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jeudi, 08 juillet 2021

Françis Huster

La différence entre le jeu au théâtre et le jeu au cinéma :

 

Vous avez fait une formation avec René Simon et Antoine Vitez. Que vous ont-ils appris ?

René Simon qu’on appelait «Le patron», m’a enseigné l’audace et l’insolence, en fonction des valeurs humaines du texte lorsque j’avais un rôle à interpréter. Il m’a appris aussi en dehors de ce côté rebelle à avoir confiance. A n’écouter que ce que mon instinct me commandait de faire. Antoine Vitez m’a appris à refuser les acquis, à remettre en question toutes les références théâtrales. Celles-ci ont d’ailleurs contribué pour pas mal de mes camarades à cette époque-là à les paralyser. Et à faire rater leur carrière. À force de se sentir fils de Jouvet, de Vilar, de Barrault ou de Dux, on en arrivait à oublier qu’il fallait réinventer ce métier à chaque génération. Antoine Vitez a été une sorte de Che Gevara du théâtre avec ce que cela peut comporter de danger mais en même temps d’audace. Il se trouve que le triangle entre Simon, Vitez et Florent a représenté le coup de chance de ma vie car Florent pour sa part m’a enseigné à travailler avec les autres. C’est d’ailleurs l’intérêt majeur que je vois à suivre des cours d’art dramatique : savoir apprendre à travailler avec les autres.

 

Et le cinéma est-ce que cela s’apprend ?

Le problème du cinéma c’est exactement le même que celui du football. Dans les années 50 chaque joueur sur le terrain avait sa place. Les arrières jouaient à l’arrière et ne dépassaient jamais la ligne médiane. Les demi-centres étaient au milieu du terrain et n’allaient jamais attaquer. Quant aux attaquants, ils ne revenaient jamais défendre. C’était les grandes années du football brésilien de Pelé et du football français de Coppa et Fontaine. Et puis le football a évolué. Tout d’un coup dans les années Emilio Ferrera, le catenaccio italien a décidé que tout le monde allait au contraire comme dans un jeu d'échec, défendre avec les noirs et attaquer avec les blancs. Ce sont des matches de foot qui se terminaient souvent par le score de 1/0. Des matches très longs qui ont porté haut le football italien, mais qui ont tué un certain sens du football. Ensuite, s’est opérée une totale évolution. Toute l’équipe s’est mise à défendre où à attaquer. On a vu alors pour la première fois des arrières marquer des buts, des demi-centres aller à l’attaque, des avant-centres défendre jusqu’à la ligne des buts. C’est le même principe au cinéma. À un moment donné et je pense notamment aux films de Marcel Carné, de Jean Renoir, de Duvivier, Clouzot, les techniciens imposaient le style du film aux metteurs en scène. Et les metteurs en scène avaient un dialoguiste qui sculptait des dialogues pour les acteurs (Audiard, Companeez ...).Les acteurs se retrouvaient donc dans une théâtralité avec une caméra, et avaient à dire des grands textes classiques. Ils venaient sur le plateau et des metteurs en scène comme Pagnol, Guitry dirigeaient plus la caméra que l’acteur. C’était là que résidait le problème. Et puis est arrivée la nouvelle vague. La caméra est devenue elle-même un acteur. Elle a fait partie de la narration assassinant le style Clouzot, et abolissant le directeur d’acteur dictateur. La caméra est devenue fluide et s’est presque mise à respirer en même temps que les acteurs. S’en est suivie une liberté de jeu avec les deux plus grands metteurs en scène de la nouvelle vague que sont Jean-Luc Godard et Claude Lelouch. Lelouch est derrière sa caméra, il nous dit le texte, on répète après lui et puis il efface sa voix. Ce changement a engendré comme pour le football le fait que tous les acteurs contribuent au film. Il n’y a plus la super star, les seconds rôles et les petits rôles. Le cinéma d’aujourd’hui comporte des films ronds où tous les rôles sont des rôles principaux.

 

Est-ce une bonne chose ?

Quand on est sur un plateau de cinéma, on passe par exemple trois quarts d’heure à préparer la lumière, trois quarts d’heure au maquillage pour préparer chaque acteur. Ensuite, on met les acteurs dans des loges ou des car-loges. Puis arrive l’assistant qui dit «C’est à vous». On nous emmène alors sur le plateau où les lumières et la caméra ont été préparées, et on nous annonce que l’on va tourner. Le metteur en scène commence à travailler avec les acteurs de la même façon que pour l’installation de la lumière et du travelling. Or les gens de l’équipe demandent «Combien de temps va t-on attendre avant que les acteurs soient prêts» ... Le metteur en scène sur un plateau de cinéma n’a donc pas le temps de faire travailler les acteurs. Or pour que l’on arrive à un cinéma révolutionnaire avec un jeu exceptionnel des acteurs, il faut des metteurs en scène qui puissent travailler tranquillement. Les techniciens doivent comprendre que diriger un acteur ne se fait ni la veille ni avant. Mais sur l’instant et au moment où l'on tourne. Si l'on a besoin de vingt minutes pour diriger une actrice qui n’a que deux lignes à dire, on doit prendre ce temps-là. On est battu dans tous les domaines par le cinéma américain, indien et chinois qui a tous les moyens pour permettre un tournage immense avec des effets spéciaux. Si nous voulons nous en sortir, nous, le cinéma européen, nous devons le faire sur la qualité de l’acteur. J’ai toujours considéré comme un véritable scandale qu’aucun acteur français n’ait jamais eu un oscar à Hollywood. Ni Raimu, ni Gabin, ni Belmondo, ni Delon rien. Je passe aussi sur des acteurs sublimes comme Mastroianni. La qualité des acteurs européens va venir de cette révolution qui va consister à ce que, pendant que les techniciens installent le travelling, la lumière, le metteur en scène travaille avec les acteurs. Il faut donc éduquer les acteurs à apprendre à travailler avec du bruit, avec des gens qui passent ...

 

 

Avez-vous des choses à reprocher au théâtre actuel ?

Oui c’est la conception cartésienne par rapport à des auteurs comme Beaumarchais, Musset, Racine, Corneille, Hugo. Il existe un raz de marée destiné à réinventer totalement ce théâtre là. Certaines mises en scène d’opéra sont sublimes, pourquoi n’y aurait-il pas le même phénomène vis-à-vis du théâtre classique. Je pense que la puissance du théâtre viendra du renouveau total du raz de marée de la mise en scène.

 

Et comment concevez-vous cette mise en scène ?

Comme ce que j’avais fait avec Richard II de Gloucester, mon adaptation de Richard III de Shakespeare. J’avais monté la pièce comme si c’était Onassis, Jacky Kennedy, lord Oswald, sans changer un mot de Shakespeare. J’avais même mis de la musique. Dominique Probst avait fait une partition extraordinaire, c’était Shakespeare. Il y avait des hélicoptères comme si c’était le Vietnam, des bandes-son extraordinaires et Deborah Warner était venue voir le spectacle avant de faire son film, lui aussi dérivé de Richard III. Un film dans la même lignée et qui était magnifique ...

 

Pour vous quelles sont les différences entre la mise en scène de théâtre et la mise en scène de cinéma ?

Une énorme différence. Comme entre la marine et l’armée de l’air. La mise en scène au cinéma consiste à placer la caméra, donc l’œil du spectateur, là où il peut suivre le fil rouge de l’histoire qui dure une heure trente. Et non pas à placer la caméra pour suivre ce que fait chaque personnage donc chaque acteur du film. Deux personnes sont en train de parler dans un café. Ce qui compte ce n’est pas ce que l’un et l’autre pensent, mais ce qu’ensemble ils nous racontent. Par exemple on voit Gary Cooper dans «Le train sifflera trois fois» aller chercher de l’aide. Il marche en avant et demande à son copain de venir combattre avec lui les bandits qui arrivent. La caméra est dans la grande rue par terre en travelling arrière et comme Fred Zinnemann passe la caméra en dessous, il nous mythifie Gary Cooper. Ceci nous aide à comprendre que Cooper aura beau marcher, jamais il n’aura ce qu’il veut. Si la caméra avait été au contraire dans son dos, on aurait été conscient qu’il aurait obtenu ce qu’il voulait. C’est cela la mise en scène au cinéma. Quand on a un scénario, il faut du début à la fin marquer le fil rouge. Deux personnes sont dans un café et n’ont rien à se dire. L’une sort et a envie de se suicider. Au lieu de faire un gros plan sur elle, on utilise un plan très large où elle est très petite. De cette façon le spectateur peut se dire «Tiens elle est complètement paumée dans cette ville». Et puis l’acting au cinéma, c’est de tout faire en tant qu’acteur pour ne pas jouer avec soi-même. Il ne faut jouer qu’avec celui qui est en face de soi ...

 

Au théâtre c’est le contraire !

Oui. Au théâtre, il faut dire aux gens qui sont dans la scène ce qu’on pense et ce qu’on sent. Quand un personnage se trouve sur une scène et qu’on ne sait pas ce qu’il pense, c’est foutu. C’est pour cette raison que le théâtre classique était si intelligent. Il comportait des monologues comme «Je pense ceci, je veux cela» ... Jouer au théâtre c’est presque être aveugle et sourd vis-à-vis de ce qui est en face de soi. En effet, quand on est deux sur scène, le spectateur passe de l’un à l’autre selon sa volonté. Dès qu’il a saisi ce que l’un ressent, il va sur l’autre. On doit donc jouer avec les autres au cinéma, et seul au théâtre. C’est d’ailleurs pour cela qu’au théâtre, on supporte un monologue. Le cinéma représente l’échange humain entre les gens. Quant à la mise en scène de théâtre, elle est très compliquée car il faut maîtriser comme avec un cheval les temps de galop, de trot de la pièce. Comme on n’a pas de montage, de retour en arrière, on est obligé de rythmer la représentation. Au théâtre, ce ne sont pas les décors, les costumes, la lumière, la direction d’acteur qui comptent, c’est le rythme. Ainsi si l'on va au théâtre, on se dit «C’est dommage il aurait joué deux fois plus vite le spectacle aurait été génial ou le contraire». Le metteur en scène est comme un chef d’orchestre qui se doit de donner le solfège de la pièce. Cette scène est jouée trop vite, celle-là trop lentement, ces deux scènes sont jouées au même rythme c’est une erreur, les silences sont trop importants, pas assez ... Un metteur en scène pourrait se dire «Je me fiche des décors, des costumes, des lumières chacun ses responsabilités. Moi je suis là au premier rang pour dire plus vite, moins vite, attend, plus fort, moins fort».

 

Comment cela se traduit-il au niveau du jeu des acteurs ?

Par deux possibilités. La première consiste à laisser les acteurs trouver eux-mêmes leur place. Puis tout d’un coup on leur dit «Cela est bien on le garde, là tu es bien tu me touches. Tu es très drôle, très juste». Tout vient de l’acteur et une espèce de puzzle se construit au fur et à mesure. Comme ç’est l’acteur qui décide, c’est extraordinaire car rien n’est faux. Dans la deuxième solution rien ne vient de l’acteur. C’est le metteur en scène qui joue tous les rôles et qui impose sa vision aux acteurs au mouvement près.

 

Et au cinéma ?

Au cinéma tu as confiance en ce que tu fais alors qu’au théâtre tu doutes. Plus tu doutes, plus tu es fort, alors qu’au cinéma tu dois être persuadé que tu es le rôle. Il n’existe pas de personnage au cinéma. C’est toi qui joues, c’est toi qu’on filme et tu peux te permettre de ne pas jouer. Je dirais qu’au théâtre on joue, et qu’au cinéma on ne joue pas. Il faut aller encore plus loin que Jouvet et dire, on ne joue pas au cinéma. Tout acteur qui devant une caméra joue, c’est insupportable ...

 

En fait, on peut très bien prendre quelqu’un dans la rue et lui demander de jouer son propre rôle !

Je pense qu’on doit prendre un acteur, et lui demander de jouer son propre rôle. Ce qui m’intéresse si on fait par exemple un remake de «La femme du boulanger» c’est de mettre Bacri à la place de Raimu pour qu’il fasse du Bacri dans du Bacri. Pour moi la grande force de Raimu, Brando, Belmondo, Delon c’est que dans toute une partie de leur carrière ils ont fait du Raimu, du Brando, du Belmondo, du Delon. Je ne crois absolument pas au personnage, c’est faux ...

 

Pour vous est-ce qu’un acteur de cinéma est forcément bon au théâtre et vice versa ?

J’ai eu l’expérience avec Alain Delon dans «Variations énigmatiques», il était exceptionnel. On a fait complet du premier au dernier jour et à chaque représentation, Delon revivait. C’était comme si, à chaque fois, c’était la première fois qu’il jouait. Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir un personnage devant moi, j’ai eu l’impression d’un Delon pleurant, s’asseyant, criant, murmurant, souffrant. C’est pour cette raison que ce fut une grande réussite. Pour moi il n’y a pas des acteurs au cinéma et des comédiens au théâtre. Il y a des acteurs qui ont conscience dans leur personnalité qu’ils sont comme un instrument qui ne pourrait pas se changer. Tu es un violon, tu ne vas pas te changer en contrebasse, tu restes tel quel et c’est ton cœur qui parle. Si un acteur ne correspond pas physiquement au texte qui est comme une partition, comme un violon, il n’a rien à faire dans la pièce. Par exemple distribuer Delon dans « Antoine et Cléopâtre » ou dans «Qui a peur de Virginia Woolf» oui. Dans «Roméo et Juliette» certainement pas même quand il avait vingt ans. C’est plus pour Sami Frey ...

 

Pourquoi ?

Il existe des acteurs dans la vie qui ont une fatalité en eux comme Delon, Tom Cruise. Et puis des êtres qui sont comme des insectes avec des épines et qui sont des teigneux. Comme Norton, De Niro, Auteuil, Balmer, Chesnais. Ce sont des êtres insociables. Ils rentrent dans une pièce, on ne les remarque pas, ils se fondent totalement. On est exactement comme des animaux : il y a des tigres, des lions, des reptiles, des insectes. Luchini par exemple c’est un aigle ; il se pose, s’en va, puis revient, puis il est dangereux ... Chacun fait partie d’un monde qui lui ressemble.

 

Qu’est-ce que peut ressentir un acteur de cinéma qui fait du théâtre ?

Un acteur de théâtre qui fait du cinéma se sent toujours un peu amoindri car le texte, la partition qu’il a à interpréter, n’a aucun rapport avec les partitions du théâtre. C’est comme si l'on comparait Mozart, Beethoven Mahler et les autres à Trenet, Aznavour, Brel, Ferré ... Brel, Ferré c’est magnifique, et il existe des films extraordinaires comme «La grande illusion». Mais l’interprète de Mahler se sent un petit peu frustré quand il interprète Brel. Au cinéma la plupart du temps, l’acteur de théâtre n’a pas une palette de jeu suffisamment forte, grande, sublime. Bien sûr, certains rôles sont sublimes au cinéma, mais si c’est un second rôle, l’acteur de théâtre est toujours frustré. Le problème, c’est que l’on ne peut pas dire que la plus grande cantatrice du monde est mieux qu’Edith Piaf. Quant à l’acteur de cinéma qui fait du théâtre il se dit «Mince, d’autres personnes sont sur scène et personne ne m’aide». C’est plus une histoire de camaraderie entre acteurs et une question d’arriver à se débrouiller tout seul. Trois personnes sont sur scène, et tout d’un coup le public se moque royalement de qui est à côté de soi. On sent huit cents personnes qui sont en train de vous regarder et de vous écouter, et tout doit partir de soi …

 

 Que doit-on faire de plus ou de moins côté jeu de l’acteur ?

C’est exactement ce que vous venez de dire. Au théâtre, cela se traduit par une intensité supérieure dans la justesse du sentiment. Et non pas au niveau du phrasé ni du travail sur le texte. Si on se plante dans la justesse du sentiment correspondant à la scène, c’est fichu. Au cinéma, ce n’est pas une question d’intensité. Au contraire c’est une question de justesse du naturel, du jeu. L’intensité du sentiment vient de la photo, suivant si elle est plus ou moins contrastée, plus ou moins dans les ombres. Si la lumière est sur un gros plan ou pas etc. On peut magnifier un acteur au cinéma et se servir de l’image avec le son. On peut baisser la voix, aller davantage dans les graves ...

 

Les artifices sont plus nombreux !

Appelons cela plutôt des surmultiplications de ce que l’on fait. Mais si on met une extraordinaire lumière sur quelqu’un qui n’est pas juste, cela n’ira pas. N’oublions pas qu’au cinéma on n’a jamais entendu la vraie voie de Gabin, de Raimu et des autres. Comme tout passe par un appareil, c’est la voix métallique que l’on a entendue. Si j’entends ma voix au cinéma, j’ai un petit recul en arrière. Elle est multipliée dans ses défauts comme dans ses qualités et c’est un fond qui n’a rien à voir avec moi. J’entends, comme j’entends au téléphone, la voix de quelqu’un. Je reconnais la voix de ma femme, de mes enfants mais ce n’est pas pareil. Au cinéma, comme tout est accentué si on joue juste au départ, c’est dix-mille fois juste. Et si on est mauvais c’est dix-mille fois mauvais ...

 

Le rôle du corps est-il plus important au théâtre ?

Probablement qu’il est plus important au théâtre mais qu’il est beaucoup plus dangereux au cinéma. En effet, si le corps est mort, on ne peut pas être juste. Le cinéma c’est un jeu d’échecs et on ne peut pas tricher à ce jeu. Au cinéma, où l'on est naturel ou on ne l’est pas. Le théâtre c’est du poker, il existe du bluff. On a les cartes en main. Si l'on joue Bérénice, on a des cartes sublimes, et on les abat au fur et à mesure de la pièce. On retient et on ne va pas jouer pendant une heure trente en se disant que l'on a une quinte flush. Mais en se disant que l'on joue Bérénice et que c’est un rôle sublime. On doit faire toute la pièce. C’est vraiment la comparaison exacte. On mise, on trompe le public. Les dix premières minutes, on peut penser que l'on joue de telle manière, et puis finalement jouer autrement. Mais certains acteurs, c’est terrible d’ailleurs, abattent leurs cartes tout de suite et jouent tout le rôle en cinq minutes. Et pendant toute la pièce ils font la même chose ...

 

Le poker est-ce plus excitant que les échecs pour vous ?

Au théâtre, c’est quelque chose de beaucoup plus chat et au cinéma, quelque chose de beaucoup plus chien. Au théâtre, les acteurs ronronnent, griffent, ils sont souples et caressent le public. Le théâtre, c’est de la séduction, le cinéma pas du tout. Le cinéma se fait naturellement, je mords, si cela ne vous plaît pas salut.

 

L’humeur avant de jouer est-elle plus importante au théâtre ou au cinéma ?

Au cinéma c’est de l’éjaculation précoce. Cela demande une telle intensité entre moteur et coupez que je conseille aux acteurs d’être complètement en dehors du rôle, avant moteur et coupez. Il est absolument impossible entre six heures du matin, moment où l'on se lève pour se rendre au tournage, et le moment où l’on tourne, d’être concentré pendant dix heures, pendant deux mois et d’être le rôle. Ou alors on est fou. Ce qui m’est un peu arrivé avec Jean Moulin. Il faut dire que j’étais tout seul sans famille en Tchéquie. J’allais à l’hôtel, je ne sortais jamais le soir et je me suis pris pour Jean Moulin pendant deux mois. Mais c’est beaucoup trop dangereux. Donc je crois qu’au cinéma, il faut être totalement relax comme le sont les sauteurs en hauteur. Ils sont décontractés puis tout d’un coup, on les voit se concentrer. Ils sautent et puis c’est fini. C’est pour cette raison que je parlais de l’armée de l’air, alors que le théâtre, c’est la marine. C’est un voyage où tu t’embarques avec toute une troupe et tu joues la pièce. On ne peut pas faire revenir en arrière le bateau puisque chaque jour de répétition, on continue. Alors qu’au cinéma on peut jeter. On jette, on recommence, on jette, on recommence. Le cinéma c’est un art coup de poing KO alors qu’au théâtre au contraire on cherche à rencontrer en soi-même le texte. C’est un travail de longue haleine, de mûrissement. Chaque jour on gagne un peu plus, on sculpte. Au cinéma quand on est mauvais on tousse, quand on est bon on crie. Les prises de cinéma représentent des cris successifs ...

 

Et au niveau fatigue physique ?

Je dirais que la fatigue physique se produit au théâtre, et la fatigue morale au cinéma. Au cinéma, on a la culpabilité de se dire tout le temps «Ce n’est pas bien ce que j’ai fait». Il existe toujours le fait de se dire «Je peux en refaire une». Au théâtre on n’entend jamais cela. On est convaincu que le metteur en scène veut quelque chose. Et une fois que l’on sait ce qu’il veut et que l’on arrive à le faire c’est fini. On ne se pose plus de questions. En fait, le cinéma, c’est l’art de se poser des questions, et le théâtre c’est l’art de donner des réponses. C’est ainsi que l’on voit la pièce, que l’on doit la jouer. Un point c’est tout.

 

Et le fait de jouer seul ?

Je crois que c’est une erreur de jouer seul, j’en ai toujours été persuadé. Le plus beau souvenir de ma vie c’est «La peste». Je l’ai joué six-cent-quatre-vingt-treize fois partout y compris à l’étranger. C’est un souvenir sublime et j’en suis fier. D’ailleurs au Musée Grévin, je suis dans le costume de «La peste». Mais jouer seul, c’est comparable à un peintre qui ferait un portrait de lui-même. Or la seule justification pour jouer seul comme un pianiste qui fait seul son récital, c’est pour des raisons d’une importance personnelle capitale. À savoir défendre un texte qui vous paraît d’une importance capitale du point de vue artistique ou politique. À ce moment là ce n’est plus une erreur, c’est un devoir.

 

Vous disiez qu’au théâtre il faut jouer seul mais lors d’un duo cela peut paraître étrange !

Non, quand un chanteur d’opéra chante en duo, il chante seul même si on entend l’autre. Il doit défendre sa partition et ne fait pas d’osmose. C’est brut de coffrage.

 

Au cinéma c’est donc le contraire !

Oui c’est un non jeu qui se traduit par une écoute. On doit simplement recevoir. C’est comme, si, en boxe, quand tu attaques, c’est le théâtre, et si tu défends, tu te protèges, c’est le cinéma. Les plus grands acteurs de cinéma ce sont ceux qui regardent, écoutent et renvoient la balle. Au cinéma, il faut des Borg, au théâtre des Mac Enroe ...

 

Que ressentez-vous lorsque vous jouez au théâtre et au cinéma en même temps ?

Je pense que ce n’est pas très malin car c’est comme si on n’avait plus d’élan quand la représentation du soir commence. Commencer à avoir un peu la trouille vers quatre heures constitue une nourriture de la vie quotidienne qui fait progresser sur scène. Or si pendant la journée on tourne au cinéma, la nourriture quotidienne est inexistante. Et puis quand on va se faire maquiller à cinq heures du matin pour un film, on n’a pas la concentration subtile nécessaire, et on ne prend pas les risques qu’il faut.

 

Vous avez le sentiment d’être moins performant !

Absolument. L’un après l’autre, mais pas les deux en même temps. C’est comme si on faisait un régime, et qu’en même temps on bouffait. C’est totalement contradictoire.

 

Vous avez écrit pour le cinéma et pour le théâtre. Quelles sont les différences ?

Au théâtre c’est l’auteur qui parle de A à Z à travers ses personnages. Il existe un ton, un style et tous les personnages parlent à la façon de l’auteur. Au cinéma c’est le contraire. Ce sont les personnages qui parlent, pas l’auteur. Et c’est difficile d’écrire un scénario de cinéma sans connaître les acteurs qui vont interpréter les rôles. La réussite des grands auteurs, c’est de penser déjà aux acteurs qui vont interpréter leur texte.

 

C’est ce que vous aviez fait pour « On a volé Charlie Spencer !

Non, mais c’est ce que j’ai fait pour le suivant. C’est ce que j’ai appris avec mon premier film ...

Agnès Figueras-Lenattier 

 

 

dimanche, 06 juin 2021

Patrick Flodrops

flodrops,jeu d'échecs,confessionsArbitre et juge-arbitre de tennis reconnu, Patrick Flodrops est le premier à être descendu de sa chaise pour juger une trace. Bon joueur de tennis, mais aussi d’échec, possédant 5,6 échiquiers chez lui, il s’exprime sur le sujet dans cet entretien.

 

Vous êtes un bon joueur d’échec. A quelle occasion avez-vous débuté dans ce jeu ?

J’ai commencé grâce à mon père comme presque tous les jeunes. Il m’a encouragé à essayer en m’affirmant que ce jeu était assez facile.  C’est vrai qu’au départ, déplacer les pièces n’est pas très compliqué. Mais par la suite, l’on s’aperçoit des difficultés, car il faut connaître beaucoup de choses. L’apprentissage est très long. Au tennis quelqu’un de doué arrive en trois mois à faire des échanges alors qu’aux échecs pas du tout. Si l’on bouge mal les pièces, on se fait massacrer. Vers 15,16 ans j’ai participé à des compétitions à droite à gauche, puis  j’ai complètement arrêté pour me tourner vers des jeux qui me faisaient davantage de bien comme le bridge ou le tennis. . A 50 ans, j’ai repris pour voir ce que ça pouvait donner. Je ne suis ni très fort, ni très mauvais. On peut m’assimiler à un classement 0 au tennis.

 

Quelle a été votre évolution ?

Je n’étais pas trop maladroit donc j’ai assez vite progressé. Je gagnais des tournois dans ma catégorie et je prenais beaucoup de plaisir à le faire.  J’ai été au Cap D’agde, à Rouen et je progressais, progressais. Jusqu’au moment où j’ai atteint mon plafond de verre c’est-à-dire le maximum de ce que je pouvais faire. On veut encore progresser, mais on ne peut plus. Je me suis rendu compte qu’il me fallait déployer un énorme effort pour encore améliorer mon niveau.  Le tennis s’est alors substitué aux échecs.

 

Que pouvez-vous dire sur votre niveau ?

Je connais le jeu, je peux en parler et dépasse le simple échiquier. Je suis au courant de l’histoire du jeu, des grands champions, suis bien impliqué dans cet univers, mais pour franchir un cap supplémentaire, il aurait fallu un investissement vraiment considérable. Au bout d’un moment, on se décourage. Les 100 meilleurs joueurs du monde sont assez seuls et ont peu d’amis et la plupart ont moins de 35 ans. Des coaches techniques   étudient les parties, les habitudes de l’adversaire. Mais les joueurs d’échecs ne vivent vraiment que pour ça.

 

Mais c’est valable pour le haut niveau de manière générale !

Oui, mais l’ambiance est plus ou moins joyeuse. Au tennis c’était plutôt plaisant et je me suis vraiment régalé pendant 23 ans. La vie d’arbitre ou de juge-arbitre est assez agréable tandis que les échecs se déroulent au sein d’un milieu très fermé. C’est un point sur lequel j’insiste mais les joueurs sont tellement passionnés qu’ils acceptent la situation…

 

Pourquoi parlez-vous de sports qui font du bien ? Les échecs ne sont pas dans ce cas là ?

Effectivement, ce n’est pas un sport très convivial et l’on se dit à peine bonjour. On tend la main sans regarder son adversaire, et pendant toute la partie on ne s’adresse pas un mot, on a le regard braqué sur l’échiquier. Une fois la partie finie c’est la même chose. Ce n’est pas fait pour les rapports sociaux, et de plus très peu de femmes jouent aux échecs. En France, on compte 150 grands maîtres internationaux (GMI) dont juste deux femmes qui mesurent 1M90 pour 80 kilos et qui ont une moustache.  Ceci tient au fait que le but du  jeu n’est pas de se distraire, ni de se détendre. Cela n’a d’ailleurs rien à voir avec la compétition car que ce soit au tennis ou au bridge on peut s’amuser ; aux échecs pas du tout. C’est  un jeu ingrat et assez rébarbatif. Ma mère à 85 ans jouait au bridge 2,3 fois par semaine et cela se passait super bien. Ce qui n’aurait jamais pu être  possible aux échecs. Mais  depuis 10 ans, nous avons un champion du monde d’échecs extrêmement charismatique. Un norvégien qui s’appelle Magnus Carlsen. 30 ans, beau, marié, sympa et qui parle volontiers à la presse et que je trouve génial.

 

Il déteint donc un peu par rapport aux autres !

Oui, même à la table. Lors d’une partie, l’on a droit à 5 minutes et on les gère comme l’on veut. Au bout de ce laps de temps assez court, si la partie n’est  ni gagnée  ni perdue, c’est terminé quoi qu’il arrive. Personnellement, j’aime les parties qui durent 10 minutes, mais certains font des parties de 2H30. Pour les championnats du monde, Magnus Carlsen prend son temps, ce qui stupéfie tout le monde. Il regarde en l’air, à droite, à gauche et commence à jouer. Il consomme déjà 30 secondes et c’est sympathique.  Il sourit aux gens qu’il reconnaît dans l’assistance ; il est exceptionnel. Contrairement au bridge qui s’est arrêté avec la pandémie, les  championnats d’échecs se multiplient sur Internet.

