dimanche, 26 mars 2023
Sylvie Monpoint dermatologue
Sylvie Monpoint est dermatologue, auteur et conférencière. Elle est également présidente d’une association humanitaire destinée à la scolarisation d’enfants pauvres au Cambodge. Dans ses deux livres « La peau dévoilée » et « La peau de sagesse », elle traite d’un sujet peu connu, la spiritualité de la peau…
Vous dites qu’actuellement en tant que dermatologue vous n’avez plus le temps de rentrer dans la psyché humaine !
Oui autrefois la démographie était plus favorable et les médecins étaient plus nombreux. Si on voulait faire de la médecine holistique, c’était plus facile même si cette approche plus globale de la médecine était moins en vogue que maintenant. Si vous voulez accueillir les patients dans un délai raisonnable, vous avez 10 mn, un quart d’heure devant vous pour réduire les problèmes de cancérologie, de psoriasis… Vous devez vous entourer d’autres personnes, comme des psychologues pour que le patient ne se retrouve dans une approche purement technique. Cela dit, même si je m’intéresse au psychisme humain, ce domaine dans la dermatologie a été longuement étudié et l’on sait que la peau n’est que le reflet du dedans. Et que lorsque l’on est habité par une souffrance psychologique, ou une maladie intérieure comme les maladies de foie ou de rein, , des signes apparaissent sur la peau. Celle-ci nous donne donc des éléments sur le plan organique et psychique. Mais mes recherches sont autres et reposent sur la dimension spirituelle de la peau.
Vous avez d’ailleurs écrit à ce propos deux livres le premier « La peau dévoilée » et le deuxième « La peau de sagesse ».
Oui j’ai voulu montrer comment l’homme a utilisé sa peau pour fournir d’autres dimensions, comme sa dimension spirituelle, sa quête de sens. Qu’est-ce que la vie, qu’est-ce la mort. Et je me suis penchée sur tous les moyens auxquels l’homme a eu recours dans ce but. Et il y en a plusieurs notamment la peau qui sert de messagère. Avec sa peau, l’individu va inscrire des messages à l’attention des Dieux qui vivent autour de lui. Comme les tatouages, les peintures corporelles, la circoncision … La deuxième fonction de la peau se traduit en utilisant la peau comme un autel de rites pour s’attirer la bienveillance des Dieux avec tous les rites de purification. Un troisième élément très intéressant repose sur la dimension symbolique de la peau. Dans les contes, les mythes, elle vient là comme un symbole d’interface d’un milieu extérieur et intérieur. Aussi va t-elle permettre la communication plus intime de l’individu avec ses questionnements essentiels. Cette dimension symbolique va lui permettre de construire un chemin de sagesse par le biais de sa peau qui est là comme une coque apparente qui l’isole du monde et qui va lui donner les moyens de se transformer et d’aller vers sa quête intérieure.
Par exemple dans les mythes, il existe un lien profond entre peau et naissance ou peau et renaissance !
Déjà à la naissance, dans la manière anatomique et organique, le toucher est le premier organe à se développer. Dès la 7ème semaine de vie, il est présent sans que l’embryon ne voit ni n’entende. La peau est essentielle dans la construction de l’individu. En plus, elle est liée au cerveau et tous deux sont les deux seuls organes qui dérivent de l’ectoderme. Donc, ce qu’il y a de plus externe et de plus interne découle du même feuillet embryonnaire. Et cette place essentielle de la peau dans la construction de l’individu se retrouve également au niveau symbolique. Cette naissance et renaissance par le biais de la peau a été décrite dans beaucoup de traditions notamment en Egypte ou l’on avait coutume de mettre le mort dans une espèce de peau animale afin qu’il accède à une vie nouvelle. Cela se pratique également dans les initiations tribales ou lorsqu’un enfant passe de l’âge d’enfant à l’adolescence. On va le séparer de sa mère, le dénuder, et le coucher sur une peau animale.
Vous parlez du toucher très important dans la vie intra-utérine. Comment le stimuler ? Par des caresses du ventre ?
Déjà par la sensation. Chaque mouvement de la mère fait naître une sensation tactile chez l’enfant. On peut aussi effectivement développer ce côté-là en faisant des caresses, en interpellant l’enfant quelque part par le toucher. Cela va être déterminant pour que l’enfant intègre l’idée qu’il existe un dedans et un dehors, ce qui va être primordial pour sa propre détermination et sa relation aux autres et au monde.
Comme peau et cerveau sont liés, le fait de stimuler le toucher va-t-il aider à un meilleur développement du cerveau ?
Disons qu’il existe des sensations connexions immédiates entre la peau et le cerveau. C’est d’ailleurs peut-être pour cette raison que Paul Valéry disait que la peau est ce qu’il y a de plus profond en l’homme ». Toutes les sensations favorables vont produire une sensation de bien-être avec des sécrétions neuro médiatrices dans le cerveau très favorables au développement de l’enfant. Les sensations spirituelles les plus éclairées sont exprimées par le sens du toucher. Par exemple, on dît être touché par la grâce », touché par l’amour ». C’est un sens que l’on ne met pas assez en avant, on n’ose pas, et pourtant c’est par là que s’exprime le côté le plus subtil des sensations humaines.
Dans les mythes on parle de peau retournée !
Oui, on est dans quelque chose de très symbolique. Par exemple, dans les contes la peau du personnage traduit non pas un état physique mais un état intérieur. Ainsi lorsque l’histoire commence avec un vieillard atteint de nombreuses maladies de peau, il va y avoir à un moment donné, un processus où sa peau va lui être retirée ou retournée pour qu’elle devienne une peau pure, merveilleuse, blanche, sans aucune aspérité. Et qui témoigne de la pureté intérieure de l’âme. On retombe dans cette notion de mort du vieil homme qui va aboutir à une renaissance et à un nouvel état. Et le mythe des arracheurs de peau ? Oui cela rejoint un peu la peau retournée. Mais c’est plus compliqué car dans ce mythe là, car dans l’action d’arracher, se trouve une notion de renouvellement, de flux intérieur. On trouve un certain nombre de rites et de mythes dans lesquels le personnage va raviver son état de spiritualité au sein de son état intérieur, par une peau retirée. Si cette peau est perdue, alors l’être humain ne pourra plus être dans cet état divin, deviendra mortel et mourra. C’est vraiment un symbole de vie, de mort, de renaissance très utilisée.
Vous dites que le tatouage est une pratique très ancienne !
Oui, il a évolué dans son histoire, et n’a plus le sens qu’il avait autrefois. Pour les premiers hommes, c’était véritablement un message à faire passer aux dieux. Les hommes vivaient entourés dans un monde très hostile de la nature, entourés d’esprits eux-mêmes partout, dans le vent, les feuillages…. On retrouve cela dans le chamanisme. Rien n’était séparé. Les forces spirituelles sont partout y compris sur la peau de l’homme. C’est pour ça que les chasseurs la récupéraient, elle était chargée des forces de l’animal.
Les hommes mettaient sur leur tombe des messages qui bien sûr avaient des significations destinées à se repérer dans le groupe humain. Des significations sociétales. C’était pour parler aux ancêtres, aux esprits de la nature et les attirer dans le bon sens. Les premiers tatouages sont purement spirituels. Particulièrement ces dix dernières années, le tatouage a considérablement évolué. Il y a 35 ans, il était rejeté socialement, et y avoir recours témoignait d’un caractère un peu rebelle avec une appartenance à un groupe, une opposition. Aujourd’hui il est au contraire très bien accueilli. Je suis allée au salon du tatouage à Montpellier, et j’ai vu des mamans amener leurs enfants et se faire tatouer en famille. Le tatouage est maintenant devenu un carnet de notes psychologique, on inscrit sur sa peau des éléments de sa vie, sa rencontre avec quelqu’un, la maladie d’un membre de sa famille, des événements psychologiques nous ayant marqué. Ce n’est plus que très rarement un tatouage spirituel du moins dans nos régions occidentales. On retrouve encore des tatouages assez spirituels dans les pays d’Asie.
La scarification ?
C’est exactement la même chose mais avec une forme beaucoup plus puissante. Elle va faire couler le sang et va laisser un message véritablement indélébile et qui en plus est souffrant. Cela témoignait également du courage de celui qui acceptait cette pratique et ça entérinait son alliance aux dieux encore plus forte que le tatouage, lui-même plus fort que les peintures corporelles. La scarification entraîne des choses plus profondes avec une véritable remise en question de son image. Ca relève souvent d’une souffrance psychologique avec prise en charge par des psychiatres. Il existe bien souvent d’autres manifestations notamment anxio dépressives, et rebelles à l’intégration en société.
Il y a des couleurs de peau en fonction des dieux !
Oui, une autre façon dont l’homme a fait vivre sa spiritualité au travers de la peau c’est en représentant les dieux avec des peaux de différentes couleurs, selon l’aspect du Dieu que l’homme va faire vivre. Si on représente Osiris avec une peau verte, c’est pour montrer l’aspect fécondation de création du monde. Si on représente un Dieu avec une peau rouge, on va penser plutôt à la force d’amour, à la puissance du Dieu. Si on le représente avec une peau blanche, on va parler de lumière. En Inde, vous avez des dieux de toutes les couleurs, des Bodhisattva avec peaux blanches, rouges, bleues. Même des représentations de vierges, notamment des vierges à la peau blanche, car le blanc est un symbole de lumière et de pureté.
Les maladies de peau découlaient de l’action des Dieux !
Tout à fait. Dans les interprétations de la génétique, ont eu lieu des approches scientifiques chez les Grecs, et aussi des approches religieuses notamment dans nos contrées. Jusqu’au Moyen Age, on a interprété la maladie comme étant un message des dieux. Dans ces temps très anciens c’était les dieux qui jouaient un peu avec les humains ; puis un peu plus tard, ce fut considéré comme une mise à l’épreuve de l’homme. Je pense notamment au texte de Job dans la genèse où il va avoir une maladie de peau pour tester sa foi en Dieu. Puis, ce sera carrément une punition, suite à un mauvais comportement, si les maladies souvent contagieuses apparaissent sur la peau et constituent une menace pour les autres..
Ce sont d’ailleurs les rois, les prêtres, les moines qui soignaient ces maladies de peau !
Oui parce qu’ils étaient considérés comme des médiateurs entre le ciel et la terre et porteurs de l’influx divin. De même que les dieux procuraient la maladie c’était ces médiateurs qui pouvaient les soigner. Ils pouvaient par le toucher faire le lien entre le patient et la divinité et donc quelque part conduire à la guérison de l’individu. Ce qui est incroyable c’est que le toucher guérisseur a duré très tard jusqu’au XIXè siècle. Mais même si le phénomène a disparu, même si les religions ont perdu de leur importance,, les gens jettent encore des pièces de monnaie dans les fontaines ou boivent certaines eaux, touchent l’arbre sacré. Il existe encore des croyances, des besoins chez l’humain de s’accrocher à quelque chose, pour mettre son espérance quelque part. Ces gestes témoignent de notre soif de réponses à des questions dont la science moderne ne se préoccupe pas.
Et la circoncision ?
Qui est toujours pratiquée et dont il est intéressant d’observer l’approche symbolique. La peau est un voile qu’il va falloir transformer, retourner pour pouvoir accéder à notre intériorité, à notre flamme intérieure et de la même façon, elle représente l’alliance du peuple juif à son dieu. Ill existe cette dimension symbolique du voile qu’on pourrait approfondir de manière très puissante avec Annick de Soustelle. Quelque chose à retirer pour accéder à la meilleure part de nous-même. La circoncision est positive, c’est la manière dont on la fait vivre qui peut être extrêmement délétère. Chez les femmes en revanche, c’est seulement pour empêcher les femmes de jouir et cela n’a rien de symbolique.
Il y a aussi les ablutions, la purification par l’eau !
C’est une chose dont on peut faire l’expérience très simplement. Quand on sort du bain ou de chez le coiffeur, on a le sentiment d’être pur, sain. La peau sur laquelle l’eau va passer va décharger à l’intérieur un certain message de bien-être. Il y a la dimension symbolique, c’est-à-dire que si vous voulez vous présenter à votre Dieu, d’abord vous devez vous présenter propre et ensuite pur. Quand vous lavez la peau à l’extérieur par toutes les techniques de purification de l’eau, vous vous mettez dans l’état d’esprit d’essayer de purifier votre être. On retrouve la dimension symbolique de la crucifixion ?
La différence par rapport aux huiles ?
C’est un peu différent parce qu’on ne va pas vous faire prendre un bain d’huile. On va juste poser une couche d’huile sur votre peau. L’huile est beaucoup moins fluide que l’eau. L’eau va passer alors que l’huile va marquer son empreinte sur la peau. L’huile que l’on va déposer sur la peau est une huile chargée, donc sacrée. Et qui donc comme la main du prêtre porte l’influx divin. C’est donc cet influx qui va s’imprégner en glissant sur votre peau pour imprégner son message au-dedans.
Le vêtement ?
C’est une deuxième peau quelque part et on va le faire vivre un peu de la même manière que la peau. Soit on va inscrire sur le vêtement notre message spirituel, en utilisant par exemple des habits blancs, des habits religieux pour monter le caractère sacré du personnage qui est un médiateur entre le ciel et la terre. Vous avez des manifestations de dévoilement qui sont une manifestation à haute portée spirituelle. Je pense à Saint-François d’Assise un riche bourgeois fils d’un marchand d’étoffe qui lorsqu’il s’opposa à son père et qu’il décida de partir dans une voie religieuse se dénuda en place publique. Le fait de se dénuder signifiait qu’il voulait épouser la pauvreté telle que l’avait prônée le christ. Donc le vêtement peut tantôt par sa présence, tantôt par son absence témoigner de la spiritualité d’un individu. Le vêtement porté par exemple par le médiateur entre le ciel et la terre a une couleur qui fait sens, qui n’est d’ailleurs pas la même dans tous les pays. Les bonzes vont être habillés en couleur de lumière ; chez nous ça va être plutôt le blanc ou le noir. Ce que je veux dire c’est qu’il existe une dimension symbolique du vêtement pour dire une religion.
Mais vous dites aussi que l’habit n’a pas tellement d’importance quand on s’adresse directement aux Dieux !
L’habit est une affaire d’hommes et non une affaire divine. C’est une essence et ce qui s’en rapproche le plus c’est le cœur, la peau. Le vêtement est trop humain, il est potentiellement porteur du désir de l’humain de se rapprocher de son dieu. Les dieux sont représentés soit par une forme anthropomorphique, soit par un symbole. Pas par un habit.
Les grains de beauté étaient une possibilité de faire de la divination ?
Oui, déjà les grains de beauté étaient chargés de sens. Dès qu’il y avait anomalie ce n’était pas par hasard, ça voulait dire quelque chose. Actuellement, on l’attribue à des raisons génétiques, concrètes, médicales mais pour les traditions anciennes le grain de beauté était chargé de sens sur l’individu. Pendant de nombreuses années on l'a utilisé comme on se servait des étoiles dans le ciel pour faire de la divination. Sauf que pour les étoiles c’était pour dire le destin des peuples alors que les grains de beauté c’était pour dire la propre destinée de l’individu. Je pense qu’à l’heure actuelle c’est en voie d’extinction. Toutes les anomalies de la peau servaient à interpréter. Si vous aviez un angiome, une tache rouge au Moyen Age en période d’inquisition et qu’en plus vous étiez une femme vous étiez forcément une sorcière. C’est vraiment la peau, l’interface entre l’homme et les dieux. Ce qui était déposé sur la peau, c’était un message divin positif ou négatif pour dire quelque chose à cette personne.. Tout cela se lit dans le développement de l’histoire de l’humanité avec une évolution de la pensée humaine…
Et les lamas ?
Ce qui est extraordinaire c’est qu’ils arrivent effectivement à dépasser le système anatomique et physiologique normal. Ce n’est pas par simple volonté, en se disant l’eau est froide, je vais m’y plonger et me mettre dans la tête qu’elle n’est pas froide. C’est bien plus puissant et ils arrivent à modifier leur paramètre intérieur. Ainsi quand ils se mettent à coucher dans la neige ou à se plonger dans une eau glacée ; ce n’est pas leur cerveau qui dépasse l’épreuve. Mais la maîtrise de leur corps qui implique que la température intérieure ne baisse pas comme elle devrait par rapport à l’expérience qu’ils vivent. C’est très puissant et cela demande une ascèse et un entraînement de très longue haleine….
A l’heure actuelle, le regard sur la peau a totalement changé !
Oui ceci à partir du moment où la peau ne sert plus à communiquer avec le divin, ou avec la profondeur de l’individu. Actuellement, la peau est destinée à son propre regard et à celui d’autrui. Elle doit être à l’image que les gens veulent donner d’eux-mêmes. Donc une peau parfaite suivant les critères de notre époque qui ne doit surtout pas montrer ce dont on a le plus peur le vieillissement, donc la ride et l’annonce de la mort. Celle-ci fait très peur, elle est partout cachée et doit disparaître de la peau. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, ce qui est incroyable, nous avons des jeunes femmes de 25 ans qui font des traitements anti-rides. Je le dis dans mon livre, la peau est devenue une idole car elle n’est plus là pour se diriger vers quelque chose mais pour dissimuler. Elle est devenue un écran…
Toutes ces crèmes ont-elles une véritable influence sur la peau?
Non, non. La seule crème vraiment efficace c’est l’écran total. Et si vous supprimez le soleil, vous aurez à 60 ans une peau en bien meilleure santé. Le Botox ? Je ne suis pas très branchée esthétique car pour moi le visage d’expression que nous avons est un peu notre carnet de route. Il vaut mieux ajuster son visage avec le sens qu’il livre aux autres plutôt que de vouloir masquer ce qu’il raconte. Je dis souvent à mes patients ayez plutôt recours aux livres de philosophie. Ceci étant, si une personne ne s’accepte pas avec une ride au nez et que tous les matins devant son miroir c’est un drame de se voir ainsi, bien évidemment il faut agir et le botox est une technique comme une autre. En l’accompagnant et en lui disant que cela ne règlera pas ses problèmes personnels et l’avertir qu’il faudra en refaire. Qu’elle peut le faire pour l’instant le temps de faire un travail en parallèle. Elle doit arriver à accepter ce que cette ride lui dit et pourquoi elle le refuse. Si elle arrive à faire ce travail, cela lui rendra sûrement plus service que de dépenser je ne sais combien d’euros…
Le Covid a t-il eu une influence sur la peau ?
Oui, une influence majeure sur la peau puisqu’il nous a empêché pendant des mois de nous toucher. Et cela a été très conséquent. Car à partir du moment où les gens ne se sont plus serré la main, ni embrassé, ni n’ont plus aller voir leurs aînés, ils se sont renfermés sur eux-mêmes. Et il a été difficile même après pendant un ou deux ans de les faire revenir dans des réunions. A l’heure actuelle, les patients ne vous serrent plus la main, une espèce de distance s’est faite entre les êtres. Il y a eu bien sûr quelques troubles, quelques éruptions cutanées mais c’est assez anecdotique. Mais surtout, il nous a privés du toucher et a développé une certaine agressivité. Il a été déterminant par rapport à la peau. Des peaux qui se rapprochent, c’est très important pour créer des relations...
Agnes Figueras-Lenattier
13:20 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 19 février 2023
Stephane Portet
Stephane Portet
Stephane Portet dirige le Sunset Sunside un des plus grands clubs de jazz parisien. Il nous explique longuement le fonctionnement du lieu et sa conception de la programmation.. Dernière innovation qui plaît beaucoup, les concerts à la bougie écolos sans sonorisation ni électricité. Pour l'instant, ils ont lieu une fois par mois. A la rentrée, ce sera sûrement une fois par semaine...
