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mercredi, 03 novembre 2021

Amélie Oudéa-Castéra

fédération,tennis,objectifsActuelle directrice générale de la fédération française de tennis, Amélie Oudéa-Castéra a été championne du monde des moins de 14 ans en 1992, et 18ème joueuse française. Après une brève carrière dans le tennis, elle a bifurqué dans une autre vie en entamant de brillantes études ( Sciences Po, Essec,, Ena), puis a travaillé au sein de grands groupes comme Carrefour, Axa. Elle a été élue femme digitale de l’année 2020. A l'occasion du Rolex Paris Masters 2021, elle se confie sur sa politique tennistique :

 

Vous avez fait quelques années sur le circuit professionnel de tennis, une vie qui finalement n’était pas faite pour vous. Vous n’étiez pas heureuse !

C’est vrai. A 18 ans, j’ai senti que mon bonheur serait plus important ailleurs. Sur le circuit pro, c’est parfois très austère , très solitaire avec beaucoup d’attente dans les avions, les gares, les aéroports, les chambres d’hôtels. Une vie faite aussi de beaucoup de rivalité, parfois de jalousie et le sport de haut niveau, la haute performance ne compensait plus ces aspects qui me faisaient davantage souffrir. Et à l’occasion d’une blessure qui m’a empêchée de bien jouer ces mois-là, je me suis dit qu’il fallait finalement que je boucle un peu cette première vie dans le sport de haut niveau et lle tennis pour aller en conquérir une deuxième dans un environnement plus équilibrant : études, copains, classe, émulation et ouverture intellectuelle plus forte.

 

Vous avez été la compagne de Gustavo Kuerten lorsqu’il a gagné Roland Garros en 1977. Avez-vous quelques recettes à nous donner concernant la manière dont doit se comporter une compagne pour faire gagner un grand Chlem ?

En fait, c’était une situation et un contexte très atypique, car je le connaissais du circuit junior. On s’était rencontrés quand on avait 14 ans, on avait beaucoup sympathisé, on avait eu une petite histoire d’adolescents quand j’avais 15 ans et demi, 16 ans. Or quand j’ai arrêté Roland Garros l’été qui a suivi ma décision d’arrêter, c’était très difficile de ne pas y participer et pas possible pour moi. Pour combler ce manque, j’avais candidaté pour contribuer à l’organisation du tournoi. Le directeur général de l’époque Gilbert Ysern m’avait alors proposée un petit job au planning des courts, la gestion des balles, la relation avec les joueurs. C’est là que j’ai retrouvé Gustavo que je n’avais pas vu depuis environ 2,3 ans et on a très vite reconnecté, sympathisé. On s’est revus au fil de la quinzaine, et de plus j’étais proche de son entraîneur Larri Passos. De fil en aiguille Gustavo et moi avons discuté, pris un verre ensemble, puis son entraîneur m’a proposé de venir dîner avec eux. Et cette petite histoire d’adolescents a repris au fil du tournoi, même si Gustavo était extrêmement concentré sur sa réussite. Mais c’était justement très bien. Je participais au tournoi d’une manière différente, et je pouvais suivre son épopée au jour le jour. 

 

Une brasserie nommée " Victoria"

 

Nos petits rendez-vous qui consistaient à se retrouver dans une brasserie intitulée Victoria, la bien nommée… du boulevard Victor tout près de chez moi étaient devenus un petit rituel porte-bonheur. C’était merveilleux avec des moments de bonheur volés à droite et à gauche pour égayer le quotidien et se donner une forme de petit cocon de douceur dans ce monde très compétitif. Une sorte de petit dérivatif…

 

Lorsque vous avez bifurqué vers une autre vie avez-vous gardé un pied dans le tennis ?

