effectuée depuis toutes ces années?
Chose certaine en tout cas, lorsque nous avons débuté avec Alain Vérane, nous voulions faire du théâtre. Un théâtre qui touche au cœur englobant un jeu naturel afin que le public ressente l'émotion que l'on va lui donner. C'est la raison pour laquelle lorsque l'on observe la salle, on s'aperçoit que l'espace réservé aux acteurs est aussi grand voir plus que l'espace réservé aux spectateurs. Or au départ, c'était une petite scène en fond de salle qui devait faire 1 mètre de large et qui était rehaussée. Des seuls en scène pouvaient se produire mais théâtralisés et il n'était pas question d'en faire un café théâtre très à la mode à l'époque. Notre idée était de découvrir de nouveaux auteurs de talent qui avaient parfois du mal à trouver où s'exprimer et puis de monter également des pièces classiques. Enfin tout le répertoire et toute la création du théâtre. Nous n'avons pas dérogé à cette règle même si des spectacles musicaux sont venus s'ajouter par la suite mais toujours théâtralisés. C'est la base.
Sur quels critères choisissiez-vous les spectacles?
Soit sur la lecture d'un texte si c'était une création d'auteurs contemporains, soit d'après des auditions si les auteurs étaient déjà consacrés. Nous parlions avec les metteurs en scène et notre intuition nous guidait aussi. Et petit à petit ce lieu est devenu cette pépinière magique qui est là maintenant, et qui a fait un bon bout de chemin. Elle a trouvé son public de quartier mais est aussi ouverte sur l'extérieur. Actuellement, nous avons d'un côté nos propres spectacles créés par la compagnie du Guichet Montparnasse et de l'autre côté des pièces que nous accueillons…
Quels sont les éléments d'un spectacle qui peuvent entraîner une non sélection de votre part?
Par exemple, nous n'acceptons pas la vulgarité. Par contre l'humour oui mais intelligent. C'est assez cosmopolite, et l'on peut recevoir des comédies, des drames, des comédies dramatiques. Mais il faut toujours que ce soit un spectacle qui ait du sens et qui soit vraiment du théâtre.
La scène n'est pas très grande ce qui suppose une manière différente de faire du théâtre par rapport à un grand lieu!
C'est vrai et cela tombe très bien car je prône des spectacles où le texte et l'acteur suffisent, un peu à la manière de Jean Vilar. Un rideau noir, un texte, un acteur si les deux sont bons, c'est ça la vraie magie du théâtre. Pas besoin d'avoir dix mille décors; on peut suggérer plus qu'imposer. La part de l'imaginaire reste essentielle au théâtre; c'est le plus important pour moi. En revanche, je trouve que les éclairages constituent de vrais éléments de décors. On peut créer des espaces, des lieux, des modifications de décor grâce à des changements d'éclairage. Ici, on est très bien équipé sur ce plan là…
C'est justement ce qui ressort dans " La Parure" une nouvelle de Maupassant que vous avez adaptée et que vous interprétez! Pas de belle robe, pas de beau collier mais on l'imagine bien.
En tout cas c'est ce que l'on a voulu faire avec Isabelle Delage qui a fait la mise en scène. J'aime beaucoup cette nouvelle. Je l'ai lue, relue, et elle m'accompagne depuis toujours. Elle est tellement porteuse d'actualité, c'est l'être et le paraître avec le paraître qui l'emporte sur l'être. Elle se lit en 10 minutes et je l'ai agrandie pour en faire une pièce de théâtre avec des changements de lieux. J'y ai introduit un morceau d'une autre nouvelle de Maupassant qui se trouve dans le même recueil " Le bonheur" pour rendre l'héroïne peut-être plus humaine. Et pour qu'elle se rende compte que l'amour que lui a donné son mari est plus fort que l'argent, que le luxe dont elle a toujours rêvé. J'ai glissé cet extrait à la fin du spectacle, au moment où sa vie bascule, lorsqu'elle et son mari tombent dans la misère. Son mari va tomber très malade et elle va se rendre compte de tout ce qu'il a fait pour elle et de la puissance de son amour…
La musique est également présente!