Vous êtes actuellement le directeur du " Sunset Sunside ». A l’origine, l’endroit appartenait à votre père.
Oui c’est étonnant d’avoir un papa qui avait un lien aussi emblématique avec des événements aussi forts qui s’y déroulent. Mais à l’époque, je n’étais pas très captivé par la musique que l’on entendait. J’écoutais beaucoup de musique, j’étais disc jockey à mes heures perdues mais à l’époque le jazz n’était pas ma tasse de thé. C’était plutôt l’ambiance qui m’intéressait, et j’étais très captivé par la nuit. J’allais souvent dans les boîtes de nuit parisiennes et j’aimais cette vie nocturne. C’était dans les années 80, une époque séduisante avec des gens qui savaient faire la fête et qui même s’ils se couchaient tard travaillaient bien le lendemain. Au départ, je ne me destinais à cette profession. J’ai fait des études commerciales et je vendais des machines à Laver. Or, un jour alors que le lieu était un peu en perdition mon père m’a demandé d’abandonner mon travail et de lui venir en aide. Je connaissais bien l’endroit puisque je le fréquentais régulièrement en tant qu’amateur et fils de patron, et le jour où j’ai mis le pied ici, je suis tombé dans la marmite et je ne l’ai plus quitté. Mais quand j’ai repris les rennes de l’établissement, je n’étais pas suffisamment cultiivé dans le domaine du jazz mais j’ai eu la chance de côtoyer des musiciens qui ont aimé ma démarche et qui m’ont formé à cette musique.
Qu’avez-vous changé, qu’avez-vous gardé par rapport à ce que faisait votre père ?
Mon père n’était pas non plus un grand initié de jazz, il adorait cet endroit mais ce n’était pas sa structure musicale. Il n’a jamais vraiment fréquenté le monde de la musique. Ce qui l’intéressait un peu comme moi c’était l’atmosphère. Des programmateurs se sont occupés du lieu et quand je suis arrivé j’ai eu affaire à tout un collectif de musiciens . Les frères Belmondo, Aldo Romano, Michel Graillier, Henri Texier. Ils ont aimé la générosité dont j’ai fait preuve pour ce lieu , m’ont conseillé dans la programmation et je leur faisais vraiment confiance. Tous ceux qui venaient régulièrement ont repris leur lieu sous leurs ailes et m’ont été d’une aide précieuse…Mon père a vu que je me débrouillais bien et m’a laissé entièrement carte blanche à la fois pour réorganiser le lieu et pour faire la programmation. Au fur et à mesure, j’ai formaté le lieu dans une énergie et un modèle économique qui a permis de réaliser plein de choses autour du concert et de nouvelles thématiques.
Une deuxième salle : Le Sunside
J’ai même pris la décision de transformer la salle de restaurant en deuxième salle de concert. C’est ainsi qu’est né le Sunside. J’ai été inspiré par un lieu " La knitting Factory" à New York constitué de deux salles dont la programmation était assez hybride et assez expérimentale. Et je me suis dit pourquoi ne pas tenter l’expérience… mais au départ on m’a pris pour un fou furieux et on m’a dit que ça ne marcherait jamais, que la salle du haut allait entendre ce qui se passe en bas et vice versa. Ma décision s’est faite au grand dam des musiciens car ils aimaient beaucoup le restaurant où plein d’artistes venaient dîner ici. D’ailleurs, la salle en forme de couloir n’est pas faite pour recevoir de la musique. Ce sont de vieux immeubles qui datent du Moyen Age où le son pourrait passer mais aucun bruit ne se fait entendre. Et c’est cela que j’aime bien, l’endroit s’est structurée en fonction des circonstances et il n’existe aucun problème d’acoustique. J’ai juste eu un problème au début avec en bas Niels Landgren un tromboniste suédois et son groupe heavy mental. En haut, il y avait un solo de Steve Leslie totalement acoustique. Steve n’entendait pas la musique d’en bas mais les instruments tremblaient... Nous avons la chance d'avoir d'extrêmement bons sonorisateurs. On investit beaucoup dans le matériel et les musiciens viennent avant tout pour le plaisir. Il est donc important qu'ils puissent bénéficier de bonnes batteries, de bons micros et d'un bon piano. Le public aussi doit pouvoir entendre un bon son...
Le Sunset a pour vocation de défendre la musique amplifiée et les musiques cousines du jazz , le blues, le funk, le groove, la fusion. Quant au Sunside, c’est le temple du jazz acoustique, et de tout le jazz contemporain nexttream moderne.
Avez-vous un instrument préféré ?
Je n’ai pas eu l’éducation musicale qu’il aurait fallu et je n’ai jamais joué d’un instrument. Je reçois actuellement les meilleurs musiciens du monde et j’ai l’habitude de dire que je joue des oreilles. Chacun son utilité et je n’ai pas vraiment de regrets par rapport à cette réalité. Mais par contre, je ne suis pas l’exemple de mes parents , et je donne à mes enfants une importante éducation musicale et leur apprends à jouer d’un instrument. J’aime tous les instruments mais peut-être suis-je quand même un peu plus inspiré par le piano. . Mais cela ne joue en rien dans ma programmation.
Qu’est-ce qui guide votre choix ?
Plusieurs critères rentrent en jeu. Le premier objectif, c’est la découverte de talents. On est là pour s’occuper des talents émergeants et pour les amener à un certain niveau afin qu’ils deviennent des musiciens confirmés et reconnus. Cette recherche constitue à peu près 50% de notre programmation mais malheureusement tous ceux que l’on invite ne performent pas tous par la suite. Ce qui n’enlève rien à leurs capacités car il existe de très bons musiciens qui passent à côté de leur carrière. Le deuxième critère c’est de continuer à faire de la programmation avec les musiciens que l’on a développés. Dans le jazz, il règne une certaine fidélité avec des musiciens respectueux du travail fourni pendant des années. Ils reviennent jouer même s’ils ont acquis une notoriété très importante. Pour moi, le plus emblématique et celui qui venait le plus régulièrement c’est Didier Lockwood qui a démarré chez nous et qui passait des semaines et des semaines ici. Il avait compris que c’était important de venir dans des clubs de jazz. Nous représentons la première pierre de l’édifice et si nous n’existions pas, le reste ne suivrait pas. Didier Lockwwod avait aussi saisi l’importance de la proximité et du fait que de nombreuses personnes viennent car ils peuvent toucher les musiciens et échanger de près avec eux. Je ne parle pas que du Sunset mais de tous les clubs de jazz en France et dans le monde. Cette possibilité n’est pas forcément présente au sein des festivals ce qui ne veut pas dire que les concerts sont moins bien. Mais le public aime être à 30 cm de l’artiste et l’entendre respirer…
Comment faites-vous pour sélectionner les jeunes talents ?
Je demande simplement un lien pour écoute et généralement on nous envoie un lien you tube avec un petit dossier de présentation. Ainsi pouvons-nous voir ce qu’ils ont fait précédemment, où ils en sont et nous pouvons ensuite décider de la suite à donner.
Votre devise c'est " Le club de tous les jazz à toutes les époques"!
Oui, le jazz est comme une jolie et vieille maîtresse qui a couché avec beaucoup d'autres musiques. C'est cette caractéristique qui contribue à l'avenir de cette musique, et les musiciens présents chez nous ne viennent pas forcément de l'univers du jazz. Certains viennent du classique, d'autres incorporent le folklore dans leur façon de traiter le jazz, ou viennent de la pop, de l'électro... Le jazz maintrip, be-bop c'est terminé. Cela existe encore mais ça va évoluer car les artistes ont compris que l'on pouvait intégrer au jazz d'autres types de musique. C'est pour cette raison que je dis " le club de tous les jazz"...
Quels sont les rendez-vous réguliers ?
Le rendez-vous dont je suis le plus fier c'est le goûter du dimanche après-midi pour les enfants. Cela fait 16 ans que ça existe, et l'on est en train de créer une nouvelle clientèle pour demain. Ce sont des gamins de 3,4 ans et c'est sans doute pour la plupart leur première expérience musicale. C'est vraiment un honneur de pouvoir initier les jeunes enfants au sein d'une atmosphère de jazz, et il me semble que ça n'existe pas ailleurs ou très peu. En tout cas, ce concept cartonne et c'est 100% de remplissage. C'est une thématique différente chaque dimanche avec soit Walt Disney, soit Davie Bowie, Henri Salvador, Gainsbourg, Charlie Parker, Elsa Fitzgerald... J'ai plusieurs équipes et lors de cet événement, elles essayent de créer une interaction avec ces enfants. En effet, ce n'est pas toujours facile de parvenir à ce que les enfants se concentrent pendant 3/4 d'heure. On y arrive soit par le chant, soit par les applaudissements, soit en utilisant les mains des enfants qui se servent de l'instrument. Chaque concert est un peu différent mais voir les enfants hypnotisés devant le pianiste Pierre-Yves Plat qui fait une thématique sur les comptines et sur Noël c'est merveilleux... Ces gamins qui sont présents vont peut-être devenir de futurs musiciens. D'ailleurs, j'ai des clients qui sont venus il y a 15 ans et qui m'ont affirmé que c'est grâce à ces concerts qu'ils se sont lancés dans la musique. Et pour moi la boucle est bouclée, on a fait ce qu'il fallait faire...C'est ma plus grande fierté et il faut faire naître des signaux positifs pour demain. En tant qu'entreprise privée, on a des devoirs et des responsabilités...
Le dimanche soir, ont lieu les conférences thématiques de Lionel Eskenazi plutôt destinés aux anciens qui viennent pour la première fois ou qui ne connaissent pas forcément l'histoire du jazz. . Ce n'est pas un hommage purement musical, il existe aussi une explication de texte. Avec Lionel, l'on prépare d'ailleurs une nouvelle thématique avec Madeleine et Salomon, un duo piano voix sur des légendes du jazz mais plus actuelles et plus décalées. A partir de juin 2023 une fois tous les trimestres le samedi à 19H.
Une cession entrée libre
On a aussi régulièrement le dimanche et le lundi la jazz cession qui représente des temps forts dans notre programmation et qui sont généralement pleins à craquer car en accès libre. Un hommage rendu à une légende et ça permet de faire venir une clientèle qui n'a pas forcément les moyens de se payer un concert à 20, 30 euros. C'est important car le jazz a plutôt une image de cherté et faire venir des étudiants ou autres joue un grand rôle. Notre but est de faire venir tout type de clientèle et de captiver le public de demain en donnant un destin à cette musique. Celle-ci est basée sur l'improvisation et n'existe pas dans les autres univers musicaux.
En 2022, c'était les 40 ans du club. Comment les avez-vous fêtés?
On a fait venir des gens qui depuis 40 ans ont contribué à la notoriété du lieu avec une date en point d'orgue au Châtelet le 28 janvier 2022. Un événement qui restera gravé dans ma mémoire personnelle liée aux concerts. D'abord parce que j'ai fait l'animation toute la soirée. Etre sur la scène du Châtelet n'a rien à voir avec le Sunside. Ce n'est ni la même énergie, ni la même présentation. C'est toujours très plaisant de pouvoir fêter des anniversaires ou autres et de montrer au public que l'on est maintenant un lieu qui possède sa marque de fabrique depuis un bon moment. J'ai envie de dire vivement les 50 ans... J'espère que j'y arriverai et ensuite je passerai la main.
Vous avez aussi créé une nuit soul le samedi soir !
J'ai calculé et l'on fait à peu près 800 concerts par an et je pense que l'on est l'endroit le plus prolifique en France côté nombre de concerts. Les clubs de jazz en France ont toujours une activité de nuit, et beaucoup d'endroits dans le monde deviennent des endroits " Dance Floor". A un moment donné, on enlève les chaises et les gens dansent. Ici, ce n'est pas du tout la vocation parce que l'on veut rester strictement musical. Mais on s'est dit que c'était dommage de ne pas avoir une nouvelle aventure musicale et l'on a lancé la nuit soul avec le slogan suivant : " Les concerts qui font danser vos oreilles". On met en place des standards de musique funk, soul, grosse, jusqu'à 4h du matin. Ce sont là aussi des concerts en accès libre pour un public encore jeune de noctambules ou d'insomniaques.
Vous avez aussi les concerts hors les murs"
Ce sont des concerts qui ont eu lieu avant le COVID et que l'on renouveler dans le futur. Pour l'instant, on a mis un peu la pédale douce car c'était un peu compliqué à organiser. Le but est de continuer à suivre des gens qui ne pouvaient plus jouer chez nous car ils avaient des propositions un peu plus importantes. Les carrières évoluent et à un moment donné il faut savoir passer à une autre étape. Et c'est ainsi qu'on a accompagné de nombreux musiciens dans des lieux comme le Trianon, le New Morning, la Cigale, le Café de la danse, Roland Garros. Pour nous, c'était bien. On prenait un petit brain d'air, avec une oxygène différente et une manière de voir les choses autrement. On attend juste que l'activité se stabilise nouveau pour pouvoir recommencer l'aventure..
Et les trophées du Sunside?
Oui, ça fait aussi partie de l'ADN du lieu . C'est le trophée que l'on organise chaque année au mois de septembre. Ca nous a permis de détecter de nombreux musiciens et il faut savoir que le premier qui l'a remporté c'était Yaron Herman. Donc, on est dans le vrai. Django Reinhardt l'a aussi gagné. Nous n'avons pas l'ambition d'être un tremplin reconnu mondialement mais ça sert aux musiciens qui y participent. Cela déclenche souvent des débuts de carrière.
Reste enfin " Pianissimo"!
C'est le festival le plus important que l'on fait depuis maintenant des décennies au mois de juillet et août lorsque les gens sont décontractés. On a ici un très bon piano et c'est pour moi l'instrument le plus important dans un lieu comme le nôtre. Il est bien accordé et cela permet aux musiciens d'avoir la banane lorsqu'ils jouent dessus. On fait aussi chaque année un festival vocal intitulé " Sunset vocal cession". Au mois de juin, on met la voix en avant...
Comment vous situez-vous par rapport aux deux autres clubs de cette rue des Lombards « Le duc des Lombards » et « le baiser salé » ?
Cette rue est tellement exceptionnelle que c’est compliqué de se différencier les uns des autres et l’on a à peu près tous la même programmation. Mais le "Duc des Lombards" a un budget supérieur à nous et reçoit des musiciens encore plus prestigieux. Ils ont également une radio derrière, et c’est un acquis supplémentaire à proposer aux musiciens. Ensuite, c’est une question de réactivité mais les musiciens sont attachés aux trois endroits. Ce à quoi je tiens personnellement c’est à l’affectif. Je ne dis pas que les musiciens deviennent des potes, mais on essaye de donner beaucoup d’humanité et beaucoup y sont sensibles . Nous n’avons pas envie d’être un lieu lambda, stéréotypé pour touristes mais j’imagine que tout le monde fait la même chose. Pour moi la rue des Lombards est une rue tellement essentielle pour le jazz en France et dans le monde que si l’un des trois clubs disparaissait, je pense que cela nuirait aux deux autres. C’est une rue unique au monde et même les Américains nous envie d’avoir une telle rue. Il faut la garder intacte…
Agnès Figueras-Lenattier
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mercredi, 18 janvier 2023
Ping 4 Alzheimer
D’après des informations sur Internet, le docteur Daniel Amen membre éminent de l’Américan Board of psychiatry and neurology, affirme que tennis de table est le meilleur sport pour le cerveau. Il active diverses parties du cerveau simultanément, et il est maintenant recommandé comme méthode pour lutter contre la maladie d’Alzheimer et aider au traitement de la démence.
Voici la liste de ce qu’apporte le ping-pong selon ce médecin :
-Il augmente la concentration et la vigilance
-Il stimule la fonction cérébrale
-Il développe des compétences de pensées tactiques
-Il développe la coordination main/œil. La vitesse, la rotation et le placement de la balle sont des éléments cruciaux au tennis de table. Sa pratique nous amène à gérer rapidement ces trois facteurs.
-Il constitue une activité physique aérobie
-Il permet une interaction sociale et récréactive.
Selon un autre médecin, le Docteur Wendy Suzuki, professeur de neurosciences à l’Université de psychologie de New York, le ping-pong améliore les fonctions motrices, les capacités à élaborer la stratégie, et les fonctions de la mémoire à long terme.
Trois grands domaines sont touchés : le contrôle de la motricité fine et la coordination œil-main qui sollicite et développe le cortex primaire et le cervelet, les zones responsables des bras et des mouvements de la main…
Stimulé par ces affirmations et ayant été touché de près par la maladie d’Alzheimer, son grand-père en ayant été atteint, Renato Walkowiak professeur de ping-pong depuis 25 ans a créé avec une psychologue et un kiné une association intitulée Ping 4 Alzheimer destinée à faire faire du ping-pong aux malades d’Alzheimer. Voici son témoignage :
Pourriez-vous expliquer comment est né Ping Four Alzheimer ?
Mon grand-père a eu la maladie d’Alzheimer lorsque j’avais 15,16 ans et j’ai pu constater les dégâts que cela provoquait chez une famille. Puis en 2015, j’ai vu passer une étude au Japon sur les bienfaits du ping-pong sur le cerveau. Les chercheurs avaient fait de l’imagerie mentale et découvert que 5 zones du cerveau étaient stimulées pendant la pratique du ping-pong et dans le sport en général. Ce constat a ensuite été confirmé par le King’s Collège à Londres qui a également effectué une phase d’imagerie mentale sur un groupe de personnes qui allaient jouer au ping-pong. Ils se sont rendu compte que l’hippocampe grossissait, une région du cerveau qui rétrécit en cas de maladie d’Alzheimer. Le ping-pong a aussi été mis en avant par quelques neurologues américains comme les docteur Amen et Suzuki comme le sport stimulant le plus le système cognitif. Il existe une densité de stimulation intéressante et la partie visio-spatiale est aussi grandement développée en terme de coordination, motricité et sur le plan de la proprioception par rapport à l’activité que l’on pratique. Suite à ces informations, j’en ai parlé à un kiné du club et à une psychologue pratiquant le ping-pong en compétition et en 2018, nous avons mis en place cette association d’abord au club de Levallois où je travaille. Le plus grand club de ping-pong d’Europe. Le kiné a beaucoup travaillé sur ce qu’il fallait mettre en avant ou pas. On a essayé de se polariser sur des exercices simples pour mettre les patients en confiance avec avant une partie dédiée à l’équilibre. Un des objectifs étant si possible de ralentir la maladie et de prolonger l’autonomie. La première chute pour une personne âgée est un peu traumatisante et pour un Alzheimer cela peut lui faire perdre énormément en confiance. Et lui ôter toute envie de bouger de chez lui. On a décidé de travailler sur la partie sportive en insistant sur le côté ludique du ping-pong. Avec la psychologue, on a beaucoup travaillé sur la maladie en elle-même et elle m’a expliqué comment aborder le groupe et travailler sur tous les moments où l’on n’est pas dans l’activité elle-même : L’accueil, les pauses, les interactions sociales, les sujets de discussion, et comment stimuler un peu le malade. Nous avons aussi parlé de tous les ancrages de mémorisation que ce soit lors d’exercices ou lors de situations moins précises. On répète toujours les mêmes choses de façon similaire avec les mêmes mots pour essayer de vraiment stimuler la mémoire des malades.
Pourriez-vous préciser !