 

Vous dites qu’il n’y a pas de femmes. Pourtant il y a un championnat du monde féminin !

Oui, avec même une jeune femme très brillante Judith Polgar qui est bulgare. Elle est très forte et en plus elle est charmante. Mais sur les licenciés français à peu près 3% sont des femmes. Dans un club, c’est le désert côté féminin. La femme est plutôt au bar en train de servir un coca.

 

Votre femme joue t-elle ?  Et vos enfants ?

Ma femme et ma fille jamais. Elles ne voulaient pas entendre parler de ce jeu. .En revanche, avec mon fils , je joue  souvent. A 74 ans, j’ai des petits-enfants dont 3 garçons qui sont passionnés. Ce n’est pas moi qui les ai poussés mais eux qui ont vite éprouvé l’envie de jouer.  Mais mes deux petites filles se désintéressent complètement de cette activité.

 

C’est une activité qui exige des qualités pouvant servir dans la vie !

Absolument. Mais ce n’est pas l’intelligence qui prime même s’il ne faut pas être un âne absolu. Le meilleur joueur du monde n’est pas forcément quelqu’un d’extrêmement intelligent et s’il l’est c’est un hasard. En revanche, cela demande une concentration extrême et une vision esthétique de la position des pièces sur l’échiquier. Le très bon joueur se dit « Est-ce que mes pièces sont dans une bonne position ou est-ce que c’est nébuleux ? Il faut que ce soit clair et bien présenté. Cela fait partie des douze premiers coups qui consistent à a assembler les pièces de manière esthétique

 

En quoi l’esthétique joue t-elle contre l’adversaire ?
Le fait de bien disposer ses pièces sur l’échiquier donne une meilleure vision pour la suite. Chaque pièce a une efficacité et le joueur moyen n’en est pas vraiment conscient alors que le bon joueur est gêné si l’harmonie n’est pas respectée.

 

Après se met en place une stratégie !

Oui, mais avant tout c’est une question de concentration, et il ne faut pas se faire bouffer inutilement un cheval. Il faut bien observer et anticiper les éventuelles menaces de l’adversaire et faire très attention. Le distrait ne joue pas bien. Le  joueur de tennis champion de France juniors Denis Grozdanovitch par exemple, possédait un bon niveau et toutes les qualités pour réussir, mais il était parfois un peu ailleurs, un peu artiste et par moments il se prenait une banane sans comprendre pourquoi.  Il existe trois phases : les douze premiers coups, le milieu de partie où grâce à une bonne esthétique, on met en place une tactique afin de menacer le roi à terme et la fin de partie qui réclame un très gros travail. Il reste alors peu de pièces et il faut savoir aller au bout sans perdre la face. C’est assez difficile…

 

Avez-vous joué contre Denis Grozdanovitch ?

Oui souvent. Il était prof de tennis au TC16 club de tennis dont j’ai été président, et parmi les activités proposées, il y avait des échecs. Pour comparer avec le tennis, il avait à peu près le niveau d’un -4/6. Je perdais dans 60% des cas.

 

Et au tennis ?

Je l’ai souvent affronté vers l’âge de 40,50 ans, ce n’était plus le grand Grozdanovitch. Ses petites finesses marchaient moins bien, et il était plus facile à aborder. Il s’en fichait un peu. Mais il était très fort. Il lobait quand il fallait et faisait tout d’un coup une amortie sans que l’on comprenne  d’où elle venait. Il était doué.

 

Les différences et les similitudes entre le combat aux échecs et le combat tennistique ?

La grande différence c’est qu’au tennis, il faut courir, se dépenser, aller chercher la balle alors qu’au échecs c’est totalement cérébral. Je ressentais qu’au tennis contre Grozdanovitch, je pouvais gagner plus que perdre car je courais partout. . Contre lui, les parties longues je perdais toujours . Il avait le temps de réfléchir. Mais les parties courtes, j’arrivais à le battre.

 

Comment se passe un tournoi d’échec en compétition ?
Prenons par exemple le très grand tournoi du Cap d’Agde. D’abord on s’inscrit, on décline son classement comme au tennis, on donne son numéro de licence et puis on se présente à l’heure demandée dans une grande contenant une centaine d’échiquiers. On s’assied par exemple à l’échiquier n°96 et l’on se retrouve en face d’un individu que l’on ne connaît pas et l’on attaque la partie quand l’arbitre dit top. On déclenche l’horloge. A part les parties courtes ; il faut souvent cogiter pendant 5 heures.  De ce fait, l’adversaire disparaît souvent pour fumer ou boire un coca. Ceci 10,12 fois et le joueur de loin,  regarde s’il a appuyé sur l’horloge, revient nonchalamment, réfléchit un quart d’heure, joue… On peut sortir comme l’on veut car on ne peut pas bénéficier d’aides extérieures. Même si un ami vient, on ne peut lui décrire la situation. Il faudrait une photo de l’échiquier. Pendant que l’autre réfléchit, tu fais ce que tu veux. L’horloge ne fonctionne pas dans ces cas là.

 

Mais il est possible de tricher !

Oui, et les gens n’imaginent pas comment cela se passe. Tous les ans, on démasque 2,3 tricheurs à haut niveau. A petit niveau, il y en a beaucoup plus. Qu’est-ce que tricher aux échecs ? C’est avoir dans l’oreille un petit écouteur et puis quelqu’un qui vous donne des conseils en feuilletant un livre. Mais c’est quand même difficile. L’astuce c’est d’avoir recours à un spectateur qui se balade en regardant les parties et en retirant des informations utiles.. Et ils adoptent un code comme les gens qui parlent le  langage des signes. On détecte les tricheurs car ils font des coups trop merveilleux. En plus depuis 5 ans, la machine bat l’homme .Le seul qui peut gagner c’est Carlsen. . Par exemple au jeu de go aucun homme depuis 10 ans ne peut battre l’ordinateur, au bridge au contraire aucun ordinateur ne peut battre l’homme. Carlsen pour battre l’ordinateur ne fait que des coups anormaux pour déstabiliser l’ordinateur ce qui fait que l’intelligence artificielle de l’ordinateur ne fonctionne plus. Il gagne une fois sur deux.

 

Des compétitions aussi bien pour les pros que pour les amateurs ?

On peut imaginer en rêvant qu’un amateur soit champion du monde. Comme si un 15/4 gagnait Roland Garros. Ce n’est pas comme au golf où avec ta licence tu joues comme tu veux et tant mieux pour toi si ça marche. Un amateur aux échecs ne peut pas gagner plus de 1500 dollars. Carlsen ne s’inscrit que s’il peut gagner 500.000 euros. Je pense que le plus qu’il ait gagné c’est 1 million d’euros un tournoi très important en Hollande. Chez les femmes ? 10 fois moins !... C’est lui qui a fait progresser la machine car avant les candidats  (à peu près  200 millions de joueurs dans le monde, la France étant mal classée dans la hiérarchie) , étaient sous payés.. Un très bon français est 5ème mondial et le reste est moyen. Il s’est classé second au tournoi des candidats mais aurait pu être premier. C’est un gros tournoi entre les 8 meilleurs joueurs du monde à l’exception du tenant du titre.

 

Comment se déroulent les compétitions mixtes ?

Toute femme peut jouer un tournoi open et dans les grands tournois s’inscrit qui veut. Parfois dans le lot, se trouve une femme et en général elle est très forte. Judith Polgar a abandonné les tournois exclusivement féminins, car elle ne trouvait pas d’adversaires à sa mesure. Elle a été  50ème mondiale, ce qui est formidable. Cette femme avait une jumelle et toutes deux avaient un père enseignant. Quand elles sont nées, le champagne a coulé à flots et le père était dans un coin en train de pleurer. Tout le monde lui a demandé pourquoi et il a expliqué  «  Que vais-je faire de mes deux filles » ?   Personne ne pouvait répondre.  Un des convives a proposé de mettre dans une urne trois possibilités : mathématiciennes, musiciennes ou joueuses d’échec, cette dernière suggestion étant plutôt destinée à en rire.  Et le tirage au sort a été les échecs. Le père était lui-même un bon joueur et il a  transformé sa maison de 2 étages, englobant 5,6 chambres en un échiquier géant. Tous les meubles étaient en forme de cheval, de fou au autres pièces . La petite Judith a commencé à pousser les pièces sur la moquette à 2 ans. Et elle devenue à 16 ans grand maître international. C’est une des plus jeunes de l’histoire et elle a été 8 fois championne du monde dames, puis est passé chez les hommes. Elle n’a pas démérité du tout et a été bien respectée. Le père était surtout un excellent enseignant. Il voulait démontrer qu’il pouvait faire d’un enfant ce qu’il voulait à condition qu’on lui confie complètement. La mère était d’accord donc tout allait bien.  La jumelle a été championne du monde quand sa sœur a démissionné pour aller chez les hommes.

 

Il faut être très concentré aux échecs. Que pouvez-vous dire comparé à la concentration sur un court de tennis ?

Aux échecs, le silence est absolu pendant 3,4 heures.  C’est vraiment une église où il n’y a pas de prêtre qui raconte sa vie. C’est très particulier. Des arbitres  veillent même à cela Au tennis, il y a les applaudissent qui décontractent un peu l’ambiance et c’est agréable pour le joueur. Ce n’est pas la même ambiance.

 

Avez-vous déjà été arbitre aux échecs ?

Non, je ne connais pas très bien les procédures. Pour être arbitre à bon niveau, c’est comme au tennis si jamais la balle heurte un oiseau, il faut savoir quoi faire. Aussi si jamais la balle passe à travers le filet. En tant qu’arbitre de tennis, je connaissais tout. Médicaments, boissons, publicités… C’est pareil aux échecs, l’arbitre connait tout.

 

`Le dopage existe sûrement !

Oui, des amphétamines ; ça tourne un peu mais pas trop.. La cocaïne aide dans ce genre de situation, mais au bout d’un moment l’effet change. Au début on est très concentré en défiant le monde entier et au bout d’une demi-heure on dort et l’on n’est pas bien. 

 

Au niveau des classements ?

C’est mesuré par la système Elo créé par Monsieur Elo. Il a trouvé un système très bien fait . Le N°1 mondial vient d’atteindre 2800 elo. Personnellement, ; j’en ai 1400, 1500.  Un débutant commence à 50 elo. Il y a une échelle et comme au tennis le  Numéro 1,2.

 

Faites-vous partie d’un club ?
Non. Car contrairement à beaucoup de gens, je n’aime pas du tout les matches par équipe. En revanche,  j’en ai créé un mais on n’est pas encore décidé à l’homologuer ; ça va dépendre de la motivation de chacun. Nous sommes une quinzaine. J’aime le golf car l’on est responsable  de soi-même et j’aime les échecs pour la même raison. Au bridge, on a un partenaire, c’est déjà un peu un sport d’équipe et en plus très convivial. Je choisis mes partenaires et c’est un vrai bonheur…

Savez-vous si parmi les grands joueurs et joueuses de tennis, il y a de bons joueurs d’échec ?

Je crois que Djokovic se débrouille assez bien. Disons 15/2. D’ailleurs, il n’y a pas un serbe ou un croate qui ne joue pas bien aux échecs. C’est un pays très fort comme les Russes. Quand on va à Moscou, on voit très souvent dans la rue deux hommes les mains dans les poches qui se baladent dans les rues en jouant aux échecs dans leur tête l’un contre l’autre. Ils disent E2, E4, la position des pièces sur l’échiquier jusqu’à ce qu’ils gagnent. Ils jouent à l’aveugle, ce que l’on pourrait faire au bridge. Première série pique au bridge, je pouvais très bien rejouer toutes les parties que j’avais jouées la semaine d’avant. J’avais toutes les cartes dans ma tête. Ma mère à 82 ans se souvenait sans effort de toutes les cartes qu’elle avait eu dans l’après-midi. Pourtant, ce n’était pas une spécialiste de ce genre de choses. La fonction créée l’organe comme on dit. Quelqu’un qui se met au bridge et qui pense avoir une mémoire un peu déficiente de toute manière, au bout d’un an, se souviendra de toutes les cartes de l’après-midi.  On les mémorise sous forme d’image et sans être fort, ça s’inscrit tout seul. C’est valable pour tous les joueurs à partir de 15/4 pour 2,3 jours. Avec ma femme 1ère série cœur quand on rentrait d’un tournoi de bridge dans la voiture, on se racontait les tours de donne à la carte près. 30 donnes quand ce n’était pas 60. Aux échecs, certains joueurs se souviennent de toutes les pièces qu’ils ont joué. De vrais machines…

 

Il paraîtrait que les jeunes qui jouent aux échecs obtiennent de meilleurs résultats scolaires !

C’est vrai. Le fait qu’ils soient obligés pour bien jouer d’être très concentrés les rend meilleurs en maths. Le bridge fait aussi beaucoup de bien aux jeunes, je le constate avec mes petits enfants .

 

Avez-vous lu les livres de Xavier Tartakover ?

Oui. C’est un très ancien joueur qui a été champion du monde et qui a trouvé des techniques très efficaces. Il a écrit un excellent bouquin lu par énormément de joueurs. Il raconte les erreurs à ne pas commettre comme le coup du berger.. Par exemple ne pas mettre son pion à tel endroit, des choses de ce style. C’est facile à lire, très pédagogique. C’est la bible des joueurs d’échec.

 

Côté spectacle avez-vous vu des parties qui vous ont marqué ?

Une partie mémorable c’est la finale du championnat du monde à Reykavic en 1972 qui a duré trois mois. C’est la première fois qu’un étranger en l’occurrence américain se retrouvait contre l’Union Soviétique. Un match dantesque et toute la Russie était derrière son joueur  Joshua Waitzkin . Le joueur américain Bobby Fischer était un génie et l’ambiance terrifiante. Le président des Etats-Unis a dû s’en mêler pour que Fischer continue. La qualité était phénoménale et finalement c’est l’Américain qui a gagné. L’union soviétique était en berne ; pire que la mort de Staline.

 

Et des films que vous auriez vus ?

En général, les films sur les échecs sont très mauvais car pour augmenter le suspens, l’ambiance est faussée. Dans le « Gambit de la reine » sur Netflix  la jeune fille regarde son adversaire au fond des yeux et réciproquement. C’est une erreur et ça ne traduit pas du tout la réalité. Ceci dit, la série est très bonne et l’actrice très performante. Le "7ème sceau de Bergmann" ? Là encore, la scène n’est pas très bien filmée et ça ne se passa jamais ainsi…

 

Et « le joueur d’échec de Stefan Zweig ?

C’est un livre incontournable, un grand livre. Il met en place de vraies émotions et les soucis qui  habitent les joueurs. D’ailleurs, Stefan Zweig jouait très bien lui-même…

Agnès Figueras-Lenattier

 

 

 

 

 

lundi, 12 avril 2021

Christophe Bernelle

Un nouveau président Gilles Moreton a été nommé assez récemment. Mais que faut-il retenir de positif ou de négatif des années  Bernard Guidicelli?

Il attachait beaucoup d’importance aux résultats internationaux pour les très jeunes. C’était en quelque sorte son dada ce qui me semblait un peu exagéré. Il tenait beaucoup à ce que les moins de 14 ans soient dans les tous meilleurs dans l’épreuve Tennis Europe avec une course au point pour obtenir une bourse. Or l’important en moins de 14 ans c’est quand même de penser à améliorer son jeu même s’il faut faire des tournois.. Quelque chose a changé en junior ces dernières années c’est le classement ATP. Il est maintenant très important d’être le mieux classé possible surtout la dernière année junior. En effet, si un jeune est  dans les 20 ou 30 meilleurs mondiaux, il peut bénéficier de wild card pour les 15.000 dollars.  En revanche, s’il n’a pas ce classement là, il galère. Pour avoir ses premiers points, il doit passer un tour dans le tableau final et si les concurrents sont nombreux, il ne peut même pas s’inscrire dans les qualifications. Cela ne signifie pas pour autant  qu’il deviendra  très fort dans le futur mais il aura au moins la possibilité d’être sur le circuit pro. A une époque, très peu de choses étaient structurées dans les clubs et les ligues. Ensuite, ce fut au contraire le développement de pas mal de pôles et à un moment donné il y en avait trop. Sois tu allais en pôle, soit tu avais du mal à t’entraîner.  Avec l’arrivée de Bernard Guidicelli, c’était carrément l’inverse. Il voulait presque fermer tous les pôles pour que tout se passe près de la famille avec les entraîneurs de clubs et de ligues.  L’important, c’est que le jeune et sa famille puissent utiliser ce qu’il existe de mieux pour lui, pour son développement.  Certains joueurs préfèrent rester près de chez eux avec un bon entraîneur de club et de ligue sans faire trop de route. Ils peuvent ainsi continuer leurs études. Pour d’autres c’est plus compliqué car les distances sont très importantes. J’ai vu aussi des joueurs qui ne voulaient même pas rentrer le week-end chez eux, tellement le père était à fond derrière ne laissant même pas l’enfant se reposer.

 

Quel est le parent qu’il faudrait avoir pour que l’enfant devienne un champion?

Un parent doit être là surtout pour soutenir son enfant. On trouve surtout chez les filles des exemples assez extrêmes de parents très investis comme ceux de Marion Bartoli.  Mary Pierce aussi pendant un temps. Surtout chez les petits, la présence des parents joue un grand rôle. Généralement ce sont eux qui donnent aux enfants l’envie de jouer au tennis. La plupart du temps, l’un des deux parents  aime le tennis, fait jouer le gamin ou la gamine. Sinon, c’ést un frère ou une soeur qui joue. Le petit ou la petite suit, regarde puis très vite a envie de taper dans une balle. Ce premier désir de l’enfant, ce premier plaisir d’arriver à la remettre de l’autre côté du filet doit être partagé avec les parents. Quand on est enfant, on est super heureux d’avoir réalisé cela. C’est un peu comme un exploit que l’enfant a envie de renouveler et sans cesse. Quand ils commencent à vraiment s’amuser, la plupart du temps les enfants ne veulent plus sortir du court. Quelque chose d’important aussi c’est le mur.  Les jeunes qui commencent et qui sont mordus essayent de continuer à taper la balle contre un mur. Celle-ci revient tout le temps, tout le temps. De nombreux  joueurs et joueuses se font des films et c’est bien. Ils rêvent énormément, s’imaginent jouer contre leur idole, par le biais du mur. La passion est alors transmise. Et cela vient à 80% de la famille. Quand  Djokovic était petit,  il a eu un contact avec le tennis en regardant les cours que donnait une enseignante. Celle-ci l’a vu et lui a dit qu’il pouvait essayer. Il a dit oui, a tapé 2,3 balles et elle a vu qu’il était loin d’être maladroit. "Parle à tes parents, demande lui qu’ils viennent lui a t-elle conseillé. Si tu veux, tu pourras prendre des cours." C’est comme ça que tout a commencé. Il raconte que justement lors de son 1er cours, il est arrivé avec un sac très bien rangé. La prof a eu le malheur de lui dire «  Dis donc tu as un beau sac, tout est bien rangé, tes parents se sont bien occupés de toi.  Et Djokovic de rétorquer «  oh oh, c’est moi qui fait mon sac. «  l était super heureux et l’histoire est partie. Si les enfants deviennent vraiment motivés, les parents vont être énormément sollicités. Ils vont être amenés à trimbaler leur enfant de tournoi en tournoi, la plupart du temps l’entraîneur étant indisponible.  C’est là où le joueur  doit être vraiment son propre  supporter. Si les parents connaissent un peu la compétition et qu’ils en ont fait un peu eux-mêmes, c’est bien car ils savent la difficulté de ce sport. Notamment au niveau du mental. L’enfant doit vraiment être heureux de faire de la compétition. A ce sujet, j’ai une anecdote avec un petit qui était au centre de Potiers.. Un gaucher classé 15, 12 ans, le 2ème de France dans sa catégorie, disputait les poules sans élimination directe que les enfants à partir de 6,7 ans peuvent disputer. Il en parlait, avait encore des étoiles dans les yeux, et  évoquait  les bons goûters qui le motivaient.  D’où l’importance d’un bon état d’esprit, d’une bonne ambiance. Le plus important c’est que les jeunes passent un bon moment. Le nombre de matches qu’ils ont gagné doit être anecdotique. C’est surtout un rassemblement de jeunes, qui tapent dans la balle, avec une initiation de la compétition. Ce n’est pas pour rien que ce jeune a adoré tous ces rassemblements. Les parents sont là pour soutenir leurs enfants surtout ceux qui supportent mal la défaite. Ils doivent relativiser et se dire que le plus important, c’est de participer au tournoi, au rassemblement, de voir ses copains et d’ essayer de faire le mieux possible. S’il n’a pas réussi, il n’a pas réussi, il fera mieux la prochaine fois.  Il ne faut pas qu’il pense à  la victoire à tout prix comme le voulait Bernard Gudicelli  avec de l’argent pour les entraînements et d’éventuels contrats de marque .

 

La tentation de tricher

Qu’un enfant qui a absolument envie de gagner ait la tensation de tricher, c’est assez classique. Comme un enfant qui joue aux cartes, il a envie de gagner, il va être tenté de tricher. La plupart des enfants  le font pas mais le rôle des parents est super important. Certains parentls ferment les yeux, et vont même jusqu’à encourager l’enfant. Certains étrangers de Russie où des pays de  l’Est  n’hésitent pas à piquer des points parce qu’il faut gagner à tout prix. Les parent doivent être là pour éduquer leur enfant et leur faire comprendre que ce n’est pas comme ça qu’ils vont être forts mais en améliorant leur jeu, en travaillant. Evidemment, c’est un discours qui doit être repris par les entraîneurs qui généralement  ont le bon état d’esprit.  Par contre chez les parents, je pense que c’est plus rare car ils ont un peu plus de mal à avoir de la distance avec ce que vivent leur enfant de manière générale. Là encore c’est le rôle de l’entraîneur d’éduquer un petit peu les parents, de leur faire comprendre que c’est important que tout se passe bien. Qu’un match soit avant tout un moment plaisant…

 

Il faut souhaiter à l’adversaire un beau combat?

Oui comme le disent certains grands maîtres d’arts martiaux il faut souhaiter que l’adversaire soit en grande forme pour essayer de le battre à son meilleur niveau. Que ce soit un beau combat où les deux joueurs ou joueuses  ne sont pas loin de leur meilleur niveau. C’est là que se situent les plus beaux matches, les plus belles batailles. Ainsi lorsque l’ on a une balle de match souvent on est très tenté de souhaiter la double faute de l’adversaire. Or, il faut plutôt se concentrer sur le fait qu’il va faire une bonne 2ème balle et essayer d’anticiper cette 2ème. De visualiser l’endroit où l’on veut mettre un bon retour, pour essayer de prendre le jeu à son compte et gagner le point. C’est facile à dire et pas forcément facile à faire mais c’est important de l’avoir en tête. Si l’entourage, l’entraîneur et les parents l’inculquent à l’enfant jeune, c’est super…

 

Comment un parent doit-il réagir si l’enfant est très déçu après un match, qu’il pleure et qu’il va dans sa chambre!

Déjà, il  faut le laisser exprimer ses émotions très vite et arriver à parler avec lui. Et surtout lui montrer que ce n’est pas parce qu’il gagne un match ou qu’il perd que l’amour qu’il lui porte est chargé. Personnellement, c’est vrai que j’ai  ressenti à un moment donné quand le tennis a commencé à être sérieux pour moi, et que j’avais perdu un match, le soir mon père était moins content. Il était un peu fermé.  Un enfant le ressent forcément. C’est ce que l’on appelle du langage infra verbal. Ce n’est pas dit par le parent mais l’enfant ressent le visage d’un parent déçu parce qu’il a perdu un match. L’enfant a davantage de pression pour le match d’après, car il n’a pas envie de rendre malheureux ses parents. C’’est un peu la même chose quand on a une mauvaise note. Certains parents peuvent être très touchés par cela. Le parent doit surtout faire comprendre à l’enfant qu’ils peuvent en parler.  Déjà il faut dédramatiser  et c’est bien si on peut faire parler l’enfant «  Qu’est-ce qui a marché, qu’est-ce qui n’a pas marché? Est-ce que tu penses à ce qu’il faudra que tu fasses la prochaine fois? » On peut l’aider à voir clair par rapport à son match et le faire parler dessus. Et puis peut-être qu’il s’est mis trop de pression car c’est le cas de beaucoup d’enfants.  Ma mère était moins sensibilisé. Elle connaissait un peu plus le tennis mais c’était surtout lié à son caractère. Que je gagne ou que je perde, il n’y avait pas de grande différence.  C’était plutôt une chance. C’est évident que l’entourage est fondamental on en a de plus en plus conscience. Il faut arriver à aider les parents même si c’est difficile et l’on arrive plus facilement à faire comprendre des choses à des parents ouverts. Certains sont assez fermés et ont l’impression de tout savoir. Ils n’ont pas forcément envie d’écouter d’éventuels conseils.  Nadal ok il a des qualités physiques, du talent mais le mental  commence déjà par l’éducation et puis le côté très soutenant. Ça a vraiment bien fonctionné. Son oncle pouvait parfois être très dur à l’entraînement avec lui, il l’a dit, et Nadal pouvait revenir à la maison en pleurant. Forcément la mère de Rafa n’était pas très contente. Donc elle en parlait au père de Rafa et le père qui est le grand-frère de Toni allait parler à Toni pour qu’il aille un petit peu plus mollo.  C’est une dynamique familiale. Le père de Rafa ’était un peu le boss de l’équipe. C’est évident que si Rafa n’avait eu que Toni et qu’il n’y avait personne d’autre pour lui dire d’ y aller mollo de temps en temps il aurait pu casser Rafa. Il aurait pu le dégoûter d’autant plus que Rafa aimait bien le foot. En plus, il avait un oncle qui avait joué à Barcelone. Il aurait très bien pu envoyer balader son oncle, et faire du foot. Et on n’aurait pas eu Rafa.  La dynamique familiale au sens large est très importante. Avec d’abord les deux parents. 

 

 

Quelle est l’attitude idéale d’un parent quand son enfant joue? 

Pas simple d’être parent. Mon fils a fait une ou deux compétitions, ma fille l’aînée en a fait une. Je n’étais pas là, or c’est assez drôle. Elle était au CAM et avait 7 ans. Elle était à l’école de tennis,  aimait bien taper dans une balle sans plus. J’ai quelques souvenirs où je la faisais  jouer, c’était le soir, l’été. Elle pouvait quand même jouer jusqu’à 10h du soir, jusqu’à la tombée de la nuit même.  Quand tu es parent, tu dis c’est bien, tu es en train de transmettre une passion.  Après il y a eu le premier tournoi du club et des enfants de l’école de tennis.  Alizée ma fille n’avait pas trop envie de jouer, elle n’est pas compétition, elle le sentait déjà. Mais comme elle aimait bien Jacqueline Le Boubenec qui filait des bonbons aux enfants, elle lui a dit ok je vais faire le tournoi. Elle le fait, c’était un mercredi, et mon ex femme y était. Elle m’a raconté. Ma fille commence le match, l’autre joueuse sert, n’hésite pas à servir à la cuillère. On me raconte qu’il y a un jeu accroché, mais elle le perd. A elle de servir et elle ne voulait servir que par en haut. Et alors 1 puis 2 puis 3 puis 4 doubles-fautes. 2/O elle sort du court; c’est fini. C’est une artiste; ce n’était pas sa tasse de thé. Mon fils c’était un autre genre. Il est allé faire le tournoi de la ligue, du CAM à 7,8 ans. . Il perd, après il joue la consolante, il gagne deux matches par W0, je ne suis pas sûr qu’il gagne un match , je crois qu’il perd après et puis il se faisait tellement des films qu’il avait l’impression qu’il allait gagner le tournoi. J’ai du le regarder deux fois. Bien sûr tu as envie qu’il gagne, qu’il mette la balle dans le court. Mais j’avais quand même du recul et après il a joué beaucoup plus au basket. Il se mettait une pression . Il faut le soutenir et qu’il soit content d’aller faire son match. Et puis s’il perd ce n’est pas grave, il y aura un autre match après. Faut vraiment qu’il soit heureux d’être là surtout et tout faire pour qu’il soit content. Si possible, il faut éviter qu’il se rende compte que ça stresse les parents. 

 

Quelle attitude les parents doivent-ils avoir avec l’entraîneur?