Le tennis était complètement dans mon ADN, j’ai été constituée par lui. En effet, je suis née dans une famille de passionnés de tennis, toute ma famille joue et c’est un élément extraordinairement important pour nous tous culturellement. Donc il était impensable que je coupe vraiment avec ce sport. J’ai arrêté de jouer en compétition, mais j’ai toujours maintenu un lien avec certains amis du monde du tennis. Et puis, j’ai toujours été membre d’un club,  d’abord au TCP puis au Racing, puis les deux. J’y allais de temps en temps pour avoir le bonheur de taper un peu la balle ou de prendre un verre avec des personnes après une bonne séance de gymnastique. En outre, j’ai toujours maintenu un lien avec l’institution fédérale elle-même. En 1997, je me suis occupée d’un groupe de travail sur la reconversion des sporifs de haut niveau. M’a ensuite été proposée de faire partie d’une commission fédérale sur l’éthique. Je suis également entrée pendant un moment au Comité directeur de la Fédération sur l’initiative de Jean Gachassin alors président de la fédération et de Gilmbert Ysern. Cela m’a permis de m’investir dans cet objet fédéral, de continuer à me tenir au courant des politiques tennistiques à la fois localement et au niveau central.  J’ai beaucoup apprécié de garder ce lien avec les élus et les équipes fédérale

 

 

Maintenant que vous êtes directrice générale de la Fédération, quels sont vos divers objectifs ?

On se dit souvent avec  Gilles Morreton, l’actuel président que l’on a 5 +2 objectifs.
Le premier c’est de bien organiser nos grands événements notamment Roland Garros et le tournoi du Rolex Paris Masters 1000 du circuit ATP.

Le deuxième objectif c’est tout ce qui a trait au haut niveau. Comment aider la direction technique nationale à essayer de vraiment relancer le tennis français. Et de partir à la conquête de la haute performance que ce soit dans l’éducation et la formation des jeunes dans les territoires ou après dans leur formation vers l’élite avec tous les compartiments que cela peut représenter := préparation tennistique mais aussi tactique, technique, mentale, médicale. Faire des champions de demain et permettre à nos espoirs de libérer tout leur potentiel. Le 3ème objectif c’est  le développement de la pratique dans les territoires pour les familles, les enfants, un peu pour toutes les couches de la population. On a l’habitude de dire que le tennis est le sport de toute une vie. Cela commence à 2,3,4 ans jusqu’à un âge très avancé. Notre doyenne a aujourd’hui plus de 100 ans. Avec également le développement du padel avec comme leader Arnaud Di Pasquale. C'est  une discipline dont s’occupe la fédération depuis 2014. 

 

Une seule femme présidente de ligue

 

Le 4ème objectif vise les enjeux transversaux sociétaux : la lutte contre le dopage, la corruption, les paris sportifs manipulés. Egalement tout ce qui a trait à la gouvernance et le fait de féminiser les instances dirigeantes de la fédération un peu à tous les niveaux de responsabilité. Aujourd’hui on n’a qu’une seule femme présidente de ligue et faire accéder plus de femmes à des responsabilités dans la vie fédérale est donc quelque chose auquel on est très attaché. Le 5ème thème a pour but la modernisation de notre modèle économique. C’est là que rentre le fait d’organiser dans le stade Roland Garros toute une série d’événements culturels, de divertissements dans des secteurs comme la gastronomie, la mode. Mais aussi d’autres événements se rapportant à d’autres sports. Ainsi a-t-on organisé récemment une compétition de boxe et un événement pour la fête de la musique.. On essaye de développer l’utilisation du stade au-delà du tournoi pour diversifier nos recettes. On a en plus monté un fond de dotation, sorte de mini-fondation au sein de notre fédération pour essayer de lever des fonds. Y compris en terme de mécénat pour derrière renforcer les moyens que nous avons pour accompagner les associations par exemple en matière de prévention des abus sexuels. Toutes ces thématiques transversales alimentées par ce fond de dotation.
Et puis pour finir le +2 que j’ai évoqué au début : D’abord l’influence et la présence de notre fédération au niveau de la gouvernance internationale du tennis. Avec les autres tournois du Grand Chlem et les tours que sont L’ATP et la WTA qui représentent les joueurs et joueuses nous avons plein d’enjeux communs , afin d’essayer de pousser le rayonnement du tennis à l’international en engageant notamment davantage la communauté des femmes. Enfin,  nous nous attachons à développer une bonne gestion humaine de notre fédération. Je suis actuellement à la tête d’une équipe de près de 470 personnes et je veux qu’ils soient heureux, épanouis et très engagés dans leur mission au quotidien