J'ai mis la valse de Vienne de Strauss pour le bal et puis Rachmaninov pour les passages où elle va peiner… Je mets de la musique dans tous mes spectacles. Pour moi, cela fait partie intégrante de la mise en scène; ça donne une ambiance, un univers et ça crée aussi des temps, des moments. Un projecteur qui arrive, une musique dessus, un comédien qui montre une émotion, cet ensemble donne au spectateur une émotion encore plus forte…
Lorsque vous avez adapté cette nouvelle, avez-vous pensé à ce qu'aurait pu ressentir Maupassant?
Je pense beaucoup à lui, c'est un auteur que j'aime depuis toujours et j'ai lu beaucoup de choses sur lui. Sachez que c'est mon voisin; il est enterré au cimetière du Montparnasse. Je suis allée lui faire un petit coucou au moment où j'ai commencé l'adaptation. Nous avons échangé quelques mots enfin surtout moi, car il ne m'a pas répondu. Mais je lui ai dit quelles étaient mes intentions et comme il ne me disait pas non, j'ai pensé que c'était sûrement oui. Là je travaille sur son roman " Une vie". Après avoir élargi une nouvelle ( La parure) , je vais réduire un roman… J'ai commencé à travailler la mise en scène, le texte sur plateau et je me dis c'est merveilleux comme il comprend les femmes.
Vous jouez aussi le personnage d'Olympe de Gouges!
J'ai écrit la pièce à 4 mains avec Clarissa Palmer qui a soutenu une thèse sur elle et je souhaitais vraiment la faire connaître. Elle est un peu moins méconnue, mais on ne la connaît pas encore vraiment bien. Elle mérite qu'on la découvre et que l'on reconnaisse tout ce qu'elle a fait pour les femmes. C'était une féministe doublée d'une humaniste. Elle s'est entres autres battue pour que les femmes puissent accoucher sans être avec les lépreux et a demandé qu'elles ne soient plus laissées sans rien. Il fallait que le mari ayant abandonnée sa femme assure avec les enfants, et qu'elle ne se retrouve pas dans la disette ce qui était le cas à l'époque. Elle a aussi demandé la fin de l'esclavage, a lutté contre la peine de mort et a vraiment œuvré pour l'humanité. Elle a plaidé en faveur de causes vraiment importantes et dans la mise en scène nous avons fait en sorte de montrer que beaucoup de choses restaient encore à faire.
Quelle est l'histoire?
Un jeune homme soutient une thèse sur le droit de la femme surtout pour faire plaisir à sa petite amie assez féministe. Va alors survenir dans son imaginaire une Olympe de Gouges virtuelle qui va lui ouvrir la porte sur le XVIIIè siècle. Olympe va lui apparaître en costume chez elle dans son bureau face à ses combats en train de coller des affiches en rapport avec les causes qu'elle défend. Moi je suis la porte qui permet de voir aujourd'hui et hier. Je suis Olympe qui vient voir ce qui se passe au XXIè siècle et qui parle avec ce jeune homme au moyen d' un langage contemporain tout en ayant un vocabulaire élégant…
Vous avez aussi un troisième rôle celui d'une voyante dans un polar intitulé " Une ombre dans la nuit" qui raconte l'histoire de Madame Brehant dont le fils a été tué. Elle veut savoir qui… Jouer trois personnages à la fois dans la même semaine n'est-ce pas trop prenant dans la vie privée?