Là encore l’idéal c’est qu’ils fassent énormément confiance à l’entraîneur sinon c’est compliqué. Ou alors  changer d’entraîneur, ce qui n’est pas toujours simple à l’intérieur d’un club. Tout le monde n’a pas l’argent pour payer un entraîneur privé. Un bon entraîneur va aussi aider les parents qui vont être amenés à accompagner leur enfant en compétition. Il va  les aider à avoir la bonne attitude; à essayer d’être actifs aussi mais dans le bon sens du terme. Il peut peut-être les inclure un peu, leur dire que leur enfant doit avantage attaquer, essayer dès que la balle est courte de se projeter et d’aller vers l’avant. Si l’entraîneur n’est pas là, il peut très bien confier une mission aux parents. Les parents vont alors regarder, vont peut-être compter les fois où il est allé à l’attaque, et les  fois où il aurait peut-être pu le faire et où il n’a pas saisi l’occasion. Et qu’ils ne soient pas centrés uniquement sur le score, je gagne, je perds. Les parents peuvent aussi  regarder les entraînements et voir si leur enfant arrive à refaire la même chose en match.

 

Si un parent prend trop de place!

C’est important que l’entraîneur soit psychologue. Dans le football, les joueurs vont au club, prennent le bus, vont à leur match et l’entraîneur ne rate aucun match. Par contre au tennis, on sait bien que les parents font partie de l’équipe. C’est un pilier important pour que le joueur ou la joueuse s’épanouisse à travers la compétition qui remue beaucoup de l’intérieur. Au niveau des émotions l’enfant est seul sur le court. 

 

Le tennis est un sport difficile car il met les nerfs en boule!

C’est un des sports les plus durs dans la tête. Déjà c’est un sport individuel. Dans un sport collectif, on peut gagner même si on joue mal à partir du moment où les autres joueurs ont bien joué. On peut même dire j’ai perdu parce que l’autre a été nul dans les buts, il a fait une merde. Au tennis,  on ne peut  se cacher. C’est un sport d’opposition différent du judo où il existe la notion du chronomètre. Dès que l’on a un avantage, il suffit de garder son avantage et l’on gagne. Au tennis ce n’est pas ça. Il n’y a pas de chronomètre et même si on a un avantage il faut quand même gagner le dernier point. Tant que le dernier point n’est pas fini, le match n’est pas fini. Alors qu’au judo, s’il reste 10 seconde et que l’on a un avantage on peut tout faire pour ne rien faire. On a juste à tenir, on n’a pas à jouer son meilleur judo. Au tennis au contraire si l’autre est vraiment un combattant, il ne va pas donner le match. J’aime bien cette image de Brad Gilbert qui disait que quand l’autre est mené, il est comme un ours blessé. Et cette image est interessante car l’ours blessé est encore plus dur à tuer. Il faut donc être sur ses gardes encore plus et essayer de jouer le mieux possible. Il ne faut pas dire que l’autre nous a donné le match au contraire. On sait bien que terminer un match c’est ce qu’il y a de plus dur au tennis. Par rapport au golf, un match de tennis  peut durer très longtemps. Il y a eu une finale Djokovic  Nadal à l’Australian Open qui a duré pas loin de 6h, Santoro Clement était aussi un très long match.  Et que dire du fameux match Mahut Isner 11h en 3 jours à Winbledon. Il faut être fort physiquement, mais il faut aussi être fort dans la tête pour jouer 11H. Il n’y a pas d’autre sport où un match peut être aussi long surtout en sport individuel. . Au golf, on est en concurrence indirecte avec les adversaires alors qu’au tennis on ressent vraiment directement l’adversaire. Le tennis c’est vraiment un combat, c’est pour ça que j’aime bien le comparer souvent à un art martial. Agassi le compare à la boxe aussi , c’est vraiment un  combat où l’on se donne des coups. Mais les coups sont dans la tête justement. Quand on prend un full ace et ensuite un 2ème derrière ça fait mal à la tête. L’exemple que j’ai en tête c’est quand Agassi gagne Winbledon en 1992 contre Ivanisevic. Il doit prendre une quarantaine de full aces. Même s’il touche la balle cela fait quand même point pour Ivanisevic.  C’est là où il faut être très fort dans la tête. Agassi prend un ace comme si de rien n’était, va se replacer de l’autre côté sans broncher et il est prêt à retourner. Il prend un autre ace, il fait la même chose. Comme s’il n’était pas atteint alors que l’on peut avoir envie de râler, de dire le mec est incroyable, injouable. Des phrases que l’on entend sans arrêt sur tous les courts de tennis en compétition voir même à l’entraînement. C’est là où il faut être vraiment fort dans sa tête, accepter de prendre des coups et juste être prêt à saisir à un moment donné ce match là.  Agassi a eu l’opportunité de passer devant et de gagner en 5 sets. 

 

 

Que dis-tu à ces jeunes lorsqu’ils affrontent un copain?

C’est arrivé lors d’un tournoi junior en Espagne. Ils étaient plusieurs français, ils se sont joués. C’est important de souhaiter que l’adversaire soit à son meilleur mais là il faut le souhaiter encore plus. C’est un copain, un ami et il faut que  tous les deux on soit en forme. Il faut souhaiter que son ami ait un gros niveau de jeu, que le combat soit magnifique, et puis le meilleur du jour gagnera. En plus, ils sont juniors et  il faut souhaiter qu’ils se se jouent aussi en senior  dans les gros tournois.  L’important c’est de progresser et d’espérer qu’ils se joueront dans des finales. Il faut dédramatiser l’enjeu du match, c’est juste une confrontation. De toute façon, il faut toujours être centré sur son jeu, et essayer de jouer son meilleur tennis  et encore plus contre un ami.  L’ami doit également se dire la même chose. C’est un ami, il est capable de très bien jouer et mieux vaut mieux s’attendre à ce qu’il joue bien, savoir exactement ce qu’il peut faire et anticiper. Si son ami adversaire n’est pas en forme ce jour là, ce ne sera pas un super match et normalement  il le gagnera mais au moins il ne sera pas surpris.  Mais il doit visualiser le fait que son ami va faire un super match. 

 

Tu dis que cela doit se passer normalement comme contre un autre. Mais ce n’est pas possible! 

Deux choses interviennent. S’il existe une vraie amitié, je dirais très souvent qu’il peut vraiment y avoir un grand match car il y a l’envie de montrer à son ami que l’on est fort et vice versa. Généralement ça fait des bons matches. Si on perd bien sûr on est déçu mais c’est notre ami qui va continuer le tournoi donc on est content pour lui. Si on gagne, on est content pour soi et comme c’est un ami il est un peu content pour nous aussi. Après il y a les copains, c’est un peu différent. Et puis cas encore plus important quand on joue quelqu’un que l’on n’aime pas du tout. Cela peut-être plus compliqué et l’ on a plus envie de faire de la vraie boxe. Si on commence à ne pas bien jouer, à rater on risque de se frustrer. On se dit je n’ai pas le droit de perdre contre lui, il est trop con. On rentre dans un cercle vicieux et cela engendre une situation difficile à vivre. Un homme ou une femme prévenu en vaut deux, et là aussi il faut être centré sur son jeu et faire abstraction de la personne qui est en face. On connaît le jeu de cette personne, on sait ses qualités, ses défauts, et il faut être centré uniquement sur son propre jeu à soi. Et  ce n’est pas évident d’arriver à faire abstraction de l’autre. Mentalement c’est difficile mais avec du travail c’est faisable et il faut éventuellement le préparer ce match là. Cela me fait penser à Djokovic  qui travaille énormément mentalement. La dernière finale de Winbledon contre Roger, il a été capable alors que le public était à fond  pour Roger et scandait son nom il a été capable de faire comme si les spectateurs criaient son nom à lui. il l’a dit, il y arrive. C’est incroyable. C’est très facile de se dire « fais chier, ils sont tous pour lui, c’est insupportable, pourquoi ils ne m’aiment pas." Lui il sait ce qui va arriver et arrive à transformer. la situation à son avantage.  Comme si les spectateurs  étaient là pour lui. C’est remarquable. 

 

Et si c’est une bête noire?

On le connait; on sait exactement comment il joue, et ce qui nous gêne.  Idéalement c’est important d’arriver à visualiser un peu sa tactique et de se voir faire des choses dont on pense qu’elles vont l’embêter.  C’est peut-être prendre plus de risques quitte à perdre mais d’une autre façon.  C’est important d’avoir une tactique claire dès le début pour essayer de faire en sorte de le battre. Il faut y croire et là encore il y a un travail mental à faire puisque la façon dont on rentre sur le court va conditionner la performance. S l’ on joue une bête noire contre qui on a toujours perdu, il faut vraiment avoir en tête une tactique à mettre au point et se persuader qu’elle peut vraiment fonctionner.  Et qu’ainsi on peut le battre. Il y a un conditionnement à faire et si l’on ne fait pas ce travail là, cela risque d’ être compliqué. On risque de retomber un peu dans les mêmes travers.  L’autre en face a forcément des faiblesses  sauf si c’est Nadal ou Djokovic.  Gérulaitis  avait perdu 16 fois contre Connors et à la 17ème fois il le bat. Et lors de l’interview il a dit «  Il faut savoir que personne ne peut battre Gerulaitis 17 fois de suite. Faut toujours y croire même si c’est sa bête noire. 

 

Important aussi l’humeur? Ce n’est pas la même chose si l’on est serein ou si au contraire on s’est disputé avec quelqu’un de son entourage!

Là on en revient une fois de plus à l’importance de l’entourage par rapport à un match qui plus est,  important. Je pense au clan Nadal et à son  entourage pour tous les Grands Chelems à chaque fois. Il ya vraiment son cercle proche. Ca fait partie de ces routines pour qu’il soit bien. Tout le monde autour est là pour que justement il dépense zéro énergie en dehors de ce sur quoi il se focalise. Là on parle d’un très grand champion  mais au niveau des jeunes qui sont à un niveau international c’est important que les parents  mettent aussi une certaine ambiance,  dédramatisent le match car le joueur est vraiment concentré dessus. Nadal la dernière fois que je l’ai vu à Bercy jouait aux cartes où à de petits jeux de société avec son coach. Ils sont là comme des gamins en train de rigoler et non pas entrain de se regarder dans le blanc des yeux dans les vestiaires.1h avant on rentre dans les vestiaires et  pour les plus jeunes une demi heure avant . Pas la peine de se préparer 5h avant non plus.. Une espèce de rituel d’avant match se met en place dès que l’on rentre dans les vestiaires, et l’on se réchauffe physiquement. Parfois, on tape un petit peu la balle avant où l’on peut faire une petite sieste…

 

Ces enfants dont tu t’occupes est-ce que tu essayes de les intéresser un peu à autre chose qu’au tennis?

J’essaye  mais  tout dépend de l’âge. Ceux qui sont en terminale, même en première, je peux tenter de leur parler un peu philosophie. On peut commencer à parler un petit peu des différents philosophes que ce soit ceux de l’Antiquité grecque ou asiatique. Faire passer un petit peu des messages de ce style. Les grands joueurs ou joueuses ont quand même des phrases assez proches des philosophes notamment Nadal.  Les joueuses surtout se font mal, et peuvent se taper la cuisse avec une raquette.  On ne peut pas tolérer qu’elles se fassent mal ainsi. Même à l’entraînement elles le font parfois. C’est important que les joueurs ou joueuses se respectent eux-mêmes et l’adversaire aussi. C’est un sport difficile mais qui va les aider à mieux se connaître. La plupart essayent quand même d’avoir leur bac vu la difficulté pour être professionnel. Hugo Humbert a son bac je pense que Lucas Pouille aussi, Fiona Ferro je pense aussi. La filière américaine après le bac est quand même super interessante. Un français qui joue pas mal en ce moment c’est Arthur Rinderknech qui est allé aux Etats-Unis. Il a 25 ans, il est 120ème, et a énormément  progressé après son retour des Etats-Unis. C’est beau…

 

Concernant le tennis féminin, j’ai  eu une conversation avec Christophe Bernelle mais je ne retrouve plus les papiers où j’avais retranscris cette interview. Comme si on ne voulait pas que les femmes soient également à l’honneur. Non pas que je sois féministe tel qu’on l’entend ainsi quand par exemple on écrit cheffe ça me révolte tellement c’est laid, mais j’estime que les femmes ont  droit au même sort que les hommes même si elles ne disputent pas 5 sets. Ce serait ridicule de vouloir que la femme soit l’égale de l’homme physiquement. Ce ne sera jamais possible. Vouloir l’égalité entre les deux sexes est vain selon moi. Chaque sexe a ses qualités, ses défauts, ses caractéristiques et c’est ce qui fait le charme de la vie. Pourquoi vouloir comparer? A ce moment là, il n’y a plus aucun repère et c’est la gabegie totale.  Je le dis d’ailleurs dans mon livre «  La raquette à l’encrier » pour lequel je n’ai pas trouvé d’éditeur pour l’instant que c’est une cause de divorce car plus aucun des deux sexes n’est à sa place. L’homme veut faire la femme et la femme veut faire l’homme. Cela dit, un homme peut très bien être père au foyer j’en connais un avec qui ça se passe très bien, s’il conserve son rôle de père et la femme celui de mère. C’est tout à fait possible si les choses sont faites intelligemment.  Ce petit intermède ayant été réalisé, voici donc ce qu’il ressort de ma conversation avec Christophe Bernelle. Je préfère ne pas faire de distinction entre ce qu’il m’a dit et ce que je pense et c’est un panaché des deux côtés que je réunis là. Suzanne Lenglen a été la première femme hommes compris, à devenir professionnelle et à gagner beaucoup d’argent. C’était une vraie star et de nombreuses personnes venaient la voir lorsqu’elle s’entraînait sur un mur confectionné par son père dans un garage. Elle faisait très attention à la manière dont elle s’habillait et c’est vrai que sur les photos elle est très apprêtée. Et elle a parfois des positions incroyables avec notamment une détente inouïe. A la volée, elle décolle totalement du sol. Comme elle était professionnelle, elle n’a pas eu le droit pendant un certain temps de disputer les Grands Chlems et ce n’est qu’en 68 qu’elle a pu y participer. J’ai entendu dire mais il faudrait vérifier, qu’elle prenait du café pour se doper. Dans le livre rédigé par un journaliste italien dont il faudrait retrouver le nom, il n’est pas question de mental ce qui est un peu dommage. Mais Bill Tilden lui en parle dans son livre et évoque  déjà l’importance  d’avoir un bon état d’esprit… 

Sélès est ensuite la deuxième joueuse dont nous avons parlé. Christophe Bernelle apprécie beaucoup cette joueuse et la trouve touchante même s’il reconnaît qu’elle pouvait en faire un peu trop à la manière américaine notamment en offrant des fleurs au public. Personnellement ses cris m’exaspéraient et je pense que c’était le cas de beaucoup de joueuses. Les spectateurs je ne sais pas. Elle détient le record de 8 grands chelems et elle sera dure à détrôner.  Son père qui était un homme intelligent avait compris l’importance de ne pas se poser de questions sur un court et pendant longtemps il lui a interdit de compter les points. Quand elle faisait des matches, c’est lui qui lui disait le score et lui indiquait quand il fallait tourner.  Ce qui faisait qu’elle tapait la balle très fort sans réfléchir. Lors de ses finales, c’est l’arbitre qui lui indiquait qu’il fallait tourner. Elle ne le savait pas. C’est sans doute une des clés de son succès. Ensuite elle s’est fait agresser et a eu beaucoup de mal à s’en remettre car elle a trouvé que le milieu ne la soutenait pas beaucoup. Parfois quand elle roulait en voiture sans but, elle avait envie de se jeter dans un arbre. Elle a encore gagné un Grand Chelem après. 

Troisième joueuse : Serena Williams. Aux Etats-Unis il y a deux sortes de courts les privés réservés aux gens fortunés et les municipaux pour ceux qui ont moins de moyens. La famille Williams très motivée arrivait très tôt le matin, attendait dans la voiture pour que les filles puissent avoir le court en premier et jouer autant qu’elles voulaient.  La mère avait un très bon état d’esprit et pensait avant tout au bonheur de ses filles. Ainsi quand elle regardait ses filles, elle ne cherchait pas à savoir si elles jouaient bien mais si elles souriaient.  C’est en regardant Navratilova recevoir un gros chèque que le père a eu envie de mettre ses filles au tennis. Il s’est dit super ce sport ça rapporte bien et il a eu comme ambition de faire de ses filles des championnes. Pari gagné! Vénus et Séréna étaient déjà très fortes à 14 ans et il aurait pu les envoyer disputer des tournois à cet âge là pour récolter de l’argent. Mais il a préféré qu’elles mûrissent et a attendu qu’elles aient 16 ans pour les envoyer sur les tournois. Et ce fut visiblement la bonne tactique car elles sont toujours là. Et c’est assez fou ce qu’ a réalisé Séréna revenir au plus haut niveau après une grossesse qui en plus s’est mal passé… Mais, cela démontre aussi que la relève est difficile et que peu de joueuses arrivent vraiment à sortir du lot. 

Agnès Figueras-Lenattier

 

 

jeudi, 25 mars 2021

Frederique Bangué

 

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Originaire dAnnecy, arrivée à l’athlétisme par hasard, et obtenant très vite des succès, elle a commencé à prendre le car pour Paris. pour participer aux compétitions de sa discipline le 100m  «  La grande aventure commençait explique t-elle avec à la clé les matches internationaux. C’était une expérience interessante pour une jeune fille d’immigrés avec en plus de belles rencontres humaines »… Elle a notamment été championne de France et  d’Europe du 4x100m et comptabilise plus de 50 sélections en équipe de France. Elle a également  participé deux fois aux Jeux Olympiques. .... Après avoir arrêté sa carrière de sportive de haut niveau, elle a travaillé dans les médias pendant 10 ans. La voilà maintenant créatrice d’un magazine «  Salto mag «  destiné à donner des conseils de tous ordres aux parents qui veulent accompagner leurs enfants faire du sport… 

 

Avant de devenir une athlète de haut niveau, vous avez commencé par le basket!

Oui, parce que j’étais grande et c’est le premier sport que l’on fait dans ce cas là. Je n’étais pas très douée, mais cela me permettait de sortir de la maison, de voir des copines. On prenait le car pour aller voir des matches; c’était un début de vie sociale. Cela m’a permis de donner un sens à ma vie, car pour moi, le sport apprend les choses essentielles de la vie : ce que l’on découvre sur son corps, le développement personnel, le rapport aux autres, les règles  de l’entraîneur. 

 

 

Ensuite vous avez pratiqué le 100m!

Lorsque l’on fait du 100mètres  et que l’on n’est pas mauvaise, on se retrouve dans le 4 x100 avec les plus rapides. Lors d’un relais, la partie technique et surtout un bon esprit d’équipe sont alors de mise. . On passe toute l’année à être adversaire et à la fin de l’année on nous dit «  Vous allez courir toutes ensemble pour essayer de ramener une médaille. C’est une mentalité , un switch à adopter au milieu de l’année qui n’est pas forcément simple. D’autant plus si ta copine n’a pas été sélectionnée ou lorsque la fille avec qui tu vas courir t’a battue d’un centième sans que tu en sois convaincue. Ou qu’elle t’a pris ta place la fois d’avant… De petites choses difficiles à accepter surtout en pleine jeunesse.

 

Comment fait-on alors pour s’adapter à cette situation?

Un objectif commun nous réunit. A mon époque, à part Christine Aron, Marie-Jo Pérec, on ne gagnait pas beaucoup en individuel et le relais constituait donc une opportunité de gagner des médailles. Une situation qui nous stimulait pour nous transcender. Surtout lorsque l’on n’était pas loin de la victoire ou que l’on avait battu un record de France.  Mais la rivalité qui régnait tout au long de l’année n’englobait pas toutes les athlètes. Comme je le disais, on était jeune et l’on se retrouvait confrontées à des problèmes non seulement au niveau sportif mais aussi d’ordre plus général comme par exemple les entraîneurs qui ne s’entendent pas. Mais c’est justement la force du sportif de haut niveau de savoir s’adapter au contexte et de faire en sorte de ramener la médaille par tous les moyens légaux possibles.

 

Pourquoi le 100 m?

J’étais feignante, donc le plus court possible était le mieux. D’ailleurs, je préférais le 60 m l’hiver en salle et j’étais même meilleure dans cette discipline là. C’est là que j’ai remporté ma plus belle médaille. J’avais aussi une expansivité naturelle, et j’étais une des meilleures partantes dans les starting-blocks. J’avais un très bon de temps de rédaction donc le choix s’est fait assez naturellement.  Ma morphologie était davantage basée sur le sprint que sur le long. En plus, avec le long ma tête n’aurait pas suivi…  Je ne suis pas faite pour courir longtemps et de plus, comme je suis souvent en retard, je cours beaucoup pour rattraper mon retard…Puis je trouvais le 100 mètres assez ludique. 

 

Comment peut-on être feignante et être sportive de haut niveau?…

Souvent dans les entreprises , on dit que les meilleures employés sont souvent les feignants car ils vont s’organiser pour essayer de gagner du temps. Feignante oui, mais je reste quand même perfectionniste. Quand je travaillais dans les bureaux, je pouvais rester des heures à chercher des formules sur les tableaux XL pour qu’un jour l’on appuie juste sur un bouton et que tout fonctionne… C’est vrai qu’il a fallu que je débarque à Paris pour mettre les bouchées double. Au départ, je n’étais pas trop prête à me faire mal. 

 

Cela a t-il été dur en tant que femme de couleur?

Je sais qu’il y a eu des abus,  et je connais des gens qui ont beaucoup souffert psychologiquement. Mais personnellement je n’ai pas été victime de quoi que ce soit. Même si le sport était surtout réservé aux hommes à l'époque, en athlétisme, il y avait déjà beaucoup de mixité. Et quand je suis arrivée à Paris, c’était pour moi une grande découverte de rencontrer tant de personnes de couleur. A Annecy, nous étions très peu et l’on se connaissait toutes. Il n’y avait aucun problème d’intégration, et c’est la raison pour laquelle j’y suis retournée et que j’y vis.  J’ai eu droit à la même scolarité que tout le monde ; je suis une vraie enfant de la République.  En tout cas, je considère être un modèle de réussite d’enfant de la République. Je n’ai pas tout réussi dans ma vie mais ce que la République m’a apportée, j’ai essayé de l’exploiter pour en faire quelque chose de positif.  Une fois oui, j’ai vraiment subi le racisme, je voulais refaire ma carte d’identité et c’était la première fois que l’on me demandait de justifier mon identité. J’en ai d’ailleurs pleuré, mais sinon, je n’ai pas à me plaindre de ce côté là.  Je pourrais juste dire que quand j’étais jeune, je n’étais pas la couleur à la mode. Je n’étais pas blonde aux yeux bleus, je n’avais pas d’amoureux et n’étais pas très populaire.  Mais c’est tout. D’un côté,  je ne veux pas faire celle qui crache sur la soupe mais d’un autre côté je pense qu’il existe vraiment des gens qui en souffrent beaucoup plus que moi. Il est vrai aussi que d'avoir fait du sport à haut niveau a transformé le regard  que les gens me portaient. Et puis, j’ai la chance d’avoir des parents très érudits qui m’ont permis de parler un français correct, châtié. L’éducation joue un rôle ainsi que la manière dont on gère tout cela. Mais je me sens totalement solidaire des personnes qui vivent la discrimination et j’appuie totalement cette cause pour que l’on soit tous égaux.  Plus les gens qui n’en souffrent pas parleront, mieux ce sera et plus les gens qui pensent qu’il faut faire quelque chose se manifesteront, plus les choses bougeront…

 

Lorsque vous étiez athlète de haut niveau avez-vous subi beaucoup de réflexions misogynes?

Je ne le dirais pas de cette manière. Est-ce que l’on était bien payé, je ne m’étais jamais posé la question mais ce n’était pas encore professionnel sauf les  dernières années où j’ai pratiqué. Par contre, l’on se comportait un peu comme des hommes avec un petit côté garçon manqué. C’est peut-être justement pour cela que l’on s’était mises au sport. Mais en même temps, on était extrêmement féminine. Oui, je me suis prise quelques réflexions parce qu’en équipe de France on prenait des kilos et kilos de valises avec toutes mes copines et l’on faisait des défilés de mode.On se changeait tout le temps, on était bien coiffée, maquillée, on avait des boucles d’oreille, on se faisait les ongles… J’avais un piercing, des tatouages... 

 

Après l’arrêt de votre carrière vous avez beaucoup travaillé au sein des médias. Pas trop de machisme non plus?

Je pense que je faisais preuve d’auto-dérision à l’époque. J’ai utilisé cette arme  ce qui m’a sans doute permis  de clouer la bouche des gens qui du coup ne me disaient rien. Je disais toujours «  Je suis un double quota, je suis une femme, je suis noire et j’ajoutais triple avec le sport.  On a souvent voulu me mettre dans des cases mais l’ais-je vraiment été? En tout cas je ne me suis pas laissée faire, et n’en ai pas souffert. Ou en tout cas, ça ne m’a pas atteint. Je me suis démenée à ma façon, j’ai utilisé d’autres armes afin de réussir à faire mon trou…

 

Vous êtes forte!

Pourtant je me sens extrêmement fragile mais souvent on me le dit effectivement.  Parfois je me dis «  Je suis fatiguée, c’est hyper dur de tout le temps tout porter « mais quand on n’a pas le choix on avance.  C’est vrai cela dit, que je ne suis pas de nature à m’apitoyer sur mon sort.  J’ai toujours dit que j’étais une tête chercheuse, je réfléchis comme une tête chercheuse, je cherche la solution. S’il y a un mur devant moi, je vais chercher à le contourner, à grimper. Pour moi, il existe toujours une solution et je ne me dis pas  "Il y a un mur devant moi, je n’ai pas de chance." Mon cerveau n’intègre pas ce genre de réflexion. J’ai une façon d’agir et de réagir face à l’adversité qui n’est pas commune; c’est ça qui fait la différence avec la personne lambda. Mais par contre, je suis extrêmement solidaire. Quand j’en parle  de cette manière, j’éprouve une certaine gêne, car j’aimerais beaucoup défendre cette cause. J’ai tendance à dire aux personnes qui partent dans ce chemin là «  Bats-toi » Je pars du principe que la première personne que l’on peut changer dans le monde c’est soi et ses actions. 

 

 Comment viviez-vous la notoriété?

J’ai eu la grosse tête quand j’avais 14, 15 ans. On me l’a fait savoir, et là encore je remercie mes premiers entraîneurs qui étaient davantage des éducateurs, des formateurs que des entraîneurs, des coaches à proprement parler et qui me l’ont fait comprendre. ILs nous accompagnaient surtout dans notre développement personnel et dans notre condition en tant que citoyenne. Quand on commence à obtenir des résultats, du jour au lendemain on a des amis, on devient populaire, et plein de choses de ce genre qui font  que l’on a tendance à se prendre pour une autre.  Je ne pourrais pas dire exactement comment cela se manifestait mais tout ce que je sais c’est qu’un jour, je mangeais chez mon entraîneur avec 3,4 athlètes une crêpe party, et je me suis pris un savon par tout le monde » Tu as pris la grosse tête, tu es comme ci, comme ça. »  Je n’étais plus dans la réalité des faits , et je me suis alors subitement rappelée ce qui était important. Je pense que depuis cette période là, l’humilité a été un de mes traits de caractères que je voulais absolument garder, quelque soit ce que je voulais vivre dans ma vie. L’humilité, c’est la base. Je sais que je me donne beaucoup de mal pour ça. Majoritairement, ça se fait naturellement, mais il existe des moments de vie grisants où l’on rencontre des gens importants, et où l’on réalise des choses qui peuvent vous emporter un peu loin. Quand j’ai lancé Salto, mon magazine pour aider les parents à accompagner les enfants vers la pratique sportive, ce fut  très compliqué. Et quand j’ai pu sortir le premier numéro, j’aurais pu frimer auprès de tous ceux qui disaient que je n’y arriverais jamais.  A ce moment là, je me suis dit que l’on ne pouvait pas en vouloir aux gens d’être à la limite de leur imagination . Chacun fait avec ce qu’il a appris, ce qu’il porte. en lui.  Ces raisonnements m’accompagnent quotidiennement, ne serait-ce que pour comprendre les gens, rester en lien avec eux.  Si on a la grosse tête et que l’on se laisse emporter, on n’apprend plus car on pense déjà tout savoir.  J’ai pleine conscience  que je ne sais pas tout, et même que je ne sais pas grand chose.  D’ailleurs une des choses que j’ai apprises du haut de mes 44 ans, c’est que personne ne sait et que l’on fait tous comme l’on peut. Il faut trouver sa voie, celle qui nous correspond. 

 

Vous avez déclaré que vous n’avez pas bien préparé votre reconversion. Pourtant vous avez fait beaucoup de choses après votre carrière d’athlète!