Par exemple lors d’un jeu d’équilibre que l’on réalise, on touche le pied du malade toujours de manière semblable pour voir si cela permet qu’il se reconnecte. Un malade Alzheimer va avoir des phases où il est là et d’autres où il est hors circuit. Il suffit d’un petit coup de pouce et hop il revient avec nous et va se rappeler où il est… C’est rassurant pour lui car dans un premier temps il sait qu’il est en train de partir… On essaye toujours d’être bienveillants et de donner confiance… La dernière chose très importante dans ce programme au niveau de l’encadrant c’est le sourire. C’est la seule chose qui montre à l’autre qu’il est en train de bien faire. Dire oui ou non ce n’est pas la même chose en Inde, en Chine ou en France alors que le sourire quelles que soient les cultures, les générations veut dire la même chose pour tout le monde. Un malade alzheimer se demande constamment s’il va bien et le fait de sourire le tranquillise. Le cœur du projet, c’est l’activité avec en plus tous ces petits détails qui font que cela fonctionne et créé un bien-être chez les patients. Dernièrement, j’ai un patient qui venait pour la première fois. Première approche, on s’est dit que cela n’allait pas être facile et finalement il a réussi à renvoyer quelques balles. Après, il s’est reposé, a bu un coup, on a discuté et en partant il m’a dit « Merci, je suis aux anges »… C’est hyper gratifiant. Mais j’ai beau en parler à mille médecins, mille neurologues, tous me disent qu’il faut prouver l’efficacité. Or quand j’entends ce genre de propos, je me dis « Il faut foncer. «
On essaye de sensibiliser les aidants pour qu’ils nous donnent un petit coup de pouce, ce n’est pas juste entre malades. Des retraités valides jouent depuis des années au même créneau horaire et l’on essaye de les mélanger avec les malades les plus autonomes afin de jouer la carte de l’inclusion au maximum. On fait aussi en sorte que les aidants se sentent bien. Un aidant va souvent commencer à jouer un petit peu avec son aidé et très rapidement on mélange et on remercie l’aidant. Ensuite, l’aidant qui nous a aidé pour la logistique de base, va avoir quelques minutes pour jouer avec quelqu’un qui sait bien jouer, se défouler, et prendre plaisir à bouger. Certains aidants continuent à venir au club même après que l’aidé n’ait plus les capacités de venir et ait été placé en Ehpad ou dans un foyer de vie.
Comment se passe une séance ?
Les malades arrivent, s’assoient, posent leurs affaires souvent au même endroit sous l’œil des aidants. Une fois qu’ils sont là, on discute un petit peu, on analyse quelles sont les nouvelles de la semaine, on fait de petites blagues sur des thématiques qui plaisent aux malades. Par exemple, un de nos malades adore partir au ski et l’on parle souvent de ce sport par le biais d’une actualité ou autre. Un autre c’est la musique. J’ai été voir un concert l’autre jour, je lui ai raconté. On essaye de créer une petite atmosphère. L’échauffement se fait en jouant au ping-pong. Dans un premier temps on met les malades en confiance, et ils vont commencer à jouer avec quelqu’un qu’ils connaissent bien-. Cela dure entre 10 et 15mn ; puis on fait des rotations. Dans la version officielle tout le monde joue avec tout le monde, mais en réalité, cela se déroule autrement. Il y a des malades qui ne peuvent pas jouer avec d’autres malades, qui n’aiment pas certaines personnes et qui ont leurs têtes. On essaye en tout cas qu’il y ait le plus d’interactions possibles. Un aidant qui va jouer avec un malade sait quel est l’exercice qu’il doit lui faire faire mais il ne va pas lui dire. Le malade va d’abord être plongé dans un état second de concentration avec un échange régulier et petit à petit on va complexifier la situation pour accentuer la stimulation cognitive tout en gardant les encouragements. Dès que l’on voit un malade qui se repose on le laisse tranquille pendant 5 mn. S’il veut rejouer on le fait rejouer et si on voit qu’il n’est pas trop chaud rapidement on le fait participer aux jeux d’équilibre en fonction de son autonomie. L’idée c’est de les faire tous passer sans que ce soit imposé… Aucune friction ne doit être présente, il faut que ce soit très fluide. Certains après les jeux d’équilibre sont un peu fatigués et l’on fait aussi un peu de renforcement musculaire. On veille également à ce que les malades boivent suffisamment. A la fin on, boit un jus d’orange avec quelques amandes, on discute un peu et ça se termine ainsi. Cela fait partie des situations importantes pour que le groupe des non malades puisse s’approcher d’un malade et arrivent à une discussion même celle-ci n’est pas très cohérente. Un malade alzheimer est quelqu’un qui a l’air totalement normal ce qui n’est en général pas la vision qu’a le grand public. On explique à ceux qui émettent quelques réserves pour trop se mélanger que les malades les plus autonomes vont souvent jouer avec de vrais joueurs.
En quoi consistent les jeux d’équilibre ?
Le premier exercice le plus simple même à un stade très avancé consiste simplement à être en équilibre sur un pied. Cela se fait en tournant un petit peu la tête ou en fermant les yeux. On est toujours à côté en cas de perte d’équilibre. Ensuite en équilibre sur un pied et avec la pointe de pied il faut toucher quelque chose devant et quelque chose derrière. Ce qui renforce tout l’équilibre avant arrière et certains muscles au niveau des jambes que l’on n’a pas sur une situation statique. On le fait avec eux. Quand on le fait une minute sans s’arrêter musculairement on sent que l’on a travaillé. Puis pour l’équilibre droite gauche marcher le long d’une ligne à petits pas avec une progression plus ou moins importante selon le stade de la maladie. Pour le dernier exercice eil faut en étant bien droit s’asseoir, se lever, s’asseoir, se lever, s’asseoir. On leur conseille souvent de le faire en levant un peu les mains. C’est le mouvement le plus complet pour tout ce qui est gainage et bas du corps. Une étude a été réalisée à l’Insep prouvant la corrélation entre la puissance des quadriceps et le maintien de l’équilibre de la personne. Garder des jambes un petit peu plus musclées ne peut qu’aider à se rétablir si on a une petite perte d’équilibre. Ces exercices sont réalisés toutes les semaines. Seul l’équilibre avant arrière n’est pas destiné à tous les malades.
Au niveau physique quels sont les progrès ?
Comme les personnes en bonne santé, les malades arrivent à jouer de plus en plus longtemps au fur et à mesure des séances. Une vraie progression s’effectue au niveau vasculaire et physique. Mais c’est un sport fatigant car on est debout, on piétine, ; on va de droite à gauche, on ramasse les balles avec à chaque fois une flexion supplémentaire. Sans s’en apercevoir on est tout le temps en mouvement. La proprioception de la personne évolue aussi. Par exemple, pour Laurent notre plus jeune malade, le premier confinement a été une catastrophe. Il a beaucoup perdu en terme de capacités physiques, et intellectuelles. Quand il est revenu au début, il se cognait contre la table et parfois il saignait. Mais malgré la maladie qui avait beaucoup avancé ; on s’est rendu compte qu’au bout de trois semaines, il arrivait à jouer ces balles très basses en ne se cognant plus contre la table. Il sentait mieux ce qu’il devait faire et il a conservé cette aisance. Pour la partie motricité, coordination, tout le monde progresse. On a un malade qui a une visibilité réduite, et une neurologue lui avait déconseillé de venir, sa femme aussi, mais lui voulait venir. Il est venu une fois, il a adoré mais pendant deux mois, une balle sur deux au lieu de la taper tout de suite il reculait, la laissait rebondir par terre, la tapait ensuite comme au tennis. La balle rebondissait sur la table, par terre. Il reculait, la tapait et arrivait à la renvoyer sur la table. On maintenait un échange de cette façon et petit à petit on le rapprochait un peu de la table. En deux mois, il est parvenu à jouer tout le temps à la table, comme quelqu’un qui apprend à jouer et qui fait des progrès. Il n’a plus aucun problème de coordination par rapport au ping-pong.
Le but c’est l’activité physique. Donc que la balle rebondisse quatre fois ou 10 fois peu importe du moment qu’il y a cet échange de balles.
Les bénéfices annexes auxquels vous ne vous attendiez pas ?
On n’avait pas anticipé le fait que les aidants allaient autant apprécier venir, discuter entre eux, jouer et participer à une vie de groupe. Autre chose non prévue : la partie intergénérationnelle. Ainsi pendant les vacances les petits enfants des malades peuvent venir jouer avec eux et un foyer de vie dans le 77 veut lancer l’activité. Ils se rendent compte qu’un alzheimer a de moins en moins de discussion avec ses petits enfants ou enfants et le ping-pong reste un moyen de se reconnecter et de partager un petit moment ensemble. Un malade d’Alzheimer est plutôt bien physiquement, il faut en profiter et le stimuler. C’est très plaisant de voir ce partage entre un père et sa fille. La maladie de notre plus jeune malade a avancé très vite et actuellement il a du mal. Mais dans un premier temps il jouait avec sa fille. Alors qu’à la maison il ne parle quasiment plus. La partie apathique que l’on voit dans le cadre privé disparaît complètement quand il se plonge dans cette activité. Cela lui provoque ainsi qu’à sa famille un réel bien-être. On a des malades qui aiment bien inviter de temps en temps leur frère, leur sœur à venir jouer un petit peu avec eux. Ils sont fiers de montrer qu’ils y parviennent, qu’ils font partie d’un club. Il règne une grosse émulation. L’on s’est rendu compte que le ping-pong avait un effet hypnotique. Le fait de sentir le rythme de la balle met certains malades en état de flow, un état second englobant un état de concentration optimale. Un peu comme une auto hypnose… En cas de gros problèmes moteurs on arrive quand même à maintenir un petit peu des échanges et quand des problèmes intellectuels surviennent, la partie fonctionnelle qui renvoie la balle se réactive. Etienne par exemple qui à la maison n’arrive quasiment plus à faire d’activités et abandonne au bout de 5 minutes joue au ping-pong 1 heure et demi sans s’arrêter. On a mis en place des exercices destinés à développer cette concentration en essayant de prolonger cet état second. Etienne pour rester concentré a besoin de mouvement, d’action de rythme apporté par des échanges continus. Pour ce faire, on a une bassine pleine de balles à côté de nous et l’on envoie des balles sans arrêt. L’important au ping-pong c’est de suivre la raquette de l’adversaire pour savoir si elle va à droite, à gauche, si elle va être rapide, haute, si on va faire une feinte. Autre exemple : Marie-Pierre qui a d’énormes problèmes de concentration. L’on a trouvé une astuce pour qu’elle reste longtemps à la table, et qu’elle joue. On lui met Carmen sur un téléphone posé sur la table de ping-pong. Elle est là, elle chante, joue pendant 1h et balance le bras comme un chef d’orchestre, sourit, regarde un peu partout. La musique la remet dans cet état de flow. Chaque malade a des besoins un peu différents. Certains ont besoin d’un repaire visuel.. Mais on ne cherche pas à mettre en avant les repères de chacun car on ne veut pas non plus stigmatiser telle ou telle personne.
Est-ce du ping-pong en simple, ou en double ?
Souvent en simple, et quelquefois en double. On ne compte jamais les points, ce n’est pas de la compétition. Le but c’est de jouer un maximum. En terme de matériel, on a beaucoup de balles, pleins de paniers remplis. Les entraîneurs, les bénévoles ramassent souvent les balles, et il n’y a pratiquement aucun temps mort, le but étant de garder beaucoup de dynamisme. Tout le matériel est fourni et les bouteilles d’eau aussi si besoin. On fait attention aux raquettes et on dit à tous les clubs qui mettent en place le programme de se servir de raquettes plutôt résistantes. La raquette peut tomber par terre, cogner un peu la table. Il faut une raquette qui n’accroche pas trop, qui n’ait pas trop d’adhérence. On respecte beaucoup le geste naturel de chacun. Les effets doivent être peu existants car la personne dotée du même niveau ne va pas pouvoir renvoyer la balle à chaque fois. On prend donc des raquettes qui ne mettent pas beaucoup d’effets. Les balles sont exactement les mêmes que pour un groupe normal afin que les non malades puissent se mélanger au maximum.
Ils vont être à peu près au même niveau et s’amuser ensemble. On va créer des situations leur permettant de progresser en groupe. Cette première phase est la plus facile à appréhender. La pathologie peut être plus axée soit sur la mémoire , soit au contraire sur la partie coordination, motricité et l’on utilise des exercices ou des situations spécifiques. Pour certains c’est difficile de renvoyer la balle à chaque fois au-dessus du filet. A ce moment là, on l’enlève en gardant les échanges et le même concept. Les malades très avancés et plus âgés vont jouer sans filet et assis. Les plus jeunes même avancés peuvent se tenir un peu debout devant la table. On va les mettre en confiance avec une situation très simple, la balle va juste rouler et on va changer un petit peu les trajectoires. Il ne faut jamais que ce soit présenté comme une contrainte et les malades doivent agir en fonction de leur humeur du jour. On a un créneau en début d’après-midi et un le matin. En période normale, 16 malades ont 30 tables à leur disposition dans une salle de 900 m2. Le plus âgé a 87 ans, mais il n’est pas très avancé dans la maladie.
Qu’est-ce qui est le plus difficile côté enseignement ?
De voir que la maladie avance quand même. Mais tout montre que s’ils étaient moins actifs ils auraient avancé plus vite dans la maladie. Mais c’est difficile de faire une évaluation car l’on ne connaît que la réalité actuelle. On s’occupe du même patient depuis plus de trois ans et chaque famille stimule différemment son malade. On en a deux ou trois qui en trois ans sont très stables mais qui après les vacances d’été prennent un petit coup quand même. Ils ont perdu soit en motricité soit en tenue de corps. On ne sait pas si c’est le manque de ping-pong ou le fait de ne pas être stimulé comme habituellement au quotidien. Lors du premier confinement, tous ont perdu un peu en autonomie. Ou en tout cas ont avancé dans la maladie. Le plus gros problème pour nous ce n’est pas la mémoire, c’est la concentration. Avoir un malade qui va se mettre à déambuler, que l’on a du mal à garder avec nous. C’est pour cette raison qu’une des priorités au début c’était de savoir comment les garder à la table. Et puis l’on s’est rendu compte que chacun avait un besoin différent. Au début, on n’avait pas trop les solutions, maintenant on les laisse déambuler un petit peu. Après si on sent qu’ils n’ont pas trop envie de jouer on les fait s’asseoir et l’on discute. Si certains ont besoin de marcher dans la salle pas de problème, la salle est grande. La déambulation c’est simplement parce qu’ils ont décroché. Des déclencheurs nous permettent de les remettre en route. Notamment la phrase « Renvoies la balle « que l’on utilise tout le temps. En tout cas cela fait plaisir, car ils rigolent, racontent des blagues. Les aidants nous disent qu’ils ne sont jamais comme çà chez eux. Apparemment c’est le jour et la nuit, mais je ne les vois que pendant le jour. Ils parlent de cette activité chez eux et one envie de revenir. Les bénévoles de France Alzheimer nous ont dit qu’il y en a certains qu’ils ne reconnaissent plus. Même si parfois ils ne se souviennent pas d’une personne, ils n’oublient jamais qu’il vont au ping-pong. Des réactions surprenantes ? Une ou deux fois, un malade au lieu de nous renvoyer la balle nous a lancé sa raquette mais c’était avec douceur donc sans incidence...
Je pense aussi que certains professionnels voient des différences mais ils ne vont pas s’avancer sur ce terrain là, sans études. Ils veulent des preuves scientifiques.. Dans quelques clubs, l’on peut jouer toute l’année et l’idée c’est de le mettre en place dans ce genre de club Même encore plus régulièrement comme un foyer de vie. La fédération allemande est intéressée. Il y a peu, j’ai fini de former des professeurs à Toronto au Canada. Quatre Ehpad veulent lancer le programme en association avec des clubs locaux. Ils vont faire exactement la même chose que nous et veulent aussi utiliser le ping-pong comme un média de reconnaissance avec la famille. C’est un réel questionnement pour des résidences de personnes âgées.
Avez-vous eu l’occasion de discuter avec des professeurs utilisant d’’autres sports avec les malades Alzheimer ?
Un peu avec des professeurs de basket, activité lancée dans l’est de la France. Mais au final ils ont arrêté car le ballon peut faire mal et ils ne peuvent pas le donner à n’importe qui. Aussi avec quelqu’un qui a lancé un tai-chi-chuan très doux. C’est pareil il existe un moment où à un certain stade de la maladie on ne peut plus expliquer les mouvements. Même si on montre le malade ne réagit plus. Une partie du cerveau du malade n’est plus là.
15 clubs en France ont maintenant lancé l’activité ping-pong. On essaye de recréer des connections entre les antennes France Alzheimer et les clubs de ping-pong où il règne un peu de dynamisme. Beaucoup de clubs sont intéressés car ils s’aperçoivent vite des bénéfices et et l'on, espère que de plus en plus de clubs adopteront le projet.
Agnès Figueras-Lenattier
04:45 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 03 janvier 2023
L'art en prison
Bruno Luvolé
Fin 2022 a eu lieu à la Mairie du XIIIè arrondissement, une très belle exposition sur de magnifiques peintures réalisées par des détenus du monde entier. Une initiative résultant d’un partenariat entre deux associations l’une créée par Peter Echtermeyer "Art and Prison" un ancien aumônier allemand ayant longtemps travaillé dans des prisons et l’autre, "Art et prison en France"créée par Bruno Luvolé. Cela donne un résultat étonnant où l’on peut se rendre compte que les détenus ont en eux des capacités insoupçonnées et sont capables par le biais de l’art de se transformer… Un nouveau regard sur le milieu carcéral…
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Pourriez-vous parler de votre association « Art et Prison en France » ?
C’est une association qui a été créée en 2014, au départ pour organiser l’exposition en France d’œuvres d’art détenues dans le monde entier. Ce qui a déterminé cette initiative c’est la rencontre de mon épouse avec Peter Echtermeyer. Nous étions en voyage en Italie et elle a vu cet homme devant une galerie qui lui a dit « Entrez, voyez ». Elle a donc vu une exposition de tableaux, et Peter Eschtermeyer lui a demandé ce qu’elle en pensait. Elle lui a répondu que quelque chose d’étonnant émanait de ces peintures et c'est alors qu'elle a appris que ces tableaux étaient réalisés par des détenus du monde entier. A l’époque Peter Echtermeyer était aumônier dans une prison en Allemagne et il a mis en place cette association dans le but de promouvoir l’art pictural des prisonniers.. Il a également créé un concours international de peinture réservé aux détenus. Comme il avait de nombreuses relations dans des prisons se situant dans différents endroits, il a réussi à obtenir des tableaux qui venaient de 40, 50 pays (aujourd’hui, il y a près de 60 pays représentés) et en 2022, il en est à son 6ème concours. Un jury avec artistes et spécialistes est présent, et des sponsors donnent de l’argent ce qui permet d’attribuer des prix.. Mon épouse est cinéaste, et elle a eu envie de faire un film sur le sujet car c’était inédit pour nous. Il s’intitule « Un demi- mètre carré de liberté. » Pour le moment, nous ne l’avons pas encore mis sur une plate-forme, nous l’avons montré lors de festivals notamment aux Etats-Unis et il a obtenu un prix en Angleterre. Nous l’avons aussi montré 2,3 fois à Paris particulièrement lors de l’exposition à la Mairie du XIIIè arrondissement. Nous n’avons pas trouvé de financement pour le mettre en vente, Il aurait fallu davantage de sensationnel. Si un gangster était devenu peintre, la situation aurait davantage intéressé les médias mais ce n’est pas ce que l’on a voulu démontrer. Nous avons parlé avec Peter Echtermeyer de notre documentaire qui nous a donné son accord mais nous a expliqué que ce qui l’intéressait surtout c’était d’exposer ses tableaux en France. Il avait déjà exposé dans divers pays d’Europe. C’est ainsi que nous avons créé notre association pour exposer cette collection en France. Nous avons trouvé une galerie près de la Bastille qui s’appelait Dorothy’s Galerie tenue par une américaine qui a bien voulu prendre l’exposition gratuitement même si les œuvres n’étaient pas à vendre. Nous avons pu bénéficier de la galerie pendant 3 mois.