Non, ça va. Il y a le moment où l'on retrouve les personnages dans la loge, mais le reste du temps on s'en éloigne. Mais c'est vrai que je les aime. Olympe de Gouges, je l'adore. C'est une femme absolument merveilleuse à qui je pense beaucoup. J'avoue que je vis un peu avec elle quand même. Elle m'aide parfois dans ma façon d'agir. Ainsi, j'ai acheté une pivoine que j'ai appelée Olympe. Je l'ai mise dans mon jardin et vais la voir souvent. C'est comme une sorte de modèle, mais je fais bien la distanciation entre ma vie privée et le moment où j'arrive sur scène…
Pour vous le théâtre peut-il servir de thérapie? Ainsi si l'on a un coup de cafard avant de jouer cela permet-il d'aller mieux après?
Cela peut effectivement aider à sortir d'un état morose. Lorsque l'on joue on ne pense pas à autre chose, et le fait de jouer d'autres personnages permet de sortir de la réalité. C'est très étrange le théâtre car quand on est sur scène ou oublie tout. Ainsi si l'on avait mal au dos ou aux reins avant, la douleur passe en jouant. Elle reprend quand c'est terminé, mais pendant ce temps magique, on ne ressent rien du tout.
Qu'est-ce qui vous importe le plus en tant que metteur en scène?
C'est de donner au spectateur ce qu'il ne voit pas, stimuler son imagination. Le plus beau compliment que l'on puisse me faire à propos d'une mise en scène ou d'une interprétation c'est de me dire " J'ai vu où vous étiez, sur un pont, là j'ai vu une ombre dans la nuit." Lorsque je joue dans une pièce que je mets en scène, je prends toujours un assistant ou une assistante. J'ai besoin d'un regard extérieur. Pour moi le regard du public que nous renvoie le metteur en scène a son importance.
Et quand on vous dirige en tant que comédienne ?
Ce n'est pas facile tout le temps; je reconnais et il doit régner une certaine complicité. Il faut que le metteur en scène trouve la manière de faire comprendre l'intérêt de ce qu'il propose. S'il me dit " Si tu fais ça, tu ressentiras telle et telle chose ce qui te permettra d'avoir ce geste là. Dans ces cas là, je m'engage tout de suite. Parfois, il m'arrive de proposer quelque chose. Et si mon idée séduit, on l'affine par la suite. Tout va se passer en très grande complicité; il n'y a que comme ça que ça fonctionne.
Si vous deviez revivre, choisiriez-vous la même vie?
Oh oui, je fais un métier passion, et jamais je n'ai été victime de la saturation. Jamais je ne me suis dit " Oh là là , je n'ai pas envie d'aller jouer…" Et puis j'ai été gâtée et j'ai eu la chance de défendre de jolis rôles que ce soit lors de pièces contemporaines ou classiques. En outre, je me sens très bien dans mon théâtre, et je suis libre. Je suis vraiment heureuse… Mais malheureusement avec le couvre-feu, un coup dur nous est tombé sur la tête et l'on est tous démoralisés. On est obligés d'annuler les spectacles qui se jouent à 20h30 et pour ceux de 19h c'est vraiment juste. Tout dépend où l'on habite et j'espère que l'on aura droit à des dérogations. On va regrouper les spectacles le samedi après-midi et en mettre davantage le dimanche. Mais cela fait énormément de spectacles qui vont suivre et pour les personnes de l'accueil qui vont gérer, cela ne va pas être simple. Mais c'est la seule solution car si l'on annule on ne peut plus payer le loyer et on sera menacé de faillite. Je pense que beaucoup de théâtres sont dans le même cas. Je veux bien comprendre qu'il faille faire attention, mais c'est ce que l'on fait. On nettoie les banquettes entre chaque spectacle, et le protocole sanitaire est respecté à 100%. On est pénalisé car ce n'est pas dans les théâtres que se déclarent les clusters. D'ailleurs je crois que c'est Jean Castex qui a déclaré " allez au théâtre, vous n'y risquez rien". Je l'ai entendu de mes propres oreilles et il change d'avis comme de chemise. C'est un peu abusif…
Et avec le confinement du mois de mars avez-vous été bien indemnisés?