Lorsque je travaillais à la télé, radio, j’avais effectivement la sensation d’avoir réussi ma reconversion. J’ai fait ça 10 ans ce qui est déjà pas mal. En effet, souvent  les consultants viennent, font 3,4 ans et repartent car on va prendre le dernier champion pour commenter la nouvelle course.  Seuls les meilleurs restent. Quand j’ai arrêté les médias, même si j’ai fait sub de co, je n’étais pas capable de faire grand chose.  Je n’avais pas une expérience personnelle très développée à 35 ans.  Les médias c’est éphémère, beaucoup d’appelés, peu d’élus et il reste quoi? Quand on a la chance d’avoir vécu des choses  passionnantes et peu ordinaires que ce soit dans le sport ou dans les médias et que l’on se retrouve le bec dans l’eau, on se dit forcément que l’on a raté quelque chose…

 

Vous avez arrêté les médias de votre propre gré?

Oui comme dans l’athlétisme car les conditions n’étaient plus optimales. Les émissions que je faisais ont disparu et il fallait trouver  autre chose. Et puis j’ai eu ma fille. J’habitais à Bordeaux et je devais faire la navette en laissant ma fille 3 à 4 jours par semaine avec son père et une nounou. L’argent rentrait, c’ était passionnant mais la situation questionnait en tant que mère. Et quand l’une de mes émissions s’est arrêtée, plutôt que de chercher à en faire une nouvelle , on s’est dit que c’était peut-être le moment de raccrocher le micro après les pointes. Et je me suis posé la question de la reconversion.

 

Vous étiez alors un peu désemparée question professionnelle!

C’est une question de sémantique.  Quel est le degré pour dire que l’on est en dépression, en  burn out, on a actuellement plein de nouveaux mots. Des moments difficiles j’en ai traversé; l’année dernière aussi mais je les considère plus comme des moments d’introspection. Et puis en vieillissant, j’arrive mieux à les canaliser. Je suis devenue secrétaire commerciale pour le constructeur automobile Porsche. Les clients étaient passionnants et tout ce que je fais, je le fais à fond.  Je l’ai fait avec la rage du désespoir pendant 5 ans et avec  beaucoup d’intérêt et l’envie de transformer quelque chose.  Il y a des moments où je me suis dit « J'ai utilisé tout mon capital chance, j’ai déjà vécu des choses extraordinaires, j’en ferai peut-être moins maintenant. C’st vrai qu’il y avait un petit côté répétitif et pour quelqu’un comme moi qui a vécu une vie quelque peu atypique, c’ était un peu difficile parfois même si je ne dénigre pas du tout ce genre de situation. On m’a même dit «  Tu as couru pour la France, tu mérites la médaille du mérite." J’ai eu la chance de voyager, de rencontrer des gens passionnants, d’accéder à un certain niveau d’étude et après de préparer une reconversion. Je ne vois pas ce que la France va me donner de plus, je considère avoir déjà eu beaucoup de chance.  Quand on me disait «  Vous êtes courageuse », je pensais à ma mère qui travaillait en usine et qui se levait à 3h du matin. Pour moi le vrai courage c’est ça. Les gens en parlant de moi utilisaient souvent le mot sacrifice en parlant de ma vie. Bien sûr je ne suis pas allée en soirée tous les samedis soir, mais à la place je partais en déplacement. Le sacrifice c’était plutôt ma mère et sa vie.  Elle rayonne encore quand elle parle de ces années là. Elle avait une vie sociale, et sa vie tournait autour de son boulot.  Mais personnellement à 35 ans, j’avais besoin de  me mettre des challenges personnels. Après, il y a des métiers qui ne sont pas forcément les plus valorisants ni les plus gratifiants mais tant que l’on a une passion à côté, l’on trouve un moyen de s’équilibrer.  C’est ce que j’ai fait à l’époque où je travaillais ainsi.  Je réfléchissais au sens que je voulais donner à ma vie. Je me disais « J’ai peu d’argent, et sur mon lit de mort si je ne finis pas SDF dans des conditions catastrophiques et que je ne laisse pas ma fille dans une situation déplorable je pourrais me dire que j’ai réussi ma vie avec tous ces souvenirs. Et avec tout ce que j’ai appris et tout ce que j’apprends encore. Et le fait de les transmettre représente pour moi une vraie richesse.  Mais c’est vrai que quitte à faire j’aimerais quand même avoir assez pour être à l’abri et pouvoir m’occuper de ce qui me passionne réellement, de ce qui me nourrit vraiment. Et laisser quelque chose de sympa, ne serait-ce qu’à ma fille et à quelques personnes que je connais. Je me dis que ce serait plus sympa que de mourir en laissant des millions sur mon compte en banque…

 

Comment en êtes-vous venue à créer le magazine" Salto Mag"?

Ma première motivation a été ma fille.  Je n’ai jamais tellement parlé de mes résultats. Mes amis savaient que j’étais sportive de haut niveau, mais je ne racontais rien. J’étais plutôt du genre à cloisonner, à dire " C’est du passé. " Je ne voulais pas être une ancienne athlète , surtout pas. Même avec ma fille, j’en ai très peu parlé.  Un jour pourtant elle l’a su à l’école avant que je lance le magazine. On a aussi trouvé plein de médailles que l’on gagne aux championnats de France que ce soit fédéral, scolaire ou les médailles ou lors d’épreuves régionales. Ma mère avait tout ça dans un coin. Un jour ma fille m’a dit « Tu as gagné plein de médailles, moi aussi je veux en gagner. « J’étais déjà scotchée par le fait qu’elle me parle des médailles que j’avais gagnées. Elle n’ y avait jamais fait allusion auparavant, elle s’en fichait complètement. Et puis tout d’un coup, elle veut gagner des médailles. Elle faisait de la gym, elle a mon gabarit, est très souple, mais les grands en gym ce n’est pas simple. Donc je la regardais en me disant "Est-ce qu’elle peut gagner des médailles, est-ce que je veux qu’elle en gagne, est-ce que je lui souhaite de faire ce que j’ai traversé." En tout cas, je ne me voyais l’accompagner sur une piste d’athlétisme où j’ai eu souvent froid… Je me suis dit que j’avais du lui mettre un doute dans la tête, que je n’avais pas confiance en elle. Mais j'ai finalement conclu «  Le sport avant les médailles, c’est la réalisation de soi-même, les rencontres, les copains, les déplacements, la rigueur, l’’effort  l’important." C’est  l’école de la vie avant tout. J’avais déjà le projet lointain de créer un magazine, un ami me l’avait conseillé. Je lui ai répondu qu’il était complètement taré et je n’y croyais pas du tout. L’on s’était dit que l’on pourrait faire un journal sur le sport local, mais j’y réfléchissais sans plus.  Quand est arrivé ce moment là avec ma fille, je me suis dit il est là le sujet. Les parents n’ont pas les outils pour accompagner leurs enfants dans la pratique du sport. Or c’est un super complément à l’éducation et à ce que l’on apprend à l’école.  En outre, en tant que parents on travaille plus qu’avant, et on a beaucoup plus peur  pour nos enfants. Quand on jouait dehors à mon époque, nos parents n’avaient pas peur que l’on se fasse enlever, violer. A cela se rajoute la fatigue psychologique du fait que l’on travaille davantage, plus un super palliatif avec tous les écrans.  Plus facile de dire à son enfant « Joue avec ta play station, prends ton iPod que de l’emmener faire du sport. Pour moi, c’est très important de remettre le sport comme un complément d ‘éducation  sur le plan physique, psychologique et même professionnel. En outre, il existe quand même beaucoup de débouchés pour des jeunes qui font parfois des métiers qui ne leur plaisent pas vraiment. Le premier numéro est sorti en 2018, il faisait 24 pages, et avait en couverture notre parrain Frederic Michalak un rugbyman. Oh quelle aventure compliquée. La fameuse citation de Marc Twain «  Ils ne savaient pas que c’était impossible et ils l’ont fait »… Je suis vraiment partie dans une aventure complètement dingue, et je me rends compte que c’était gigantesque comme tâche.

 

 

Et vous avez bien réussi puisque vous en avez réalisé sept… 

J’ai eu la chance d’être bien entourée et j’ai fait des rencontres qui m’ont nourrie . Mais c’était très frustrant d’un côté. En effet, j’allais voir des gens en essayant de leur demander de l’argent, et à la fin ils me donnaient juste un conseil. Au bout du 3ème j’en avais ras le bol, sauf que tous ces conseils je le ai finalement tous suivis. Ça m’ a épuisée, mais l’énergie venait de ma fille. C’est d’ailleurs elle qui a trouvé le nom Salto et elle en est très fière. Elle avait 7 ans à l’époque. Et comme ma fille était très fière, je me sentais obligée d’en sortir au moins un. J’en ai pleuré. J’avais aussi un problème qui faisait que je ne dormais pas beaucoup, qui me donnait une sorte d’énergie gargantuesque. J’ai tout appris sur le tas, j’avais mon buisness plan, je rencontrais des gens, je cherchais une agence de com, je prenais des cours en live pour pouvoir réaliser ce projet.  J’étais goulue de travail, je dormais peu, très fatiguée mais j’étais super motivée…Là avec les mesures sanitaires, je suis en stand by et c’est un peu douloureux d’en parler. En même temps, je m’amuse. Déjà j’ai retrouvé un peu d’énergie pour me relancer, car l’année dernière je sentais que je n’avais pas le force de le faire et puis le contexte est tellement compliqué. Je savais que repartir de zéro, me demanderait beaucoup d’énergie et je serre les dents. 5 magazines ont été imprimés et les deux derniers en  digitale mais je ne désespère pas de revenir à l’impression.  Les premiers budgets qui ont sauté sont la communication et le marketing mais pour moi ce sont toujours mes partenaires. Les gens s’abonnaient pour recevoir « Salto » gratuitement dans leur boîte aux lettres. Il y avait un partenariat avec tous les sport 2000 et les clubs et les écoles s’abonnaient par 50,100, 200 pour distribuer à leurs élèves et  à leurs licenciés.  Je communiquais beaucoup sur les réseaux sociaux , plus le bouche à oreille qui fonctionnait assez bien. Et puis dès qu’il y avait un événement et que j’étais invitée je donnais parfois 500, 1000 exemplaires à Chambéry ou autres. Dans le magazine, il y a du sport compétition, du sport scolarité, du loisir et de la santé, plus Salto Kid la partie pour les enfants. Les dernières pages sont faites par des enfants avec des interviews de champions et l’autre partie pour les enfants. Pour qu’ils découvrent des sports, pour répondre à des questions toutes simples comme par exemple pourquoi il faut boire de l’eau, pourquoi le ballon de rugby a cette forme là…Est incluse une  BD où j’ai mis ma fille en effigie . Ma fille est une petite jeune qui aime le sport et  à côté d’elle se trouve un personnage qui n’aime pas le sport. Elle le motive à chaque fois, l’emmène faire du sport avec elle. J’ai un illustrateur qui fait cela très bien.

 

Conseils, informations et témoignages 

 

Il y a des interviews de champions plus une partie santé dans la partie sport compétition.  Avec des conseils pour l’accompagnement des blessures, une partie psychologie autant dans le loisir que pour la compétition » Mon enfant a perdu. Comment l’accompagner, comment faire le deuil de ses défaites. Une partie nutrition là aussi à la fois pour l loisir et la compétition. Parfois de manière très spécifique comme par exemple pour un marathon. Ce qu’il faut manger avant avec le petit déjeuner du champion, et puis à l’inverse des recettes très  équilibrées pour le bien-être.  Pour le côté scolarité, l' on a beaucoup d’enseignants  qui nous donnent des articles.  Au sein des écoles primaires, les enseignants ne sont pas toujours très bien formés au niveau sport  et ont parfois du mal à tenir le rythme de 3h de sport par semaine dans l’école. A cela on va rajouter un contexte géographique . Nous à Annecy, on a un super terrain de jeu, les gamins font du ski de fond l’hiver, de la voile sur le lac l’été.  Parfois à Paris, il n’y a pas assez de terrain, et il faut des endroits spécifiques pour aller faire du sport. Toutes ces questions de territoires qui font que la pratique du sport n’est pas accessible sont le mêmes pour tous avec des équipements pas toujours adaptés. Des propositions sont faites où l’on raconte l’histoire de ceux qui y arrivent et de ceux qui n’y arrivent pas avec des échanges. Depuis le lancement de Salto Mag, j’ai découvert énormément de gens qui ont de bonnes idées, et qui ne trouvent pas forcément d’échos. Ils le font à leur niveau, ce qui est déjà super, mais du coup leur donner un moyen de s'exprimer permet d’avoir d’autres solutions.  L’idée de Salto est d’accompagner les parents pour qui la priorité n’est pas de faire faire du sport à leurs enfants. Ce qui est normal quand on se demande ce que l’on va leur donner à manger, comment on va payer les fournitures, les vêtements… . C’est la raison pour laquelle,  je voulais que Salto Mag soit gratuit et que l’accès à cette information soit la même pour tous…. 

 

Quels sports fait votre fille?

Elle a fait du basket, du tennis, de la gym, de la danse. Son rêve absolu c’est de faire du cheval et à chaque vacance scolaire, elle fait un stage. Mais c’est un coût et aussi une question d’organisation avec le papa.  C’est vrai que le rapport avec l’animal est interessant; je le découvre aussi. Elle fait du basket en horaire aménagé, 3 séances par semaine.  Elle n’est pas forcément passionnée mais c’est très important pour moi qu’elle ait une activité physique où elle se dépense. Même si elle préférerait faire de l’équitation. Comme je lui ai dit, on commence une année; on la finit. Je l’ai mise aussi au tennis car c’est un sport que j’aime beaucoup regarder.. Elle a fait de la gym mais comme elle n’était pas très douée, elle s’est retrouvée en cours loisirs et elle ne se dépensait pas énormément ment. Elle fait partie d’une génération qui a un rapport à l’effort qui a beaucoup diminué et c’est très important qu'elle puisse se dépenser, transpirer.  A travers la pratique sportive de ma fille, je découvre des univers.  Personnellement aujourd’hui, j’aime le sport loisir, plein air et être en contact et en communication avec la nature. Je le fais surtout avec des amis  pour être bien plus que pour la recherche des résultats. 

 

Vous dîtes tirer des leçons de chaque chose. Qu’avez-vous tiré de la Covid?

Ça m’a permis de me rendre compte , enfin de me confirmer qu’il faut se diriger de plus en plus vers cette quête de sens, que toutes ces rencontres enrichissantes sont sûrement plus importantes que l’appât du gain. J’ai fait du bénévolat toute ma vie et mon enrichissement personnel découle de ces rencontres et dans la transmission.  Et puis au niveau pro, c’est une évolution pour Salto Mag , c’est le digital qui prend de la place. C’est comment faire connaître ces valeurs du sport à travers ce monde digital et louvoyer avec le paradoxe qui consiste à  demander aux gens de sortir de l’écran. La Covid a permis de  faire prendre conscience que le sport occupait une place importante au sein de la société.  D’un côté, il y a une partie des gens qui s’est effondrée faute de possibilité de pratiquer une activité physique, mais d'un autre coté, il y en a plein d’autres qui se sont mis au sport. Cet été il y aura de beaux gosses et de belles nanas sur la plage!…J’ai des amis qui se sont mis à faire du sport tous les jours alors que ce sont de gros fêtards. 

 

Vous dites avoir toujours fait du bénévolat. Quel genre?

Jeune lycéenne, j’ai commencé par faire faire des devoirs aux enfants. J’ai travaillé au Secours catholique à Annecy avec une phrase très importante que l’on m’a dit là-bas et qui me nourrit encore aujourd’hui : "Qu’est-ce que vous voulez faire » , « Je veux aider » . Qu’est-ce que vous aimez faire »? «  Mettez-moi là où il y a besoin » . «  Non, il faut que vous  soyez dans quelque chose que vous aimez faire. Sinon vous allez le faire à contre-coeur et vous n’allez pas durer longtemps et ça n’est pas de l’aide ».. Depuis je me dis que quand on fait quelque chose même pour les autres, il y a besoin d’avoir une certaine justification personnelle.  Quelle qu’elle soit; ça dépend de ce qui nous motive effectivement. J’ai fait plusieurs choses ensuite :  l’accueil de SDF mais j’ai eu beaucoup de mal, je n’étais pas à l’aise. J’ai voulu faire de l’aide aux migrants  et là encore je ne me sentais pas du tout à ma place, j’ai fait aide dans un foyer pour de jeunes mères. Mais je n’avais pas encore d’enfant et je ne connaissais pas réellement leurs problèmes. Ma compagnie n’a pas été très productive non plus. Le premier travail bénévole qui m’a réellement  plu c’était dans un foyer pour personnes en détresse financière… J’ai eu une formation avec des psychologues car lorsqu’une personne a des problèmes financiers, son  estime de soi est complètement dégradée. Il faut donc un minimum d’accompagnement psychologique pour pouvoir comprendre leur problématique et une certaine empathie et compréhension de leur situation. Des assistantes sociales nous aidaient aussi. On recevait des gens et l’on parlait de leur budget. Il fallait réussir à ce que les gens se confient et essayer de leur apprendre à gérer leur budget. : «  Peut-être  que vous n’avez plus besoin de votre voiture si vous ne travaillez plus",  "pas besoin d’un téléphone aussi cher » Je suis loin moi-même d’être une pro dans ce domaine et ça m’a appris aussi.  C’ était très interessant. A la fin, on leur donnait des bons d’achat à la fin pour qu’ils puissent s’acheter des denrées alimentaires. Enfin, j’ai aussi travaillé à  SOS amitié avec 6 mois de formation  et l’on ne pouvait pas répondre aux gens tant que l’on  n'était pas formé… 

 

, Agnès Figueras-Lenattier

vendredi, 19 mars 2021

Christophe Bernelle

psychiatrie,expérience globale,tennisLe docteur Christophe Bernelle actuellement responsable du pôle mental au sein de la Fédération française de Tennis  pour les jeunes de 12 à 20 ans a été n°13 français et 170ème » joueur mondial. Psychiatre, pédopsychiatre, il a d’abord travaillé dans le privé, puis a été responsable de deux CMPP.  Il fait part ici de sa riche expérience… 

 

 

A quel âge as-tu disputé ton premier tournoi?

J’ai disputé mon premier tournoi la coupe Ewbank à l’âge de 10 ans et cette année là, j’ai remporté tous les tournois auxquels j’ai participé. L’année suivante a été beaucoup moins fructueuse car je me suis mis trop de pression. Je me suis dit tu es benjamin 2, tu dois gagner ce tournoi, tu n’as pas le droit de perdre, tu l’as gagné l’année dernière. Tu as un an de plus, les autres sont plus jeunes. « C’est un raisonnement logique, mathématique, mais débile car tu te mets une pression de dingue. Et pour la petite histoire, j’ai perdu au 1er tour contre celui qui deviendra un grand ami Jean-Marc Piacentile avec qui j’ai joué Roland Garros en double. Je perds 9/8 en ayant très peur. Je vois qu’il joue très bien et j’’ai pensé que j’allais perdre. Il était plus petit que moi, c’était la honte. C’est rigolo comme je me suis mis la pression à 11 ans. Amusant en tout cas comme j’ai de bons souvenirs. Je sais exactement sur quels courts j’ai joué mon premier match officiel. En deuxième année minime, j’ai de nouveau fait une bonne saison, et à 19 ans j’ai remporté le circuit satellite au Portugal ce qui m’a permis de faire un grand bond au classement. J’étais -30 et 5,600 ème mondial, et suis devenu n°13 français et 170ème mondial. Début 1983, je gagne mon match contre Boris Becker qui deux ans plus tard remporte son 1er Grand Chelem… Je me souviens aussi très bien quand je suis allé à Roland Garros pour la 1ère fois en 72; j’avais à peine 10 ans. C’est quand même un choc… J’ai vu la demi-finale Proisy Orantès et après j’y suis allé énormément. J’ai assisté à la victoire de Nastase qui est devenu une idole pour moi et je suis content d’avoir joué en double contre lui en 83. Après, l’arrivée de Borg m’a donné envie de faire comme tous ces joueurs. Mais d’un autre côté aimant également le foot que je n’ai pas continué par la suite, je rêvais également de marquer des buts au futur Parc des Princes...Niveau scolarité, j’ai fait un sport études régional au Lycée Lakanal  à Sceaux. Mes parents habitaient juste à côté et contrairement à tous mes potes je n’étais pas interne.  J’ai eu la chance qu’Yves Hugon, mon entraîneur à l’INSEP soit le même que celui de mon club… Après l’obtention de mon bac, je suis parti aux Etats-Unis à l’Université de Miiami ayant obtenu une bourse complète. Je suis un des premiers joueurs français à l’avoir fait. Je suis resté là-bas juste 20 semaines, car j’ai du aller à l’armée que j’ai faite au bataillon de Joinville réservé aux sportifs. J’ai pu jouer beaucoup au tennis, et disputer des tournois à l’étranger, ce qui m’a permis de monter au classement et de jouer Roland Garros à 20 ans...

 

Parle nous de ce match contre Becker!

C’était lors du circuit allemand satellite. Il avait 16 ans, moi 20, c’était un de ses premiers tournois ATP. Il avait bénéficié d'une wild Card en tant que jeune allemand et l’on s’est joué sur moquette au 1er tour. J’étais tête de série de ce petit tournoi et j’arrive à gagner 6/4 au 3ème. Un match très accroché. Il était déjà avec son coach de l’époque Gunther Bosch et deux ans après il gagne Winbledon. Après ma victoire, j’arrive dans les vestiaires et je vois Becker souriant, parlant avec son coach. Il était tranquille, et j’ai même parlé avec lui. Son comportement m’a surpris car normalement quand on perd un match, on est un petit peu effondré. En prenant ma douche, je me suis dit «  Ce mec là, il est trop gentil, il n’y arrivera jamais. C’était l’époque Mac Enroe Connors, il fallait haïr, tuer son adversaire. Maintenant on n’entend plus ce genre de discours, et  heureusement une évolution s’est opérée. On peut être un gentleman comme Nadal et Federer et être encore plus fort que les joueurs de cette époque.  Bien évidemment, il faut être un grand compétiteur sur le court, mais on n’est pas obligé de mal se comporter. Le respect de l’adversaire est important car lorsque tu pars dans de grosses colères, tu te manques de respect aussi à toi. Pour moi le tennis représente de plus en plus un art martial et c’est important de bien se connaître.  Gilles Simon dit dans son livre que c’est important notamment dans la transition de junior à professionnel et je suis complètement en phase avec lui.  Il faut  arriver à prendre le tennis par le bon bout, un des sports si ce n’est  le plus dur mentalement et  arriver à comprendre que cette difficulté va nous aider à mieux nous connaître. Et à faire de nous un homme et une femme épanoui… Pour en finir avec Becker;, je le croise en 1989, 6 ans après, il est devenu n°1 mondial. Je ne l’avais pas revu depuis. Il était tout seul et je l’aborde pour lui raconter ce que j’avais pensé à l’époque.  Il se souvenait et cela l’a fait rire… 

 

 

Tu as joué contre Mats Wlander un peu plus tard dans l’année le 23 mai au 2ème tour de Roland Garros alors qu’il était tenant du titre. Quelle impression cela t-a t-il fait de jouer contre lui?

On m’avait donné une wild card, et j’’avais gagné mon 1er tout en cinq sets… J’ai du jouer le lendemain car à l’époque il n’y avait pas beaucoup de courts. Or j’aurais bien aimé avoir une journée de repos. J’étais bien content de le jouer. J’y croyais dur comme fer et je voyais déjà les gros titres le lendemain dans l’Equipe «  Bernelle bat Wilander. Mais en même temps au moment de l’échauffement, j’ai été habité par une sensation que je n’avais jamais connu : un bras qui tremblait si fort que j’avais l’impression que tous les spectateurs s’en rendaient compte.  Ça m’est tombé dessus; c’était fou. Je n’étais pas du tout préparé mentalement d’autant plus qu’après mes 18 ans, mon entraîneur de club Yves Hugon qui ne connaissait pas le tennis international ne s’est plus occupé de moi. J’étais donc seul sur le circuit. Heureusement que j’ai joué sur le 2 et non sur le Central.  Tout le début du match, je n’ai pas mis une balle dans le court, et je n’ai pas pu agresser Mats Wilander. C’était une machine, il ne ratait jamais. Il ne jouait pas très vite, mais avec beaucoup de longueur de balles. Il aurait fallu que je le bouscule un petit peu, c’était ça le plan. Je n’allais pas rentrer dans des échanges interminables. J’ai pris 6/1 6/1 dans les deux premiers sets mais il y avait quand même quelques échanges. Au 3ème set, je mène 3/1, j’ai des balles de jeux sur tous les jeux et je prends 6/3. 

 

Cela t’avait  déjà fait prendre conscience de l’importance du mental!

Oui, ce fut une expérience très importante à ce niveau là. Après je pars en Angleterre pour jouer sur herbe, surface sur laquelle je n’avais jamais joué. J’étais un peu seul car mon partenaire de double Jean-Marc Piacentile qui était dans le même club que moi a préféré la terre battue. J’avais envie de faire les gros tournois sur herbe avant Wimbledon. J’ai fait les qualifs du Queens, de Bristole et j’étais censé faire les qualifs de Wimbledon. Or c’est là-bas trois semaines après Roland Garros que j’ai décidé d’arrêter ma carrière de joueur. J’étais dans les lectures depuis avril 83. Je commençais à m’ouvrir au mental et à la psychologie, et je suis tombé par hasard sur le livre d’un psychiatre américain Alexander Lowen «  la bioénergie » . L’auteur faisait un peu une critique de la société du toujours plus des Etats-Unis ce qui m’a fait réfléchir sur mon propre vécu. Puis, finalement de bouquin en bouquin, je décide d’arrêter ma carrière de joueur de tennis et d’entamer des études de médecine pour devenir psychiatre. J’avais envie d’aider les autres car justement je suis bien placé pour me rendre compte que lorsque l’on voyage tout seul semaine après semaine et que l’on perd au 1er tour ce n’est pas simple. Et donc que l’entourage est fondamental pour rebondir et apprendre de ses défaites. On ne peut pas toujours gagner. Tsonga par exemple ancien n°10 mondial,  disait que sur une quarantaine de semaines, il gagnait maximum 2,3 tournois par an. 

 

 

Comment en es-tu arrivé à arrêter ta carrière de joueur?

 A l’époque, j’étais plutôt du genre très sérieux, à tout faire très bien. Me coucher tôt, bien m’entraîner. J’étais stressé, me mettais beaucoup de pression et j’étais dans une démarche d’essayer de me détendre avant les matches. Et finalement je suis allé dans l’excès de la détente, j’ai carrément arrêté. Et puis la critique de ce psychiatre du toujours plus chez les Américains m’a incité à faire un parallèle avec le classement ATP revu chaque semaine où l’on veut toujours monter.  L’année d’avant, j’étais beaucoup moins bien classé et j’ai fait un grand bond en avant. Et finalement, je me suis rendu compte que je n’étais pas si heureux que cela, et que je voulais toujours plus… Je m’étais entraîné à l’époque avec Vilas qui n’allait pas très bien moralement ,or c’était une de mes idoles. Son mal-être m’avait fait poser des questions, comme il est normal de s’en poser à 20 ans. Ces différentes lectures m’ont donné l’illusion que j’allais changer le monde en devenant psychiatre. Que j’allais notamment soigner les chefs d’entreprise et que tout irait mieux après pour les employés et le monde entier. Il y avait aussi ce côté tout ou rien  d’un jeune de 20 ans.  Sur le circuit, on ne pense qu’à soi, rien qu’à soi, à son tennis et je me suis dit «  il faut que je pense aux autres. Je vais être plus heureux ainsi. Je rêvais également d’avoir une vie un peu comme tout le monde avec une famille et des amis.  C’est un ensemble de choses qui a fait que j’ai pris cette décision assez rapidement pour me retrouver à la faculté de médecine en octobre. Heureusement que mes parents ont insisté pour que je passe mon bac...C’est important d’avoir des parents qui disent «  mets le bac dans ta poche » .  Ce qui a changé par rapport à mon époque c’est que les meilleurs jeunes de France peuvent signer des contrats avec des managers et donc des marques à 13,14 ans. Et s’ils commencent à avoir des résultats, il peuvent à 15 ans obtenir un contrat de 4,5 ans avec pas mal d’argent au bout. Mais ce ne sont pas non plus des sommes astronomiques pouvant réellement compenser s’il arrive un problème. Une fois de plus, il est important que ces jeunes s’épanouissent… 

 

 

 

 Puis tu as ouvert un cabinet privé pour adultes et adolescents! Tu essayais le plus possible de ne pas trop donner de médicaments…

Je ne suis pas contre bien évidemment car il existe des moments où il faut vraiment y avoir recours  pour des patients  en très mauvais état psychologique.  Mais pour moi l’idéal c’est d’aider le patient à cheminer et à comprendre son fonctionnement. A pouvoir petit à petit, même si cela prend souvent du temps changer un peu sa façon de voir les choses. Quelque part au niveau neurobiologie, il existe une  neuroplasticité qui permet au cerveau de se modifier. Je crois beaucoup à cela et jusqu’à la fin de nos jours, on peut toujours changer nos circuits neuronaux même si bien sûr c’est plus facile à 20 ans qu’à 80. Il faut essayer de saisir ce constitue la part de notre responsabilité dans notre vie et bien sûr il y a les traumatismes qui sont là, qui ont eu un rôle, qui nous ont façonné. Il faut parvenir à ce qu’ils aient moins de résonance en nous et qu’ils nous atteignent moins.  On sent quand un patient a une compréhension même au niveau affectif de son corps, de son vécu. De ce qui a pu disfonctionner. Si celui-ci y parvient, il va acquérir un gain d’énergie vraiment interessant et le ressentir vraiment de l’intérieur.