Pourquoi les œuvres ne sont-elles pas en vente ?
L’une des difficultés c’est qu’il existe un contrat de cession signé avec les pays. Ce n’est pas possible de vendre car tout dépend des règles de chacun. C’est vraiment au cas par cas et c’est extrêmement compliqué à gérer. Quand on a exposé les œuvres en 2014, il a fallu trouver une structure juridique pour financer le transport. On avait levé des fonds en créant cette association et on avait organisé à l’époque 18 soirées sur la détention et surtout sur l’art en prison. Une soirée avec des juges, des anciens détenus, diverses personnes a été mise en place. Des films ont été projetés dans la galerie et certaines personnes nous ont encouragé à continuer notre action en faveur de l’art en prison. On a donc persévéré, et l'on a refait des expositions à Saint-Nazaire, Paris et Strasbourg en 2018. Et en 2022 on a fait cette exposition à la Mairie du XIIIè. On aurait du le faire avant mais le covid nous en a empêché. Nous avons également un réseau de galeries d’art qui s’appelle « Carré d’artistes « qui nous a accueilli pendant un mois à Marseille pas très loin du vieux port.
Quel est le but essentiel de ces diverses démarches ?
De donner au public une vision différente de l’univers carcéral et des détenus en exposant ces œuvres qui sont souvent magnifiques. Ce sont des personnes qui ont à un moment donné de leur vie commis des actes répréhensibles même dans certains cas un acte criminel mais on ne peut pas résumer le profil d’une personne juste à un agissement dépourvu de tout contrôle à un moment donné. Et puis les gens évoluent. Les personnes libres à l’extérieur évoluent, les détenus aussi et on veut changer le regard envers ces prisonniers. Ce sont des personnes qui peuvent créer un bel univers avec tout ce que cela implique. Un public qui regarde les détenus différemment va aider à leur réinsertion. En effet, souvent l’une de leurs difficultés, vient du fait qu’ils ont fait quelque chose de condamnable et c’est marqué sur leur front à vie. Il existe beaucoup de récidives car on ne leur donne pas la possibilité de ne pas récidiver. Comme l’a bien dit Peter Echtermeyer lors d’une interview, si on leur tend la main, si on les aide, s’ils ont un accueil favorable, cela peut multiplier leurs chances de s’en sortir. Les personnes qui récidivent je ne parle pas forcément des crimes les plus violents se trouvent à leur sortie à la rue. Ils perdent leur logement faute de payer le loyer, sont souvent rejetés par leur famille quoi qu’ils aient fai. Ils se trouvent désocialisées car leur contact se résume aux personnes qu’ils ont fréquenté pendant 1 ou 2 ans en détention. Donc ils en viennent à voler faute de pouvoir se nourrir. L’art les aide à changer de comportement, à se cadrer, à se poser, à réfléchir éventuellement sur ce qu’ils ont fait. Il faut être conscient que l’on demande à la prison de pallier les faiblesses de la société à intégrer ces personnes là. Il y a beaucoup de personnes quand on parle de récidives qui espèrent que la prison va corriger en 4,5, 10 ans ce qui n’a pas été fait pendant les 20 premières années de la vie de la personne.
Quelles sont les œuvres qui ont été exposées à la mairie du XIIIè ?
Celles du concours de 2020 avec quelques œuvres emblématiques que l’on réexpose plusieurs fois. A chaque fois, c’est extrêmement bien reçu, et l’intitative soulève beaucoup d’interrogations . On se rend compte que des détenus peuvent s’exprimer par l’art, que c’est universel, et que ce n’est pas une lubie sociale dans un pays. On a de plus en plus de gens qui rejoignent notre association et l’on est maintenant un peu plus de 40 membres. Je pars avec une camionnette et quelques amis de l’association et l’on va chercher les tableaux à Berlin, Marseille, puis on les ramène à Paris. C’est un budget qui cette année a représenté au total 15.OOO euros et il faut les trouver. On a fait des levées de fond sur financement participatif et on avait encore des fonds acquis lors des précédentes expositions. En 2018, on avait reçu une subvention de l’administration pénitenciaire dans le Grand Est lors d’une expo à Strasbourg. En 2014, on avait eu des subventions de la Sodexo justice services et en 2022 on a obtenu une subvention du secours catholique et une subvention de la Mairie de Paris. A chaque fois, on essaye de taper large avec des personnes qui nous soutiennent. Globalement, peut-être parce que les gens qui viennent sont déjà intéressés par le thème, les réactions sont toujours très positives. Les gens de la Mairie du XIIIè avec qui j’ai pu en parler sont étonnés par la qualité des œuvres et se rendent compte que ces personnes qui parfois ont fait de longues peines sont capables de réaliser de très belles choses…
Existe-t-il beaucoup d’ateliers culturels en prison ?
Oui plus qu’on ne le croit. Il y a deux ans est sorti un film intitulé « Le triomphe » une fiction qui recréé un atelier théâtre en détention . Présente aussi de la danse avec l’intervention de chorégraphes comme Pierre génie qui a monté un spectacle Porte de la Villette avec des détenus de Nanterre. On trouve également des arts visuels comme la peinture, la sculpture, le chant, la musique . Mais c’est un nombre limité de détenus qui en profitent à chaque fois. Des initiatives se mettent en place pour apporter un peu d’art dans les murs . A eu lieu une exposition au centre pénitentiaire sud francilien à Réau. Les détenus sont devenus des spectateurs et ont pu observer des reproductions d’œuvres au sein de grands tableaux. Certains détenus avaient été formés pour être des commissaires d’exposition dans le but de faire visiter les expos à d’autres détenus. C’est bien, mais ce que l’on regarde aussi c’est ce que produisent les détenus eux-mêmes. A Paris, une organisation « Talents cachés » organise des œuvres qui viennent de la région parisienne. Ils les montrent depuis quelques années à la Mie de Pain tous les ans au mois d’octobre. Ce qui implique qu’il existe quand même beaucoup d’ateliers comme des ateliers théâtre à la Santé. Quand nous avons projeté notre film à la Mairie du 13ème, une jeune femme qui intervient en atelier théâtre dans ce lieu a lu des textes. On peut donc voir des œuvres qui viennent d’autres institutions que celles du concours allemand. Mais c’est parfois compliqué à monter pour des raisons de cession. Prendre des œuvres, les retourner en détention, réussir à les faire sortir demande toute une logistique…
Comment se passe un atelier ?
Dans les ateliers auxquels on a assisté il règne souvent une certaine forme de liberté, ce sont les personnes qui choisissent. Un modèle est parfois suggéré mais pas obligatoirement. On peut aussi être simplement des guides ou des professeurs en disant : Vous faites un peu ce que vous souhaitez mais soyez un peu plus structuré dans ce que vous faites. Quand vous fais ceci, essayez de le représenter de telle ou telle façon. » On peut aussi proposer un texte sur lequel il faut parler, un thème. Chacun créée différemment et la fréquence dépend des centres. Dans une maison centrale comme Saint-Maur, les gens ont la possibilité de se promener à certaines heures de la journée. Tout est très sécurisé, mais des plages horaires sont instaurés et ceux qui le veulent peuvent avoir accès à la salle qui en général est fermée. Il faut que quelqu’un procure l’accès mais on peut y rester le temps que l’on veut. Si un détenu a envie de peindre, il peut le faire seul dans sa cellule si les conditions présentes dans les maisons centrales le permettent… C’est moins restreint qu’on ne le pense mais je manque un peu de statistiques là-dessus sachant qu’il existe en France 187 établissements pénitentiaires. Ceux pour les longues peines les maisons centrales et les maisons d’arrêt. Dans les maisons d’arrêt, on trouve généralement trois catégories de détenus : les prévenus en attente de jugement, les détenus pour courte peine moins de deux ans, les détenus en attente de transfert et entre deux affectations. Ceux qui sont en courte peine ont moins de chance d'avoir accès aux ateliers vu l’attente. On aura donc plus de gens condamnés à de longues peines.
Est-ce réservé à un certain profil de détenus ?
En général ce sont quand même des détenus qui se comportent correctement, ceux en rébellion ou autres, on a plus de mal. Les places sont chères et quand on avait réalisé notre film, un détenu nous avait dit qu’il avait attendu un an et demi avant de pouvoir intégrer un atelier de peinture d’environ 10,12 personnes pour 800 détenus. Et puis peut-être que c’est plus facile de se projeter, de participer à des ateliers pour les détenus qui ont déjà un certain bagage artistique. C’est à titre personnel d’oser se lancer. La plupart avaient déjà un contact avec le domaine, mais il peut exister des personnes totalement ignorantes sur le sujet. En général dans ces ateliers les artistes qui interviennent et guident les prisonniers sont extérieurs à la prison. C’est vraiment dans les années 80 du temps où Robert Badinter était ministre de la Justice que cela a vraiment démarré.
Possibilité pour des personnes de l'extérieur d'intervenir
Un partenariat avait été signé entre le Ministère de la Justice et le Ministère de la Culture avec une convention qui permettait à des personnes extérieures d’intervenir. Il fallait quand même le cadrer et l’organiser. C’est souvent pris en charge par des associations locales et ces prisonniers peuvent effectivement être totalement dépourvus d’éducation artistique. On en rencontre un certain nombre y compris parmi les longues peines qui nous ont dit quand on a fait le film qu’ils n’avaient jamais eu de contact avec l’art. Mais l’un d’entre eux a confié avoir déjà pris un carnet pour dessiner. Ce sont généralement des gens qui ont quand même une petite démarche de fibre artistique. Certains peuvent dire « Je ne connaissais pas, et dans l’enfermement ça m’a permis tout à coup d’être plus apaisé. Cela oblige le détenu dans un milieu assez anxiogène et agité à se poser, se calmer, réfléchir et à se demander ce qu’il peut produire, ce qu’il a envie de montrer et comment. On peut juste barbouiller une toile, mais ce n’est pas le cas en général. Ce sont souvent des moments que les détenus apprécient dans un atelier ou même en cellule. Etre tout à coup plongé dans une création, s’exprimer par l’art alors qu’’ils ne sont pas forcément à l’aise dans la langue du pays est pour eux une sorte de réconfort. Ce sont des personnes qui bougent, qui ont d’autres origines culturelles. Il existe tout un ensemble de cheminements pour le détenu qui l’incite à aller vers cela même s’ il n’avait pas la fibre artistique au départ. Un rapport réalisé en 2022 devant l’Assemblée Nationale sur le système pénitentiaire français démontre que le niveau d’études des personnes en détention est quand même très faible. On considère qu’il y a 10% d’illétrés, 20% qui maîtrisent mal l’écriture et 75% qui ont un niveau maximum CAP.. Il viennent de milieux défavorisés soit par l’environnement, soit par les hasards de la vie, ce qui les bloque complètement et les font réagir de manière totalement dépourvu de sens social.
Des exemples de reconversion ou autres ?
Je pense à un détenu que l’on connaît assez bien qui a été le parrain de nos expos en 2018. Il a fait des conneries jeune et s’est remis au dessin, a repris des études de communication alors qu’il était en détention et qui maintenant est dessinateur et publie des BD. Il a fait une attaque à main armée, s’est laissé entraîner dans un groupe. Il s’est retrouvé condamné à 10 ans, et a du en faire 6. Il ne peignait pas avant, et il est même devenu acteur dans le film «L’innocent » où il joue l’un des gangsters. Lui qui a eu une enfance difficile affirme que tout ce que l'on a en soi notamment contre la société qui nous a mal traité, qui ne nous a pas aidé ou jamais tendu la main , c'est plus judicieux de le mettre sur une peinture plutôt que d'agresser les gens. La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté Dominique Simonnot auditionné en octobre à l’Assemblée Nationale qui justement citait des détenus devenus positifs pour la société a parlé immédiatement de lui.
le livre d'un détenu s'en étant sorti
Mais il y en a d’autres comme Karim Noktari qui a écrit un livre « Rédemption, itinéraire d’une enfance cassée ». Il a eu une enfance telle que je ne sais pas comment nous aurions réagi à sa place. Quand on est tout petit dirigé dans la mauvaise direction c’est très dur de s’en sortir et lui s’en est sorti en prison. Tout d’un coup, il a eu la force de caractère de s’ en sortir. C’est un exemple de personne qui par l’accès à la culture en détention a pu commencer à se cultiver, à changer. C’est quelqu’un de remarquable, très brillant, coordonné, très structuré dans sa pensée. J’ai aussi entendu parler d’une femme nommée Diana par Peter Estermeyer qui a fait des années de prison en Ukraine et qui est l’auteur de deux tableaux et qui en sortant est devenue travailleuse sociale. Sa capacité à s’exprimer par l’art l’a contrainte à réfléchir. Elle a peint dans une cellule avec 30 femmes autour d’elle. Il faut avoir une capacité à sortir de l’endroit où l’on est… Il existe cela dit des génies de la peinture qui ont été des voyous comme Caravage. Il ne faut pas idéaliser les choses mais ça aide à s’en sortir. Une directrice qui s’exprime dans notre film témoigne que la vie est dure pour beaucoup de gens qui sont mécontents de leur sort et qui expriment cette colère par la violence. S’ils sont face à un obstacle du fait qu’ils n’ont peut-être pas la maîtrise du langage, l’art peut leur permettre de dire ce qu’ils ont en eux et de témoigner leur rage de façon positive. Des statistiques concernant l’effet de l’art sur les récidives ? Je n’ai pas de chiffres sur la récidive, la non récidive et à ma connaissance il n’existe pas vraiment d’étude sociologique ayant permis de suivre les gens de façon suffisamment vaste pour dire quoi que ce soit. Une étude faite par le profeseur Keliotis en Angleterre portait sur seulement 90 personnes . Or chaque année il y a plus de 90.000 personnes qui sortent. C’est donc difficile d’en tirer des conclusions. Beaucoup de détenus une fois sortis de prison, ne souhaitent pas rester en contact avec le milieu pénitentiaire et on ne sait pas ce qu’ils sont devenus. Ils disent que cela fait partie de leur passé, et veulent définitivement tourner la page. . On ne sait donc pas ce qu’ils deviennent sauf s’ils retournent en prison.
Quels sont les pays ou l'art en prison est davantage développé ?
Ce que l’on constate d’après le concours allument, c’est que pratiquement aucune œuvre ne provient d’Afrique. Ceci pour des raisons purement matérielles et financières. Les pays où c’est le plus développé c’est en général l’Angleterre avec une fondation qui s’appelle « The Koestler Trust". Ils sont financés par l’administration pénitentiaire et organisent chaque année également un concours d’art et exposent dans un lieu emblématique à Londres. 250 œuvres venant des prisons britanniques. Il y a quelques années quand on en avait parlé, ils recevaient annuellement 8000 œuvres sachant qu’un autre concours a lieu en Ecosse. Ils servent un peu un modèle et sont financés par l’administration pénitentiaire britannique. En Californie, il existe une association « The lawyers for the Art « , « les avocats de Californie pour l’art » qui a organisé un grand colloque avec des intervenants de plusieurs Etats. Aux Etats-Unis, cela dépend des Etats et on en trouve de plus ou moins répressifs. Les échos que l’on a en France indiquent que si c’est l’administration pénitentiaire elle-même qui s’en occupe, ce n’est pas très bien reçu. En effet, on ne va pas transformer un gardien de prison en professeur d’art et de plus en plus, il peut survenir une réaction psychologique négative si c’est imposé par l’administration. Donc la richesse vient de l’intervention de gens venant de l’extérieur. Ce sont souvent des initiatives d’associations qui permettent d’avoir ce foisonnement et je dirais que dans les pays occidentaux globalement c’est assez développé. Beaucoup d’œuvres également viennent d’Amérique latine. De temps en temps, les conditions d’emprisonnement font la une des journaux et disent que la situation ’est assez catastrophique.
Quels sont vos projets ?
Refaire des expositions. Le 6ème concours international se déroule en ce moment et comprend davantage de tableaux venant de centres français. Nous allons exposer de nouveau ces collections en 2024. On est aussi présent jusqu’à début mars à Villeneuve sur Yonne . Un débat va avoir lieu le 16 janvier à 18h30 sur l’art et la culture en prison à l’auditorium de la Mairie de Paris. L’on va faire parler des intervenants come Mr Cotte ancien magistrat, président honoraire de la chambre criminelle de la cour de cassation, et ex président de chambre au tribunal pénal international, Laurent Ridel directeur de l’administration pénitentiaire, Karim Moktari un ancien détenu, et Peter Echtermeyer l'aumônier. Ils expliqueront ce que l’art apporte aux détenus. Pourquoi et comment il faut le développer, quels sont les enjeux et les défis que représente l’introduction de l’art et de la culture en détention. Au mois de janvier, 12 tableaux vont être reproduits sur de grands panneaux en impression aluminium et exposés rue de Rivoli juste avant l’hôtel de ville dans un bâtiment de la Mairie de Paris la caserne Napoléon … On devrait également essayer de monter une exposition en 2023 ou 2024 dans le Sud de la France à Nimes avec un coordinateur culturel. J’ai suggéré l’idée à l’administration pénitentiaire de faire une exposition venant de la collection à la fois en détention et en extérieur afin que les deux initiatives soient jumelées.
Agnès Figueras-Lenattier
04:35 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : prisonniers, peintures, exposition
vendredi, 09 décembre 2022
Erick Monjour et le salon africain
Erick Monjour
Erick Monjour artiste peintre iconoclaste est également le directeur du salon africain parisien dont la première édition a eu lieu en octobre 2021 à la mairie du 6ème arrondissement. Cet événement fut un succès et il espère renouveler l’expérience en avril 2023…
Comment cette idée de salon du livre africain vous est-elle venue ?
Deux raisons ont guidé mon choix. D’une part, il n’existait rien à ce niveau là du moins à Paris et d’autre part j’avais déjà une expérience dans l’organisation de salon puisque depuis 7 ans j’en organise un annuellement sur la littérature russe à l’église russe quai Branly. Pourquoi l’Afrique ? J’ai vécu là-bas jusqu’à l’âge de 14 ans, et je trouvais intéressant de se projeter sur ce continent peu exploité dans le domaine des salons littéraires. C’est un continent que je connais assez bien, environ une quinzaine de pays ce qui permet de mieux maîtriser les événements et me donne une forme de légitimité. . En effet, on pourrait s’attendre à ce que ce genre d’initiative soit réalisé par des africains ou d’origine africaine et c’est important de faire comprendre que ce n’est pas lié à la nationalité mais à l’intérêt pour le continent et notamment pour son domaine littéraire. Et le résultat a été concluant avec de nombreux auteurs, éditeurs et visiteurs. On a même été obligé de refuser du monde à partir de 15,16 heures…Le public était essentiellement diaspora africaine. Environ 6000 personnes sur trois jours.
Vous avez commencé jeune à ivre des livres africains ?