Je vais parler de tout ce que l'on n'a pas eu avec beaucoup de promesses et peu de choses enclenchées. On a eu une aide du Conseil régional qui a beaucoup aidé pour le personnel et de petites aides de 1500 euros de mars à juin. Il devait y avoir une prolongation pour la culture, or c'est bloqué. Nous n'avons rien eu en juillet et en août et pourtant j'ai réclamé. En effet, notre chiffre d'affaires concernant juillet et août 2020 est inférieur de plus de la moitié de celui de 2019 et nous y avons donc droit. Je suis vraiment furieuse car je n'ai aucune réponse suite aux nombreuses réclamations que j'ai faites par mail. C'est comme si nous n'existions pas. Il y a de grosses lacunes et nous sommes parfois un peu lâchés…
Agnès Figueras-Lenattier
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lundi, 12 octobre 2020
Michel Serres
" Mes profs de gym m'ont appris à penser"
Editions du Cherche Midi
Michel Serres, philosophe, membre de l'Académie française et professeur à l'Université de Stanford est décédé en 2019 à l'âge de 89 ans. Un bel âge sans doute du pour une part à son grand intérêt pour l'activité physique et pour le corps dont il vante dans ce livre les vertus, notamment son pouvoir d'inventivité et son influence positive sur l'évolution de l'individu. " J'ai toujours eu le sentiment explique t-il que le corps en matière d'intuition, d'invention et d'adaptation était le plus souvent "en avant". C'est pour cette raison que je suis convaincu que les professeurs de gymnastique ont beaucoup plus d'importance dans la société et dans l'enseignement qu'on ne le croit d'ordinaire. " Il émet le souhait qu'ils soient davantage présents dans les écoles primaires ou au début du secondaire.
Evoquant l'intelligence du corps, il parle de sa capacité de mime et d'invention. Et cite en particulier la main qui " peut", qui anticipe et qu'il définit comme un puits infini.
La symbiose du corps et de l'esprit lui paraît fondamental et regrette que l'on ne place souvent le corps que du côté matériel. " L'état de forme" qui règne au sein d'un sport individuel ou collectif a également sa place ici : " Le corps qui peut tout est réalisé de façon quasi parfaite." Et Michel Serres a raison; cet état de grâce peut être comparé avec l'inspiration intellectuelle où tout d'un coup la magie de la création s'empare de vous sans effort et de manière gratuite. Même fatigué, ces réactions peuvent survenir… " Il y a ajoute le philosophe des inventeurs qui sont comme des coureurs de 100 m et d'autres qui sont comme des marathoniens. Certains inventent longtemps et de façon régulière et d'autres sont au contraire très brusques. " Mais comme il l'affirme bien, il existe un plaisir dans le fait de sauter, de courir, d'être souple, d'être adapté et ces mouvements du corps peuvent engendrer un certain érotisme.
Autre avantage du sport selon lui : un substitut à la guerre même si la violence varie selon les sports. Et il cite les sports collectifs comme un apprentissage de la gestion de la violence. Selon lui il n'est pas vraiment étonnant qu'il y ait des hooligans, le sport étant conçu pour faire disparaître la violence… L'appât du gain, notamment l'achat des joueurs à des prix faramineux, sans compter la drogue, le dopage dénature à ses yeux l'esprit du sport. Le voici citant l'exemple d'une de ses amies médecin du sport, qui disait qu'en entrant dans une équipe de cyclistes, en guise d'athlètes, on ne rencontrait que des toxicomanes…"
La grande question dont il voudrait que aussi bien lui que la société se désintoxique c'est "Qui va gagner?" car elle est source de grandes dérives : " Voulant toujours répondre à cette question, nous laisserons des gens faire toutes sortes d'interventions sur le corps sportif…"Et ce membre de l'Académie française de prôner un sport sans confrontation, sans souci de performance, de gain ou de perte, de victoire ou de défaite. Sa vision du sport rejoint plutôt celle de " l'activité physique" pure et gratuite et annihile toute forme de compétition. C'est un point de vue idéaliste et très respectable mais qui malheureusement sans doute laisse de côté la cupidité de l'humain qui a toujours existé et existera toujours. Mais son analyse des merveilles physiques et spirituelles qu'engendrent le corps et ses mouvements est pétrifiée de vérité et tout le monde devrait en prendre de la graine… Rares sont les philosophes qui en parlent si bien…
A l'occasion de cet éloge du corps, évoquons le tennis puisque Roland Garros 2020 vient de se terminer. Michel Serres parle des professeurs de gym mais on peut aussi parler des enseignants d'autres disciplines sportives notamment le tennis. Perrine Dupuy ex n°5 française dans les années 80 est devenue après sa carrière de joueuse professionnelle une enseignante très qualifiée. Monitrice, professeur, entraîneur de ligue, entraîneur fédéral, conseillère sportive départemental, conseillère technique régionale, cette personnalité du tennis , a obtenu tous les postes menant à des missions fédérales. Un témoignage qu'il est intéressant de connaître avec en plus sa vision des résultats des jeunes joueurs et joueuses français .