 

 

 

Quelle était ta manière de t’y prendre avec les patients?

Avec un adulte, la démarche de psychothérapie psychanalytique consiste surtout à partir des dires du patient, de ses envies. Si par exemple, un patient a été empêché par ses parents de faire de la danse ou de la peinture et qu’à un moment donné il ose faire une de ces activités, cette initiative va forcément lui faire du bien car il est en lien avec son enfance, avec ses contrariétés. A partir du moment où l’on est psychanalyste, c’est obligatoire de faire un travail personnel.  J’avais 27 ans quand j’ai commencé. J’étais étudiant en médecine et je faisais  3 séances par semaine. Pendant deux ans , je n’ai pas du tout parlé tennis alors que c’était une part très importante de ma vie. Je l’avais vraiment mis de côté, et deux ans après, avec encore  3 séances par semaine, je me suis remis à parler tennis, de mon arrêt de 6 années.  Cela a déclenché en moi l’envie de rejouer  et j’ai retrouvé un plaisir de gamin  sur un court… C’était en 89, et j’ai vraiment repris comme si j’étais un nouveau joueur sans me dire «  Avant je savais faire ceci, cela, je battais un tel ». C’était juste pour le plaisir de jouer,  de progresser, de faire aussi de la compétition, de retrouver cette adrénaline d’avant match et d’arriver à le surmonter.  J’avais même des rêves un peu fous de repartir sur le circuit.  Actuellement, cela fait plus de 30 ans que je suis dans le tennis et j’aime de plus en plus ce sport. J’ai vraiment retrouvé ce lien avec l’enfance et c’est très important de garder ce plaisir. Je fais tout pour symboliser la maxime du tennis français «  Le tennis, le sport de toute une vie ». Je ne me suis jamais autant amusé sur un court. C’est lié à mon approche du tennis qui pour moi est devenu comme un art martial. Donc, quand j’arrive sur le court, je fais tout pour devenir un maître du tennis  dans le genre un maître d’art martial.  On peut tout le temps essayer de progresser dans tous les domaines. Je n’aurai jamais plus  mon physique de 20 ans mais quelque part j’essaye de faire en sorte qu’il diminue le moins possible. Et j’ai cette chance d’avoir l’impression que j’ai encore 15 ans sur le court. J’arrive encore à bien bouger, à faire un peu ce que je veux et c’est super sympa. Et puis mentalement, je suis au sommet…

 

                                        Être heureux avant tout sur le court

 

On sent bien que si Federer a envie de rejouer après ses blessures, c’est qu’il est vraiment heureux de taper dans une balle. Et Nadal le dit aussi, là où il est le plus heureux c’est sur un court.  J'ai lu une interview  en avril 2019 où il raconte qu'il était à l'entraînement et qu'il a arrêté au bout de 5 minutes. Il déclare à Moya un de ses coaches qu'il ne peut continuer car il ne prend pas de plaisir sur le court. Avec son staff, ils ont été passer une semaine à la montagne, avec de la marche. A ce moment là, Nadal classé 1Oème mondial expliquait qu'il pensait peut-être mettre un arrêt sur sa saison histoire de souffler un peu. Finalement, après cette semaine, il a repris. Et en fin d'année, il gagne Roland Garros,  L'US open et il finit n°1 mondial... C'est beau je trouve autant d'enthousiasme après tant d'années passées sur le court. C'est incroyable. Mais on peut très vite perdre cet enthousiasme. D'ailleurs, plein d’adolescents arrêtent,. C’est vrai que le tennis de compétition c'est compliqué et c’est dommage car on n’a pas  aidé ces jeunes  à le faire dans un bon état d’esprit. 

 

 

Qu’est-ce qu’un bon psychanalyste?

C’est comme tout, il y a des patients plus ou moins capables de se laisser aller, de faire confiance et d’être capable de faire des liens entre les choses. Il faut s'adapter et ce n’est pas forcément facile à comprendre quand on n’est pas dans le métier. Un bon psychanalyste, c’est quelqu’un qui a une formation avec de préférence un diplôme d’état.  Qui a fait une analyse personnelle et qui a réglé ses propres problèmes. Avec une éthique importante et qui sera content si le patient devient autonome et arrête les séances.  Qu’il soit heureux de lui dire oui même si souvent il faut un petit laps de temps pour que tout s’arrête complètement. Et non pas qu'il fasse en sorte que les séances s’éternisent  par appât du gain. Si un patient a envie d’arrêter, il ne doit pas avoir peur de le dire…

 

 

Au sein de la Fédération française de tennis,  tu préconises la méditation, le yoga. Tu t’en servais déjà au cabinet?

Non pas du tout car j’ai arrêté mon cabinet en 2000 et j’ai commencé la méditation vers 2010. J’ai vraiment approfondi le sujet, même si j’avais déjà une appétence pour la philosophie grecque et asiatique. J’ai constaté le bien-être que cela me procure. Je fais ça tous les matins 1H30 avec méditation, gym, yoga comme le conseille Mathieu Ricard dans son petit livre «  L’art de la méditation ».   Je me suis occupé de moi, je me sens en pleine forme après une bonne douche et un bon petit déjeuner avec le sentiment que mon corps et mon esprit sont en symbiose. Je fais de la  gym aussi pour me maintenir en forme et jouer mieux au tennis qui est un sport très exigeant physiquement.  Il faut notamment avoir une bonne ceinture abdominale. J’essaye de faire comprendre aux jeunes que s’ils pouvaient faire 5mn  par jour  et que ça devienne pour eux une routine agréable, ce serait vraiment positif. La seule difficulté c’est de s’y mettre  et de le faire régulièrement. On peut toujours avoir de bonnes raisons pour ne pas le faire mais à partir du moment où l’on a pris l’habitude, si on ne le fait pas il manque un petit quelque chose… On sent que l’on ne s’est pas assez bien occupé de soi. Idéalement cela ne devrait pas être que pour faire des résultats. Il faudrait que les jeunes comprennent que si déjà ça leur fait du bien en tant que personne, bien évidemment ça les aidera aussi pour gagner des matches.  

 

 

 

Qu’est-ce que cela t’apporte véritablement?

Ça m'a notamment appris  à respirer. On ne s’en rend pas compte car respirer c’est naturel mais quand on est stressé on fait de toutes petites respirations, on prend très peu d’oxygène et pourtant c’est l’élément le plus important pour notre corps avec l’eau.. Si l’on sait faire de bonnes respirations avec une bonne amplitude, on se fait du bien. Et l’on voit bien le lien avec le tennis avec tous ces temps morts entre chaque point. Le fait  de bien respirer, de se détendre et encore plus aux changements de côté permet de mieux exploiter ces moments là. La méditation c’est être complètement dans ce que l’on fait et c’est forcément une démarche philosophique qui amène à la connaissance de soi. On est un peu en gratitude avec la vie au sens large du terme, moins dans son égo et donc davantage  en connexion avec les autres, la nature, les animaux. Je ne suis pas bouddhiste, mais j’aime bien le dalaï lama quand il dit «  « Soyez sympa avec les autres; ça vous fera du bien. Il a raison. Ne serait-ce qu’un sourire; ça fait du bien.  On sent bien quand on s’est mis en colère même si l’on a raison sur le fond que quelque part ça nous fait du mal.  Il y a peut-être un moyen de dire les choses plus calmement; c’est un exemple. Tous les grands sages de toutes les religions se rejoignent sur cette quête de sagesse, celle de faire du bien autour de soi. Selon moi, il n’y a pas d’autre chemin  pour être heureux, Si chacun apporte son petit caillou, ça peut petit à petit aboutir à changer le monde… Voici ce que disait Djokovic après sa victoire à l’Open d’Australie en 2021 :  "Pour affronter les moments chauds d’un match, je me concentre d’abord sur ma respiration. C’est probablement la chose la plus simple à faire, mais aussi la plus efficace. Il a fallu apprendre à accepter mes peurs, mes pensées négatives, et mon égo pour les utiliser de façon positive. Pour arriver à ce résultat, j’ai beaucoup travaillé sur la pleine conscience, ai fait de la méditation. Sur le court, mes émotions et certains traumatismes ont tendance à resurgir. . Maintenant, je parviens à les contrôler beaucoup plus rapidement »

 

 

 

 

Pour en revenir à l’époque avant ton poste au sein du pôle mental, comment se passait ton travail aux CMPP avec les enfants et les ados?

Les parents dans au moins 50% des cas, ne viennent pas de leur propre gré mais souvent à la demande des enseignants ou de l’école. Ça va des enfants inhibés en difficulté scolaire à des problèmes de comportement. Certains tapent les autres etc; il y a de tout. L’on a vraiment de la chance en France, d’avoir ces réseaux de CMPP et de CMP pour enfants et ado. Le CMP est public alors que le CMPP est associatif. C’est une petite différence administrative mais le travail est pratiquement le même. Il suffit que les parents appellent et ils ont un rendez-vous avec un spécialiste, soit un pédopsychiatre ou psychologue spécialiste pour enfants et tout est gratuit..

 

Présence de nombreux spécialistes

 

Ce qui est bien dans ce genre de centre, c’est la multiplicité des soignants. Des pédopsychiatres, des psychologues, des orthophonistes, des psychométriciens pour des thérapies plus corporelles, des éducateurs spécialisés, assistantes sociales. Ce sont des thérapies individuelles ou de groupes. Lorsque l’on accueille l’enfant avec ses parents, on essaye de faire le diagnostic et l’on propose un traitement. J’aimais bien ce travail d’équipe qui est fréquent en médecine mais qui est particulièrement développé en psychiatrie et en pédopsychiatre ou l’on échange beaucoup autour d’un enfant . On réfléchit ensemble pour voir ce que l’on pourrait améliorer dans la thérapie.  On est là aussi pour aider les parents à comprendre les choses et à mieux soutenir leurs enfants. Après comme dans toute institution, peuvent  survenir des conflits institutionnels entre thérapeutes, entre personnes. J’essayais toujours de les résoudre afin que chacun soit vraiment content de venir au travail. Je pense que pour n’importe qui c’est vraiment une priorité et quand on est en poste de responsabilité comme je l’étais, mon rôle consistait à ce que l’équipe se sente bien et ait envie de travailler ensemble.

 

 

 

Existe une grande différence dans les symptômes chez les enfants  ou dans la manière d’être avec les parents selon qu’ils viennent de leur propre gré ou pas!

Ah oui. Les parents pouvaient arriver et avoir la franchise de dire «  Cest l’école qui nous amène mais on ne comprend pas pourquoi. A partir de cela, j’ai un petit peu tout vu. Parfois ces propos peuvent être vrais et l’on peut très bien dire «  C’est l’école qui s’affole un peu trop et réconforter les enseignants en disant « Je vais revoir cet enfant, mais personnellement je n’ai pas l’impression qu’il y ait trop de problèmes. »   A d’autres moments, les parents prétendaient qu’il n’y avait pas de problème, alors qu’il pouvait y en avoir de gros. Ils étaient dans une sorte de déni de la pathologie de leur enfant. Là il  fallait essayer de faire en sorte  que les parents soient un peu moins dans le déni et que l’on puisse les aider et aider leur enfant. Si la psychose de l’enfant est vraiment importante, il aura forcément une vie compliquée. C’est parfois problématique quand les parents ont l’impression que leur enfant va pouvoir faire des études alors que c’est pratiquement compromis. Tout comme le relationnel et les contacts avec les autres enfants. Cela  va prendre du temps. On essaye de mettre en place un suivi qui parfois ne s’avère pas forcément suffisant. Il faut alors faire appel à un hôpital de jour, or les parents ne sont pas forcément toujours d’accord…

 

 

 

Quels genres d'outils utilisais-tu?

Dans mon cabinet de consultation quand je recevais l’enfant et les parents, ou l’enfant seul il pouvait dessiner. Il y avait aussi des jouets. On voit un petit peu comment l’enfant évolue. Est-ce qu’il va spontanément voir les jouets , est-ce qu’il a envie de nous inclure dans le jeu? Plein de choses très intéressantes à noter. En tant que médecin, j’accueillais les enfants, et après au fur et à mesure des consultations on peut mettre en place un suivi avec une psychologue, un orthophoniste, un psychométricien soit en individuel, soit en groupe.  On pouvait proposer jusqu’à trois séances par semaine pour l’enfant et bien évidemment à l’intérieur de chaque séance quelle qu’elle soit, thérapie psychologique, orthophoniste ou en groupe, là encore on utilisait  différents outils. Ça pouvait être des groupes jeux vidéo,  pas des jeux vidéos débiles mais justement ceux qui pouvaient aider l’enfant lors de jeux de rôle. Les ados pouvaient parler autour du jeu vidéo qu’ils étaient en train de créer. C'est interessant car cela demande une certaine construction, une sorte d’élaboration d’une histoire. Il y avait aussi  des groupes conte. Chaque thérapeute a ses outils. 

 

 

Y a t-il des différences dans la manière de soigner entre les enfants et les ados?

A la fois oui et non; ce sont davantage les outils qui diffèrent et l’on peut faire des groupes d’ados. Ceux-ci sont atteints de pathologies très différentes. Quand on a un adolescent qui a une psychose de l’enfance assez déficitaire, on va l’aider. Peut-être en orthophonie pour essayer de lui faire comprendre un petit peu le mécanisme des mathématiques. Il a beau avoir 16 ans, il a une compréhension mathématique de 8 ans. On s’adapte et on se met au niveau du jeune. Il y avait aussi  un peu de sport comme le ping-pong, le baby foot. 

 

 

 

Toi qui connais très bien le sport à quel niveau dans tes soins cela se retrouvait-il?

Un point était très important c’est lorsque les parents me disaient «  il n’a pas eu de bonnes notes, ou il s’est mal comporté, je lui ai fait arrêter le foot. J’étais contre et je leur répondais : «  Si vous voulez le punir, privez- le de consoles, de ce que vous voulez mais pas de sport. Ce n’est pas le truc que l’on enlève au contraire. Le sport va l’aider à se détendre, à comprendre aussi les règles notamment dictés par l’entraîneur.  On ne  fait pas n’importe quoi avec les partenaires, avec les adversaires ». Je crois énormément au sport au niveau éducatif, apprentissage au niveau corporel et psychologique et  connaissance de soi.  C’était mon leitmotiv. Je voyais les enfants quand ils arrivaient puis en moyenne une fois tous les trimestres pour faire le point. Je faisais des consultations pouvant être un peu thérapeutiques, mais le suivi chaque semaine c’était plutôt un psychologue qui s’en occupait. Ou une orthophoniste.

 

Une grosse responsabilité

 

Avec les deux centres, je suivais à peu près 600 enfants par an. Ça fait beaucoup et évidemment sur les 600, il y en avait qui allaient plutôt bien, et d’autres qui me tracassaient beaucoup. Fallit-il hospitaliser un enfant ou un ado ou pas? Est-ce qu’il va se suicider ou pas?  Est-ce qu’un enfant subit des attouchements de la part de ses parents?  Certains  cas me préoccupaient beaucoup. Les cas difficiles on essayait de les voir un peu plus fréquemment et l’on avait tendance à oublier les autres.  En équipe, on parlait très rarement des enfants qui vont bien.  En revanche, pour les enfants en difficulté, on réunissait nos cerveaux ensemble pour essayer que ça aille mieux.  Mais si un patient ou un enfant va mal ce n’est pas forcément parce que l’on a fait des erreurs, même si cela bien évidemment peut arriver. Par exemple, si l’on n’a pas hospitalisé suffisamment tôt un adolescent et qu’il fait une tentative de suicide. On a le droit de se remettre en question et de se dire" J’aurais du le faire hospitaliser avant qu’il ne passe à l’acte." Mais même s’il n’y a pas manquement de notre part, c’est vrai qu’en tant que médecin, j’étais  particulièrement responsable…

 

 

 

Des erreurs que tu ne referais pas?

Déjà sur ma carrière de près de 30 ans de psychiatrie, je n’ai eu qu’un patient qui s’est suicidé et qui est mort. En plus, j’ai des circonstances atténuantes car j’étais jeune médecin assistant. Je venais juste d’être diplômé, j’arrive en tant qu’assistant à l’hôpital psychiatrique et en tant qu’assistant on récupère les patients de l’ancien assistant. Je récupère cette patiente qui était compliquée, que je ne connaissais pas bien. Un peu toxicomane, un peu psychotique. Au bout de quelques mois on la retrouve morte chez elle et l’on ne sait pas trop si c’est un suicide, un peu trop d’alcool ou les médicaments. Elle avait aussi forcément des fréquentations un peu louches.  Mon chef de service a été super. Il a reçu les parents avec moi et a géré la situation. Il  connaissait le problème en tant que chef de service depuis plus longtemps que moi. . Ça a été une expérience malheureuse qui m’a marqué. Mais sinon, pendant 13 ans de cabinet privé, je n’ai eu aucun suicide.  A la fois j’ai eu de la chance, il en faut,  et ça veut dire aussi que je n’ai pas trop mal bossé… Le danger pour un psychiatre c’est vraiment au début . Quand un patient vient dans votre cabinet que vous ne connaissez pas bien. Lui n’a pas une grande confiance en vous et s’il va vraiment très mal, s’il est très déprimé, il existe un risque important que les choses se déroulent mal. Alors que si on le connaît depuis 6 mois, une relation plus profonde s’est installée et le patient sait qu’il peut éventuellement vous appeler s’il ne va pas bien, rajouter une séance et les risques diminuent beaucoup.

 

 

Tu es maintenant responsable du pôle mental à la fédération française de tennis et à Poitiers. Ce poste  tu le convoitais depuis longtemps?

J’ai eu un petit temps en tant que psychiatre à la Féderation  de 1995 à 1998, un tout petit CDD de 6h par semaine au centre national de l’époque. Le DTN de l’époque est parti, il n’y a pas eu renouvellement. C’est vrai que j’étais un petit peu déçu car j’aime ce milieu et j’avais envie d’aider. J’aurais aimé continuer pas forcément à plein temps et j’ai subi une petite frustration.  Là j’ai eu l’opportunité d’être responsable à plein temps du pôle mental pour les jeunes de 12 à 20 ans ceci depuis le 1er janvier 2020.  C'est la première fois dans l'histoire du tennis.  Il y a du boulot et j’avais envie d’être libre pour pouvoir aussi partir en tournoi avec les joueurs, joueuses, entraîneurs car ce sont des moments qui me paraissent importants.  Mais les pros peuvent aussi  venir me voir. J’ai un rôle à la fois de médecin si des problèmes psychologiques surviennent et aussi un rôle de préparateur mental… Le tennis est vraiment le sport individuel qui se joue dans le monde entier et de plus en plus. A mon époque dans les pays de l’Est le tennis était peu développé et en Asie il n’y avait rien. Et ce qui est super c’est que ce sport s’est mondialisé. J’ai entendu qu’en Afrique il y a avait un projet de faire une Académie à Dakar. En ce sens, le tennis a une place à part dans le monde avec énormément de joueurs partout qui rêvent de devenir des champions.  C’est aussi une façon de s’élever notamment dans ces pays un peu plus défavorisés.  D’où l’importance encore plus de travailler le mental  et d’acquérir ce bon état d’esprit car la concurrence  est rude. 

 

 

 

Existe t-il de grosses différence de comportements entre filles et garçons?

Le tennis et la difficulté sont les mêmes et pour moi ce n’est pas une différence de sexe. C’est plus une manière de fonctionner et une jeune fille peut se comporter de la même manière qu’un garçon.  Certains vont se mettre une pression de dingues, être très anxieux et se dire «  Il faut absolument que je fasse des résultats » .D’autres au contraire sont plus tranquilles, vont avoir du mal à être sérieux et ne comprennent pas qu’il faut un minimum de travail et de sérieux à l’entraînement.  C’est plus du cas par cas, un caractère, et il faut faire en sorte que chaque jeune se connaisse mieux et ait envie de progresser. 

 

 

Et la différence avec les jeunes de tous les jours du CMPP?

La différence c’est que les jeunes qui ont choisi de faire du tennis ont un but. Et en tant que jeune ado, si on a une vraie motivation, c’est super.  La question c’est est-ce que c’est vraiment son projet à lui?  Ça ne sera jamais du 100%, il peut y avoir l’influence de la famille, des parents mais c’est important que ce soit principalement le projet de l’enfant. Je suis là pour voir cela, et à un moment donné, l’on voit bien que l’on se dirige vers un échec. C’est important que je sois là avant l’éventuelle intégration notamment en internat à Paris ou Poitiers pour voir l’enfant, ses parents et après évaluer de qui vient le projet justement. Ça fait partie du processus. Même si au final ce n’est pas moi qui décide, je donne mon avis. 

 

 

Comment agir avec ceux qui semettent trop de pression? 

C’est important qu’ils comprennent qu’ils ne jouent pas leur vie, et les aider à prendre un petit peu de recul sur le prochain tournoi. Si l'on commence à dire » Je n’ai pas le droit de perdre au 1er tour contre elle etc… ça va être compliqué d’être bien sur le court et de jouer son meilleur tennis. C’est  de permettre à ces jeunes de mieux se connaître, de les ouvrir un petit peu au monde et à la philosophie.  Tout ça va avec la connaissance de soi-même. Il y en a qui sont plus ou moins réceptifs, comme certains entraîneurs, et ça va être plus simple si l’entraineur l’est pour que le joueur le soit aussi. Certains jeunes peuvent ressentir la pression dès l’âge de 9 ans, ce qui peut engendrer de sacrés dégâts. Ce sont des messages qu’il faut faire passer auprès des parents, des joueurs et des entraîneurs… 

 

 

Tu dis «  Le travail mental ça se travaille tous les jours comme le physique et le tennis!

C’est là où l’on a un petit peu de retard je pense en France. Ça vient mais ce n’est pas encore évident pour tout le monde. La préparation  mentale c’est aussi  et surtout l’entourage. Idéalement, c’est devenir un peu philosophe pour tendre à être le plus heureux possible; ce qui est quand même notre but sur terre. On y arrive plus ou moins bien.  Je n’ai jamais entendu Nadal dire qu’il a vu un spécialiste du mental. J’ai lu mais c’est à vérifier que Federer a vu un psychologue 2,3 ans.  Son entraîneur est mort d’une mort subite jeune, il avait des problèmes et jetait sa raquette. Djokovic on sait qu’il est intéressé par la méditation, le yoga aussi, grâce à sa femme, d’où l’importance de l’entourage. Au départ, il était un peu réticent, comme moi avant. Je pensais «  c’est peut-être pour les gens fragiles ».  Il est allé voir par curiosité, car c’est bien d’être curieux et de faire sa propre expérience. Et il s’est finalement rendu compte que ça lui faisait du bien en tant que personne. J’ai l’impression même s’il n’est pas parfait qu’il fait un travail sur lui pour devenir une meilleure personne même s’il peut en agacer certains avec ses propos.

 

"Humilité, passion, travail", le secret de Nadal

 

Nadal à priori n’est pas là-dedans mais il a son entourage. Cela commence par ses parents, le petit frère de son père son entraîneur. Son meilleur ami Tintin est son physio et kiné.  J’ai lu son bouquin «  Rafa », super interessant. Il a écrit ça il y a 10 ans, c’est incroyable comment il se livre alors qu’il est en pleine carrière , même ses failles, les peurs qu’il peut avoir.. Tout ça pour dire qu’il existe une philosophie. Tintin c’est un physio qui prône une thérapie holistique donc liaison du corps et de l’esprit. C’est très philosophique et Tony Nadal dit : «  Dans le clan Nadal, le leitmotiv c’est humilité, passion, travail ». S’il en manque un; ça ne va pas. Quand on est passionné par ce que l’on fait, quelle que soit l’activité, que l’on est humble et que l’on travaille c’est une certaine philosophie. Quand on arrive à avoir cela, finalement on est heureux.  Ces joueurs  ont beau être milliardaires;  c’est mieux s'ils sont passionnés par ce qu'ils font car généralement ils ont davantage envie de travailler, de progresser et de devenir meilleur. Nadal est né là-dedans dans cette philosophie d’humilité comme Obélix. Un jour, il va arrêter sa carrière, et le monde va continuer de tourner. C’est un super joueur de tennis, mais sur terre il se passe des choses plus importantes que le tennis.  Il a à la fois un recul énorme et à en même temps quand il est sur le terrain, il est dans son tennis. Il est dans son élément, et comme il le dit «  Ma seule passion c’est de bien jouer et non pas ma seule pression c’est de gagner. C’est aussi simple que ça, mais pas si simple que ça. 

 

 

Comment s’est passé travail pendant le confinement?

J’ai pu faire des séances par téléphone et l’on a justement travaillé un peu  sur ces notions de méditation, de visualisation. L’imagerie mentale c’est important pour automatiser les choses techniques, tactiques. C’est vrai qu’il était temps que ça s’arrête. Comme tout le monde, on a vécu une période un peu irréelle. On était tous un peu figés. Avec le couvre-feu, ils peuvent se réentraîner, moi je peux aller travailler. La seule chose qui manque à tous, entraîneurs, joueurs et moi-même ce sont les tournois.  C’est sans spectateur, juste l’entraîneur mais globalement, il y en a qui peuvent jouer. Certains sont en Amérique du Sud. 

 

 

Souvent les joueurs ou joueuses quand ils font une grosse perf perdent le tour d’après!

Je vais en revenir à l’humilité et à l’importance de prendre du recul à la fois dans l’échec et à la fois dans la victoire. Et là encore, il y a deux choses qui me viennent en tête. Gilles Simon parle de l’humilité de Nadal. il dit  que là où il est incroyable dans son humilité c’est qu’il arrive à oublier ce qu’il fait. Et il arrive à n’être que dans le présent. Il est arrivé à Roland Garros en septembre 2020, et il n’était pas en train de dire «  J’en ai gagné 12, je vais arriver tranquillement en quart parce que sur terre je suis injouable et puis on verra près, mais sûrement je vais gagner le tournoi. «  Pas du tout. Il se donne même le droit de perdre au 1er tour, s’il ne joue pas à son meilleur niveau. Il se focalise sur ses sensations, son jeu et uniquement là-dessus. Il a cette capacité d’oublier ce qu’il a fait, ça va avec l’humilité comme le dit Gilles Simon.  Finalement quand on gagne un grand tournoi,  on est heureux et on se dit" Comme j’ai fait cette grande performance là,  je n’ai pas le droit de perdre au 1er tour «  car il est beaucoup moins fort que moi. » Il faut être vigilant, ce que fait très bien Nadal qui ne commet pas ces erreurs là. Il est très conscient que c’est super de gagner un tournoi mais  immédiatement après, il faut repartir et  chercher de nouveau à progresser. C’est ainsi que l’on prend le plus de plaisir. Nadal le dit «  Si on ne cherche pas ça on est mort, et l'on n’a rien compris au tennis.  C’est cela qui donne envie d’aller sur le court et l’on a bien vu comment il a fait évoluer son jeu depuis le début de sa carrière. C’est impressionnant  comme il est beaucoup plus agressif qu’auparavant. Il a tout amélioré.  Personnellement, je suis vraiment content d’être là. Jai envie d’aider, de transmettre mes compétences pour que ces jeunes s’épanouissent dans ce sport compliqué. Il faut vraiment le prendre par le bon côté sinon il peut être bien prise de tête… 

 

Qu’as-tu envie de faire passer comme message au prochain français qui se retrouvera en finale d’un Grand Chelem? 