Non, c’est vraiment en préparant le salon que j’ai appris à connaitre la littérature africaine. Je connaissais bien sûr quelques auteurs, mais j’ai approfondi mes connaissances en préparant l’événement. Il n’est pas non plus nécessaire d’être forcément un grand spécialiste. On parle avec les éditeurs qui ont des besoins sur le moment. Ils ont une actualité et souhaitent faire parler d’un auteur. C’est un peu ce qui donne le prétexte à des thématiques et des tables rondes. Après, on peut avoir des idées, des envies d’inviter particulièrement certains auteurs mais c’est un travail collectif.
Comment avez-vous procédé pour toute la préparation ?
J’avais une équipe de trois personnes quelques mois avant le début du salon qui ont travaillés sur trois axes : les invitations éditeurs et auteurs, la communication et la recherche de financement. Avec en plus une vingtaine de bénévoles.. C’est un salon financé par la mairie de Paris, la société des auteurs, et une fondation suisse « Jan Michalski. Sur un plan davantage privé, j’ai obtenu les soutiens de Canal plus, Orange et dun éditeur Elitis.
Ce salon existe aussi au Maroc !
Oui. J’ai d’ailleurs un partenariat avec un salon organisé à Conakry en Guinée qui existe déjà depuis 14 ans pour créer des synergies entre ce que je fais à Paris et ce qu’ils font en Guinée. Je leur apporte des auteurs, des partenaires, et des sponsors. En échange, ils me permettent d’avoir un stand sur place. J’organise des formations et cela me donne l’opportunité d’entrer en contact avec des éditeurs et auteurs africains et de parler du salon parisien.
C’était à Paris un salon très diversifié !
Il y a 56 pays africains dotés de 56 cultures différentes avec en plus de nombreuses ethnies. C’est effectivement très divers car en Afrique, on écrit en français, en anglais, en arabe, en portugais et puis dans les normes de chaque pays. Les histoires racontées ne sont pas les mêmes que les européennes, les combats non plus. La vie est très différente et ce qui est bien tombé c’est que cette année la littérature africaine a vraiment été mise en valeur : Mohamed Mbougar Sarr prix Goncourt pour « La plus secrète des mémoires », le prix Nobel attribué à l’ auteur tanzanien Abduleazak Gurnah pour « Près de la mer », , le prix britannique le booker Prize à David Diop avec son livre « Frère d’âme ». C’était une année très prospère pour la littérature africaine… Des poètes , des slameurs sont intervenus au salon avec de petits récitals de quelques minutes. On a organisé une exposition de peinture et une de photos, des trentaines de tables rondes. On avait aussi invité des auteurs auto-édités sur des créneaux horaires bien précis.. Deux tables rondes sur le cinéma ont également eu lieu avec un metteur en scène tchadien Mahamat Saleh Harun qui a obtenu un prix à Cannes et un acteur africain Sidiki Bakaba. Présent également « Le mobile film festival », réunissant des films sur mobile d’une minute tournés en Afrique avec un concours dans tous les pays. Les gens voient leurs films sur une plate-forme et ensuite, un jury attribue des récompenses..
Et pour les enfants qu’aviez-vous prévu ?
Des ateliers sur le dessin avec des motifs de pagne et de tissu. Des contes le matin entre 11h et midi. Mais ça n’a pas été tellement développé car avec le Covid c’était difficile de faire venir des écoles. Mais beaucoup de femmes d’origine africaine créent des livres pour enfants avec même leur propre maison d’édition. Elles ont pu présenter leurs livres. De manière générale, depuis une dizaine d’année, les femmes sont très présentes et font de très bons livres.. C’est une littérature très féminine notamment au Maghreb, au Rwanda, Burkina.
Vous avez bien sûr lu le prix Goncourt. Il semblerait qu’il ait fait naître pas mal de polémiques !...
Non, il ne s’agit pas de ce livre là. Les polémiques sont nées au Sénégal avec de précédents ouvrages notamment un sur l’homosexualité qui n’est pas très bien vu là-bas. Le prix Goncourt raconte le parcours d’un auteur africain qui découvre un manuscrit écrit quelques vingt, trente ans auparavant par un auteur porté disparu et qu’il considère comme capital. C’est une trame un peu mystérieuse dont les histoires s’enchevêtrent et contiennent un certain nombre de mises en abîmes. C’est un livre très bien écrit, intéressant, avec de belles pensées…
En qui consiste la poésie africaine ?
Ce sont des univers très poétiques ponctués de transmissions orales réalisées au cours des années. Le verbe est quelque chose qui plaît à l’âme africaine. Les gens aiment bien faire de belles phrases et utiliser de beaux mots. Au salon, sont venus des spécialistes de poésie du Touareg, du Mali etc.. La poésie en soi est davantage un concept européen, et en Afrique on appelle plutôt ce domaine « contes » mais cela revient souvent au même.
Que conseilleriez-vous aux novices voulant découvrir la littérature africaine ?
Important déjà de choisir un peu les thématiques. Certaines sont liées aux conflits, comme celui du Rwanda écrits par des rwandais qui parlent du génocide, d’autres sont très axés sur les traditions, ou sur l’univers contemporain. Il faut peut-être aussi sélectionner un pays ou une zone géographique car selon les endroits, les récits diffèrent. Les gens n’ont pas la même vie, ne vivent pas dans le même univers culturel. Par exemple Scholastique Mukasongo, Hella Feki Tahar Ben Jelloun, Fiston Mwanza Mujila pour ses écrits sur le Congo Kinshasa sont intéressants à connaître…
Quels seront les changements pour le prochain salon ?
Ce sera pratiquement similaire. Mais on va demander une participation aux éditeurs, car c’est compliqué de financer. Et puis, quand on laisse la gratuité, c’est plus difficile de dispatcher le nombre de tables par rapport au nombre d’éditeurs. Dès qu’il y a un prix à payer, tout est plus clair et facile à gérer… Le prochain est prévu pour mars 2023, l’objectif étant de faire de ce salon le salon référence annuel en Europe de la littérature africaine. En tout cas dans l’univers francophone…
Agnès Figueras-Lenattier
19:35 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 06 novembre 2022
Maman a dit " Bandes de nuls"
Un livre autoédité par Céline et Killian Leutellier que l’on peut trouver sur le site bandesdenuls.com
Une belle ode à l’amour maternel et à la solidarité familiale, avec un lien très fort et pas toujours évident des frères et sœurs, voilà ce qui ressort de ce livre au titre évocateur. Celui d’une révolte et d’un combat qui ont triomphé et conduit à une belle réussite : l’épanouissement d’un enfant Killian dont on a détecté très jeune des troubles autistiques et schizophréniques et qui travaille maintenant dans un institut spécialisé. Ceci sans aucun médicament auquel la mère a toujours refusé d’avoir recours malgré les dires du personnel d’un centre médico-psychologique. Elle raconte qu’elle n’a jamais trouvé aucun secours là-bas, aucune écoute, aucune compréhension, que l’état de son fils Killian était mère pire qu’avant. En outre, on la culpabilisait aussi en prétendant que c’était de sa faute…
Assez découragée, elle a eu la chance de rencontrer un psychologue Thierry Faivre d’Arcier qui a soigné son fils à domicile au moyen du défoulement par la parole, le rire, le jeu, et a appris à Killian à se dominer pour mieux appréhender les symptômes qui le taraudaient. Quant à la maman, elle a fait preuve d’une patience d’ange, a su trouver les mots pour réconforter son fils et a utilisé des méthodes naturelles qui toutes ont eu un bienfait sur son fils. Que ce soit le théâtre, les massages accompagnés d’une musique relaxante, l’apprentissage d’une autohypnose, le sport, les plantes de temps à autre.Et vu les symptômes dont souffrait Killian, notamment l’obsession du rangement, cela n’a pas du être facile tous les jours d’autant plus que la maman avait également une fille et deux autres fils. Et qu’elle a donc dû sacrifier quelque peu ses autres enfants pour se consacrer davantage à Killian. Et même si ceux-ci en ont forcément souffert quelque peu notamment la sœur, ils ont donné toute leur affection à Killian ce qui a également fortement contribué à sa belle évolution.
Actuellement, Kiliian a 20 ans et s’exprime avec beaucoup d’aisance et de lucidité. Il a encore parfois des angoisses mais a appris à les gérer. Ce qui le déstabilise c’est l’inconnu et il a besoin d’avoir une vie bien réglée. Sa plus grande thérapie maintenant c’est le sport en particulier la course à pied. Il y trouve un tel bien-être qu’il a tendance à trop en abuser et à se diriger vers la bigorexie. Il s’est d’ailleurs blessé et a compris qu’il fallait être plus raisonnable. Il rêve de tenir une épicerie et même s’il n’a jamais été amoureux (il veut d’abord être stable au niveau du travail et travaille au sein du dispositif ULIS), cela lui donne envie et fonder une famille n’est pas exclu pour lui.
A la fin du livre, plusieurs témoignages sont présents, les frères, la sœur, les maîtresses et ce qu’il faut retenir c’est ce que dit la sœur : Heureusement qu’ il existe la « différence. » Et ces êtres que l’on a tendance à juger trop négativement sont souvent très intelligents et très attachants. Oserais-je dire comme me l’avait affirmé une fois un psychiatre que contrairement à ce que l’on prétend ils n’ont pas « une case au moins, mais « une case en plus ».
Rencontre avec la maman et le fils :
Le titre est évocateur. Qu’avez-vous voulu faire passer comme message ?
Killian : « Le titre est vraiment en lien avec tout ce qui se rapporte au livre. C’est assez familier, assez commun. Ce n’est pas une insulte, mais c’est assez surprenant et parlant. Cela évoque le lien qui existe entre nous et raconte un combat solitaire, juste au sein de la famille, celui de résister aux médicaments. C’est un titre qui sort vraiment du lot et significatif.
A quelle occasion Killian a- t-il été détecté « troubles autistiques et schizophrènes ?
La maman : « Il n’existe pas de diagnostic vraiment établi. A l’âge de 10 ans, un psychologue l’a pris en soin et a établi ce diagnostic. « Mais on ne pose pas d’étiquette dessus. Killian est killian et on va l’aider à aller le plus loin possible sans s’arrêter à la maladie. Chacun est différent et on va l’accompagner dans son chemin. »
Quels étaient les symptômes de JKillian ?
C’était surtout auditif. La nuit il m’appelait car il entendait des voix et il était terrorisé. Il avait l’impression que quelqu’un respirait donc évidemment il avait très peur. Il disait aussi que la maison était penchée et d’autres choses de ce genre. Ce qui le gênait c’est qu’il était le seul à vivre ça. Il avait parfois des idées suicidaires . A un moment donné, j’ai été dans son sens et je lui disais même si ce n’était pas vrai que je voyais les mêmes choses que lui ce qui l’a beaucoup aidé.
Vous êtes aide-soignante et vous avez été très marquée par un stage en psychiatrie
La maman : Oui j’ai été confrontée à des enfants atteints de schizophrénie ou de toutes sortes de maladies psychiques. J’ai vu leur état de souffrance et ils prenaient des traitements tellement lourds qu’ils ne sortaient même plus de leur lit. Ils étaient dans un état léthargique toute la journée. Ca m’a tellement choquée que je me suis dit que jamais je mettrai mon enfant dans un endroit pareil. Killian n’était pas encore né ; c’était au début de ma carrière d’aide soignante et j’ignorais qu’un jour je serai confrontée à ce problème. C’est une expérience qui m’a servie pour Killian.
Killian : J’ai un bon ami qui était sous médicament à cause de son état un peu dépressif. C’était un légume, je ne pouvais plus parler avec lui tellement il était fatigué, c’était dur de le voir dans cet état. Or il a trouvé récemment une copine, je ne
l’ai jamais vu aussi heureux et il ne prend plus rien. Comme quoi, il faut trouver son médicament naturel.
Finalement le personnel du CMP au lieu de vous aider vous a plutôt pénalisé dans votre démarche avec Killian !
Killian : Ils ont mis une étiquette sur mon problème et pour eux c’était médicaments ou rien.
La maman : Les psychologues n’avaient pas de temps à consacrer aux enfants et il n’y avait aucune écoute envers les parents. De toute façon, c’était de notre faute s’il était ainsi, soit disant je l’écoutais trop. Je n’avais aucune réponse à mes questions, aucun échange et pas question de consulter un autre psychologue que celui du CMP qui ne voulait rien entendre à part sa vérité à lui. . Il m’a envoyé chez un psychiatre qui l’a vu 5 minutes sans moi. Il m’a ensuite appelée et m’a dit « On commence les médicaments. » En plus c’était un traitement fort. Il devait avoir 9 ans et était suivi depuis l’âge de 6 ans à peu près. Ca n’allait pas et je suis sorti de ce circuit car je le voyais toujours aussi triste et je ne voyais aucune amélioration.
Killian : Les médicaments auraient eu un impact sur mes capacités à réfléchir et j’aurais été dépendant d’un traitement. On ne cherchait pas à résoudre mes problèmes, on ne faisait que les aborder en surface et plus ça allait, plus je m’enfermais dans ma bulle. Je peux comprendre qu’à un certain stade certains soient très atteints, et aient besoin de médicaments. Mais dans mon cas, il était possible d’avoir recours à des méthodes plus naturelles. Massage, musique, sport aussi pour l’équilibre. Chacun possède ses méthodes pour lutter contre les angoisses et il ne faut pas systématiquement utiliser les médicaments quand tout va mal.
Vous avez alors eu recours à un nouveau psychologue !
La maman : Oui, et il est venu travailler à domicile car Killian était complètement paniqué dans les transports. Et ainsi, il a réussi à créer du lien avec Killian. A chaque fois que je posais une question en tant que maman, il me répondait tout le temps. Je me sentais écoutée, comprise ; c’était la première fois. Et j’ai retrouvé du courage. J’ai cru en ce psychologue et je me suis dit qu’on allait y arriver. Il prenait parfois un petit temps avec moi, et si j’avais besoin, on faisait le point. Il avait aussi un lien avec toute la famille. Il m’accompagnait aussi dans les réunions MDPAH ce qui m’aidait car c’était compliqué pour moi de m’expliquer car au premier abord c’était difficile de se rendre compte qu’il avait ces problèmes. Au début, il avait peur d’avoir des ennuis, car il n’avait pas les qualités nécessaires pour s’occuper de jeunes enfants. Mais je lui ai mis un peu la pression et finalement il a accepté. Killian partait pendant une heure avec le psychologue dans sa chambre. Je l’entendais rire ; il évacuait tout ce qui n’allait pas et l’humour était de la partie.
Killian : Oui, et ce fut un changement radical avec un vrai travail. Il me faisait des tests et plein de choses qui bougeaient dans ma vie de tous les jours. Par exemple ma chambre c’est comme un musée. Tout est bien rangé, avec chaque chose à sa place. Il perturbait mes habitudes pour m’apprendre à en changer. Il me faisait sortir de ma chambre, dérangeait tout. Et pendant toute la séance d’une heure , heure et demi où je parlais avec lui, je ne devais pas ranger. C’était dur car j’aime bien quand tout est sa place. Ca me démangeait mais je me dominais. C’était très dur et à force de faire ces petits exercices, ces petits rituels, ça ne me faisait plus rien. Après, ce n’était plus juste le temps de la séance, il fallait que je me domine 1 ou 2 jours et quand il revenait tout devait rester au même endroit. Parfois je trichais un petit peu, je remettais en place, et quand il revenait je dérangeais à nouveau. C’était mon petit secret. Il m’a mis dans l’action ce qui n’était pas le cas au CMP. C’était mon seul point d’extériorisation par rapport à tout le mal être que je vivais. J’étais très agressif et il a utilisé un magnétophone et quand il revenait on écoutait la conversation. Je lui confiais tous mes secrets ; il me donnait des astuces. Pour moi c’était plus qu’un psy même si au début j’ai eu du mal à m’ouvrir à lui. On rigolait, on avait vraiment un lien de confiance. Moi qui étais tout le temps triste et renfermé, le fait de rire me faisait un bien fou. Quand il partait, je me sentais bien car j’étais vidé. Je disais ce que j’avais à dire, et j’avais hâte à la fin de la semaine qu’il revienne pour recommencer à dire ce que j’avais accumulé. Pour ma mère c’était un soulagement que je ne me rabatte pas uniquement sur elle. Actuellement, je ne suis plus suivi mais j’ai toujours son numéro sur moi au cas où. Il m’a toujours dit qu’il serait disponible pour moi. Mais maintenant j’ai toutes les clés et c’est à moi de jongler avec tous ces éléments.
Comment réagissiez-vous quand il avait ses crises ?
La maman : j’essayais de l’apaiser, de rester calme et je réagissais au jour le jour en fonction de ses crises. Pour les devoirs c’était très compliqué, et le psychologue m’a beaucoup aidée. Et quand on avait eu le malheur de déplacer un objet, c’étai terrible. Parfois, il n’y avait pas d’autre solution que de lui laisser faire sa crise. Sinon, il aurait envahi toute la maison. Ca le mettait dans des états pas possibles, il s’accaparait les escaliers. Il y avait des choses qu’on ne pouvait laisser passer. Ses troubles à lui c’était les alignements, le rangement à tout prix. Avec les autres, il ne parlait pas, il se mettait de côté.
Killian : « Lors des récréations, j’étais souvent dans mon coin. Des groupes se formaient, mais je n’allais dans aucune case et donc je me retrouvais seul. Je ne voulais pas non plus être trop dérangé et souhaitais être dans mon petit coin, réfléchir et faire des jeux tout seul.
En quoi le sport vous a-t-il aidé ?
« Killian :
Ca m’a beaucoup aidé à me sentir bien dans mon corps. En plus des problèmes sociaux que j’avais, les angoisses, je souffrais aussi d’un mal-être. Je me sentais nul, pas bien , j’étais dégoûté du corps humain, et le fait de faire une activité physique , de me libérer, de penser à autre chose , de rencontrer du monde m’a vraiment fait beaucoup de bien. Ca m’a changé, et psychologiquement bouger a joué un grand rôle dans ma vie de tous les jours. Mais me sentant tellement bien avec le sport, la sensation de liberté est si forte que j’ai tendance à trop abuser. Je fais beaucoup de course à pied et me suis blessé assez récemment. Je suis aussi inscrit dans une salle de sports avec beaucoup de cours collectifs. Au programme : impulsions, sauts, pompes que je fais quasiment 7 jours sur 7. 2à 3h par jour, j’adorais ça. Plus j’en faisais, plus je voulais en faire. Et depuis que je me suis blessé, j’ai compris que mon corps avait des limites. Mais le sport constitue une bonne partie de mon équilibre. J’ai commencé à 11,12 ans avec le judo. Au début, c’était vraiment pour avoir une activité et un contact physique. Le fait que l’on se prenne par les kimonos, que l’on s’entraîne à faire des prises m’a incité à m’ouvrir davantage. Mais on voulait déjà que je fasse de la compétition et c’est devenu trop stressant. Comme on faisait beaucoup d’exercices, j’ai pris l’habitude jusqu’à mes 16 ans de faire de la musculation chez moi, du renforcement avec le matériel adéquate, et après j’ai été dans une salle. J’y suis allé de plus en plus. Au départ, ma mère ne voulait pas m’inscrire car elle craignait que j’en fasse trop. En effet, quand je commence quelque chose, j’ai besoin de le faire à fond, à l’excès. Ce qui m’a aidé aussi c’est le théâtre qui m’ appris à maîtriser mes angoisses. Respirer et jouer un autre que moi me permettaient de gérer le stress. Je ne sentais plus du tout mes problèmes. Quand ma mère venait me voir, elle avait les larmes aux yeux, car elle ne me reconnaissait pas. Par exemple, quand je disais des poésies, je le faisais vraiment avec gestes et puissance.