Avec le temps comment avez-vous évolué en tant qu'enseignante?
Quand j'ai commencé à enseigner, je sortais du haut niveau, et il a fallu que je m'adapte énormément à la formation de joueurs. J'ai eu la chance rapidement de m'occuper surtout des meilleurs même si j'ai formé des gamins qui ont disputé le championnat de France comme Sébastien Hesse (champion de France cadet) ou Mathilde Joansson qui ont été au niveau national. Ce furent des moments forts, très forts. La relation entraîneur entraîné est très intense et l'on vit des choses importantes niveau formation, préparation, entraînement. Après, surviennent les moments consacrés à la compétition et parvenir en finale du championnat de France est un sentiment intense aussi bien pour le joueur que pour le coach. J'ai aussi vécu de beaux souvenirs en équipe avec les filles. Cela a toujours été très positif pour moi avec des instants riches en émotions, en partage. On sentait que les gamins étaient heureux et cette sensation c'est le plus grand bonheur qu'un entraîneur puisse ressentir. Après, lorsque l'on a affaire à des enfants moins bons, l'on est obligé de revoir sa copie. Mais que ce soit pour le haut niveau ou pour les petites catégories, il existe un dénominateur commun c'est la motivation. Et l'application, l'implication que tu peux mettre à faire les choses. Pour moi que tu sois bon ou pas, que ce soit du loisir ou de la compétition, si tu es motivé, que tu écoutes bien le pro, que tu mets en place ses consignes et que tu essaies de faire du mieux que tu peux, tu as la possibilité de vraiment progresser et trouver une évolution dans ton tennis. Il existe des fondamentaux qui me semblent vraiment essentiels pour trouver du plaisir.
En quoi le fait d'avoir joué à haut niveau vous aide t-il pour votre carrière d'enseignante?
Si tu es ouverte aux autres et que tu es dans une démarche de partage, d'analyse de ta propre expérience et que tu souhaites la transmettre, celle-ci te sert constamment. Que ce soit à n'importe quel niveau et à n'importe quel moment. Avoir pratiqué le tennis à haut niveau m'a vraiment boostée dans les moments difficiles. Lorsque j'avais des groupes difficiles à gérer, le fait d'avoir été bien encadrée dans le passé m'a permis de me remémorer la situation de l'entraîneur à cette époque là. Je pensais à ceux qui m'ont entraînée et ces bons souvenirs m'ont donnée réconfort et courage. J'ai vu que cela ne tombait pas tout cru. Qu'il fallait beaucoup travailler et avoir des qualités ô combien importantes tant à la fois sur un point de vue tennis pur, qu'au niveau mental, physique. D'où un travail un peu personnel notamment sur un plan physique auquel je me suis adonnée en fin de carrière.
Quelle est selon vous la différence entre s'occuper des filles et des garçons?