Je vais parler d’un joueur car les filles sont meilleures que nous ces derniers temps en terme de résultats. Si un français arrive en finale de Roland Garros,  j’espère que je serai encore là pour aider.  Il faudra qu’il imagine le scénario, avec les réactions de la presse; de son entourage. Tout le monde va lui dire  c’est incroyable ce qui t’arrive, une finale de grand chelem. C’est le match de ta vie, une finale  ça ne se perd pas. Si le joueur n’est pas prêt et n’a pas travaillé en amont, ça va être très compliqué. Il faut qu’il ait travaillé les questions suivantes : Qu’est-ce qui se passe si je perds ce match? Est-ce que c’est grave? Si tu réfléchis deux secondes non. Déjà tu auras vécu une finale de Grand Chelem,; l’autre a le droit d’être meilleur que toi. Tu vas réfléchir à ce match, tu vas l’analyser. Qu’est-ce qui t’a marqué? Ou dois-tu progresser pour le prochain Grand Chelem? «  Avec le recul, cette partie va l’aider à devenir un meilleur joueur. S’il fait cet exercice régulièrement et qu’il arrive à se dire qu’il est heureux sur le court,  qu’il a la chance d’être en finale, s’il arrive à se dire qu’il a le droit de perdre, qu’il prépare tactiquement son match, qu’il essaye de jouer chaque point à fond, la perspective ne sera plus la même.  Ce n’est pas certain qu’il gagnera mais au moins il sera à fond dans son match. Et c’est ça l’important. Après, il perd, il gagne…, on passe à autre chose.. C'est ainsi qu'a raisonné Guy Drut lorsqu'il a remporté la finale du 110 m haies lors des Jeux Olympiques à Montréal en 1976... Il faut que la tête devienne plus forte. Ce n’est pas un muscle mais ça doit se travailler de la même manière. Les exercices spirituels d’ado c’est un travail. Les stoïciens travaillaient tous les jours sur leurs pensées pour arriver à prendre du recul par rapport à ce qu’ils vivaient et c’est commun à toutes les philosophies. Travailler sur ses émotions pour arriver à relativiser… 

 

Il ya aussi la gestion de l'après victoire!

Oui et ce serait bien aussi si un français gagne Garros qu’il ne pète pas un câble derrière comme l’a fait Noah après sa victoire à Roland Garros. Il a expliqué  comment en octobre novembre il avait envie de se balancer sous un pont. C’est pour ça qu’il est parti à New York. Il était devenu une telle star. Philipe hatrier et le monde international après sa victoire l’ont interdit de jouer pendant 2,3 mois car il s’était barré lors de la Workink Cup ne disputant pas le match de la 6ème place. Il devient une star et il ne peut pas jouer. Ce n’est pas facile à vivre. Et puis, il n’était pas prêt à gagner. Même son entourage n’a pas réussi faire en sorte qu’il ne «  craque «  pas. Becker a dit que lorsque l’on gagne un grand chelem, isouvent il y a la dépression post Grand Chelem. Je fais un lien avec la fameuse dépression post coïdale. Tu rêves de quelque chose, tu l’atteins et après … Nadal en revanche gagne un grand chelem, ce n’est pas une fin en soi. Il faut toujours chercher à être meilleur au sens large, physique, tennistique, mental. Si tu ne vas pas dans cette voie là, tu n’atteins pas ton meilleur niveau. C’est pour ça que Noah ne l’a pas atteint. Il a déclaré que s’il s’ était  douté d’une telle situation, il aurait été un autre joueur… Cela me fait penser à ce que m’a raconté Emmanuel Planque l’entraîneur de Lucas Pouille jusqu’à ce qu’il devienne n°10 mondial. Il me disait qu’il était dans les vestiaires quand Nadal a gagné sa 1ère final à Roland Garros.  Il est avec un ami dans les vestiaires et Tony Nadal en face d’eux attend que le vainqueur ait fini de faire des photos. Et lorsqu’il s’adresse à Nadal, il lui dit immédiatement : «  C’est super tu as gagné, mais tu as quand même beaucoup de choses qui n’ont pas fonctionné. Il lui a parlé de tout ce qu’il fallait qu’il travaille pour devenir un joueur meilleur. Sinon cela risquait d’être compliqué é pour lui de gagner un autre Grand Chelem. Même Emmanuel Planque m’a déclaré «  Si mon joueur avait gagné Roland Garros, juste après je ne lui aurais jamais dit ça » … C’est presque excessif comme l’est d’ailleurs Tony Nadal…

 

Que penses-tu de cette croyance en Dieu à laquelle se raccrochent certains joueurs?

Elle a aidé notamment Chang et aide actuellement Djokovic. En fait, il faut trouver quelque chose pour relativiser le match tout en étant complètement concentré dessus. C’est ça le secret. Facile à dire, pas facile à faire… 

 

Agnès Figueras-Lenattier

mercredi, 17 février 2021

Le pansement Schubert

musique,thérapie,interviewmusique,thérapie,interviewClaire Oppert fille d’un père médecin et d’une mère danseuse, manie le violoncelle avec une grande dextérité et donne notamment des concerts à travers le monde. Détentrice d’une licence de philosophie et d’un diplôme d’art-thérapeute, reconnue par le monde scientifique, elle se sert de toutes ses compétences pour soulager la douleur et l’anxiété des autistes, des déments, des malades douloureux, des personnes en fin de vie. Elle a écrit un livre riche et imagé «  Le pansement Schubert » où elle évoque son expérience de « soignante » en y intégrant le récit de rencontres avec ses divers patients… Elle travaille notamment à l’hôpital Rives de Seine à Puteaux, et à l’hôpital sainte Perrine à Paris

 

Quels sont vos souvenirs de votre premier contact avec la musique?

La musique était très présente au sein de notre famille et mon père était tout à fait conscient de son pouvoir thérapeutique. C’était naturellement inclus dans sa vision des choses. Avec aussi le théâtre. Mes parents n’étaient pas des professionnels de la musique mais tous deux des amateurs éclairés qui jouaient du piano. J’ai été bercée dans cet univers médical à travers cet instrument et ma première vraie rencontre choc c’est lorsque j’ai entendu le violoncelle pour la première fois.  Je suis allée au concert bien avant l’âge de 8 ans, et c’est là que j’ai eu une sorte de révélation, comme un gros coup de foudre pour cet instrument. Mon père et ma mère de par leur profession et leur façon d’être m’ont de toute évidence inspirée… 

 

Pourquoi le violoncelle en particulier?

C’est l’ instrument qui se rapproche le plus de la voix humaine et c’est cela qui m’a touchée lorsque je l’ai entendu la première fois. Avec mes 20 ans d’expérience, j’insiste toujours sur cet aspect qui m’a attirée petite et qui m’attire toujours.  D’ailleurs encore très récemment, une patiente m’a dit «  J’ai l’impression que votre violoncelle est un être humain qui me parle ». 

 

A quel moment avez-vous su que vous étiez faite pour vous servir de cet instrument comme moyen de soulager les malades?

Dès mon premier concert.  Un auditeur est d’ailleurs venu me voir et m’a dit «  Si vous aviez été médecin, vous m’auriez soigné…Ça a été le coup de tonnerre, comme une évidence.Vraiment très jeune, je suis allée jouer par çi par là. C’était complètement intuitif, ce qui ne m’:empêche par ailleurs d'être concertiste. La forme actuelle cadrée est venue progressivement. Il y a d’abord eu la rencontre avec Howard Buten et les autistes, puis ensuite les études avec l’acquisition d’outils et la possibilité de pouvoir entrer dans un protocole et conceptualiser. Cela m’a permis de faire des fiches d’observation mais ce travail je le faisais déjà quand j’avais 15 ans et que j’allais jouer pour les enfants atteints de trisomie 21 ou les personnes  démentes. Quelque part, je faisais la même chose qu’aujourd’hui. 

 

Selon vous est-ce que le violoncelle est l’instrument le plus propice à soulager les patients? 

Tous les instruments peuvent apporter quelque chose, mais ce qui est important aussi c’est la façon dont on va apporter la musique, et les compétences générales. C’est évident également que le violoncelle ou la harpe ou la voix humaine  peuvent s’adapter davantage à des contextes dans lesquels j’évolue comparé par exemple à un trombone.  Je m’adapte aussi beaucoup notamment au niveau du volume. Parfois, je joue très fort notamment pour les personnes dotés de problèmes auditifs. Mais je suis aussi capable de jouer très doucement pour ne pas heurter les patients. Et pour que les décibels ne soient pas trop nombreux. Parfois, les patients me disent qu’ils sont fatigués, parfois ce sont  juste des tonalités émotionnelles. «  Oh là là, je vous ai entendu à travers la porte, c’est trop triste ce que vous faites, je préfère que ce soit plus gai. Ça rejoint l’idée de la musique vivante non enregistrée. La question du répertoire est importante et avant d’aller à la rencontre de tous les patients en soins palliatifs, j’ai des informations  de l’équipe soignante sur le malade, notamment sa pathologie mais pas de façon très détaillée. .Aussi sur son origine, ses goûts. Ce sont soit des médecins, soit des infirmières, tout membre de l’équipe pluri-disciplinaire dont je fais partie. Il est bien de mentionner que je ne suis pas une animatrice, je ne viens  pas faire un concert à l’hôpital. C’est une posture particulière à visée thérapeutique. Je joue aussi pour les personnes dans le coma.

 

Modification du souffle

 

Cela fait l’objet d’une des études que je suis en train de mener  pour les familles à Puteaux sur le souffle des patients qui est modifié massivement. On l’a observé sur des patients sédatés ou qui sont dans un degré profond de coma avec des troubles de la vigilance. La musique continue de toucher mais dans des proportions très impressionnantes.  Je me suis occupée d’un homme chanteur de fado qui n’était pas dans un  coma profond mais dans une phase pré agonique. Il a été très impliqué toute sa vie dans la musique, a sorti des CD. On avait chanté ensemble et la semaine suivante sa femme et sa fille très affectées m’ont dit qu’il ne s’était pas réveillé. Elles m’ont demandé de le stimuler par tous les moyens possibles  et j’ai commencé à jouer le fado  de ce chanteur. IL a alors ouvert les yeux, a même levé légèrement le pouce, et a émis quelques bruits comme s’il chantait. Un léger sourire est apparu sur son visage  et ces deux femmes pour qui ce fut une joie extraordinaire m’ont chaudement remerciée. Elles ont eu le sentiment qu’il avait été en vie une dernière fois et cela leur a permis de prendre congé.  Et c’est souvent ce qui ressort. Je suis très engagée en tant que violoncelliste mais aussi en tant qu’art thérapeute et chercheuse. Je fais partie de groupes de recherche cliniques avec des professeurs de neuro-science, de médecine. Bien évidemment, je ne guéris pas les cancers ni les douleurs rebelles mais je travaille avec des gens qui ont déjà des doses de morphine bien adaptées permettant à Schubert d’agir. Il existe des diminutions radicales de la douleur. C’est un complément et cela s’adresse à ce qui est en dehors de la pathologie, à la partie saine.  Notamment pour les personnes démentes ou Alzheimer qui ont en eux une présence qui subsiste ,parfois extrêmement ténue. Même si c’est le dernier souffle, la vie est là et parfois, elle redouble d’activité.  De grands penseurs comme Michel M'uzan ont parlé de ce phénomène. Il existe  parfois une exaltation , une sorte d’appétence relationnelle qui renaît justement dans les derniers instants, les derniers jours avec l’ouverture de la musique.  Un contexte très clinique avec la mise en place de choses absolument extraordinaires…

 

Vous parlez dans votre livre du mot vibration qui revient très souvent d’après 450 paroles de patients!

Quatre mots sont vraiment prononcés très souvent. Vibration oui, car le violoncelle est un instrument extrêmement vibratoire. C’est pour cela qu’il pénètre les corps avant d’arriver à la tête. On le ressent plus qu’on ne le comprend dans un premier temps. Il y a aussi le mot coeur qui se devine vraiment chez les patients. Ils le montrent avec un mouvement de la main qui va du bas vers le haut, qui s’arrête au coeur. Le mot joie revient également souvent. Evidemment la musique n’enlève pas le tragique, mais souvent elle fait naître une joie résiduelle réelle quelquefois difficile à saisir. C’est propre aux soins palliatifs, propre au regard global posé sur un patient. Celui-ci est avant tout une personne avant d’être un malade et la musique l ‘atteste et en témoigne. C’est très fort.  Quatrième mot  : vie.  Des gens qui en fin de vie disent «  Je ne savais pas que c’était si vivant, là je sens la vie et ça me donne l’envie de vivre. C’est très fréquent que les personnes rejoignent une partie d’eux-mêmes vraie et lumineuse.

 

Quel que soit le genre de maladie, la musique agit-elle  de la même façon?

Je pense que ce sont d’abord les personnes qui sont plus ou moins réceptives à la musique. Et cela n’a rien à voir avec le fait d’en avoir ou non fait ni de la connaître.  Ce n’est pas non plus  lié à la pathologie car des expériences similaires sont menées auprès d’anorexiques, dans les milieux carcéraux, en psychiatrie. Ce qui va faire la différence c’est l’adaptation.  Certains des grands autistes par exemple avec qui j’ai travaillé étaient particulièrement sensibles à la musique et à la vibration vocale. D’autres étaient sensibles à d’autres formes. Il y en avait un qui était extrêmement olfactif. Il  sentait tout et  se repérait dans le monde par le biais de  son odorat. Il a été plutôt orienté dans un atelier sensoriel. Ce n’est pas la pathologie la partie dominante car j’ai travaillé avec des patients atteints de surdité totale. J’ai eu une rencontre incroyable que je n’ai pas citée dans mon livre en Ehpad avec une patiente âgée, démente et sourde e à 100% depuis 30 ans. Elle ne voulait plus vivre et avait décidé du jour de sa mort. 5 jours avant la date fatidique , elle avait fermé les yeux, les mains et ne s’alimentait plus. Sa famille m’avait dissuadée de jouer et ses proches  ne communiquaient qu’avec une ardoise. Or en fait lorsque j’ai joué pour elle, c’était faramineux. Elle a entrouvert les yeux, et la famille était carrément en état de choc heureux. Elle a aussi déserré les mains , a même parlé et a dit quelque chose de très drôle : «  Vous avez joué,  maintenant vous devriez aller à la cuisine ». Elle est décédée quelque temps après et son départ était totalement différent . La musique avait touché quelque chose en elle lui permettant cette dernière communication et cette incroyable réaction. Je lui avais joué «  La vocalise » de Serge Rachmaninov. Donc même là où il y a surdité, il peut y avoir réaction…

 

Il y a quand même des gens plus ou moins réceptifs!

Oui, et parfois on ne sait pas. C’était la grande question d’Howard Buten. Que ressentent ces autistes? Comment appréhender le ressenti qu’ils ont puisque nous on n’est pas autiste. Il disait toujours "Quelle est la différence entre leur souffrance et la nôtre?"  Il peut y avoir un déferlement de sensations qui ne ressemblent en rien à celles d’une personne qui va s’assoir dans une salle et qui écoute une symphonie. Un jour, un autiste a cassé mon violoncelle. Pourquoi? Qu’est-ce qu’il a perçu qui a engendré ce geste?  Il y a une étude un peu grossière qui disait «  Quand un autiste entend, il ne voit pas. » On avait remarqué en mettant des électrodes que quand on montrait une image à de jeunes autistes profonds et qu’à ce moment là un bruit se produisait ils ne voyaient plus et réciproquement.  Quand ils entendaient la musique et qu’on leur passait une image ils n’entendaient plus.  C’est vrai que neurologiquement, toutes les sensations ne sont pas particulièrement objectives et vécues comme cela peut être le cas lorsque l’on est dit «  normaux ». Je fabriquais justement  toutes sortes de bruits qui faisaient que cela pouvait être compris comme de la musique. Je tapais le violoncelle avec la baguette, je créais des crissements, des hurlements avec mon instrument. Ce que l’on appelle des modes de jeux ressemblant plus à des freins de voiture qu’à des harmonies musicales… L'on peut partir de sons parfois peu agréables pour faire un travail thérapeutique amenant vers quelque chose de plus apaisé.

 

Pourquoi Schubert tout particulièrement?

Cette première rencontre en 2012 très frappante où l’on assisté à cette radicale diminution de la douleur de Madame Kessler lors d’un pansement a inspiré et donné son nom à l’étude clinique «  Le pansement Schubert »  : 112 soins douloureux sur des patients en fin de vie. Au départ en hommage à cette femme  que j’ai accompagnée  jusqu’à sa mort. Elle était en Ehpad et a ensuite été transférée en soins palliatifs et je lui ai joué Schubert jusqu’au bout.  En dehors de cette rencontre, il y a le fait que Schubert possède en lui quelque chose de profondément humain. C’est un compositeur qui a réalisé énormément de leaders, plus de 600 et qui en quelque sorte a toujours mêlé la parole à la musique avec de la mélancolie. Sa recherche s’adresse toujours à un voyageur, englobe de la solitude, de l’errance, un récit de vie. On trouve aussi chez ce compositeur la quête d’un ailleurs supposé meilleur et cette obsession de la mort. Ce n’est pas un hasard si Schubert a cette capacité de diminuer la douleur mais c’est vrai aussi pour Bach, Beethoven, Mozart et toute la musique sans exception. Il y a peu de temps, une personne m’a demandée de lui jouer «  La jeune fille et la mort ». Elle ne voulait écouter que cette pièce là. Je regardais cette femme qui avait 94 ans et je me disais qu’elle incarnait tout à fait la jeune fille et la mort… Elle avait quelque chose dans sa demande qui était très juvénile. 

 

Est-ce que c’est arrivé qu’une personne ne supporte pas telle ou telle musique?

Oh oui. Ou alors beaucoup plus drôle encore une réflexion du genre «  Oh là là ça ne ressemble pas du tout. Il m’arrive par exemple quand on me demande du Jonnhy Halliday de ne pas prendre le bon tempo car je ne connais pas. Le tempo est beaucoup trop lent et parfois j’ai des critiques très drôles. J’ai aussi eu une patiente Madame Block qui ne voulait pas de musique craignant que cela lui procure trop d’émotions.  Elle préferait écouter à la porte pour ne pas être trop touchée.  Parfois  les larmes coulent  même si la plupart du temps c’est cathartique. Une reconnaissance s’établit  «  Merci de m’avoir permis de pleurer." Il faut traverser cette tempête  pour qu’à un moment donné l’apaisement surgisse. J’ai eu une réflexion amusante aussi d’une personne qui me demandait de faire le tri car toutes sortes d’émotions ressortaient. Le gai, le triste et elle désirait  que je fasse ressortir uniquement le gai. 

 

Justement la musique est sûrement celle qui parmi toutes les thérapies artistiques fait le plus appel aux sens!

Oui absolument et surtout sa grande force c’est de faire appel au sens auditif mais pas à l’intellect. Par exemple le fait de contempler un tableau demande déjà de pouvoir le regarder . Or les personnes qui ont les yeux fermés ne comprennent rien même pas les mots. La musique n’a pas besoin de mots car elle fait naître des sensations, des idées à un niveau d’intériorité qu’aucun langage ne peut atteindre. Et puis, encore plus fort que de toucher les sens, le fait de passer d’abord par le toucher. Tous les grands autistes ont touché mon instrument, et en absorbaient la vibration. Cela arrive que certaines personnes demandent à mettre la main sur le bois de l’instrument pour le sentir encore plus vibrer. On est effectivement dans un très grand élargissement sensoriel. 

 

Sait-on pourquoi parfois cela ne marche  pas?

C’est arrivé que ce soit difficile de mesurer une réaction mais en tout cas il n’existe aucune dégradation de l’état. Par exemple, c’est diffilcile de se rendre compte de l’effet sur des patients lors de comas profonds. Mais dans la majorité des cas, il existe une amélioration, une réaction, une détente. On l’observe au niveau de la relaxation musculaire, du pli du front, de la respiration. Ça m’est arrivée de jouer pour un patient vraiment en état de mort clinique un peu comme une dernière chance et il n’a pas réagi. C’est quand même une responsabilité. Est-ce parce qu’il n’avait plus de connexion pour pouvoir capter puisque l’on sait que la contrestimulation musicale stoppe l’influx de la douleur,. Les neurosciences mettent en lumière de plus en plus tout cela de façon évidente. Il est rare qu’il ne se passe rien, à cause de la part de suggestion positive qui augmente les chances de réussite. Ceux qui font le pansement Schubert y croient à fond. Ils chantent, dansent avec le patient. Tout est fait pour que ça marche et les soignants qui ne sont pas sensibles ne le font pas. Le patient lui-même est d’accord, c’est le moteur du soin même si parfois certains malades refusent. Cette dame qui m’a envoyée sur les roses en hurlant « sortez de ma chambre. Parfois il  peut y avoir au départ un mécanisme de défense et puis quand on repose la question, quand on parle un peu, ceux qui ont refusé le plus fortement sont souvent ceux qui réagissent le plus. Une fois, avec une patiente j'ai du arrêter car la musique  l’envahissait trop et elle ne le souhaitait pas. 

 

Vous arrive t-il de vous dire que vous avez pu nuire à une personne? 

Oui justement pour cette patiente  qui avait réagi avec ce torrent de larmes. Ceci de façon tellement massive que je me suis demandée si je n’étais pas en train de la faire souffrir. Je ne suis pas toujours convaincue, pas du tout. Mais cette patiente avait fini par être apaisée. Après, j’ai posé mon violoncelle, j’ai essayé de la faire revenir sans instrument et en parlant. Il faut s’adapter. Je peux parfois juste parler et chanter. Une patiente m’a dit une fois «  je ,ne veux pas de musique, je veux bien parler. On a parlé une dizaine de minute et elle m’a dit «  J’ai l’impression que l’on fait de la musique toutes les deux ». La musique ce n’est pas juste un air de Beethoven, il y a tout un travail derrière.  C’est une conversation qui peut devenir quelque chose d’harmonieux, et de musical. En tout cas c’était le ressenti de cette patiente. Quand il y a échec,  je ne suis pas fâchée car je ne voudrais pas que l’on me dise «  Ca marche trop bien ».  Quand quelqu’un m’envoie balader, je suis contente car cela montre que parfois ça ne fonctionne pas. Parfois ce n’est pas évident et c’est vrai qu’il y a des moments où je doute un peu.  Notamment pour les personnes dans le coma. Je ne sais pas si ça leur fait plaisir et je me demande si elles auraient dit oui en étant conscientes. C’est important d’être dans le respect de la personne. 

 

Vous avez fait une licence de philo et donc étudié quelque peu l’histoire de la musique à travers le temps!

C’est effectivement une question qui m’intéresse beaucoup. J’ai même fait une maîtrise de philo mais comme je suis partie à Moscou, je ne l’ai pas soutenue. Donc je ne pouvais pas dire que j’avais le diplôme, mais j’ai fait 2 ans de maîtrise plus une maîtrise sur l’esthétique, philosophie de l’art. C’est incroyable d’ailleurs car les références à la musique remontent à la Bible. Chez les anciens Hébreux c’est la harpe et la lyre de David qui permettait d’apaiser les crises nerveuses de Saül le premier roi d’Israël. Les Grecs en ont beaucoup parlé aussi notamment Aristote. On dit d’ailleurs dans la mythologie qu’Asclépias donc Esculape considéré comme le dieu des médecins ordonnait souvent  à ses malades de lire des poésies et de chanter des chants. 

 

Est-ce que le fait d’avoir étudié cette histoire de la musique  peut aussi jouer dans votre manière de soulager ou pas?

En tout cas cela peut jouer dans ma façon de comprendre ce que je fais et d’essayer d’appréhender. J’ai passé beaucoup d’années à la Sorbonne, ai énormément aimé surtout la philosophie ancienne , la philosophie grecque aussi. Ma compréhension a grandi. Je ne sais pas si le fait d’avoir rédigé cette maîtrise en philosophie  de l’art  permet une relation soignante thérapeutique, mais c’est un enrichissement de ma personne et de mon rapport à ce que je fais. 

 

Vous avez un diplôme d’art thérapeute. Quelles sont les choses essentielles que vous avez apprises lors de cette étude?

J’ai appris à conceptualiser. Howard Buten m’avait fait jurer de ne rien apprendre, mais j’ai finalement levé cette interdiction avec sa bénédiction pour aller étudier. Cela m’a donné des outils pour une approche plus scientifique mais qui n’a pas changé ma façon de travailler. Mais avec ce diplôme j’ai des outils me permettant de pouvoir prouver, mettre en forme, et mesurer,avec une analyse, et des systèmes d’observation. Ça m’a permis de mener des recherches cliniques avec des professeurs et d’être invitée dans des congrès. Ceci pour pouvoir rendre compte de  mon travail de la façon la plus scientifique possible et  de montrer la difficulté de mesurer l’émotion. Cela m’a ouvert les portes des facultés de médecine puisque je suis appelée régulièrement pour donner des cours aussi bien aux étudiants qu’aux médecins dans plein de DU différents.  C’est une démarche qui peut rentrer dans un cadre soignant. C’est fondamental pour moi, non pas dans ma pratique mais dans la reconnaissance. Par exemple, je travaille maintenant avec un groupe lié aux soins palliatifs dans la reconnaissance de ce type d’apport dans  la loi Léonetti . Ça fait partie d’une approche globale en prenant en compte la sensation, l’émotion, la relation, l’expression, la communication.

 

Vous faites de concerts à travers le monde. Par rapport aux soins les différences?

Quand je suis auprès des malades, j’élargis beaucoup ma façon de jouer. J’adapte ma technique, mon volume, mon répertoire, je joue des extraits, des bouts de symphonie et je prends une grande liberté par rapport au répertoire pour que la musique devienne un pont vers la personne et non plus une réalisation artistique en soi. Quand je suis en concert,  je concentre mes forces pour être  dans une interprétation la plus proche possible du compositeur et de l’ensemble des personnes avec qui je joue. Toute cette pratique nourrit mon rapport à la musique, mon rapport en général à toute chose.

 

Que vous a apporté l’écriture de ce livre?

L’écriture représente la musique se trouvant dans les mots et c’est quelque chose qui me parle. J’aime énormément lire notamment de la poésie. Pour moi, c’était vraiment un cadeau de pouvoir mettre en mots toutes ces expériences et cela représentait également un énorme défi d’arriver à trouver l’angle juste.  Je l’ai écrit en 3 ans, je ne faisais plus que ça. Cela m’a apporté le bonheur de voir les lignes de force de ma vie plus clairement. 

 

Parfois lorsque vous êtes triste vous prenez votre violoncelle et ça va mieux!

Ça peut arriver. Mais c’est vrai aussi de la poésie, la musique du silence. J’aime particulièrement Christian Bobin. Il m’inspire beaucoup et quand je suis triste, je vais plus naturellement lire de la poésie en particulier Christian Bobin. Quand je joue du violoncelle, j’ai un regard critique, celui de la déformation professionnelle et je suis trop dans une analyse de ce que je fais, de ce qu’il faudrait améliorer. D’ailleurs quand il y a soi-disant des musiques relaxantes, je ne trouve pas du tout qu’elles le soient. Elles sont  tellement répétitives et j’analyse leur pauvreté. 

 

Ce qui est important aussi c’est l’humeur dans le soin!

Absolument. Mais je trouve aussi que la force de ce travail c’est que si par hasard je suis triste ou soucieuse, ce partage qui va vers un mieux-être de la personne  malade  m’aide aussi à me sentir mieux. Ce n’est pas quelque chose à éviter, c’est une gratification. C’est pour cela que je dis toujours merci et ce n’est vraiment pas par politesse car je suis toujours mieux même si je suis très fatiguée. Au terme d’une grande journée, j’ai reçu plein de lumière, de paroles et cela remet du sens à ma vie. C’est thérapeutique pour moi aussi. Howard Buten disait «  so good to be good »… 

 

Sinon y a t-il des choses que vous aimeriez faire, que vous n’avez pas expérimentées?

Certainement. Mais même s’il  y a beaucoup de paroles qui remontent et qui sont les mêmes dans la bouche de tous ces patients, je trouve que c’est nouveau à chaque fois. Je ne ressens pour l’instant aucune routine, aucune lassitude.  C’est un peu ma nature, je suis un peu comme ça dans la vie.  C’est pour cela que j’aime tellement Bobin, qui se réjouit aussi de choses très simples.  Même si bien évidemment, ce n’est pas toujours simple de jouer pour une personne qui va mourir…

 

 

Vous semblez ne pas avoir de frustrations!

Si quand je ne peux pas jouer ce que l’on me demande. Ça m’arrive régulièrement.  L’autre jour, il y a un patient qui m’a demandé de jouer du Rolling Stone. Un titre précis que je ne connaissais pas et je n’y arrivais pas. Parfois, je cherche aussi sur Internet pour voir si je ne peux pas trouver une partition. Ce qui me frustre c’est de ne pas connaître une musique alors que ça paraît évident. Souvent tout le monde se met à chanter, et moi je ne connais pas. Je n’ai pas une culture de la variété très développée, et je ne peux pas toujours répondre à une demande précise.  Mais en réalité, les gens sont toujours contents.  A ce propos une anecdote amusante me revient en tête . Un jour je n’arrivais pas bien à comprendre une patiente qui me disait à la fin «  Tcheklundi. » Je ne connais pas du tout lui ais-je rétorqué, mais je vais le marquer et la semaine prochaine je vous l’apporte. Elle éclate de rire et me dit «  Non, je vous demandais si vous veniez chaque lundi… " L’on a fait que rire pendant toute la séance tellement c’était drôle… 

 

Agnès Figueras-Lenattier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

mercredi, 27 janvier 2021

Patrick Laure

grossesse,sport,interviewPatrick Laure est médecin de santé . Il a écrit plusieurs livres sur les bienfaits de l’activité physique et connaît bien le sujet  «  Activité physique et grossesse ». Il a organisé en collaboration avec des sages-femmes un premier colloque "Grand Est Activité Physique et grossesse" qui  a eu lieu en novembre 2018. Si la COVID le permet, un deuxième devrait avoir lieu en mai 2021. Patrick Laure évoque ce  sujet encore assez tabou de manière générale…

 

Vous développez des actions de promotion de l’activité physique pour la femme enceinte dans le Grand est. Quelles sont-elles?