 

Vous croyez beaucoup à l’approche multi sports pour faire vivre les clubs !

Absolument ! On vit aujourd’hui dans une société où il existe des sports qui font beaucoup de bien comme les pilates ou le yoga.  Ce sont des activités devenues importantes dans la vie des femmes car ça permet d’apprendre à mieux respirer, à être davantage à l’écoute de son corps, de compenser des vies parfois trop sédentaires qui peuvent faire naitre des problèmes de dos, aux articulations. Et je pense que de marier ces disciplines là avec le tennis dans les clubs, avec des cours de gym, des animations musicales fait partie de la façon dont les gens ont envie de faire du sport.  De bouger en rythme, d’avoir en même temps des instants de vrai calme et d’être un peu sur tous ces accords de manière un peu continue concentrés en un seul endroit afin de pouvoir passer de l’un à l’autre. Depuis 6 mois, je fais moins de pilates,, mais j’en ai fait très régulièrement ces dernières années. En revanche, le yoga est devenu un élément de ma vie quotidienne et je ne commence pas ma journée sans en faire un petit peu. Ca m’apporte énormément.

 

Vous disiez vouloir féminiser les instances fédérales. Etes-vous par exemple en pourparler avec de grandes championnes ?
Oui, on essaye de vraiment nous appuyer sur nos anciennes championnes. Cela nous fait un peu râler quand on nous dit que depuis Noah il n’y a pas eu de champion français. On a eu trois championnes qui ont gagné un voir plusieurs Grands Chlems : Amélie Mauresmo, Mary Pierce et Marion Bartoli. On cherche à travailler avec elles et c’est pour nous un élément de mentoring que l’on voudrait pouvoir donner à nos jeunes joueuses. On veut comprendre ce que ça implique de gagner un. Grand Chlem de l’intérieur. Leurs enseignements peuvent être super précieux pour la jeune génération. Saisir les exigences du haut niveau, les émotions, comment apprendre à les gérer ? Qu’est-ce que tout cela représente. Ces conseils et cette transmission ont trop souvent manqué par le passé  et on veut réussir cette fois-çi. Oui on est en discussion avec les trois et puis dans la perspective des JO de 2004 cette action de mentoring sera vraiment importante à mettre en place pour nos joueuses mais peut-être aussi pour nos joueurs. Nous discutons d’ailleurs avec des joueurs comme Pioline.

 

Que comptez-vous faire pour le padel 

On a un plan de développement très complet avec notamment l’accélération des équipements des clubs. On était récemment Arnaud Clément et moi avec le président de la République pour l’annonce du grand plan de développement des équipements sportifs de proximité par lequel l’Etat va co financer 500 nouvelles pistes de padel à l’horizon 2024. Ce volet équipement est très important car on a aujourd’hui 245.000 pratiquants dont 130.000 pratiquants réguliers. Mais qui ne se partagent que 955 pistes de padel sur l’ensemble de la France. Ce qui représente une piste pour 120, 130 pratiquants réguliers. Alors qu’en tennis il y a un court pour 25 joueurs. Il faut donc combler ce retard et ce soutien de l’Etat va beaucoup nous aider. Un autre volet est celui de la formation, de la création d’écoles de padel, du repérage de jeunes talentueux avec en perspective des délégués inter régionaux. Nous souhaitons nous rapprocher du Word padel tour au niveau de la fédération internationale pour essayer de créer des compétitions innovantes au plus haut niveau.  Enfin nous voulons bien faire connaître cette discipline et l’on a développé un guide du padel expliquant les caractéristiques et les exigences qu’elle implique. Par le biais d’une plus forte communication nous allons accompagner l’essor incroyable de cette discipline hyper ludique, très accessible et joyeuse..