Chez les filles, tout dépend de la personnalité de chacune, du niveau d'extraversion ou au contraire d'introversion, du degré de sportivité. C'est plus difficile que chez les hommes et il existe un côté cyclique dont il faut tenir compte avec davantage de psychologie. Mon souhait est d'insuffler du tennis plaisir car c'est avant tout un jeu et cela doit rester ainsi. Je suis là pour apporter le recul que je peux avoir à la fois comme ancienne joueuse et comme enseignante expérimentée. Le cumul des deux fait que je peux apporter des billes à des joueuses en demande.
Que pourriez-vous dire sur l'enseignement de l'école de tennis?
C'est une question d'adaptabilité aux enfants qui se présentent et il faut être le plus pédagogue possible avec un public le jour J. Les enfants sont là avant tout pour passer du bon temps, et une bonne synergie doit régner entre les uns et les autres. Ce sont des moments de partage car les enfants sont en collectif et qui dit collectif dit sociabilité entre les uns et les autres. L'important est d'avoir beaucoup de plaisir à se retrouver chaque semaine, à progresser et à apprendre à jouer au tennis. Apprendre un coup droit, un revers ce n'est pas très compliqué en soi. La difficulté c'est de le mettre en pratique, de jouer. Il faut que les gamins reviennent au club, et cela demande parfois un grand investissement personnel.
Vous avez travaillé avec des malentendants. Cela a du être une belle aventure humaine!
Oui, lorsque j'étais entraîneur fédéral la fédération m'a proposée d'encadrer pendant deux ans les championnats du monde et d'Europe des malentendants. Ce fut une magnifique expérience car je n'étais pas du tout dans le langage des signes. J'ai été confrontée à un monde que je ne connaissais pas forcément et c'est là où tu te dis que le handicap n'existe pas. Ces gens là sont comme nous et ne supportent pas qu'on les considère par rapport à leur handicap. Même si tu es obligé de t'adapter quelque peu, tu fonctionnes comme tu as l'habitude de fonctionner. Et si tu le fais avec tes tripes, ta personnalité, ta motivation et que tu te donnes entièrement, le retour est fabuleux. Dans mon équipe il y avait un joueur classé à -4/6 et l'on a fait d'excellents résultats aussi bien côté masculin que côté féminin. Ce fut une belle découverte d'un handicap et un moment inoubliable. J'avais même fait un article pour la Fédération en disant que c'était très formateur que des enseignants aillent au devant de ce public là. Depuis, ils font des formations justement pour se former aux handicaps tennis… Tout ce qui peut enrichir, bonifie d'année en année et l'on apprend tout le temps. J'ai aussi été me former dans des centres comme ceux de Pierre Barthès ou GeorgesDeniau où j'ai travaillé l'été. J'ai appris à m'ouvrir, à observer, j'ai grandi et suis devenue meilleure.
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Les joueurs sont beaucoup plus nombreux que les joueuses ce qui pose problème!
Oui, un peu comme au niveau national. Aujourd'hui, il est important que les filles se sentent bien encadrées car si ce n'est pas trop le cas, elles partent rapidement vers une autre activité. Ce sont des questions qu'il faudrait aborder avec les dirigeants et pas uniquement avec les enseignants afin de déployer davantage de moyens. Le milieu tennistique est machiste, il ne faut pas l'oublier. Quand j'étais cadre technique, ou que j'avais des missions fédérales, cela se passait très bien mais l'effectif féminin était réduit. Je me souviens quand Patrice Dominguez m'avait nommée comme Conseillère technique régionale, on était seulement 4 femmes CTR contre 28,30 hommes. Quand je suis descendue dans le Languedoc Roussillon, les premières années j'étais la seule femme. Lorsque l'on est dans une équipe en grande majorité masculine, faire bouger les choses n'est pas facile. Mais cela a un peu évolué et la Fédération a fait beaucoup concernant l'attribution de postes pour les femmes à tous les niveaux. C'est quand même un métier plutôt masculin, et si j'ai bien réussi dans mes différentes missions, je pense que c'est du à mon bon caractère; à ma forte personnalité et l'on me respectait. Mais cela demande de l'énergie et des efforts, et les filles qui sont mi figue-mi raisin, qui ne dégagent pas forcément quelque chose, c'est difficile pour elles... Quand j'étais conseillère technique régionale et que je m'occupais de la formation, je conseillais vivement aux filles désireuses de faire ce métier de jouer et de maintenir leur niveau tennistique le plus longtemps possible. " Tenez-vous en forme physiquement leur disais-je. Pour l'instant vous avez 25, 26 ans mais vous verrez quand vous approcherez de la quarantaine et encore plus à 50 ans. Vous allez faire des enfants, avoir des obligations familiales et le niveau de jeu dégringole vite. Etre en seconde série n'est pas la même chose que d'être à 15/4. Cela demande des efforts et pour une fille encore plus que pour un garçon…
Qu'avez-vous pensé des résultats des jeunes français et françaises à Roland Garros?