Vous avez eu recours aux plantes. Notamment le millepertuis et l’aubépine. A quel moment ?
La maman : Comme je ne voulais pas de médicaments, ce psychologue me disait de prendre ces produits. Ca lui faisait du bien, mais avec le temps, sa souffrance revenait. C’était des moments courts à cause d’un stress important.
Vous avez aussi eu recours à des méthodes comme le massage !
Killian : « Oui, cela se passait surtout le soir quand je m’étais confiée à mon psychologue. Ma mère venait dans ma chambre, avec une petite musique relaxante et elle me massait tout en jouant avec un jeu de lumière.
La maman : Ce qui lui faisait du bien aussi c’était l’hypnose. J’imaginais vraiment toute la scène, je parlais du sable chaud. Il partait tout de suite dans ce que je lui racontais et comme j’adore raconter des histoires ; ça fonctionnait bien.
Killian : j’avais vraiment de bonnes sensations et je me transportais bien là où ma mère m’emmenait. C’était efficace aussi bien pour mon corps que pour mon esprit. Un vrai soulagement et sans effets secondaires. J’écoutais beaucoup de musique relaxante également, des bruits de mer, de nature, d’oiseaux. Et puis de temps à autres de petites musiques ayant une action sur le cerveau, qui le stimulent.
Dans quel ordre les choses se sont-elles organisées ?
Killian : Au début, je m’appuyais beaucoup sur ma maman pour alléger mes angoisses. Est arrivé le deuxième psychologue, puis la mise en place des massages et ensuite le sport ; C’était un nouveau chapitre avec en même temps le judo et le théâtre. Et actuellement, c’est le sport qui m’équilibre. J’avais des liens très forts aussi avec mes frères et sœurs et ça a pesé dans la balance. J’ai continué mes études, c’était ma façon à moi de montrer que l’on peut y arriver avec des difficultés et des troubles. J’ai toujours aimé apprendre.
Votre sœur a eu un mot très juste « La différence est un espoir pour l’humanité. »
Killian : Tout à fait. Si on était tous pareils on n’arriverait pas à faire des choses qui sortent du commun et on ferait tous la même chose. Alors que là on apporte tous quelque chose de singulier et on change son regard en fonction de chacun. On est tous unique et l’on apporte aux autres et les autres nous apportent. Les gens qui m’ont jugé je ne leur en tiens pas rigueur car dans le monde où l’on vit, la différence vous catalogue et vous met une étiquette. Mais ça ne m’a pas empêché d’avancer dans mes projets professionnels et personnels. Le jugement est partout, on ne peut y échapper. C’est ça aussi qui m’a fait grandir, qui a construit ma personnalité.
Et vous Madame comment avez-vécu le fait d’avoir un enfant différent ?
Je me disais que ça allait être compliqué pour lui dans la vie. Quand on parle de schizophrénie, c’est toujours évoqué superficiellement dans les médias. Dans les films par exemple, ce sont des tueurs. Je ne le disais à personne, je parlais toujours de troubles autistiques mais n’employais pas le mot schizophrénie. J’avais peur que mon fils soit mis,à l’écart, qu’on le rejette, qu’il ne soit plus invité.
Killian : C’est vraiment dommage que la société juge les schizophrènes comme des « fous » incapables de réfléchir. Ce n’est pas du tout ça en fait. C’est lié au cerveau ; c’est quelque chose qui est en nous, mais qui n’est pas mauvais. On a juste une autre perception des choses.
A présent comment se passe votre vie ?
Killian : J’ai toutes les clés pour me débrouiller et j’arrive à vivre avec mes troubles. Quand ça ne va pas, quand j’ai peur à un moment donné de faire une bêtise, je prends des pauses, je souffle, joue avec la respiration ou alors je fais du sport. Mes angoisses sont beaucoup moins fréquentes que quand j’étais plus jeune. Le mal être est très court maintenant. J’ai encore de petites paniques quand je dois passer des contrôles mais j’ai toujours ma petite fleur de Bach sur moi au cas o%. C’est surtout psychologique mais ça m’aide. J’ai beaucoup de mal avec l’imprévu mais j’arrive maintenant à sortir à aller à des fêtes, à inviter des amis dans ma chambre. Je suis capable de déplacer des objets pour 1 jour ou deux.
J’ai besoin en revanche d’avoir une vie bien réglée, bien organisée.
Avez-vous déjà été amoureux ?
Killian : Je ne recherche pas spécialement l’amour pour l’instant, d’abord mes études et ma stabilisation professionnelle. Mais il m’arrive d’y songer, ce qui n’était pas possible il y a quelques années. C’est vrai que ça me manque de ne pas avoir quelqu’un sur qui je pourrais réellement m’appuyer et avec qui partager ma vie. Mais j’ai peur vu ma vie ritualisée de ne pas être asse disponible pour une relation avec une femme. Il faudrait que je fasse l’impasse sur certaines choses, ce qui n’est pas possible pour l’instant.
Vous voulez ouvrir une épicerie dans un petit village !
Killian : Oui. Il en manque beaucoup dans les campagnes, c’est moins le cas en ville. J’ai envie de créer quelque chose qui vienne de moi, de pouvoir échanger et d’avoir vraiment un contact avec tout le monde. C’est un projet qui me pousse à avoir des connaissances commerciales et à développer ma gestion des chiffres pour plus tard peut-être engager ma famille.
Madame que pourriez-vous dire pour conclure cette belle réussite ?
La maman : Je suis fière de lui ; il est très courageux. Il n’a plus d’envie suicidaires, il arrive à avoir une vie normale. Je suis contente pour lui et de ne pas avoir lâché.
Killian : Je voudrais dire pour terminer que le but du livre n’est pas de dénigrer les médecins et le personnel médical. C’est simplement de montrer qu’il y a d’autres solutions que de se rabattre systématiquement sur les médicaments. J’ai eu beaucoup d’amour et les méthodes utilisées ont été efficaces..
Agnès Figueras-Lenattier
14:30 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, troubles schizophréniques, témoignage
mardi, 04 octobre 2022
Victor Hugo à l'honneur
Le 16 octobre 2022 aura lieu à la Maison Auguste Comte une journée entière consacrée à Victor Hugo. Elle est organisée par la Société des amis de Victor Hugo et englobera notamment un spectacle basé sur la correspondance entre Victor Hugo et Adèle qui se sont connus enfants. Au programme également une conférence sur Hugo et l'amour, des interviews de descendants 'Hugo et une balade dans le 6ème arrondissement où Hugo et Adèle se sont mariés...
08:25 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journée, hommage, victor hugo
vendredi, 22 juillet 2022
Christophe Cazuc
Christophe Cazuc la cinquantaine, titulaire d’un doctorat de sociologie, a multiplié les missions : consultant RH, préparateur mental, conférencier en optimisation du potentiel… Classé à 2/6 pendant de longues années, il a également coaché de nombreux joueurs de tennis professionnels avec environ 200 tournois dans son escarcelle. Il a publié en auto-édition une trilogie sur les secrets de la performance tirée de son expérience personnelle. Le premier tome évoque l’histoire d’Alexandre 18 ans qui rêve de devenir un champion. Il croisera sur sa route Pierre un coach quelque peu atypique qui va l’aider à trouver en lui de grandes capacités mentales. Le tome II est une fiction sur le tournoi de Roland Garros 2021 et lors du troisième tome on voit Alexandre sur le circuit pendant 10 ans avec notamment le tournoi de Winbledon.
Tu as écrit une trilogie sur les coulisses du circuit professionnel tennistique. Comment est né ce projet ? Ecris-tu depuis tout jeune ?
Avant 2018, je n’avais jamais eu en tête de publier un livre, mais j’écris depuis mon enfance. De la poésie, mes états d’âme notamment par rapport au tennis qui en fait naître beaucoup. Puis, j’ai fait un mémoire de maîtrise de DEA et un doctorat de sociologie qui comporte plus de 400 pages. J’ai également rédigé des articles scientifiques afin d’obtenir la qualification de « maître de conférence ». Mais c’était dans un cadre formel et académique impliquant des obligations qui me laissaient peu de liberté. Un sociologue est toujours obligé de justifier le moindre de ses propos et c’est la raison pour laquelle dans le tome 1, on trouve beaucoup de notes en bas de page, les lecteurs ne sachant pas forcément ce qu’est l’ATP, l’ITF. C’est une déformation d’enseignant chercheur. En fait, l’idée de ce livre est venue à la suite d’une conversation avec Manu Planque l’entraîneur de Lucas Pouille entres autres. Ne trouvant pas de joueur à coacher, je me suis dit que j’allais en coacher un par le biais de la littérature. Plein d’idées et de thématiques envahissaient mon esprit. Et mon but était de partager ma méthode de travail avec les lecteurs étant donné que quand on s’adonne à du coaching mental, cela engendre de l’exclusivité. Je voulais que les gens puissent s’en inspirer, se l’approprier, prendre ou jeter selon leurs souhaits. J’avais aussi pour défi d’encourager les jeunes à lire, ce qui est de moins en moins fréquent actuellement. Ils lisent sur leur téléphone, ce qui n’incarne pas l’image que j’ai de la lecture. Or, je sais que les plus jeunes qui lisent mon livre ont 12 ans, ce qui est déjà une belle récompense.
Quelle était ton point de départ concernant cette trilogie ?
Il était entendu que si pour le premier, j’avais eu des retours désastreux, il n’y aurait pas eu de second volume car je ne suis pas masochiste et n’ai pas envie de faire perdre du temps aux lecteurs. J’ai volontairement voulu que ce soit un livre de poche à 10 euros. Non seulement je n’estime pas valoir 25 euros (ce livre est un peu une ode à l’imperfection… ) et ne voulais pas qu’il y ait une discrimination par rapport à l’argent. En outre, un livre de poche loge facilement dans un sac de tennis. Comme les réactions ont été très positives, j’ai commencé à écrire le second tome. Mais il m’a fallu un certain temps pour écrire la suite, pour trouver mon rythme, et une fois celui-ci trouvé, je me suis embarqué sur une autre idée pour le tome 2 et 3. Les personnages restent les mêmes mais le contexte et la durée sont différents. Pour le premier, on voyage sur trois continents différents, où j’ai moi-même été alors que dans le tome 2 c’est de la pure fiction et cela se passe au moment du tournoi de Roland Garros 2021.
Une thèse sur la construction d'une carrière
Et je m’étais fixé comme objectif qu’il sorte avant que l’événement n’ait lieu. J’ai fait le choix d’un large public assistant à l’événement, alors que le tournoi s’est déroulé en jauge limité. Pour le troisième on repart sur 10 mois, deux jours après le tome 2 et l’on va jusqu’au mois d’avril 2022. J’ai fait une thèse intitulée « La construction d’une carrière » et dans une carrière, il existe trois moments : l’apprentissage, l’exercice et la reconversion. Le premier est l’apprentissage. Alexandre est fin junior, début sénior, a 18 ans. Dans le deuxième trois ans plus tard, il a une wild card pour le tableau final de Roland Garros. On est sur des formats de matches potentiels en 5 sets avec l’événement de l’année pour tout joueur français. Comment va-t-il répondre aux exigences ? Le tome 3 évoque un parcours beaucoup moins linéaire car on m’avait reproché un monde trop parfait, sans problème d’argent ou autre. Si je voulais vraiment aller au terme, je ferais un tome 4 sur l’US Open mais qui n’interviendrait qu’en 2030. Il faut laisser Alexandre atteindre ses 30 ans pour que ce soit la fin de sa carrière et voir comment il va se reconvertir. Pour un sportif, en 15 ans son parcours peut être réglé sur ces trois moments là. Souvent, il devient entraîneur.
On voit bien que tu as été coach car tu décris très bien les arcanes du tennis que tu analyses avec un scalpel !
Le mot que tu as employé est tout à fait adapté. Je veux que le lecteur puisse être dans les coulisses de ce monde qu’il connaît souvent juste par un résultat, un score à la télé, ou un match. Il est important de connaître les joies, les peines, les efforts, toutes les trames situées en amont pour se rendre compte de cette richesse qu’il peut y avoir dans le tennis de compétition à haut niveau . De temps en temps, on juge un joueur sur un match mauvais qu’il a disputé,, sans se rendre compte du travail accompli, et très souvent des sacrifices impliquant une dimension mentale très importante. Finalement, tout est subjectif dans le tennis. Bien jouer qu’est-ce ça veut dire ? Beaucoup de jeunes, d’adolescents ont une vision beaucoup trop propre du tennis. Que des coups gagnants, du beau style. Or on a bien vu que ce n’était pas la réalité, avec en particulier l’arrivée de Brad Gilbert qui a coaché Agassi. Il lui a dit à un moment donné : « Tu n’es pas obligé de faire que des coups gagnants à chaque fois » et ce fut la première fois qu’Agassi gagnait Roland Garros. Il a été capable de jumeler une qualité de frappe exceptionnelle avec des coups de remise pour essayer de jouer plus intelligemment.
Tu as fait appel à quatre personnes comme conseillères notamment Brigitte Simon ex n°1 française. Que t’a-t-elle dit ?
Elle trouvait que dans le tome 1, j’étais trop lisse, trop réservé, trop pudique dans la psychologie des personnages et presque trop politiquement correct. . Je me suis débridé au fur et à mesure du tome 2 et 3 et elle m’a affirmé que j’avais bien progressé. Je n’ai pas cherché à plaire particulièrement dans le tome 1 car Pierre le coach atypique c’est moi à 90%. Quant à Alexandre, c’est une sorte de mixte de tous les jeunes que j’ai pu entraîner depuis plus de 20 ans au niveau du jeu, de la philosophie et surtout de la mentalité actuelle au sein des réseaux sociaux. J’ai aussi travaillé mon style avec un journaliste, la syntaxe et l’orthographe.
Les trois couvertures ont été réalisées par Chryslène Caillaud avec trois titres reprenant le mot balle (Balle d’éveil, Balle ocre, Balle de break) !
Au départ, je voulais appeler ce premier tome « People don’t cry » une chanson du groupe The Cure que j’aime beaucoup. En effet, dans le tennis masculin, le fait que qu’un joueur pleure peut être considéré comme un manque de mental. Important aussi, tout ce qui peut être associé à de la misogynie comme le fait de dire que les filles n’ont pas un aussi bon mental que les garçons. On est tous confronté hommes, femmes à des moments de stress, d’inquiétude. Mais comme j’étais parti sur un personnage masculin, finalement j’ai choisi le titre « Balle d’éveil ». Cela me permettait de décliner pour les deux tomes suivants « Balle ocre » par rapport à la terre battue de Roland Garros. Enfin « Balle de break » car d’une part, l'herbe de Wimbledon a son importance dans le récit et d’autre part c’est un peu une allusion « à la cassure qu’a entraînée la gestion calamiteuse du Covid de nos gouvernants au sein de la population française. Une blessure que nous mettrons du temps à cicatriser. Pour le premier, je voulais traduire ce moment où l’on peut se ressourcer, le changement de côté. En quelque sorte le temps s’arrête, et la pression peut redescendre incluant une canalisation de notre énervement, notre colère. C’est un moment très important en terme d’habitude car c’est véritablement la routine qui nous permet de reprendre pied quand on est en train de perdre les pédales pendant un match. . Pour le tome 2, on a beaucoup parlé des invisibles (caissières, infirmières, chauffeurs de bus...) au début de la crise covid en 2020. Ce sont des personnes qui travaillent dans l'ombre et le tome 2 leur rend hommage sur un événement comme RG (ramasseur, juge de ligne, cordeur, supporter...). Pour le tome 3, je voulais que l’on voit une balle, du gazon et des pieds.
Tu cites beaucoup de maximes en introduction des chapitres!
A travers le bouddhisme auquel je me suis formé, mon idée était de diriger le lecteur vers une sorte de philosophie axée sur des phrases que j’ai utilisées en terme de coaching. On peut réfléchir sur une seule phrase toute sa vie. Adepte du développement personnel ? Oui complètement. Pour moi c’est sacré et j’aurais aimé à 15 ans lire un livre comme celui-là. Le tennis m’a permis de me désenclaver géographiquement, j’ai voyagé dans 40 pays, de prendre confiance en moi malgré ma timidité et en même temps de m’éveiller. Quand on est passionné et que l’on a la chance de pouvoir pousser longtemps son investigation, on entre en profondeur dans son moi ; c’est le principe socratique « Connais-toi toi-même. A partir du moment où l’on se trouve confronté à des enjeux de plus en plus ambitieux, automatiquement, on cherche en soi des ressources de plus en plus importantes. C’est la sagesse que Pierre essaye de remettre à plat en permanence…
Le tennis une philosophie ?
Tout à fait, c’était vraiment cela que je voulais montrer. Je suis très content de ma petite carrière car le tennis me permet de continuer à avancer et toute ma vie il me servira. J’ai pu pratiquer une activité qui fait passer émotionnellement par des états d’âme très contrastés avec de la joie d’un côté et de terribles peines de l’autre. Encore plus accentués quand on est quelqu’un de très sensible et tant que les émotions sont là, on garde finalement une innocence. On m’a traité dernièrement d’idéaliste ou de rêveur. C’est le plus beau compliment que l’on puisse me faire. J’ai bossé 7 jours sur 7 pour les 3 tomes et puisque les gens semblent avoir passé un bon moment en lisant mes livres, je me dis que mes efforts ne sont pas totalement vains. J’ai un style très simple avec des mots simples et n’ai pas de prétention littéraire. En tant que sociologue c’était la même chose, je suis pour un principe de vulgarisation. La littérature nous permet de nous plonger dans différents univers.. En plus du tennis, la littérature m’a permis de me développer intellectuellement au niveau de ma philosophie, de mes références et de la tolérance. Ceci à 8, 10 euros en livre de poche, ou par le biais d’un abonnement en bibliothèque. Je lis beaucoup et suis attiré par des espaces parallèles pour découvrir des personnalités. Je trouve que le succès a tendance à lisser un peu les styles artistiques ou littéraires. Un peu comme une standardisation à laquelle je suis opposé.
Alexandre se repère beaucoup en fonction du TAO !
Je me suis lancé dans le TAO Te King que je trouvais déroutant et en même temps inspirant pour un jeune. Le principe c’est de se rendre compte qu’il existe une relativité dans toute chose et que quelque part c’est intéressant de prendre en considération que la perfection n’existe pas. Qu’est-ce que la perfection ? Les perfectionnistes il y en a beaucoup et les gens qui aspirent à cela peuvent devenir dingues. C’est pour cette raison que génie et folie se côtoient souvent. L’idée que Pierre veut enseigner à Alexandre c’est ce lâcher-prise. Il est d’usage de considérer que la perfection n’existe que dans la victoire. Or certaines victoires sont imparfaites et certaines défaites parfaites. Il faut être capable de mûrir et se rendre compte qu’il existe d’autres choses en dehors du tennis et que ce qui est important c’est d’être impliqué à 100% dans l’instant présent. Après l’on peut faire plein de choses différentes dans une journée et si on les fait avec un grand investissement, on a forcément une satisfaction. Autre chose importante dont je parle la respiration qui symbolise la vie. Beaucoup de personnes ne savent pas respirer. Des joueurs comme Rublev, Gilles Simon qui sont des fils de fer contrebalancent leur manque de puissance par une bonne capacité à respirer. Pour optimiser son potentiel, la respiration est essentielle.
Tu fais un lien entre les randonnées et la forme au tennis !