 

Et pour le tennis en fauteuil ?

On fait déjà beaucoup de choses en essayant d’accompagner le mieux possible les clubs et les structures ; pour  faire connaître cette discipline y compris à travers nos relations avec l’éducation nationale. Avec un dispositif comme le pass sport, accessible aux jeunes enfants souffrant d’un handicap, on arrive à les faire s’intéresser au tennis. On fait en sorte de développer davantage de compétitions avec des enfants sourds ou malentendants pour que cela puisse vraiment créer du lien social. A Roland Garros on a des compétitions en tennis fauteuil et puis de quad que l’on souhaiterait faire monter en puissance dès la prochaine édition de Roland Garros. Il faut que cela permette de montrer le côté inspirant des grands champions. On a par exemple des joueurs comme Stéphane Houdet et Nicolas Pfeiffer qui ne l’oublions ont gagné la médaille d’or aux Jeux Paralympiques de Tokyo. C’est un énorme exemple pour nous de les voir se battre avec autant de courage et d’avoir su au mental gagner cette performance…

 

Pour finir avez-vous une explication sur le fait qu’en France nous avons des jeunes filles et des jeunes garçons qui gagnent souvent les championnats du monde juniors ou autres et qui après n’ont pas les résultats que l’on escomptait ?

Il y a plusieurs explications. D’abord une raison un peu culturelle : En France on a parfois un petit peu tendance à vouloir que l’on dise de nous que l’on a du potentiel, que l’on est talentueux plutôt que de dire qu’un joueur ou une joueuse a la gagne. Ce côté un peu romantique, un peu dans le panache plus que dans l’obsession de la victoire jusqu’au dernier centimètre est parfois un trait de caractère un peu français.  Il faut du reste que l’on se batte contre cette réalité car comme  le dit une célèbre marque «  Seule la victoire est belle ». C’est quelque chose qu’il faut retenir… Autre raison : On a une belle densité de compétition en France au début du circuit sénior et chez les juniors et quelquefois l’âpreté du circuit professionnel requiert un mental pas suffisamment aguerri, affûté chez nos jeunes pour vraiment serrer les dents, tenir et être rivé coûte que coûte sur sa passion pour le jeu. La mise en place à la DTN au niveau du pôle de préparation mentale des territoires et de filières de formation est quelque chose de très important.  Enfin, je pense qu’il existe un facteur générationnel.

 

L'effet de grappe

 

On a eu il y a peu ,une génération extraordinaire avec les Gasquet, Monfils, Tsonga, Simon qui étaient vraiment dans un mouchoir de poche  et qui se sont tirés vers le haut les uns les autres. J’appartiens à une génération où il y avait Mauresmo, Nathalie Dechy ; Emilie Loit, Anne-Gaëlle Sidot, Amélie Cocheteux, un vrai petit groupe d’élite à un moment donné. Selon moi, survient un effet de grappe. Quand il y en a un ou une qui commence à sortir la tête de l’eau, cela montre aux autres que c’est possible. Se développe alors un effet hyper stimulant du champion en train d’émerger. tous y croient à leur tour et ils se tirent la bourre au bon sens du terme. Nous sommes actuellement dans un moment de creux qui ne génère pas cette émulation mais cela peut changer très vite. On l’a d’ailleurs vu avec le dernier US Open avec les trajectoires fulgurantes de Leylah Fernandez et d’Emma Raducanu. Si on lève un certain nombre de difficultés, de freins pour accélérer le développement de la joueuse ou du joueur , cela fait surgir un effet d’entraînement qui peut emmener toute une génération au meilleur niveau…

Agnès Figueras-Lenattier