Je suis ô combien ravie de ces résultats. Cette nouvelle génération apporte de la fraîcheur au tennis avec des comportements et un état d'esprit vraiment très agréables. Je les trouve très matures pour leur âge et ils arrivent à tenir leur match du début à la fin avec une maîtrise incroyable. A aucun moment, en particulier Hugo Gaston, ils n'ont fait preuve de défaillance. Et puis, on les sent heureux, ils sont dans leur bulle et lorsqu'ils gagnent, ils restent très humbles et modestes. Cela change de certaines attitudes déplacées que l'on peut parfois croiser sur le terrain. Ils sont classés très loin de l'élite mondiale et sont pourtant capables de se hisser au niveau des meilleurs. Ils sont sur de bons rails et ont tout l'avenir devant eux. C'est vraiment encourageant, enthousiasmant et en tant qu'ancienne joueuse et en même temps enseignante, cela me revigore.
N'oublions pas non plus la paire Mladenovic Babos qui a remporté le double!
C'est magnifique surtout après avoir été empêché jouer à Flushing Meadow à cause de la Covid. En plus, Mladenovic a eu une grosse déception après la perte de son match contre une allemande lorsqu'il y a eu une grosse faute d'arbitrage en sa défaveur. C'est bien de repartir sur le double et j'ai trouvé très élégant ce qu'elle a dit après la victoire sur sa partenaire qui ne fait quand même pas partie des meilleures joueuses en simple . Elle l'a chaudement remerciée de l'avoir aidée tout au long de cette finale car elle se sentait crevée et de l'avoir portée de la première à la dernière balle. L'on sent une réelle amitié et entraide entre elles et cela fait partie de la tactique du double de s'épauler. Il faut vraiment s'apprécier pour justement pouvoir accepter que l'autre flanche un peu. Le double est une belle école du tennis, et il faut en parler. Il serait important qu'il soit mis davantage en valeur dans les clubs car en dehors du fait qu'il faut être bon à la volée, il permet de déployer des coups vraiment importants notamment le retour de service. Il implique aussi la notion d'équipe, laquelle devrait également être davantage mise en valeur avec le côté partage et échange.
Quels sont vos meilleurs souvenirs de ce Roland Garros 2020?
Le plus marquant reste la prestation de Hugo Gaston et ses matches un peu fous. Je garde une image d'un jeune garçon qui ne se pose pas de questions, qui essaye d'aller jusqu'au bout en donnant le meilleur de lui-même et en nous donnant du rêve. Quel plaisir! J'ai pu parler de lui avec des gens de mon club et ils ont été aussi emballés que moi. Après j'ai bien aimé Fiona Ferro qui me fait penser un peu à Isabelle Demongeot ancienne n°1 française en plus jeune. Et ensuite la performance incroyable de Nadal. Quel exemple pour nos jeunes en termes d'abnégation, de volonté, de courage, de travail!
Agnès Figueras-Lenattier
17:20 Publié dans Sport | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sport, corps, opinions