Les femmes enceintes pratiquant une activité physique ne sont pas très nombreuses (environ 1 sur 5) et il est important de developper ce secteur. Il faut ensuite mettre en place un conseil auprès des professionnels de santé ce que j’ai fait en Martinique et dans le Grand Est auprès des sages-femmes. Et puis developper l’offre. Une femme enceinte doit pouvoir  faire une activité physique voire sportive encadrée au sein d’une structure. Mais c’est beaucoup plus compliqué à mettre en place qu’une offre pour le grand public. D’une part, la grossesse ne dure que 9 mois et d’autre part, souvent les femmes n'ont pas trop le temps de s’occuper d’elles-mêmes. Il faut donc s’adapter. Les femmes enceintes travaillent pratiquement jusqu’au bout et donc en journée elles ne peuvent se libérer.  Et lorsqu’elles le  peuvent en soirée,  souvent les créneaux sont déjà pris . Et puis, pendant ces neuf mois, il peut y avoir des freins à l’activité physique comme les nausées, les vomissements qui ne donnent pas envie aux femmes enceintes de bouger. Sans compter les réticences de l’entourage proche inquiet qui peut dissuader la femme enceinte de pratiquer…  Quelques endroits  existent comme à Obernai en Alsace, à la maternité de Nancy avec un club sportif qui propose une activité physique, à  l’hôpital universitaire de Strasbourg…

 

En novembre 2018, vous avez organisé le 1er colloque du Grand Est «  activité physique et grossesse ».  Comment s’est élaboré le projet?

Cela fait plusieurs années que je travaillais avec des sages-femmes notamment dans la Meuse. L’on avait élaboré un petit guide à la fois pour des professionnels de  santé, des acteurs du sport pour l’accueil des femmes enceintes et l’on voyait bien qu’il y avait des choses à faire dans ce domaine.  J’ai regroupé les sages-femmes que je connaissais avec d’autres et l’on a décidé d’organiser un événement ponctuel qui parle un peu du sujet. Et qui casse un certain nombre d’idées reçues. Il faut que la femme enceinte  bouge et le repos n’est absolument plus de mise y compris d’ailleurs dans la majorité des cas  lorsque la grossesse est compliquée.  Les universitaires doivent tenir ce genre de discours. 

 

Existe-il à l’heure actuelle des formations pour les sages-femmes? 

Dans le Grand Est, c’est une réflexion fortement en cours en sachant que l’on parlerait là de formation continue.  Le Collège National des sages-femmes a fait de l’activité physique l’un des thèmes centraux de ses 19ème journées nationales. .  L’université de Lorraine comprend un département de maïeutique avec un cursus de formation des étudiantes sages-femmes. Celui-ci comporte des heures d’enseignement consacrées spécifiquement à l’activité physique en périnatalité dont je suis chargé. 

 

Quelles sont les initiatives sur le sujet?

Actuellement,  pas grand chose. Il y a un an le Ministère des Sports voulait  développer ce domaine pour les sportives de haut niveau. J’avais été contacté à l’époque et j’avais dit "Sportives de haut niveau certes mais elles ne sont pas très nombreuses en France et il faudrait aussi faire un groupe de travail pour les femmes enceintes de tous les jours", ce qui a été fait. Il en est résulté un petit guide dédié aux femmes enceintes qui aurait du être distribué en septembre dernier mais le COVID a tout bloqué. Dès que possible, aura lieu une campagne de promotion de l’activité physique lors de la grossesse et  la diffusion de ce guide…

 

Il existe énormément d’idées reçues sur la grossesse sportive. Comme les fausses couches, la prématurité, la petitesse des bébés…

Ça n’est absolument pas avéré mais il faut parler d’activité physique, c’est à dire avec une intensité modérée.  On n’est pas dans du sport de haut niveau et l’on a d’ailleurs pour l’instant peu de données sur le sujet.  La majeure partie des études datent d’il y a une quinzaine d’années.  Du reste à la grande surprise de tout le monde, ces études ont montré qu’il existait au contraire tout un tas de bénéfices apportés par l’activité physique.  Notamment lorsque l’on  a des difficultés à concevoir avec une fertilité peu développée. En 2019  après avoir étudié des femmes en traitement pour infertilité ou syndrome d’ovaire politique, on a montré que les femmes actives avaient un taux de grossesse supérieure aux autres.   Le taux moyen de prématurité lorsque l’activité physique est modérée est exactement le même que dans la population générale.  Avec une constatation que chez les femmes enceintes obèses , le risque pourrait être diminué.  La taille de naissance n’est pas changée non plus et en outre, D’autre part, on a aussi pu vérifier l’impact de l’activité physique sur le nouveau-né. L’on a ainsi découvert qu’en matière de neuro-développement, les bébés de femmes actives à quelques jours de vie avaient  des capacités supérieures pour s’orienter et réguler leur état émotionnel après un bruit. Avec une plus grande capacité de discrimination sonore de mémoire auditive avec des scores psychomoteurs à 12 ans plus élevés.  L’activité physique, environ 30 mn par jour même s’il faut  l’adapter en fonction des trimestres permet un bon fonctionnement cardio-vasculaire, le maintien de la masse musculaire, améliore la qualité du sommeil avec un effet préventif sur la prise de poids ce qui permet de lutter notamment contre le diabète gestationnel. Les risques d'’hyper tension gravidique, d’incontinence urinaire, de pré éclampsie, de perte d’identité osseuse, de douleurs lombaires, d’anxiété sont moindres. On se rend compte depuis quelques années que lorsque les femmes enceintes sont obèses et atteintes d’un diabète gestationnel,  l’activité physique permet justement de servir d’adjuvant thérapeutique. Il n’y aura pas de guérison,  mais cela va permettre d’améliorer les effets d’un traitement médicamenteux. 

 

Tous les sports peuvent-ils être pratiqués?

Il existe deux courants de pensée. Certains vont vous dire que tel sport est formellement interdit, d’autres diront que chaque discipline peut être adaptée. Personnellement je me situe plutôt dans  la deuxième catégorie.  Par exemple le judo fait en général partie des activités à prescrire.  Or on peut dire à une femme judoka « Tu fais ce que tu veux au premier trimestre et après tu adaptes ton activité sous forme de tais qui est la forme adaptée du judo pour les femmes âgées, malades. »  Cela lui permet de monter sur le tatamis, de mettre son kimono, de rester dans son club et de ne pas se sentir exclue.  En revanche, dans certains cas, il peut y avoir des disciplines auxquelles il est préférable de renoncer. Ainsi une femme qui n’est pas sportive du tout qui viendrait en disant « Je veux faire du cheval pendant ma grossesse », j’aurais tendance à lui dire que ce n’est pas le moment. En revanche, une femme cavalière qui a un bon niveau, qui connaît son cheval, qui est expérimentée c’est différent. C’est vraiment au cas par cas.  Une interdiction formelle et majeure même si certains le réfutent un peu c’est la plongée sous-marine. C’est formellement interdit. Bien sûr, il faut mieux éviter les sports de contact, ou ceux englobant des risques de chute mais encore une fois tout  peut être adapté en fonction des possibilités locales, de l’expérience de la femme. Traditionnellement, on estime qu’au troisième trimestre  on va faire du stretching, des étirements, de la gym douce aquatique etc…

 

Selon vous, il n’y a donc aucun interdit?

Au cas par cas et avec les conditions que j’ai émises, il n’existe  à priori au sein de la population générale aucune contre-indication. Sauf maladie rare comme la maladie des os de verre. Ou si une femme a une rupture prématurée des membranes, ou une épilepsie non contrôlée. Pour une femme qui a des triplés pour l’instant on n’a aucune donnée.

 

La différence entre la sportive de haut niveau et la femme de tous les jours?

C’est un peu plus complexe pour la sportive de haut niveau  dans la mesure où elle peut avoir un objectif de compétition. Elle se retrouve enceinte et se dit « Dans deux mois j’avais prévu telle compétition importante » et elle doit gérer. cette situation. L’optique est totalement différente et la sportive de haut niveau a  l’idée après sa grossesse de  retrouver rapidement le niveau qu’elle avait avant ce qui n’est pas le discours de la femme lambda.

 

Pour une femme sportive, la relation mère enfant est -elle plus développée!

Les femmes actives sont souvent moins anxieuses, ont moins mal au dos, sont un peu moins déprimés. Les études ont montré par exemple qu’il existe une diminution du post partum après la grossesse même si l'on ne connaît pas tout encore. Pour toutes ces raisons effectivement, la relation mère enfant est meilleure.

 

Comment faire pour trouver les mots pour convaincre la femme de faire du sport?

Ce que l’on recommande en tout cas auprès des sages-femmes ou des médecins, c’est de penser à en parler ce qui est rarement le cas.  Mais on ne peut leur jeter la pierre car en consultation pré-natale, il y a beaucoup de choses à dire et le temps est conté. Il faut que le professionnel arrive à anticiper les prétextes pour ne pas bouger.  Pour les patientes déjà actives, on leur propose de continuer avec une activité aménagée.

 

Quel impact ont les relations sexuelles sur la grossesse?

Déjà on pourrait se demander si l’activité sexuelle est une activité physique. Tout dépend de ce que vous faites. Mais l’on sait qu’une activité sexuelle moyenne à courante représente à peu près 5 calories par minute ce qui en terme de dépense énergétique n’est rien du tout.  On sait aussi d’après un certain nombre d’études qu’une activité sexuelle régulière qui satisfait les deux partenaires diminue d’à peu près 2 à 3 fois le risque cardio-vasculaire donc on peut l’encourager. 

 

Au niveau de l’accouchement a t-on des études?

Très peu de choses sur le sujet existent  et l’ on ne sait pas encore si l’activité physique est favorable ou pas.  C’est un moment particulier souvent très privilégié et l’on a un peu de mal à mener des études sur ce court laps de temps. Certaines études disent que l'activité physique diminue les césariennes, d’autres disent que cela n’a pas d’impact. 

 

Normalement si le virus le permet, vous allez organiser un deuxième colloque « Activité physique et grossesse » en mai 2021. En quoi sera-t-il différent du premier? 

L’objectif du premier était de tordre le coup aux idées reçues et là on va entrer dans la pratique à proprement parler. On aura notamment en première partie de matinée quelques intervenants prestigieux pour actualiser les connaissances. Après tout se fera lors  d’ateliers par petits groupes en travaillant sur des sujets précis. Cela s’adresse surtout aux sages-femmes… 

 

Agnès Figueras-Lenattier

 

 

mercredi, 23 décembre 2020

" Malades de sport"

cancers,bienfaits du sport,témoignagesVincent Guerrier 26 ans a été diagnostiqué en 2016 souffrant d’ un cancer du système lymphatique. Avant même que le diagnostic ne soit posé, il a beaucoup réduit l’activité physique, éprouvé par de lourds effets secondaires. Or à la suite d’une réflexion d’un radiologue qui l’a fait douter de ses capacités physiques futures, il a réagi courageusement en reprenant  la course à pied encouragé par sa compagne Léa Dall ‘ Aglio.  Il est même allé jusqu’à faire un marathon et a pu constater combien le sport lui était bénéfique pour mieux appréhender son cancer. Voulant alors témoigner de cette réalité pas encore suffisamment connue, il a avec sa compagne créé un site, un documentaire sur France III Normandie. et un livre, les trois intitulés «  Malades de sport »…

 

Lorsque l’on vous a diagnostiqué ce cancer du système lymphatique où en étiez-vous sur le plan sportif? 

Vincent :  A l’époque, je faisais beaucoup de vélo, mais j’avais un petit peu arrêté de pratiquer depuis les premiers symptômes de la maladie encore inconnue à ce moment là. Notamment de fortes démangeaisons nocturnes  et un essoufflement qui me limitaient un peu sur le plan corporel. C’était une fatigue assez chronique et c’est la réflexion d’un radiologue qui a engendré ma reprise du sport. Il m’avait dit sur un ton assez léger que les rayons pouvaient tuer des cellules au niveau des poumons et réduire mes capacités pulmonaires m’empêchant par la suite de courir un marathon.  Assez désemparé, j’en ai parlé à ma compagne qui a eu le bon réflexe de ne pas prendre cette nouvelle comme une fatalité et qui m ‘a proposé que l’on s’entraîne ensemble dans le but de courir un marathon. J’ai donc  repris la course à pied avec elle pratiquement à zéro assez vite après le début des traitements. Sur la balance avant d’attaquer les traitements, je pesais 6 à 7 kg de moins que d’habitude ayant perdu une grande partie de mes muscles… 

 

Comment s’est passée cette reprise de la course à pied ?

Léa:  L’on se savait pas du tout comment Vincent allait réagir avec la fatigue de la chimiothérapie et l’on a recommencé très progressivement.  Nous avons toujours couru ensemble afin que si un effet secondaire important se produisait, je serai là pour réagir  et appeler les secours si besoin.  Or, même si Vincent était dans un état un peu limité, aucun incident n’est survenu. On s’est même aperçu que plus vite il courait après sa chimie, plus les effets secondaires se dissipaient…Nauséés, fatigue écrasante. Et près 20 mn d’effort, il se sentait mieux immédiatement… Quand l’on s’est rendu compte de cela, on a cherché à comprendre pourquoi et l’on a découvert les études existantes sur le sujet depuis les années 1980 et montrant les bienfaits de l’activité physique sur les cancers. En fait, le sport est le seul médicament qui lutte contre la fatigue induite au traitement et à la maladie elle-même. Aucune molécule chimique n’existe pour lutter contre cet épuisement. 

 

Pourriez-vous parler des effets du sport sur votre état ?

Vincent :  Je comparais l’effet des chimiothérapies à une gueule de bois qui durait plusieurs jours. J’étais un peu apathique et le fait de faire assez régulièrement de la course à pied diminuait cette impression. Je mettais un petit peu moins de temps à m’en remettre qu’au début. Souvent deux jours après, j’étais revenu à un état pour ainsi dire normal au niveau de la fatigue. Je ne passais plus une après-midi au lit…  Six mois après la reprise, j’étais en bien meilleure condition physique qu’au début et supportais beaucoup mieux les traitements.  Le sport m’aidait aussi à me sentir mieux psychologiquement.  J’ai fait quelques séances en groupe avec d’autres personnes  ce qui me permettait ainsi de maintenir un lien avec le collectif, avec la société.  J’étais complètement en arrêt maladie, seul à la maison et je planifiais une petite séance plusieurs fois par semaine pour ne pas être totalement coupé du reste du monde… 

 

En tant qu’aidante cela s’est-il bien passé? 

Léa : On s’occupe surtout du malade et l’aidant est souvent délaissé ou mal conseillé.  Dès que l’on a eu le diagnostic et que l’on a commencé à faire des allers-retours à l’hôpital pour faire des examens , tout mon entourage me disait de ne surtout pas pleurer devant Vincent , de ne pas craquer. On m’a mis une pression énorme, et le fait que l’on m’ait conseillée de ne rien montrer de mes sentiments  a été extrêmement difficile à vivre. Je m’interdisais de « craquer », et parfois je sortais en pleine nuit pour téléphoner à mes parents et pleurer au téléphone. Jusqu’au jour où une infirmière a demandé à  Vincent comment il allait  et s’est ensuite tournée vers moi, me demandant la même chose. C’était la première fois que l’on me posait cette question depuis le diagnostic et je n’ai pas pu me retenir; j’ai fondu en larmes. Vincent s’est alors rendu compte que je n’allais pas bien et il m’a dit «  Je veux que tu pleures devant moi . Je veux m’occuper de toi également, tu as aussi le droit de ne pas être bien. Je trouvais ce soutien à double sens essentiel dans notre relation malade aidante. 

 

Vous dites que le corps s’habitue vite à l’inactivité!

Vincent :Oui, et moins on en fait, plus l’on se dit que cela va être difficile de reprendre et douloureux pour le corps. Une fois que l’on est déconditionné, c’est très difficile de reprendre. Au contraire quand on éprouve des bénéfices , quand on se sent mieux dans ses baskets et dans sa tête, il existe une sorte de culpabilité positive de ne pas en faire . Cela devient une drogue très saine où l’on s’impose de sortir pour son propre bien-être. C’est un jeu de spirale où il faut garder un équilibre…

 

Vous avez du aussi lutter contre les a priori des parents concernant l’activité physique!

Vincent : Oui, c’est vrai. Pour les parents de Léa je ne sais pas, mais les miens étaient effectivement un petit peu sur le frein à main en disant «  Attention, n’en fais pas trop, repose-toi.  C’était un peu le poncif de dire «  Tu es malade, il faut que tu te ménages et que tu restes au lit. Ils savaient que j’étais de nature assez active et avaient peur que je fasse des bêtises et qu’éventuellement je fasse un malaise. Une crainte de parents non objective.  Le frein que l’on met aux malades, c’est souvent l’entourage proche qui le provoque . L’on incite trop la personne à faire très attention et cet excès de prudence en devient délétère. . Or l’on sait maintenant  que rester inactif et trop sédentaire provoque des maladies chroniques et ne fait qu’accentuer les effets secondaires des traitements. C’est vraiment la chose à ne pas faire, et il faut le faire rentrer dans les moeurs. Cela  prend du temps, mais les choses bougent à ce niveau là…

 

Les médecins étaient au courant de votre activité physique?

Léa : Oui, ils ont  même dit à Vincent qu’il faudrait faire une étude sur lui car ils étaient assez stupéfaits de voir que courir lui faisait autant de bien. Qu’il a pu faire un marathon malgré son cancer. C’est une petite fierté pour nous car au début c’était un médecin sceptique. Il nous a même avoué que c’était grâce à nous qu’il avait fait embaucher au centre du service d’hématologie du CHU des Caen une enseignante en activité physique venant donner des séance directement dans les chambres du patient en s’adaptant complètement à l’état de la personne…

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Vous expliquez qu’au delà d’un certain nombre d’heures de sport, il n’existe plus de dose réponse!

Vincent : Oui, on compare vraiment le sport à un médicament dans le sens où il y a un dosage à respecter, une posologie. Selon l’OMS Il faut faire au moins 30 mn d’activité physique modérée à intense ou 150 minutes 3 fois par jour.  Les études montrent que les effets bénéfiques ont une limite et qu’au bout de 300 mn, les effets s’amenuisent. Ce n’est pas exponentiel. Même si l’on en fait quatre heures par jour, on n'aura pas quatre fois plus de bénéfices que quelqu’un qui n’en fait qu’une heure. Au contraire, si l’on en fait trop l’ on peut avoir des blessures ou autre effets néfastes. C’est comme tout, il faut trouver un juste équilibre… 

 

Malgré le fait que vous ayez fait du sport, vous avez fait une rechute!

Vincent : Oui. Même si les études démontrent que les patients souffrant de cancers les plus fréquents ( sein, colon, endomètre, prostate) les plus actifs ont 30 à 40% de baisse de récidive, cela reste de la statistique et le sport n’est pas non plus un remède miracle. Même quelqu’un de très sportif qui ne boit pas, ne fume pas et qui se nourrit bien peut quand même faire une rechute.  A ce moment là, j’ai été soigné uniquement par rayons et j’ai eu une auto-greffe (un prélèvement avec une souche qu’il faut réintégrer après une séance en chambre stérile à l’hôpital pour rebooster les défenses immunitaires). Avec ce principe d’auto-greffe, je ne devrais plus avoir de problème. J’ai du rester un long moment alité, mais j’avais demandé que l’on m’apporte un vélo d’appartement. Trois semaines au lit c’est vraiment délétère, et j’avais très envie de rester un minimum actif. Je faisais à peu près 3/4 d’heure, une heure de vélo tous les jours même la première semaine où j’avais de grosses chimiothérapies. C’était assez dur physiquement de s’y mettre mais je ressentais réellement  un effet immédiat sur la fatigue.  Les jours où je n’en ai pas fait à cause d’une trop grosse fatigue, j’étais assez mal. Le fait de bouger me donnait l’impression de rester maître de la situation…

 

Où en êtes-vous actuellement?

Vincent : Je suis en rémission depuis 2 ans et demi maintenant et pour l’instant tout va bien. J'ai retrouvé des capacités tout à fait normales. Sans aucun signe de rechute . Léa et moi avons voulu parler au maximum de ces bénéfices du sport  à l’aide d’ un site, d’un documentaire et d’un livre.  C’est vraiment une thématique qui prend de plus en plus  de place au sein de la société. Maintenant dans chaque centre anti-cancer, il existe un enseignant en activité physique adaptée.  Dans les 10, 15 ans à venir, quelqu’un de malade passera très probablement par un programme sportif. Ce qui implique moins de dépense en terme de médicaments et moins de rechute éventuelle, ce qui permettrait à la Sécurité sociale de faire des économies.  C’est en tout cas ce pourquoi l’on milite… 

 

Vous avez d’abord lancé en septembre 2017 le site «  Malades de sport ». Puis un documentaire. Pourriez-vous en parler?

Léa : Au départ, ce que l’on voulait c’était réaliser un documentaire pour la télévision car c’était pour nous la meilleure manière de toucher le plus grand monde possible.  Dans ce but, nous avons rencontré des  chercheurs, médecins, patients et toutes les informations que nous avons recueillies n’ont pu être diffusées lors de ce documentaire. Ainsi avons-nous eu l’idée de créer un site avec des interviews de spécialistes, des reportages sur des structures développant des initiatives sur l’activité physique adaptée.  On suit aussi l’activité législative en essayant de donner une parole toujours précise et en faisant comprendre qu’il ne faut pas nécessairement être un grand sportif pour faire de l’activité physique adaptée. Que celle-ci repose d’abord sur de toutes petites choses comme par exemple jardiner ou marcher. … Concernant le documentaire, c’est un défi que l’on a lancé à des personnes souffrant de cancers  rencontrées grâce à notre réseau local comme par exemple participer à la course «  Les courants de la liberté » un week-end d’épreuve de course à pied qui a lieu chaque année à Caen en juin.  Ainsi Fred ultra-traiter  émérite,  a repris la course à pied grâce au documentaire après en avoir fait pendant plusieurs années. Pour Magali qui n’avait jamais fait de sport de sa vie l’objectif était de réussir une marche de 6km.  

 

Vincent : Réussir ce pari a permis à Magali d’avoir une meilleure qualité de vie et de mieux vivre son cancer. Dans le documentaire, on le voit, elle a maintenant une vie entre ses rendez-vous de chimiothérapie  pratiquement normale et elle arrive à rester active. Des réactions diverses? On reçoit régulièrement des témoignages de personnes qui parlent de situations similaires. D’autres nous demandent comment ils peuvent pratiquer près de chez eux, et ont besoin d’être un peu orientés. Et puis avec le livre, on a eu un assez bon retour des médias qui n’avaient pas trop l’habitude de l’activité physique adaptée. Le métier d’enseignant d’activité physique est nouveau, et c’est pratiquement une découverte au sein de la société.  Cet accueil des médias a permis de mettre en lumière cette thématique là… Un médecin au CHU de Caen que l’on voit dans le film montre beaucoup notre reportage à ses patients et étudiants.  Et les patients disent se retrouver complètement  au niveau sensations et bénéfices sur les effets secondaires.  Ce film est devenu un support pédagogique  dans l’enseignement pour l’instant à petite échelle mais nous espérons une diffusion plus importante dans l’avenir…   

 

Le livre est un sorte d’enquête montrant les diverses études scientifiques sur le sujet et montre que de nombreuses initiatives naissent de plus en plus mais qu’il reste encore beaucoup de choses à faire!

Léa : Oui, on évoque les nombreux freins comme la loi du sport sur ordonnance qui n’est pas financée et le fait que de nombreux médecins ne savent pas bien comment orienter leurs patients. C’est un plaidoyer et ce que l’on veut c’est que le plus grand nombre soit au courant des bienfaits du sport dans le traitement des cancers, et qu’à terme l’activité physique soit systématiquement proposée dès le diagnostic de cancer. On pourrait même dire au moment des recherches d’avant précédant le diagnostic. C’est ce que l’on appelle la préhabilitation : préparer le patient à d’éventuels futurs traitements comme on prépare un athlète de haut niveau à une compétition. Le préparer mentalement, au niveau de son alimentation et au niveau physique afin qu’il soit prêt à recevoir de lourds traitements.  Après si les malades  ne font pas d’activité physique c’est leur choix et cela n’appartient qu’à eux. 

 

Vincent : Un des freins principaux ce sont vraiment les médecins traitants au niveau législatif qui sont les seuls à pouvoir prescrire le sport sur ordonnance... C’est possible maintenant depuis 2016 pour les maladies chroniques et cela concerne 20 millions de français.  Ce qui ressort aussi dans le livre c’est qu’il n’y a aucun bloc d’enseignement pour les futurs médecins. C’est abordé au fil de l’eau en fonction des spécialités d’une manière très succincte . Mais à priori, cela devrait bouger. C’est un peu un paradoxe d’avoir tant d’études qui démontrent les bienfaits du sport et de voir que les médecins même s’il y en a de moins en moins ne sont pas toujours au fait de cette thématique là. La preuve c’est que nous n’étions pas au courant avant de l’avoir testé par nous-même.  On se rend compte que c’est vraiment la société civile, les associations, les enseignants et les professionnels du monde du sport et de la santé qui portent vraiment cette thématique sur le terrain et assez peu les institutionnels ( médecins, comités olympiques… )…  Ce sont surtout les initiatives individuelles qui permettent que le sport sur ordonnance existe. 

 

Vous citez la Suède comme un pays exemplaire!

Vincent : Oui, les pays scandinaves sont assez développés dans la prévention primaire des maladies et dans l’activité physique grand public. Ils savent bien s’y prendre pour que la population quelle que soit son âge bouge, particulièrement chez les scolaires. L'on trouve notamment beaucoup de pistes cyclables. Concernant la recherche, les Canadiens sont bien avance sur nous. En revanche, point où la France est devenue une référence selon les chercheurs que l’on a interrogés c’est la mise en pratique pour les malades à l’hôpital. On est devenu très fort  en France ces dernières années pour installer des programmes dans les centres anti-cancer. Mais ce sont fréquemment  des programmes difficiles à pérenniser car ils sont la plupart du temps financés par des associations disposant de petits budgets. Mais de plus en plus de gens s’en occupent actuellement…

 

Agnès Figueras-Lenattier 

 

 

mardi, 17 novembre 2020

Fabienne Delacroix

peintre,art naïf,interviewFabienne Delacroix est la fille du peintre naïf Michel Delacroix et a repris le flambeau en trouvant sa voie avec selon les dires un brin de féminité en plus.  C'est une peintre émérite de la Belle époque, illustratrice, représentant des scènes de la vie parisienne ou campagnarde, les bords de mer, les châteaux de la Loire.  Elle a peint des séries comme les 24 vues de La Tour Eiffel, et a représenté les quatre saisons de Notre Dame de Paris.  Dotée d’un grand coeur,  contribuer à la collecte de fonds au profit de grandes causes a beaucoup de sens pour elle». Elle a par exemple soutenu l’action  contre le sida en partenariat avec l’AMFAR (American Foundation for Aide research) et la recherche contre le cancer en partenariat avec les joueurs de hockey de la NHL (National Hockey League… ). Ce qui a lui a donné l’occasion de rencontrer la famille Kennedy et Arnold Schwarzenegger. Possédant plusieurs cordes à son arc, elle a également un passé dans le domaine du théâtre et de l’adaptation de grandes oeuvres littéraires.  Elle a été présidente de plusieurs compagnies de théâtre, a collaboré à de nombreux spectacles à Paris et en province et à Madagascar où elle a habité de 2005 à 2014, elle a également été très présente théâtralement avec la création de la Compagnie Arts and Events et l’organisation de nombreux spectacles pour enfants et adultes…

 

C’est votre père peintre reconnu qui vous a initié à la peinture? 

Plus ou moins mais avec beaucoup de liberté. Je n’ai fait aucune école et suis complètement autodidacte.  Je me raccroche souvent à l’école des naïfs,  avec toutefois de petites nuances car l’on m’a qualifiée de « naïf raffiné « . En effet, la peinture naïve ignore la lumière, la perspective  et tout un tas de règles qui constituent l’art de peindre..  J’aime bien le terme «  figuratif poétique » …J’aime énormément cette idée de rêve, c’est d’ailleurs une époque un peu rêvée même si je n’ai évidemment pas de souvenirs. Je dis souvent que je rêve pour les autres… 

 

Pourriez-vous parler de votre manière de peindre?