Je les ai faites tout seul en Nouvelle Zélande. C’était la 9ème fois que j’allais à Melbourne et tout le monde m’avait dit « La Nouvelle Zélande, c’est le plus beau pays du monde. J’ai vu des reportages ; c’est vrai. J’ai découvert la rando en 2010 avec Nomade Aventure sur le haut Atlas marocain. Deux ascensions à 400m. C’est quelque chose qui me plaît beaucoup car tu réfléchis quand tu marches. Plein d’éléments se mettent en place et J’avais le vertige . On est loin d’avoir peur de faire une double faute, de déplaire à ses parents. Quand tu montes sur des crêtes de montagne, c’est clair que le danger est un peu plus important. J’estime en plus en tant qu’intervenant, je me dois régulièrement de me mettre en position d’aller dans des zones d’inconfort. Ceci pour éviter d’être un théoricien et pour avoir conscience qu’à certains moments le stress et la peur existent. Il faut expérimenter ça soi-même de temps à autre et voir si ce que l’on propose comme piste de respiration, de visualisation, de routine fonctionne encore. Sinon, tu es un escroc.
En vieillissant je prends de plus en plus de risques pour éveiller ma vie quotidienne. « Cela me fait penser à la phrase « Si tu as peur du tigre affronte-le »… Je n’ai pas voulu en revanche prendra la responsabilité d’être parent et je n’engage que mon existence. On n’a jamais fini de se découvrir avec des situations où l’on ne sait pas ce qui va se passer. Et puis les événements douloureux de la vie m’ont démontré que quoi que tu fasses dans la vie, elle se chargera toujours de mettre sur ton chemin des surprises pas toujours joyeuses et il faut avoir une trame.
A un moment donné, Alexandre casse sa raquette et est privé de compétition pendant quelques mois. Quel message as-tu voulu faire passer ?
Dans ma vie j’ai du casser 50 raquettes. J’avais un énorme conflit avec mon père alcoolique et je ne pouvais pas lui casser la figure. J’ai souffert de l’image que j’ai pu donner, et les gens ne savaient pas pourquoi je me comportais ainsi… Je voulais dire dans ce livre « Evitons de juger les gens surtout dans les moments où ils ne sont pas au top et ne nous positionnons pas en donneurs de leçons. On ne naît pas agressif, on ne pète pas un cable par choix, c’est notre esprit qui est poussé à bout à certains moments, et j’en pâtis encore aujourd’hui à cause de gens qui m’ont catalogué. Quelque part, écrire est une façon de mettre les choses au clair. On peut être intelligent et en même temps avoir un comportement totalement stupide. Je suis tellement perfectionniste, je déteste la médiocrité et c’est la raquette qui prenait. Il y avait à la fois la colère latente, et la colère du match et les deux cumulés sont difficiles à contrôler. Mes parents m’ont offert ma première raquette, elle a été cassée et après j’ai tout payé moi-même.
Peut-on réussir à l’heure actuelle dans le tennis sans coach ?
Sur un court de tennis on est tout seul. Maintenant, ils vont tester le coaching mais certains coaches dont je fais partie ne sont pas intéressés par interférer pendant les matches. C’est cette capacité qu’a l’individu à trouver par lui-même les solutions qui prévaut, et qui lui donne confiance en lui-même. Sinon, il est toujours dans une sorte de soumission ou de dépendance dans sa réflexion à l’autre. J’ai coaché jusqu’au tableau final de Grand Chlem, et je sais qu’à présent, je peux amener un joueur jusque là. Je peux anticiper énormément d’erreurs car je les ai vécues avec d’autres joueurs. Je revendique ce principe d’émancipation qui est à l’opposé de ce qui se passe actuellement. J’aime le principe « do it yourself » et avec deux fils de fer et une boîte à chaussures on peut faire quelque chose. Ca demande une créativité beaucoup plus importante qui contribue à stimuler côté cérébral.
Le livre qui t’a le plus apporté sur le plan développement personnel ?
« Plaidoyer pour le bonheur » de Mathieu Ricard une introduction au bouddhisme que je trouve intéressante et sinon « Le guerrier pacifique » de Dan Millman. Une sorte de guerrier pacifique à la sauce tennis, c’est ce que je fais pour garder cette cohérence entre ce que tu vis et ce que tu dis… Il est essentiel de comprendre que l’on a aucune prise sur 80% des sources de stress provoquées, et qu’il est sage de se concentrer sur les 20% restants … C’est là où l’on doit mettre notre énergie en œuvre…
Tes projets ?
La sociologie a constitué un choc culturel énorme, c’est ce que je suis en train de démontrer dans mon nouveau livre qui contient une partie autobiographique très importante. J’ai fait de l’anthropologie rurale, politique et cela m’a totalement éloigné de mon univers quotidien et m’a éveillé à la vie. Ce fut une ouverture incroyable et en même temps, je continuais à faire des tournois le week-end dès que je pouvais. Je suis resté 30 ans en seconde série et cela constituait un équilibre.
Pour ce prochain livre, je voudrais vivre 4 semaines consécutives coupées de tout réseau. Serais-je déconnecté ou connecté à la nature ? J’ai commencé à écrire sur tout le rapport géographique pour raconter comment l’on peut se retrouver dans cette aventure. J’ai fait partie d’un groupe d’anthropologie corporelle que je surnomme philosophie corporelle car c’est la connexion avec la nature et l’observation du retour à l’état sauvage. Que va-t-il se passer ? J’ai fait plusieurs sortes de coaching, dont celui en entreprise, le coaching mental sportif où je suis intervenu sur plus de 10 sports et le coaching individuel. Avec le sportif c’est la préparation mentale qui prime, avec un particulier c’est du développement personnel, avec une entreprise c’est la gestion des ressources humaines. Ce qui me plaît c’est qu’à chaque fois une page blanche se met en place avec l’idée de faire émerger les ressources chez l’autre. Je prends des notes et la personne à un moment donné se retrouve en difficulté pour que j’apprenne à découvrir qui elle est. Je ne vais pas lui donner une solution, je vais faire en sorte qu’elle arrive à la trouver toute seule. Que les questions soient suffisamment pertinentes pour que la personne verbalise à haute voix haute, qu’elle s’entende. Ensuite, à soi d’appuyer sur certains mots, mais jamais d’imposer quoi que ce soit. Trouver les portes de sortie et en même temps prendre ce temps- là interactif, pour ceux qui en ont besoin.
Pour contacter Christophe Cazuc : balledeveil@yahoo.com
Agnès Figueras-Lenattier
05:30 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 29 juin 2022
Cheyenne Carron
Cheyenne Carron est une cinéaste de talent totalement indépendante qui a réalisé 14 films dont le premier « Ecorchés » sorti en 1905. Il parle d’un couple qui lors de vacances en amoureux dans une maison de campagne isolée établit un rapport de force qui va se transformer en drame. Auteur de plusieurs livres, elle est également peintre et a sorti récemment un bel album « Survie, le monde d’après » qui englobe quelques-unes de ses œuvres picturales. Elle a d’ailleurs bien l’intention dans les années qui viennent d’abandonner quelque peu le cinéma pour se consacrer à cette autre corde à son arc…
En regardant vos films, on sent qu’il règne en votre intérieur une certaine empathie et une certaine solidarité envers ceux qui souffrent. Pensez-vous que cela est dû à votre enfance pas toujours très rose ?
J’ai eu une enfance difficile c’est vrai, mais en même temps pleine d’immenses bonheurs. Pour pouvoir donner, aimer, il faut quand même recevoir beaucoup d’amour et heureusement j’en ai eu. Oui, je suis de l’assistance publique, mes géniteurs étaient très cruels, ne s’étaient pas occupés des papiers me permettant d’être adoptée et m’avaient laissée un peu comme un paquet dans une gare dès l’âge de 3 mois… Mais j’ai été placée par la DASS dans une famille d’accueil où la maman a adopté 3 enfants ma sœur, un enfant du Guatemala handicapé et moi plus deux enfants biologiques. Cette femme est exceptionnelle, une ancienne institutrice catholique dotée d’un cœur immense.
Une mère très aimante
Elle m’a sauvée de tout, et elle m’a témoigné l’amour que doit avoir une mère avec son enfant. Ma vie a été faite de catastrophes, j’ai pu voir la laideur de certaines êtres humains, mais j’ai vu aussi la beauté d’autres personnes. Un équilibre s’est mis en place englobant une enfance riche, dense, avec ses contrastes, sa force, et une belle soif de vivre. Pour faire ce que j’ai fait, 14 longs métrages à porter à bout de bras, il faut aimer énormément la vie. Donc, forcément ce passé m’aide et m’influence pour évoquer la complexité de la nature humaine au sein de mes films. Mais la plupart du temps, j’essaye de faire triompher le beau et il est rare que je mette en avant la laideur de l’âme. Dans ma vie, ce n’est pas la laideur qui a triomphé mais la beauté.
Votre premier long-métrage est sorti en 2005. Vous dites fuir les acteurs professionnels mais vous avez engagé Mélanie Thierry. C’était une exception !
A ce moment là, elle n’était pas du tout professionnelle et n’était pas du tout connue. Elle a même galéré de nombreuses années avant d’avoir sa place au cinéma. Elle a joué dans de mauvais films y compris le mien. En effet, je ne suis pas du tout fière de cette réalisation. C’est le seul film qui a eu un producteur d’ailleurs extrêmement interventionniste et ce fut le déclic qui m’a convaincue de réaliser mes films en indépendante. Je me suis éloignée de ce côté prod, distribution pour produire un cinéma plus puriste, plus exigeant. J’avais vraiment soif de liberté.
En 20 ans de réalisation, vous avez été exclue de tous les organismes officiels notamment du CNC. Pourquoi selon vous ?
C’est très difficile de répondre et c’est plutôt eux qui pourraient donner la raison. Ce qui est sûr c’est que pour moi, il y a eu un avant et un après. A mes débuts, je croyais beaucoup en cette institution et je leur fournissais des dossiers avec beaucoup de conscience professionnelle. J’avais même demandé des rendez-vous pour rencontrer les responsables de cette institution et leur exposer ma façon de travailler. Pour mon film « La fille publique » qui parlait de mon parcours à l’assistance publique, un beau film qui faisait référence à John Ford, on a même refusé de me faire les sous titrages en anglais sous prétexte que c’était un film sélectionné dans les festivals. J’ai du faire des emprunts, et à partir de ce moment est née dans ma tête une bascule vis-à-vis du CNC que je me suis mise à détester. J’en ai vu les limites mais malgré tout, j’ai continué et je continue toujours à leur demander de l’aide pour chacun de mes films. Par exemple, en septembre je vais tourner « Je m’abandonne à toi « , un film en hommage aux aumôniers militaires. Je déposerai un dossier en espérant avoir une avance mais je pense qu’elle me sera refusée. Pourquoi ? C’est une institution qui fonctionne avec les gens qu’elle connaît qui soutient le cinéma indépendant que l’on peut qualifier d’auteur et en même temps qui veut gagner de l’argent. C’est très complexe et un rejet mutuel s’est maintenant installé entre eux et moi.
J’ai quand même réussi quelque chose de très spectaculaire qui m’a demandé un effort que vous ne pouvez imaginer et qui me vient tout à la fois de cette enfance à la fois chaotique et d’avoir fait ces films toute seule. Faire des films qui les uns après les autres bénéficient souvent de critiques très élogieuses n’est pas forcément un avantage pour plaire à des institutions comme le CNC. C’est bien compliqué même pour moi car j’aurais rêvé d’être reconnue et soutenue. Mais j’avais l’idée d’un certain cinéma et je voulais le produire coûte que coûte…
A 16 ans, j’ai découvert le cinéma par mère qui ‘a montré beaucoup de vidéos et aussi par un vidéo club dans ma ville. Et puis j’ai eu pour voisin pendant très longtemps Pierre Schoendoerffer et j’ai bien connu Jacques Rozier. Il me disait toujours lorsque nous déjeunions ensemble « les producteurs ça n’existe pas » et il m’encourageait à faire mon cinéma. Je crois que lui aussi faisait aussi beaucoup son propre cinéma. C’était s’inscrire un peu dans l’héritage du cinéma réalisé avec des bouts de ficelle. A l’époque c’était un cinéma fait en pellicule ce qui coûtait bien plus que maintenant avec les moyens numériques. Ca a permis à des cinéastes comme moi de produire une œuvre.
Comment avez-vous fait financièrement ?
Ce fut très difficile et mes films étaient faits avec des budgets très faibles qu’il fallait malgré tout que je trouve. Parfois, j’allais frapper à la porte de gens très fortunés que je ne connaissais pas. Parfois ça fonctionnait comme pour « L’apôtre » avec Xavier Niel. Ou je trouvais des noms des sociétés et j’envoyais des courriers. Parfois je me disais que pour tel film je pouvais y inclure des placements de produits. Je pense notamment à mon film « Le corps sauvage » sur Diane chasseresse pour lequel je suis allée voir des marques liées à l’univers de la chasse et de la pêche. Je demandais un petit budget en échange de placer une bouteille de vin dans mon film… Ou des vêtements portés par les acteurs… Je me débrouillais toujours pour trouver le financement à tout prix, mais il y a de nombreux films que je n’ai pas pu faire faute d’argent notamment 5 ou 6 films auxquels je tenais. J’ai énormément écrit, et en 25 ans n’ai pratiquement pas pris de vacances. Je rêve après « Je m’abandonne à toi de faire un film sur les soins palliatifs. Ce serait mon dernier film qui s’intitulerait « Notre humanité « Mais je ne vois pas qui pourrait financer ce genre là…
La ténacité fait partie de votre tempérament !
Je ne dirais pas tenace. J’ai foi en ce que je fais, j’aime passionnément le cinéma et il a représenté ma bouée de sauvetage. A 16 ans ½ La DASS m’a mise dans un petit studio car je faisais beaucoup de bêtises. Je n’allais pas en cours et je regardais plein de films. Je pense qu’à cette époque là, le cinéma m’a sauvée. C’était vital, et je n’aurais pas pu réaliser tout cela si ce n’était pas vital. Mais le cinéma va laisser place petit à petit à la peinture. Je peins depuis des années, mais je ne montrais pas forcément mes peintures ; c’était mon jardin secret. Mais je pense qu’actuellement je m’oriente petit à petit vers une vie de peintre.
On va y venir, mais parlons encore un peu cinéma ! Vous avez eu de nombreux prix ; c’est un peu comme une revanche !
Non, je ne le considère pas ainsi. Il existe de nombreux films qui reçoivent des prix et qui ne sont pas forcément intéressants. J’aime mes films bien sûr mais parler de revanche, non. D’ailleurs, pour parler franchement je ne présente plus du tout mes films dans les festivals. Ca ne m’attire plus. Mes plus belles récompenses maintenant c’est lorsque des amis me mettent des photos dans les médiathèques et que je vois mes films à la lettre Carron. C’est extraordinaire !..
Vous avez fait beaucoup de films sur les militaires !
Oui beaucoup sur le monde militaire, sur les épouses de militaires, sur les blessures psychologiques des militaires. A 16 ans, je rêvais d’entrer dans la légion pour plein de raisons. Pour le côté famille, changement d’identité, solidarité des êtres d’où qu’ils viennent. C’était un idéal et je me suis présentée au sein d’un régiment à Valence. On m’a ri au nez en disant que de toute façon on ne prenait pas de femmes. Je suis donc devenue cinéaste, mon autre rêve…
Vous avez vécu avec un soldat atteint du syndrome post traumatique. Avez-vous réussi à l’en sortir ?
Disons que je l’ai aidé à ne pas en avoir honte, ce qui est déjà un premier pas surtout lorsqu’on est un homme et légionnaire. Mais je n’ai pas pu le sortir de sa maladie, et d’ailleurs il n’est pas guéri et toujours suivi. Ce sont des blessures invisibles, et il est difficile d’en guérir totalement. J’ai fait un film « La beauté du monde » qui traite de ce sujet là….
Avant de parler peinture, sujet qui vous accapare beaucoup en ce moment, évoquons un autre de vos intérêts le parfum !
Ah oui ! Je crée des parfums qui se vendent notamment sur le site de la légion étrangère, et c’est en rapport là aussi avec mon enfance. Le dimanche, ma maman que j’aime infiniment nous mettait des eaux de Cologne sur nos mouchoirs. Chèvrefeuille ou lavande. Je me souviens que je gardais ce petit mouchoir toute la semaine et j’attendais impatiemment le dimanche suivant de respirer à nouveau cette senteur. J’avais peut-être 7,8 ans et aujourd’hui on pourrait presque assimiler cela à un doudou même si cela démystifie un peu le sujet. C’était un fétiche, un objet de réconfort qui me liait à ma maman et qui m’a orientée vers cette sensibilité se rapportant au parfum de l’eau de Cologne. J’adore l’évasion olfactive par le parfum à la manière des Japonais qui d’ailleurs consacrent une cérémonie au parfum. Un jour, je me suis dit « Je vais créer mon propre mode olfactif, et raconter des histoires comme dans mes films. J’ai acheté petit à petit des matières premières, et de petites fioles afin de me constituer mon orgue à parfum.
Un apprentissage de longue haleine
J’ai fait mon apprentissage toute seule en lisant un certain nombre de livres en mémorisant le plus possible de matières premières, et ma première création s’est appelée « Marie » en hommage à ma mère, puis j’ai créé 19 fragrances. J’avais des parfums pour le matin, l’après-midi, le soir, parfois la nuit pour mon lit mais je ne les mettais pas forcément sur moi. Ca aidait mon esprit à s’évader. L’origine du parfum vient des rites mortuaires, des embaumements et je trouvais également intéressant de recréer un parfum qui permette de se relier à ce rite très ancien et qui puisse être utilisé pour nos propres défunts. J’ai fait cette expérience en en mettant dans le cercueil de ma grand-mère, mais je n’ai pas commercialisé l’œuvre. Je dirais que c’était presque une œuvre artistique, et finalement entre le parfum, l’art contemporain, le cinéma il existe des ponts qui englobent des chemins quelque peu logiques découlant de l’enfance…
Arrivons maintenant à la peinture. Vous venez de sortir un album avec un certain nombre de vos peintures. Cela fait-il longtemps que vous peignez ?
J’ai commencé à 22 ans. Au début, c’était un peu un refuge à cause du cinéma qui m’a obligé à me battre comme une diablesse. Et je me sentais également seule. Je n’avais pas beaucoup de moyens et je peignais toujours sur les deux mêmes toiles. J’effaçais, je recommençais et ainsi de suite. Je pouvais créer, m’accomplir et exprimer ce que j’avais en moi. C’était surtout la nuit car à l’époque j’avais beaucoup d’insomnies. C’était comme mon jardin secret…
C’était un domaine qui vous attirait depuis longtemps ?
J’étais passionnée par les émissions « Palette » , et par tous les documentaires sur la peinture, par les livres d’art et 90% de ma collection de DVD ont pour sujet la peinture. Ce qui me fascine c’est l’artiste peintre qui fasse émerger un monde cohérent où l’on discerne bien sa patte. Je n’ai pas vraiment de périodes préférées même si bien sûr j’adore certaines toiles de Delacroix, de Vélasquez, de Rembrandt et Giraudet. Jean Rustin par exemple propose des corps nus très amochés, très laids, mais c’est captivant car il existe une logique dans tout son univers pictural. Bien sûr ce n’est pas « La belle odalisque « d’Ingres, mais quelle importance ! Celui qui est capable de proposer quelque chose de singulier, de jamais exploré, je trouve cela génial… Cela quel que soit le domaine artistique, et même si les artistes sont parfois bien éloignés de ma sensibilité.
Et vous quel est le monde que vous proposez ?
Mon univers, en tout cas j’aimerais qu’il soit perçu est empreint d’une certaine poésie face à un monde de destruction, de grande puissance. J’essaie de peindre la société dans laquelle je vis. C’est un monde un peu chaotique mais dans ce chaos tout est possible. Avec le mal mais aussi le bien. Quand je peins les femmes africaines aux champs, la couverture du livre, c’est symbolique. On est dans la métaphore et cette femme cultive son jardin, un chaos rose, mais un chaos fait de coton et peut-être aussi de douceur… Quand on regarde le monde c’est assez dramatique avec le COVID, la guerre en Ukraine, mais il existe malgré tout la possibilité d’aménager son jardin avec celui des autres et d’observer ce monde avec un peu de recul. C’est cette folie de ce monde là que je cherche à démontrer au sein duquel s’infiltre de la poésie, de l’espérance, de la solidarité et une certaine beauté.
Un peu comme dans vos films !
En fait oui… C’est tout à fait ça…
Dans vos toiles, le bleu est très présent !
Oui, mais je n’en connais pas vraiment la vraie raison. C’est une couleur qui se décline sur beaucoup de possibilités et qui représente l’infini des possibilités. Mais j’expérimente aussi d’autres couleurs. Ce qui m’importe c’est de trouver la déclinaison de couleurs qui exprimera le mieux le sentiment que je veux exprimer.
En revanche pas beaucoup de rouge !
Non pour le moment. Pourtant, le rouge fait naître de magnifiques couleurs avec là aussi d’extraordinaires déclinaisons. Mais les sentiments qui m’habitent en ce moment sont plutôt un peu diffus, intérieurs, mélancoliques et le rouge n’a pas sa place pour l’instant. Mais la peinture évolue, et je pense que ce domaine sera ancré en moi pour le reste de ma vie.
En effet, cette nouvelle étape dans ma vie me conduira jusqu’à ma mort et que ce domaine va devenir nécessaire à ma vie dans les années qui viennent.
Croyez-vous à l’influence des couleurs de manière générale ?
Oui, je crois en la force des couleurs et je pense qu’elles accompagnent la vie et même plus encore. Ainsi, dans nos maisons, le choix des tapisseries, des rideaux, la couleur d’un mur, n’est pas très éloigné de celui de la peinture. Lorsque je choisis telle ou telle peinture, tel ou te pigment ; il m’arrive de créer mes peintures à base de pigments, c’est pour exprimer un sentiment. Et je ne suis pas loin de penser même si je ne m’y connais pas du tout dans ce domaine là, que c’est la même chose pour les décorations au sein des habitations. Donc être peintre, c’est être complètement dans la vie.
La peinture comme le parfum dégage des odeurs !
Oui, c’est vrai qu’il existe un rapport très sensuel à la peinture, surtout la peinture à l’huile, car pour moi la peinture acrylique est une peinture morte au sein de laquelle je ne me retrouve pas. La peinture à l’huile on peut y revenir tout le temps pendant des semaines, le temps qu’elle sèche. On trouve tout un tas de matières, de médiums qui peuvent aller des médiums flamands très incolores ou au contraire des couleurs, des odeurs très différentes, très puissantes de térébenthine mais aussi des odeurs très douces. Mais j’ai quand même beaucoup souffert dans ma chambre de bonne de ces odeurs car je n’avais pas de cave lorsque j’étais dans ma chambre de bonne. Je dormais à côté de mes peintures et je me réveillais souvent le matin avec de gros maux de tête et j’étais obligée même l’hiver de dormir la fenêtre ouverte. La peinture à l’huile, j’en retiendrais donc les odeurs mais aussi les matières visqueuses, moins visqueuses et le fait de concasser la poudre avec le mélange d’huile. J’adore ça, c’est magique car on fait émerger des couleurs issues de ses propres dosages…
Quel est votre rêve en tant que peintre ?
Je ne veux pas succomber au système et aller à tout prix vers un art contemporain qui instaure un piège à cause des histoires d’argent. J’espère créer la même folie que dans mon cinéma.
Et être libre !
Oui, vous avez tout dit en un mot, je veux la même liberté que celle que j’ai eue en tant que cinéaste. C’est une liberté que je me suis octroyée, on ne me l’a pas donnée. Et là j’aurai réussi mon chemin…
Agnès Figueras-Lenattier
06:56 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 23 février 2022
Samy Thiebault
Samy Thiebault saxophoniste de jazz renommé, détenteur également d’une maîtrise de philosophie en est à son 9 album qu’il a intitulé Awé. Une trilogie qui l’a amené sur les terres créoles et lui a permis de continuer son exploration de la Caraïbe et du jazz afro-africain. . Le titre s’inspire d’une interjection que le contrebassiste Felipe Cabrera chantait sur Puerto Rican Folk Dong, un thème de son album « Carribean Stories » qui résumait bien selon lui ll’idée d’Awe. Un cri, une danse populaire créole et savante en collaboration avec des musiciens cubains portoricains habitant aux Etats-Unis. Il avait déjà fait un gros travail d’introspection autour des cultures caribéennes et de la relation qu’elles entretiennent avec le jazz avec son CD Carribean Stories. Et il voulait écrire un répertoire plus contemporain afin d’être davantage en prise avec ce qui se passe sans perdre de vue sa propre direction artistique. Passionné de surf, il a demandé à l’artiste Sarah Joulia qu’il connaît depuis longtemps de s’inspirer de l’univers d’Awe pour réaliser une création autour de l’océan. En sont sortis des tee-shirts qu’il vend lors de ses concerts...
Comment situes-la musique par rapport au domaine artistique en général ?
Pour moi, c’est le seul art qui est le plus en prise avec une forme de transe et de sensualité spirituelle. Que ce soit dans la littérature, la poésie, le cinéma, il existe toujours le médium de l’intellect. Ce qui n’est pas le cas de la musique qui parle directement aux sens. Le résultat est beaucoup plus immédiat et donc plus intuitif, plus émotionnel . C’est un point de vue très subjectif et pas du tout nourri par une analyse. Je pense que l’on peut sûrement prouver le contraire en parlant peinture mais c’est mon propre ressenti. Sans cela, je ne serais pas musicien.
Tu dis que tu aimes la danse dans la musique. C’est-à-dire ?
La danse représente le mouvement et la libération du corps sous sa forme esthétique. On danse toujours avec quelqu’un, ce qui entraîne un aspect collectif. Pour moi c’est le rôle de la musique. Il n’existe pas de danse sans musique, c’est ce qui la fait vivre même si c’est une danse intérieure. Quand on écoute Charlie Parker, on n’a pas forcément envie de danser comme le font les danseurs de hip hop mais une mise en branle du corps se déploie. Tout cela dans un but de se changer avec autrui au moins l’espace d’un concert. On se connecte les uns les autres, ceci via le jeu des émotions, des sens. On essaye de se réunir ensemble pour danser de façon très discrète afin d’arriver à une forme de sentiments collectifs. Peut-être que ça change les choses sans que l’on s’en rende compte. En tout cas, c’est une union, une réunion où l’intellect est chamboulé. Ce sont pour moi des éléments très importants, on entre dans l’aspect de la transe.
Donnes-tu toujours des cours à Choisy le Roi !
Oui aux enfants et aux adolescents cinq heures par semaine. Enseigner m’est très cher car la notion de transmission est importante. C’est à la fois bien pour moi comme aspect créatif et à la fois important en tant que citoyen et artiste de transmettre. On ne peut pas créer si on ne donne pas… En général, on commence par le saxophone alto qui est le plus adapté à leur morphologie et on parle d’abord de son, de comment en émettre un et y prendre du plaisir. On écoute aussi des disques.
Quel est le plus important pour toi en tant qu’enseignant ?
La tradition orale. Je suis très attaché au fait que les enfants s’approprient cette musique et pas de manière académique. Je tiens aussi beaucoup au côté populaire du jazz et que l’élève ne considère pas cette discipline comme une musique de bourgeois et de privilégié mais au contraire comme une musique qui lui parle de manière immédiate. C’est vraiment ce que je travaille en priorité.
En dehors de la musique tu es assez sportif. Tu as fait un peu de tennis, mais ce n’est pas un sport qui te branche plus que cela. Pourquoi ?
Effectivement. D’abord pour une raison personnelle. Quand j’étais enfant, mes parents m’ont fait essayer plein de sports et à chaque fois ça ne fonctionnait pas ; je n’étais pas connecté. Comme il y avait un court de tennis à côté de chez moi, on m'a inscrit à des cours. C’est le professeur qui a convoqué mes parents à l’époque et qui leur a dit qu’il semblait y avoir un problème avec moi. "Il regarde la balle passer et il ne la touche pas. Il ne se déplace même pas pour aller la frapper. C’est peut-être un problème psychologique »avait t-il expliqué Tout le monde étai très inquiet, et on m’a emmené voir un psychomotricien qui a rassuré ma famille en leur affirmant qu’il n’y avait rien d’inquiétant me concernant. « C’est juste qu’il est dans son univers, qu’il rêve et visiblement courir après une balle ne l’intéresse pas plus que cela. » La deuxième raison vient du fait que la compétition à deux me parle très moyennement. Me battre contre quelqu’un n’est pas ma tasse de thé même si j’admets les enjeux stratégiques de ce sport. Il développe les réflexes, une intelligence du corps et je comprends bien le rapport entre le tennis et le jazz. Plein de jazzmen adorent ce sport. Dans la musique, la notion de compétition est aussi présente. Il faut être brillant pour stimuler le batteur mais ça ne me dérange pas car il n’y a pas de gagnant.. En outre, depuis que j’ai découvert le surf, ce n’est plus pareil.
Le surf comparable à la musique
J’ai retrouvé les mêmes éléments dans le surf que ceux que je retrouve dans la musique. Une forme d’abandon aux éléments, à ce qui se passe autour de soi avec une intelligence de l’instant auquel il faut s’adapter et parfois le surmonter ; le dominer et aussi l’accepter. Présente aussi la notion de collectivité car avec l’océan on n’est jamais seul. On est avec l’immensité de la nature comme on est avec l’immensité de la musique et le bruit de l’océan représente surtout une notion de bien-être. .. On regarde les autres surfer, on apprend, on conseille et on très solidaire les uns des autres.. Comme dans la musique, s’il arrive quoi que ce soit on doit tous s’entraider. Si quelqu’un se trompe sur un morceau on est tous avec lui, car ce qui prime d’abord c’est la musique. Ce sont toutes ces valeurs là que j’ai retrouvées. . On ne va pas jouer de la même façon en fonction de ce que joue le batteur et le pianiste et en même temps on doit leur donner l’impulsion afin d' être source de suggestion. L'on est vraiment dans cet entre deux que je n’ai retrouvé nulle part ailleurs. Et puis étant dépassé par tout ce qui se passe, il existe une forme de transe. Quand les alpinistes arrivent dans un milieu qui n’est pas approprié à l’homme, ils parlent d’engagement. C’est pareil en musique et en surf. Un endroit qui ne t’est pas forcément destiné, qui n’est pas là pour toi, qui ne t’attend pas, qui ne dépend pas de toi et pour moi la musique c’est pareil. Tu arrives dans un endroit qui existe avant toi ce qui donne à la fois une certaine forme d’humilité et de puissance. C’est vraiment l’union des paradoxes.
De manière générale tu aimes les sports d’eau !
Oui, depuis que je suis petit, j’adore l’eau. Mon oncle m’a raconté que quand ma mère a voulu m’apprendre à nager, elle m’a jeté dans la piscine et il a fallu que je débrouille seul. Quand je prenais un bain, je ne voulais plus en sortir et dès que j’étais face à la mer, j’y allais tout de suite. Je ne suis pas frileux et c’est là où je suis bien.
Pour le saxophone tu es bien sûr très exigent dans le choix de l’instrument. Est-ce pareil pour la planche de surf ?
Ah oui !. Il y en a d’ailleurs cinq chez moi ce qui crée des discussions avec ma femme qui commence à en avoir marre de ces planches de surf partout. Mais je pense honnêtement que c’est lié aussi à mon niveau. . Il existe un moment où l’on se concentre davantage sur le matériel car c’est en rapprt avec la progression. Quand on avance, on veut avancer encore plus donc on cherche la bonne planche, le bon volume intérieur, la bonne forme, la bonne longueur même si certaines planches dépendent des vagues. Pour le saxophone, j’ai passé beaucoup de temps à chercher ce qui me convenait, ce qui est utile, je ne le renie pas. Mais une fois que l’on a trouvé le bon matériel et qu’on a également pratiqué , le travail se faisant à l’intérieur de soi c’est-à-dire dans la manière de souffler, on arrête de se poser ce genre de questions. J’ai des amis qui surfent tout le temps et qui n’ont qu’une planche…
Tu es un passionné de surf ?
Ah complètement ! En plus avec la crise du Covid, c’était la seule chose qui pouvait compenser l’absence de concert à la fois physiquement et psychologiquement. Ca m’a tellement manqué de ne pas aller sur scène que la seule chose qui m’a aidé c’est d’aller à l’océan et de surfer.
Tu dis que c’ est créateur. Est-ce le fait de jouer avec les vagues ?
Tout à fait ! Pas une seule vague ne se ressemble, et il règne une notion d’esthétique très importante. Quand on est sur une vague, la façon dont on place ses bras, son buste, son corps doit être joli à voir. Il ne faut pas que ce soit forcé, il faut être avec la vague. Le surf de par l’importance de faire de beaux gestes, se rapproche de pas mal d’arts martiaux. C’est incroyable car une vague peut changer de seconde en seconde, on est vraiment dans la création instantanée. C’est le même processus que le jazz et même si on a l’impression que les conditions sont idéales et que toutes les vagues se ressemblent, ce n’est pas vrai. La vitesse, le découlement, les courants, l’influence du vent rendent chaque chose unique et précieuse.
Et la peur là-dedans ?
Cela dépend mais c’est le même genre de peur qui m’habite avant de monter sur scène. Plus une conscience extrême que de la peur. C’est un drôle de sentiment car on n’est ni totalement dans la joie ni totalement dans l’anxiété. C’est un entre deux où tout est à vif et l’on est plongé dans une concentration intense, du coup très excitante. Mais c’est vrai qu’à une certaine hauteur, je peux commencer à avoir peur mais bizarrement je me sens en sécurité dans l’océan. J’avais beaucoup plus peur quand je faisais du skate. J’avais peur car sur le goudron, on peut se faire très mal. Mais dans l’eau je suis rassuré, je ne sais pas pourquoi. C’est irrationnel et je n’ai pas vraiment d’explication. En décembre 2021, je suis allé faire une cession à Saint-Jean De Luz. Les vagues étaient très grosses avec une hauteur de 2 mètres 2m ½ ce qui est ma limite car au-delà c’est trop technique. A un moment donné, je me suis fait renverser par une vague et je suis resté très longtemps dans l’eau mais à la fin emmené vers les rochers, je n’ai pas vraiment été envahi par la peur. C’était comme une vigilance qui commençait à apparaître…
Existe-t-il plusieurs positions dans la façon de se tenir sur la planche ?
En surf ce n’est que debout, mais ceux qui font du long board ont de très longues planches sur lesquelles on peut réaliser des figures de style. C’est précis et ce sont de petites vagues.. En revanche en body board, la position est allongée avec des planches tout à fait différentes. Elles sont en mousse et beaucoup plus petites. J’ai d’ailleurs commencé par là et sur ces planches là on peut se mettre à genoux. Un genou à terre, un genou debout. J’adorais ce genre de figure qui ressemblait un peu à des positions de scène d’aikido. Mais je préfère le surf car les perspectives et sensations sont beaucoup plus intenses.
Prends-tu beaucoup de gamelles ?
Cela dépend du niveau, mais j’ai l’impression de progresser en ce moment et j’en prends moins. Sur 2h si on est très en forme, on prend cinq à six bonnes vagues ce qui est peu car on passe beaucoup de temps à ramer. 20% seulement à surfer et sur ces 20% il y a peut-être 10% de bonnes vagues… De quoi dépend la chute ? J’ai envie de citer un personnage d’Azur Asmar un dessin animé que j’adore. Au début, un jeune enfant monte sur un cheval, il tombe et celui qui lui apprend à faire du cheval lui dit « Ce n’est jamais la faute du cheval, c’est la faute du cavalier." Toutes les vagues sont surfables avec bien sûr des vagues plus ou moins difficiles à cerner. Un excellent surfeur arrive à surfer à peu près tout. Certaines vagues se perdent tout de suite, d’autres se déroulent. Une gamelle sur une vague facilement maîtrisable dépend de nombreux paramètres. Un pied avant trop devant, le fait de se lever trop tard, de trop regarder autour de soi, trop sa planche… La position idéale ? Les genoux très pliés et le buste droit. L’erreur de beaucoup de débutants c’est d’avoir une position en crabe.
Un endroit idéal pour surfer ?
Il y en a plein mais je suis assez attaché à la plage où j’ai débuté en bas du bassin d’Arcachon ou au pays basque. J’aime bien aussi surfer au Maroc . Comme ma mère était marocaine, c’est toujours très émouvant pour moi d’aller là-bas surfer. La plupart du temps, je surfe tout seul mais quand je peux j’y vais avec des amis d’enfance qui sont tous surfers. On a commencé ensemble et on était les premiers à aller sur les plages en bas du bassin d’Arcachon. On avait une planche pour six, on a tous essayé et ça nous a plu. Quand on y va ensemble, c’est génial comme rapport et comme moment. C’est la solidarité dont je parlais entre les musiciens, même genre de collectif.
Tu surf en tournée ?
Ah oui et ça devient même un problème dès que je vois qu’il existe des vagues pas loin. Je pars avec trois planches et c’est un enfer pour ma production de prévoir des voitures assez grandes pour me réceptionner à l’aéroport. Je commence à embêter toute le monde avec mes histoires…
Donc tu as déjà surfé avant un concert ?
Oui ça m’est arrivé. Quand c’est possible comme à Saint Sébastien, je me lève très tôt et je vais surfer. Cela me met dans la même énergie que pour un concert. Mais il ne faut pas en abuser car c’est très fatigant quand même. Il faut garder un peu d’énergie pour le soir et au lieu d’une heure et demi , deux heures, je surfe une demi-heure, trois quart d’heure. C’est comme un extra. Surfer m’inspire musicalement oui mais c’est plus en terme de sensations qu’en terme de mélodies. C’est une sorte d’état d’esprit, de mise en disponibilité. Ce qui est sûr c’est que quand je vais surfer, j’ai l’impression de travailler mon instrument.
T’es-tu déjà blessé ?
Non pas au rythme où j’en fais. Trois, quatre fois par mois. Mais pas mal de surfers peuvent se faire mal au dos à cause de la position de rame. Le buste très ouvert pour avancer et voir au loin. Mais la blessure est assez facilement compensée par des exercices de yoga, des choses de ce style. Mais c’est un sport très complet qui fait travailler énormément les parties du corps.
En surf tu as envie de progresser et en musique aussi. En quoi ?
Oui, c’est même l’essentiel de ce que je veux faire et encore plus en musique. En surf, je dois travailler le fait d’avoir un dos plus droit sur ma planche et d'avoir une vision plus large de la vague. Regarder loin, avoir une vraie direction du regard et peut être utiliser plus mes appuis avant… En musique la chose plus importante n’est pas d’être le meilleur mais d’être expressif . Arriver à partager de manière claire des sentiments forts. Cela passe par plein de médiums différents : le son, le placement, la technique.
Quels sont tes projets ?
Déjà partir en tournée pour Awe. En Italie, Algérie plus tous les festivals de France en mai et en juin. Je prépare également un prochain album mais que je garde un peu secret…
Agnès Figueras-Lenattier
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