C’est difficile d’expliquer, c’est un grand mystère d’inspiration.  Bien sûr je suis influencée par mes lectures, sur ce que je peux faire et puis l’inspiration vient  naturellement Je travaille avec des pinceaux très fins pour aller dans le détail.  J’ai peint à l’huile, mais pour des raisons d’odeurs très fortes;  j’ai basculé vers l’acrylique.  Cela sent très mauvais, et un jour j’ai été chez mon dentiste qui m’a dit «  Vous avez bu du white spirit ou quoi?  Je me suis rendue compte que j’inhalais cela à haute dose. Avec l’acrylique, l’on arrive maintenant à avoir un peu de matière ce qui n’était pas le cas il y a 30 ans. On ne trouvait pas toutes les nuances. Il n’y a aucune odeur et le séchage est instantané. Il m’arrive d’écouter des livres audio quand je peins notamment ayant rapport au sujet que je traite de manière picturale.  Par exemple, j’ai réalisé un triptyque, trois toiles qui communiquent entre elles autour du grand magasin «  Le Printemps » et j’ai réécouté «  Le bonheur des dames » de Zola . J’ai fait une affiche pour Annie Vergne directrice du théâtre du Guichet Montparnasse en liaison avec  son adaptation d’ » Une vie » de Maupassant, et j’ai réécouté l’histoire.  J’écoute aussi de la philosophie. et suis une philosophe de la joie… Spinoza et Montaigne par exemple sont des amis même si je n’ai pas forcément toutes les capacités intellectuelles et la patience de lire «  L’ »Ethique » . Quant à Montaigne  c’est un personnage si humain. Il existe des versions magnifiques comme l’enregistrement des essais de Montaigne par Michel Picolli.  Je suis dans la philosophie toute la journée et m’intéresse aussi à la littérature et à l’histoire. 

 

Est-ce vital pour vous de peindre?

Oui et quand je ne peins pas, cela me manque. J’en ai besoin; c’est ma vie et je suis heureuse car je fais vraiment ce que j’aime. Je suis comblée par mon travail et mes trois enfants.  Désirer ce que l’on a c’est cela le bonheur. Je suis complètement ailleurs, et il m’arrive de ne pas sortir pendant plusieurs jours. C’est mon petit chien en fait qui me force à sortir…  C’est tellement calme, j’ai la lumière, les plantes. Cela fait 25 ans que j’ai cet atelier et jamais je ne m’en séparerai.  Je me sens chez moi. Dans mes tableaux, ce que je cherche à faire ressortir, c’est la joie. Ma manière de peindre est tellement instantanée; rien ne transparaît à part  la joie. C’est d’ailleurs le retour que l’on me fait. Mes clients me disent qu’ils ont un rapport amical avec mes tableaux, que des fenêtres s’ouvrent qui les rendent joyeux et leur procurent du bien-être. Pour moi, ma mission est accomplie et contrairement à beaucoup de peintres, je n’ai aucune ambition particulière et ne cherche aucunement à faire passer des émotions ou des messages. Ma seule crainte c’est de ne plus pouvoir peindre. Quand j’étais plus jeune, j’ai eu des périodes où je n’arrivais jamais à rien. J’avais la toile blanche.  Il faut de la patience et de l’assiduité et je travaille tout le temps.  

 

Au niveau des couleurs vous avez forcément des préférences!

Oui, et je dois un peu me forcer à mettre du bleu. C’est un peu étrange d’ailleurs car c’est une couleur magnifique. Tout le monde aime le bleu, c’est le ciel, c’est l’infini. Quand on lit «  Le dictionnaire amoureux » de Michel Pastoureau, le bleu représente la couleur de l’infini.  Mes bleus sont plutôt pâles, je ne vais pas dans du cobalt, mais j’aime le ciel, la mer. Sinon je travaille toutes les couleurs, même si je ne suis pas dans les couleurs pop comme le violet. Mais c’est parfois amusant  de mettre un petit grain de folie. Une petite touche de couleur qui va faire toute la toile finalement dans un univers très uniforme. 

 

La musique vous inspire t-elle?

Mon rapport à la musique est totalement déconstruit et c’est l’art qui me donne le plus d’émotions soit dans les pleurs, soit dans l’allégresse.  En ce moment, vu mon état psychique personnel , la musique me fait trop d’effet et je n’arrive plus pour l’instant à en écouter. Je suis une modeste pianiste et j’ai quand même rapporté mon piano de Madagascar sur un bateau. Mais là aussi, je suis incapable de jouer en ce moment. 

 

Comment cela se passe t-il côté exposition?

J’expose environ 1fois par an et à chaque exposition,  c’est comme si je passais mon bac.. Je mets tout sur la table, et c’est ma seule source de revenus. Imaginez donc si mes tableaux ne se vendent pas…  Après cette exposition annuelle qui dure un mois,  je participe à une exposition collective.  Lors de mes expositions j’ai carte blanche mais les galeries aiment bien que je présente quelques vues de Boston ou de New York.  Maintenant que j’ai pris l’habitue de le faire; je le fais volontiers. A Boston et New York, j’ai une chance extraordinaire car là ou j’expose, ce sont des galeries magnifiques placées sur West Broadway, un emplacement de rêve. 

 

L’art naïf ne plait pas en France?

Je ne sais pas. Je pense que les Américains achètent avec leur coeur, alors qu’en France souvent on achète beaucoup avec ses oreilles. Il faut être simple et retrouver une âme d’enfant pour aimer l’art naïf.  Ce n’est pas une démarche forcément naturelle en France. J ’ai fait signe aux musées d’art naïf français notamment celui de Nice le musée Jacovsky. Mais ça ne s’est pas concrétisé pour l’instant. Nul n’est prophète en son pays; ce n’est pas très grave. 

Et en Europe? Je pense qu’il existe des possibilités en Allemagne et en Suisse. Aussi beaucoup en Europe de l’Est, c’est pour cela que je suis au musée en Bulgarie le Musée d’art naïf et intuitif à Belogradchik avec quatre toiles. Je fais partie de la collection permanente du Musée. 

 

Et au Canada?

Il y a un beau musée d’art naïf à Magog au Québec  (Mian Musée international d’Art Naïf), et j’en fais aussi partie avec deux toiles. Le directeur du Musée est très gentil avec moi et il est  d’ailleurs cité dans l'un de mes catalogues d'exposition.. «  Paris, jours heureux » C’est lui qui m’a qualifiée de » naïf évoluée » car il se demandait si en présence de mon oeuvre on était encore  dans l’ art naïf. Je suis un peu à la frontière de la peinture figurative traditionnelle et de l’art naïf. Il existe aussi une belle école d’art naïf canadienne par exemple. 

 

Vos influences?

Séraphine, le douanier Rousseau auquel on ne peut être indifférent, Henri Rivière qui était assez proche des estampes japonaises que j’aime aussi beaucoup, . Puis Bruegel, et les impressionnistes évidemment puisque c’est ma période, même si ma patte n’est pas du tout impressionnistes. On peut voir dans la manière dont je traite l’eau un peu de pointillisme. Personne n’échappe aux influences, on n’est que le produit de son passé, de son histoire  et des événements  auxquels on a été exposés. 

 

Vous avez sorti en 2018, un livre  édité chez Hervé Chopin  «  Paris, jours heureux ». Cet éditeur est-il de la famille du musicien. Et vous qui portez le nom de Delacroix êtes-vous de la famille d’Eugène Delacroix?

Non, Hervé Chopin n’a rien à voir avec le musicien. En ce qui concerne notre famille, , nous ne savons pas vraiment si nous sommes de la même famille qu’Eugène Delacroix. mais c’est possible. Comme il n’a pas eu d’enfants, c’est difficile de savoir.  Ce livre sur Paris est à la fois en français et en anglais. Cela me rend bien service et  me permet de vendre aux Etats-Unis.  J’ai aussi illustré  chez le même éditeur «  Les malheurs de Sophie » . C’est Sophie de Ségur arrière, arrière, arrière petite fille de la comtesse qui a signé la préface du livre. Ce qui donne donc Ségur, Chopin, Delacroix!… Quand j’étais enfant, je n’avais pas été particulièrement sensible à l’histoire des malheurs de Sophie mais plus récemment la rencontre avec la comtesse de Ségur a été comme une révélation. En tant que femme je me suis sentie finalement assez proche d’elle notamment lorsque je me suis rendue au musée de la comtesse. Elle a commencé à écrire à peu près à l’ âge que j’ai maintenant . Je vais vous confier quelque chose qui me tient à coeur. Concernant cette collection sur les malheurs de Sophie j’avais une trentaine de peintures et je ne savais pas quoi en faire. Les responsables du musée les ont gardés et je devais les exposer mais la Covid est arrivé et le musée a fermé. Ne voulant pas les vendre pièce par pièce, j’ai eu l’idée de faire une vente au profit de Madagascar où j’ai passé de longues années. L’argent récolté serait destiné à construire une petite école qui s’appellerait «  L’école de la comtesse de Ségur ».  Il me faudrait trouver un partenaire; j’ai deux ans pour ce projet; c’est le timing que je me suis fixée. J’ai des pistes de galeries, de ventes aux enchères.  C’est un projet qui me tient à coeur; c’est tellement pauvre là-bas.  Mais malgré le dénuement total, la joie est de mise . C’est  tellement différent de chez nous et de notre société de consommation.  C’est une belle leçon de vie et j’espère que ce projet verra le jour. Je compte retourner à Madagascar dans deux ans. Là-bas, il y a des gens que j’aime beaucoup, des gens très simples et pour mes 50 ans, je veux y retourner.   C’est le cadeau que je veux me faire...

 

y a t-il un écrivain que vous aimeriez illustrer?

Mon rêve est d’illustrer Marcel Pagnol qui est un amour de toujours et même si ça ne s’est pas encore réalisé, mon éditeur est tout à fait partant. J’ai même été en contact avec Nicolas Pagnol son petit fils, mais la famille a sa propre maison d’édition avec différentes versions.  J’espère vivement que ça se fera. . Au bout de 70 ans, cela tombe dans le domaine public et je ne quitterai pas ce monde sans avoir illustré Pagnol. Je suis née en 1972, il est mort en 73 ou 74 et j’attendrai 70 ans!…C’est un univers fait pour moi… Une différence entre la peinture et l’illustration? Pour moi c’est similaire même si parfois je me demande si je ne vais pas davantage du côté de l’illustration ou si je reste du côté de la peinture.  Je n’ai pas poussé intégralement la réflexion, mais parfois je suis entre les deux. Ça me va bien.

 

Il y a aussi les illustrations avec le chocolat de poche, les puzzles!

 Je fais ces projets surtout pour les rencontres même si l’on a tous besoin de sécurité et avec la Covid je diversifie. La peinture c’est très solitaire er rencontrer des gens est important pour moi. C’est enrichissant, et ça crée une émulation. Quand je travaille sur des projets collectifs, je travaille vraiment bien; ça me stimule. 

 

Le chocolat de poche est une histoire d’amitié!

Oui c’est un peu mon défaut , et je travaille  toujours ainsi.  J ’ai eu un coup de coeur pour le produit. Je trouvais ce chocolat  délicieux, et aimait la poésie qui en  émanait. J’aime beaucoup aller chercher des extraits pour illustrer des peintures; ça m’a emballée. Le créateur explique que tout le monde lui piquait ses tablettes, du coup il a eu l’idée de les cacher dans sa bibliothèque et s’est alors lancé dans la conception de tablettes dont l’emballage imite la couverture de livres. Ce sont des tablettes de chocolat qui se dévorent comme un livre, avec un pur beurre de cacao, sans OGM ni graisses hydrogénées. Il existe aussi une transmission de savoir en matière de gastronomie, d’art et de littérature. Le fondateur est  un grand passionné d’art, de littérature, de peinture qui a fait une reconversion. Il vient du milieu de la banque; il a pris les chemins de traverse et l’on s’entend très bien . On collabore régulièrement sur de nouvelles tablettes et puis on se stimule intellectuellement. Et c’est formidable.

 

Les puzzles

C’est une autre société située dans le 14ème arrondissement. «  Les puzzles Michèle Wilson ».   On a commencé avec deux sujets, c’est tout récent :  le château d’Azay-Le- Rideau et le Moulin Rouge. J e m’interroge parfois sur la valeur de mon travail : Est-ce que l’image est bien respectée, pas trop  banalisée? A partir du moment où le produit est un travail d’art en lui-même, c’est juste une chance de faire cela…

 

Vous avez aussi une carrière interessante dans le théâtre. Comment avez-vous débuté dans ce domaine?

Le théâtre a toujours été ma grande passion et monter des pièces que j'inventais, lorsque j'étais enfant constituait mon jeu préféré. Je tendais un rideau à un fil, quelques éléments de décor que je peignais et tout pouvait commencer. N'ayant  pas du tout le don du jeu. je laissais mes camarades jouer et préférais diriger… Puis à l'âge adulte le destin a provoqué de belles rencontres au sein de ce milieu. Je me suis formée sur le terrain comme c'est souvent le cas en étant assistante.

 

Votre séjour à Madagascar a favorisé cet amour du théâtre!

Oui, c’est là que  j'ai commencé "à voler de mes propres ailes" passant de l'écriture à la mise en scène. Rapidement les choses ont pris de l'ampleur grâce à un partenariat avec l'Institut Français. Je me suis tournée vers l’adaptation, car écrire pour le théâtre est un long travail qui suppose  une maturité que je n'avais pas et n’ai toujours pas.  Mais c'est une très belle aventure que de rentrer dans une œuvre de cette manière. Un mariage entre esprits avec l'auteur peut presque se mettre en place. Celui-ci  devient un grand ami, le compagnon de projet, on peut même dire de vie, au moins le temps de l'écriture. Et lorsque l’on est en expatriation, dans une culture toute autre, cela fait énormément de bien. Ce qui me tient le plus à cœur dans l'adaptation c'est la fidélité au texte.

 

Voyez-vous une ressemblance entre le théâtre et la peinture?  

Le théâtre est une peinture vivante. Un tableau qui se met en mouvement. Ce sont les mêmes ressorts créatifs qui sont à l'œuvre, la magie s'opère de la même manière. Dans un cas on passe du blanc de la toile à la couleur, dans l'autre du noir à lumière, mais c'est la même émotion de la création.

 

Que devient votre rapport au théâtre depuis que vous êtes revenue à Paris?

J’étais très abattue moralement suite à un drame personnel lorsque je suis revenue à Paris. Il fallait en plus que je me réhabitue à la vie en France après presque 10 ans à l'étranger et que je relève bien des défis. Mes contacts avaient poursuivi leur chemin, tout est en somme à recommencer. J’en ai alors surtout profité pour aller au théâtre selon mes envies, cela m'avait tellement fait défaut. Des rencontres ont eu lieu à nouveau comme cette belle amitié qui est née avec Annie Vergne directrice du Guichet Montparnasse. Les projets sont comme les désirs, ils existent toujours, notamment autour de Balzac et de Maupassant. Le contexte sanitaire va forcément les ralentir. Mais j’espère vivement remettre un pied dans le milieu du théâtre et peut-être faire encore plus se correspondre  les deux univers en  instaurant les toiles sur scène, à moins que ce ne soit la scène dans les toiles. 

Agnès Figueras-Lenattier

dimanche, 08 novembre 2020

Thierry Sajat

interview,poète,éditionThierry Sajat qui travaille au Ministère de l’Intérieur préside l'Académie de la poésie française depuis qu’il s’est installé à Paris .…Ayant écrit son premier poème à l'âge de 15 ans, il a publié de nombreux recueils et a obtenu plusieurs prix. Egalement éditeur et responsable de deux revues de poésie, c’est un homme passionné et généreux qui n’hésite pas à s’investir à fond dans ce qu’il fait…

 

En tant qu'amoureux des livres quel est le premier qui vous a marqué et quel âge aviez-vous?
Ce sont les deux premiers livres que l'on m'a offerts car avant je ne lisais pas. C'était Hervé Bazin avec " Vipère au poing" et " Lève-toi et marche". J'ai beaucoup aimé les deux , et par la suite je me suis mis à lire sans m'arrêter… J'avais 9,10 ans.


Vous avez écrit votre premier recueil à 19 ans, et votre premier contact avec un éditeur a été un échec!
Oui, je me suis fait escroquer , mais c'est un mal pour un bien car à partir de ce moment là, j'ai décidé d'être mon propre éditeur. Mais les débuts furent épineux et réalisés de manière artisanale. Je collais moi-même les ouvrages, les cousais. J'ai commencé par le faire pour moi, puis j'ai aidé un ami à faire son premier livre. Ensuite, d'autres personnes sont arrivées chez moi, et le côté artisanal a peu à peu disparu, le professionnalisme prenant le dessus. J'ai longtemps cherché un imprimeur compétent car les livres se décollaient, et je n'étais pas très content. C'est en province que j'ai trouvé.


Tous vos propres recueils sont donc publiés au sein de votre propre maison d'édition!
Oui, environ 24 ou 25 recueils dont des anthologies. J'en publie régulièrement et j'en ai d'ailleurs une en préparation sur Montmartre. C'est un bouquin qui devrait sortir dans deux ans et je recherche des poèmes d'aujourd'hui ainsi que des illustrateurs même si bien sûr nos aînés auront leur place. Quant à ma poésie, elle est classique, rimée…


Et les poèmes extérieurs que vous publiez sont-ils tous rimés?
Je m’occupe de deux revues. L'une « L’Albatros" revue de « l’Académie de la poésie française»  ne contient que des poésies rimées. Avec une poésie néo-classique admettant que certaines règles ne soient pas respectées comme les hiatus et autres. Alors que dans « Le Journal à Sajat » , ma propre revue, tous les styles sont présents. Je suis notamment très sensible à l'assonance lorsque je lis un poème. Je publie aussi parfois des romans, des nouvelles et des livres de photos. Je le fais généralement lorsque je connais l'auteur et ce qu'il fait. Sinon, il faut apprendre à le connaître, bien lire et accepter ou pas…


Pourriez-vous en dire davantage sur ces deux revues
On fête cette année les 70 ans de l'Albatros édité à 140, 150 exemplaires. En dehors des poésies, sont présents des articles sur la poésie en particulier, des critiques de livres. Louis Delorme qui nous a quittés récemment écrivait de magnifiques articles sur la poésie. Parfois également l’on retranscrit une conférence. Ainsi en a t-on par exemple publié une sur François Villon. J'ai également un site où généralement je publie le poème du mois et je cherche d'ailleurs quelqu'un pour s'occuper de ce site. Le journal à Sajat existe depuis 1983,84 et j’en suis au 117ème numéro. A l'époque, je travaillais dans un centre de tri postal et j'avais un collègue poète qui avait créé au sein de ce centre une revue intitulée « L’hippocampe" un très joli nom. Je commençais à correspondre avec des poètes de toute la France et j'avais moi aussi envie de fonder une revue. L'idée de départ c'était de publier sur un papier de journal mais je n'ai jamais réussi à le faire. Je cherchais un nom original et en attendant de le trouver on parlait du Journal à Sajat. C'est finalement resté. On peut dire que le titre comporte une faute mais je ne le considère pas comme tel. C'est juste une liberté.. Le tirage est de 300 exemplaires. avec 180 pages. J'en suis souvent un peu de ma poche mais étant le seul maître à bord, je me moque un peu de perdre de l'argent. Très peu de poèmes de moi se trouvent dans ces deux revues. Je laisse ma place et le fais surtout pour donner une chance à d’ autres.


Qu'est-ce que L'Académie de la poésie française?
C'est l'ancienne Académie des poètes classiques de France qui avait changé de nom avant que je ne la reprenne. Je l’ai reprise comme telle, j’ai juste ouvert au néo-classicisme sans oublier les classiques purs que nous avons toujours avec de très bons poètes classiques. Au début de mon arrivée, plus personne ne venait aux réunions et j'ai voulu essayer de faire venir d'autres personnes. Ce sont d’abord les montmartrois qui sont venus à l'Académie et grâce à eux, d'autres personnes nous ont rejoints. Nous organisons  une conférence d'une heure au café Le François Coppée sur un poète ou parfois sur un auteur tous les deuxièmes mercredis du mois puis nous terminons par une scène ouverte où chacun peut dire un poème. Si jamais nous n'avons pas de conférenciers, la scène ouverte dure deux heures…Il nous arrive aussi de faire une fois par an quand nous le pouvons un petit voyage. L'an passé nous étions allés chez Ronsard et cette année nous avons visité le château de Condé. Nous devions nous arrêter chez La Fontaine mais nous n'avons pas pu. Nous avons d'autres projets comme d’aller à Villequier l'année prochaine chez Victor Hugo. L'adhésion est de 40 euros par an et donne droit à recevoir les quatre numéros de l'Albatros et la possibilité de publier ses poèmes.


Vous faites aussi des rencontres à Montmartre!
Oui, mais cela ne fait pas partie du programme de l'Académie mais des amis de la poésie. Je suis en plus ambassadeur de la république de Montmartre qui s'occupe des vendanges et fait le bien dans la joie. De ce fait, je suis très présent là-bas, environ 2 à 3 fois par semaine. Nous organisons une rencontre de poètes chaque premier jeudi du mois à " La Crémaillère" de 10h à 12h et déjeunons ensemble après. On accueille aussi des chanteurs. Aucune conférence n’a lieu. On est juste tous ensemble, avec une scène ouverte dans un esprit montmartrois. Beaucoup qui viennent pour la première fois ne nous quittent plus ensuite… On veut simplement que ce soit de la poésie française et si c'est écrit dans une autre langue, on demande automatiquement la traduction. A Montmartre nous sommes une quarantaine et au François Coppée aussi.


Vous avez publié des gens comme Ferrat, Nougaro, Duteil
Oui j'ai eu la chance de publier Ferrat dans un numéro spécial sur l'enfance mais pas dans l'Albatros. Jean Ferrat avait écrit " Nul ne guérit de son enfance" et m'a permis de reprendre cette chanson. On a même signé un contrat à O francs car je n'avais pas les moyens de payer les droits d'auteur. Yves Duteil c'était au début quand je commençais. Quant à Nougaro c'était hélas l'année de sa disparition.


D'ailleurs Jean Ferrat a bercé votre enfance!
Ah complètement! Dès que je l’ai entendu chanter, notamment Aragon, ce fut un émerveillement. On ne peut pas être indifférent. Je me souviens aussi de Georges Moustaki, le premier que j'ai entendu. J'avais des professeurs qui nous avaient apporté "« Le métèque". Ah là là j'étais ébahi, déjà j'aimais les mots…


Refusez-vous parfois de publier certains poèmes? Si oui, pourquoi?
Oui, quand la qualité n'est pas vraiment là. Certains poèmes ne veulent rien dire se contentant d’aligner des mots les uns sur les autres. A l'Académie, un Comité de lecture (deux personnes plus moi) sélectionne les poèmes. C'est rare que l'on ne soit pas d'accord sur le choix d'un poème et cela constitue toujours un coup de cœur. Quand un poème n'est pas bon, je suis certain de le retrouver dans ceux qui sont mis de côté. Mais parfois je suis un peu plus tolérant surtout dans ma propre revue. Il arrive que l'on fasse retravailler l'auteur pour le numéro suivant et cela fonctionne très bien. J'ai besoin de regarder la prosodie, mais également l'émotion qui se dégage. Vous avez des poèmes très classiques qui sont très bien écrits mais sans dégager de véritable émotion … Il faut que je sois touché…


Quel est le ou la plus jeune et le ou la plus âgé que vous ayez publié?
La plus jeune il me semble est une jeune fille qui avait 14,15 ans; elle écrivait très bien. J'ai aussi publié des enfants dans ma revue. Quand un enfant m'envoie un poème, je ne dis jamais non. Le plus ancien, il est toujours là, il a 97 ans. Gérard Laglenne un poète très connu à l'Académie. On a des personnes très anciennes comme par exemple la vice-présidente Marie-Thérèse Arnoux 99 ans. On ne la voit pas souvent mais elle vient régulièrement à notre Assemblée générale. L'an dernier, elle nous avait concocté un poème pour ses 100 ans qu'elle n'a pas encore… Il y a je crois à peu près le même nombre d'hommes et de femmes mais je ne fais pas très attention à ce genre de choses. Cela dit, c'est vrai qu'avant la présence féminine était réduite par rapport à celle des hommes…


Voyez-vous une différence entre la poésie féminine et la poésie masculine?
Je n'en vois pas vraiment. Peut-être les thèmes, mais je ne me rends pas réellement compte. Parfois, une femme écrit peut-être avec davantage de finesse. Mais cela dépend surtout de l'émotion de chacun.


Vous êtes aussi membre de jurys de concours!
Plus maintenant, mais j'ai présidé pendant 5 ans un jury important à Maisons Laffite le prix Calliope, nom d'une muse. Je trouve d'ailleurs que trop de prix existent qui ne valent rien et partout où je peux j'écris que la poésie n'a pas de prix. Nous avons un prix au sein de l'Académie que nous décernerons pour la deuxième fois l’année prochaine.


Vous avez eu vous-même des prix notamment le prix Renaissance!
Oui et je le considère comme un vrai prix car c'est un prix que l'on ne demande pas et l'on ne présente rien pour l'avoir. Je vais vous dire pourquoi je suis réticent aux prix quelquefois. J'ai obtenu mon tout premier prix à 19 ans. Or l’on m'a demandé une certaine somme d'argent que j'ai envoyée et j'ai reçu une belle croix de bronze. Etait-ce réellement pour la qualité de ma poésie ou plutôt pour l’argent? Combien j'ai connu d'associations où l'on donnait le prix à la copine, au copain. Je sais que cela existe toujours.


En vous basant sur votre expérience, quels conseils pourriez-vous donner aux jeunes poètes souhaitant se faire publier?
Faire attention. Lorsque je suis arrivé à Paris à 19 ans, j'ai donc envoyé mon manuscrit à une maison d'édition que je ne nommerai pas et cité sur RTL tous les jours. On me demandait beaucoup d'argent pour me publier mais je n'avais pas les moyens. 6 mois plus tard, on m’a relancé et demandé la moitié de la somme. Je me suis déplacé pour avoir un entretien et l'on m'a affirmé que j'étais un très très bon poète. On me mentait, on évoquait mes grandes capacités, mais ce n'est pas ces qualités là que je rechercherais aujourd'hui dans mes poèmes. Il ne faut pas se faire avoir et il est important de venir à des réunions comme celles que nous organisons le mercredi et le jeudi. Les jeunes poètes peuvent alors nous montrer ce qu'ils font et dans les scènes ouvertes, on se rend bien compte si c'est de la poésie ou pas…

 

Où faut-il aller pour prendre des cours de poésie?
Nous avons quelqu’un au sein de l’association qui s’en occupe en Bourgogne. Personnellement je n'en serais pas capable, il faut pouvoir le faire. Mais avec elle, cela fonctionne très bien et nous allons d'ailleurs la couronner l'année prochaine. C'est comme pour les ateliers d'écriture, il faut vraiment un enseignement de qualité. J'ai parfois participé pour observer ce qu'il se passait et le résultat est parfois très moyen. Si la personne ne sait pas elle-même écrire un joli poème et qu'elle apprend aux autres, c'est un peu étrange. Mais cela existe et n’importe qui peut faire un atelier d'écriture ou apprendre à faire une poésie…


Les français apprécient-ils la poésie à sa juste valeur?
Oui, elle a bien sa place. Ce sont les médias qui ne la mettent pas en valeur. Dernièrement j'étais à Asnières , j'ai rencontré une amie qui habite en Province et nous sommes allés boire un verre dans un café. Un charmant couple était assis à côté de nous et cette amie qui fait partie de l'Académie leur a demandé s'ils aimaient la poésie. Elle avait un poème d'amour à leur dire. Ces jeunes étaient émerveillés. Les enfants aussi adorent la poésie. Un pays où la poésie est bien considérée c'est le Canada. En France, du fait que la presse n’en parle pas, c’est difficile de vendre , et l’on est beaucoup d'auteurs à donner nos livres.


Quels sont vos souhaits?


J'aimerais bien que l'on me propose une conférence sur la poète Marie Noël, et également sur Renée Vivien. Elle était homosexuelle mais quelle plume! De magnifiques poèmes d'amour… J'ai un projet mais je n'en parle pas de manière très précise car j'avais arrêté à cause du confinement. J'aimerais bien reprendre. Ce serait de créer dans un café parisien tout un dimanche une séance de dédicaces d'auteurs ayant publié chez moi uniquement, avec des animations musicales notamment. Si une dizaine d'auteurs venaient ce serait déjà très bien. Ils pourraient faire venir des amis et créer une véritable émulation… Je souhaite continuer car c'est un domaine qui m'est cher. J'aime ce que je fais et l'édition est devenue un plaisir, une passion. On rentre vraiment dans la vie de l'auteur, dans ce qu'il fait. En lisant un poème de cette manière, on discerne des choses que l'on ne verrait pas en étant simple lecteur. C'est merveilleux…

Agnès Figueras-Lenattier